25 septembre 2018

HMS Bitter et Colossus

© Inconnu. HMAS Melbourne off the east coast of Australia on 6 May 1956, astern of HMAS Sydney, following her delivery voyage from Britain.

La lecture de Vanguard to Trident - British Naval Policy since World War Two (Annapolis, Naval Institute press, 1987, 487 pages) amène à porter un regard renouvelé sur les prêts des HMS Bitter (Dixmude (1945 - 1965) et Colossus (Arromanches (1946 - 1974) à la Marine nationale par Londres. C'est pour tenter de comprendre pourquoi la marine française n'obtient pas de porte-avions (CV, CVL ou CVE) entre 1943 et 1945 et pourquoi la remontée en puissance sur le plan aéronaval est si lent dans un contexte de réduction ou déconstruction des flottes des belligérants.


Eric J. Grove consacre un chapitre entier au sort de la Fleet dans son maître-ouvrage Vanguard to Trident. Il est question du sort des porte-avions alors que plusieurs programmes sont d'ores et déjà lancés dont ceux regroupés dans le programme 1942 Design Light Fleet Carrier Programme qui comporte les classes Colossus (10) et Majestic (5) avant d'être suivi de la classe Centaur (8).


La Royal Navy est prise dans un étau entre la nécessaire démobilisation d'une partie des marins afin de soutenir la restauration économique, l'illégitime et insoutenable poursuite du plan naval tandis que la British Pacific Fleet - deuxième force aéronavale mondiale - est à peine en plein essor. Plusieurs décisions sont prises pour maintenir le rang de la Royal Navy en abandonnant la construction d'un nombre réduit d'unités (4 Centaur, 1 Majestic), en transformant certains ordres (3 Colossus deviennent maintenance carrier (¨HMS Pioneer et Perseus) et repair ship (HMS Triumph) et en vendant d'autres unités à des marines étrangères (5 Majestic, 7 Colossus).

De l'autre côté du Channel, le Comité de Défense nationale décide, le 2 octobre 1944, entreprend l’examen de la composition des forces armées d’après-guerre (Jean Doise et Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire, pp. 389 et s. dans  Philippe Quérel, Vers une Marine Atomique – La Marine française (1945-1958). La Marine nationale s’y attèle par la production d’une série d’études et de projets. Le vice-amiral Lemonnier, chef d’état-major général de la Marine, remet ainsi à Louis Jacquinot, secrétaire d’Etat à la Marine, un rapport intitulé « Statut naval d’après-guerre », suivi le 28 juin par un projet d’ordonnance. Par la suite, le 4 juin 1945, le même Comité de la Défense nationale prend une série de décisions concernant l’organisation future des forces armées. La Marine doit établir ainsi un « Projet de Réarmement Naval et Aéronavale » pour la période du 1er juillet 1945 au 31 août 1946. A cette date, il s’agit autant de réorganiser la Défense nationale que de poursuivre la Guerre contre le Japon, de protéger les voies de communication, notamment celles avec l’Empire, d’assurer la police dans les eaux de celui-ci et d’apporter son concours à une force internationale en discussion sur la période considérée dans le cadre de la future ONU.

Le pivot de cette organisation sera une Force d’Intervention constituée (note page 48) de :
  • 2 cuirassés,
  • 4 porte-avions de combat,
  • 6 porte-avions d’escorte,
  • 12 croiseurs (6 lourds, 6 légers),
  • une trentaine de torpilleurs ou escorteurs rapides,
  • une trentaine de sous-marins océaniques.
Dans l'ouvrage Le Béarn et le Commandant Teste (Jean Moulin, Lucien Morareau et Claude Picard, Marines éditions, pp. 160-161), il est possible d'avoir le détail des six navires projetés en 1945. Il ne s’agissait pas de construire six navires neufs, mais bien de refondre les survivants de la guerre. Cette étude propose donc une flotte de six porte-avions, tel que :
  • le Béarn (2 flottilles, premier porte-avions français),
  • le Dixmude, (1 flottille, porte-avions d’escorte donné à la France par les Alliés),
  • le Commandant Teste (1 flottille, ex-porte-hydravions),
  • le Duquesne (1 flottille, ex-croiseur),
  • le Tourville (1 flottille, ex-croiseur),
  • le Jean Bart (3 flottilles, ex-cuirassé).
Hormis le Dixmude, tous les autres bâtiments sont français. Chacun des projets de conversion ou d'achèvement en tant que porte-avions sont abandonnés, très souvent en raison d'un coût financier peu proportionné au regard de la pertinence opérationnelle de la solution aéronavale proposée. In fine, l'État-Major de la Marine (EMM) se dirige vers le recours à des expédients pour retrouver rapidement une force aéronavale au moindre coût tout en préparant l'avenir avec l'arrivée sur ponts plats des premiers jets.

Dans un premier temps, Eric J. Grove rapporte des "arrangements were made shortly after the war to dispose of two redundant escort carriers to the Dutch [problématique de la reprise en main des Indes néerlandaises (Indonésie)] and the French respectively". (p. 17) C'est pourquoi "France wished to purchase the Pretoria Castle" (p. 19) mais le chancelier de l'échiquier et le ministre des transports de guerre insistent pour que le bateau soit reconverti "immediately" en navire de commerce. Plutôt que le HMS Pretoria Castle (181 mètres, 23 450 tonnes, 18 nœuds, 21 aéronefs), la France reçoit le Dixmude (150 mètres, 9100 tonnes, 16 nœuds, 15 aéronefs), ex-HMS Bitter (classe Avenger américaine, quatre bâtiments dont deux en service dans la Royal Navy pendant la Deuxième Guerre mondiale) le 9 avril 1945. L'économie britannique y gagne, la Marine nationale moins.

Dans un deuxième temps, des tractations car la marine française "could not afford to purchase a Colossus, and partly to put into effect Alexander's agreement with the Chancellor to dispose of twho of these ships and partly to recover lost wartime goodwill, the Admiratly offer the Colossus herself". (p. 18) Le HMS Colossus est prêté à la marine française dès 1946 au sein de laquelle il est rebaptisé Arromanches et acquis après cinq années et ne sera retiré qu'en 1974 tout en incarnant la problématique du troisième porte-avions après l'abandon du PA58/59.

Pour élargir l'horizon, la France parviendra à obtenir des États-Unis les sister-ships La Fayette (1951 - 1963) et Bois Belleau (1953 - 1960) qui complétaient les Dixmude et Arromanches en attendant les construction des Clemenceau (22 novembre 1961 - 1er octobre 1997) et Foch (15 juillet 1963 - 15 novembre 2000).

Reste alors à se demander pourquoi la France entre dans cet agreement pour obtenir et un porte-avions d'escorte et un Colossus. L'une des hypothèses à formuler est que dans la misère des projets non-réalisés entre 1943 et 1945, il valait mieux un accord rapide qu'aucun accord. Mais il est toujours très étonnant que le Béarn (1928 - 1965) soit abandonné à son rôle de transport d'aviation, accusé d'être lent pour accepter contre mauvaise fortune, bon cœur le HMS Bitter (16 nœuds contre 21,5 pour le Béarn après un grand carénage) qui marchait à la même allure. Et pourquoi ne pas avoir demandé mieux qu'un Colossus, un Majestic ? Ou plusieurs Colossus ? La contrainte financière est citée mais elle n'obérait pas certaines réalisations d'après-guerre. A suivre.


1 commentaire:

  1. Je cite la Wikipédia : "À son apogée, lors de la victoire sur le Japon, la marine américaine opère 6 768 navires, dont 28 porte-avions, 23 cuirassés, 71 porte-avions d'escorte, 72 croiseurs, plus de 232 sous-marins, 377 destroyers, et des milliers de navires amphibies, de navires d’approvisionnement et de navires auxiliaires."
    Je me suis toujours demandé pourquoi les USA n'avaient pas équipé les marines alliées, dont celle de la France, avec une partie de leurs très nombreux navires. Je suivrai les articles sur le sujet avec attention. Merci.

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