15 avril 2019

Sea Fire 500 : défense aérienne de la Flotte à l'ère hypersonique

© Xavier Vavasseur - Naval news.
La ministre des armées, Florence Parly, a visité le centre d'expertise des radars militaires de Thales à Limours où elle a pu y découvrir le premier panneau fabriqué du tout premier radar française à faces planes dont la construction avait débuté en mai 2018. Ce matériel partira la semaine prochaine pour la presqu'île de Saint-Mandrier où se situe le Site d’Expérimentations de Systèmes de Défense Aérienne (SESDA) où sont situés les plates-formes d’intégration à terre des systèmes de combat naval (le quatrième SMART-S Mk 2...) et des moyens d’évaluation de performances radar et guerre électronique. Le radar Herakles avait bénéficié de quatre années d'essais dans ce centre, le Sea Fire 500 se dirige vers un calendrier pratiquement identique (2019 - 2023 ?). Le premier radar devant devenir opérationnel sera livré à Lorient fin 2020. Quelques données opérationnelles quant à ce programme ont été annoncées. Par comparaison avec son nouvel équivalent américain - l'AN/SPY-6 - et par l'un des projets de la société à participations croisées de Fincantieri et Naval group : l'avènement de la défense aérienne de la flotte à l'ère hypersonique est acté.

Les Frégates de Taille Intermédiaire (FTI apparaissent timidement dans les propos de Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, dès 2013 alors que les questionnements quant à l'achèvement de la série des 11 FREMM se font jour au sein du gouvernement. Entre 2013 et 2015, il est peu à peu acté et officialisé lors de l'actualisation de la Loi de Programmation Militaire (LPM) que les FREMM 9, 10 et 11 seront remplacées et complétées par cinq FTI. "Les FTI ne pourvoient donc pas au remplacement des frégates de type La Fayette (FLF). Il s’agit plutôt de développer un nouveau type de bâtiment pour arriver au chiffre total de quinze frégates de premier rang tel qu’il est prévu par le Livre Blanc." (Audition Amiral Bernard Rogel, projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019, commission de la Défense nationale et des forces armées, 27 mai 2015)

La principale inquiétude quant à ces "FREMM au tonnage ramassé" touchée à leurs caractéristiques opérationnelles en matière de lutte Anti-Sous-Marine (ASM). Le retrait des avisos A69 assurant la sûreté des atterrages de la FOST de conserve avec une FASM ou une FREMM impose de leur trouver un successeur : la FLF modernisée (2021 - 2023) puis les deux premières FTI (2023 - 2025). FTI, requalifiées de "FDI" (Frégates de Défense et d'Intervention) au 1er janvier 2019, se répartiront selon deux standards (Vincent Groizeleau, "Les premières FTI moins équipées que les dernières",  6 décembre 2018) : standard 1, les deux premières FTI seront dépourvues de moyens de guerre électronique active (brouilleurs et lance-leurres) ; standard 2, les trois suivantes (2026 - 2030 ?) disposeront de ces moyens selon la programmation militaire.

Dès 2014, il est dit que l'une des évolutions architecturales intégrées aux futures FTI sera le premier radar à faces planes français sur une mâture unique. Superstructure abandonnée (2003 - 2005) pour les FREMM lors de la construction de la coopération franco-italienne sur le programme. Il est permis d'apprendre que le Sea Fire 500 aura nécessité un maximum de 450 millions d'euros de frais de développement sans qu'il soit bien dit s'il consomme à lui seul cette somme ou si elle est partagée avec le Ground Fire 300. En 2016, les cinq FTI sont données pour 2,1 milliards d'euros avant que le montant total du programme soit précisé pour 4 milliards d'euros en 2017, frais de développement compris : dont celui du Sea Fire 500 ? Ou bien a-t-il été pris sur l'enveloppe des "FREMM-FREDA" baptisées Alsace (2021 - 2051 ?) et Lorraine (2022 - 2052 ?) qui se chiffre à 2017,77 millions d'euros pour deux FREMM de classe Aquitaine à peine retouchée (quatre lanceurs verticaux SYLVER A50, une mâture amincie pour réduire le masque) ?

La suite ASM sera peu ou prou la même : un CAPTAS 4 compact pour le sonar remorqué actif à très basse fréquence (Active Towed Array Sonar (ATAS) et un KingKlip Mk 2 pour le sonar de coque (Hull-Mounted Sonar (HMS) et une antenne filaire remorquée, le tout bénéficiant de l'accueil à bord d'un NH90 NFH Caïman Marine avec kit ASM (sonar trempé Flash, bouées acoustiques, détecteur d'anomalies magnétiques).

Les FTI s'annonçaient alors que celles devant porter le meilleur radar de la Flotte. Le Sea Fire 500 est un radar logiciel fonctionnant en bande S, participant très probablement à l'appellation galvaudé de "frégate digitale", constitué sur le plan matériel de quatre paneaux (2 x 2,5 mètres) pesant chacun 2 tonnes. Ce radar logiciel sera donc modernisé continuellement par une évolution logicielle dédiée, ce qui suppose une autre manière de gérer l'entretien du bâtiment avec un flux continu et peut-être plus régulier que le sacerdoce des arrêts techniques et arrêts techniques majeurs. La ministre des armées évoque aussi une conception prévoyant l'ajout de briques d'intelligence artificielle.

Le tout permet d'assurer une bulle de détection de 500 km (270 nautiques) de diamètre ou bien une portée supérieure à 300 km en concentrant la puissance d'émission sur un secteur (interprétation du discours de la ministre et de l'infographie diffusée) sur buts aériens contre 80 km (43 nautiques) sur buts navals. Cette bulle assure une couverture non seulement à 360 degrés sur le plan horizontal et jusqu'à 90 degrés sur le plan vertical au sein de laquelle 1000 pistes peuvent être suivies (800 pistes annoncées au début de la communication sur le programme) sans que ne soit encore précisé le nombre de cibles pouvant être engagées.

Il ne s'agit pas d'une révolution en matière de portée vis-à-vis des radars tournants (1 tour par seconde) Herakles (évolution de l'ARABEL équipant, notamment, le porte-avions Charles de Gaulle et les frégates Al Ryadh (type La Fayette) saoudiennes) travaillant eux aussi en bande S et équipant les frégates de classe Aquitaine (bulle (360 degrés avec une élévation jusqu'à 70 degrés) de 500 km contre buts aériens, 80 km sur buts navals) pour 400 pistes aériennes et navales suivies.

Mais bien d'une évolution significative quant aux capacités de lutte en défense aérienne face aux engins aérobies et balistiques hypersoniques car le radar logiciel permettra un suivi instantanée en réduisant pratiquement à rien la servitude de la vitesse de rotation de l'antenne, remplacée ici par quatre panneaux fixes observant chacun, constamment, leur secteur respectif. Le Sea Fire 500 sera aussi capable d'assurer une conduite de tir sur buts navals et aériens (canons et missiles) et quelques capacités de guerre électronique dont du brouillage offensif.

Il peut être intéressant de comparer le nouveau venu français à la famille proposée par l'entreprise américaine dans le cadre du programme Air Missile Defense Radar (AMDR) dont le premier modèle - le futur AN/SPY-6 - doit être intégré sur les futurs destroyers Arleigh Burke Flight III (9800 tonnes). Ce radar se compose de quatre panneaux dont chacun est l'addition de Radar Module Assembly (RMA), soit 37 pour les Flight III, 24 pour les Flight IIA prolongés jusqu'à 45 années et 9 pour les porte-avions (CVN-78 et suivants), LPD(X) et FFG(X). Il est remarquable que l'AN/SPY-6 suppose l'installation à bord de cinq nouvelles unités de réfrigération dont la puissance augmente de 200 à 300 tonnes de réfrigération chaque. Par voie de conséquence, la puissance cumulée des quatre diesel augmente de 9 à 12 MW. Ceci expliquant en partie la disqualification des Flight I (8300 tonnes) pour recevoir un ADMR adapté et des Flight IIA (9200 tonnes) pour un ADMR identique en raison des travaux à mener pour adapter l'usine électrique, les auxiliaires comme les systèmes de refroidissement et la faculté à porter un poids plus important dans les eaux pour des superstructures travaillées par les efforts mécaniques depuis un certain nombre d'années.

Ce qui questionne en filigranne les capacités d'évolutions des frégates des programmes Horizon (7050 tonnes, usine électrique de 6,4 MW) et Aquitaine (6040 tonnes, usine électrique de 8,8 MW) pour soutenir une éventuelle évolution de la suite radar, tant en puissance électrique qu'en capacité de réfrigération, face à la diffusion des missiles anti-navires hypersoniques. Sans être réservé à quelques unités en particulier, ils sont déclamés comme devant devenir la norme des marines russe, indienne et chinoise dans les trois grands océans, invitant à considérer l'avenir de la flotte de surface française dont la défense aérienne ne pourra pas seulement reposer sur deux frégates du programme Horizon. D'où les ajustements sur les frégates Bretagne et Normandie (SYLVER A50 et non plus A43) en prélude à un remplacement des radars Herakles sur la période 2025-2030 ?


AMDR 
(Air Missile Defense Radar) 
AN/SPY-1A/B 
Sea Fire 500 

AN/SPY-6 
AN/SPY-6 
Enterprise Air 
Surveillance Radar (EASR) 
X 
X 

Flight III 
Flight IIA 
CVN-78, LPD(X), FFG(X) 
Ticonderoga, Flight I, II, IIA, II Restart, IIA TI 
FDI 
Nombre 
de RMA 
37 
24 
9 
X 
X 
Superficie par plaque 
13,7 m² 
8,9  
3,3  
~ 12,25  
5  


Sur le plan institutionnel, le Sea Fire 500 permet à la France d'explorer les radars à faces planes par le segment bas, c'est-à-dire suffisamment puissant pour hisser la défense aérienne de la Flotte à la hauteur des nouvelles menaces dont la plus évoquée est celle des futures munitions hypersoniques dont le 3M22 Tsirkon dont le premier tir opérationnel pourrait intervenir dès la fin de l'année 2019.

Ce qui pourrait augurer une évolution significative du groupe aéronaval, voire de n'importe quel groupe naval ponctuellement constitué (opération Hamilton) : les FDI sont probablement vouées à assurer le piquet radar au centre du dispositif ou face à la menace la plus probable pour, par un jeu de liaisons de données tactiques, offrir la situation dressée par le Sea Fire 500 à des bâtiments peut être plus à mêmes de mener les missions de défense aérienne, c'est-à-dire les frégates Horizon. Elles seraient donc ponctuellement employés dans cette perspective dans les zones les plus âprement disputées jusqu'à la refonte à mi-vie des frégates de défense aérienne.

Le Sea Fire 500 permettra de traiter, aussi, les munitions balistiques ayant une portée allant jusqu'à 1500 km si jamais l'ASTER 30 B1 NT parvenait sur les FDI. Hors, tel n'est pas l'hypothèse de travail puisque ces munitions ne seront commandées qu'en 2022 pour une livraison intervenant très probablement avant ou à la fin du chantier de modernisation des quatre frégates de défense aérienne du programme Horizon. Paris et Rome se sont engagées depuis 2017 sur un programme commun qui porte, notamment, sur un nouveau système de combat versé lui-même au bénéficie du rapprochement entre Fincantieri - d'où le rapprochement avec Orizzonte Sistemi Navali - et Naval group dont le leitmotiv du projet est de proposer un "AEGIS européen". Reste à déminer le chantier le plus compliqué : départagé Leonardo (Kronos et Grand Kronos) et Thales (Sea Fire 500) quant au choix du radar ou, peut être, de la possibilité d'adopter deux radars différents.

En arrière-plan de ce qui est décidé pour les futures FDI dont la première unité sera réceptionnée en 2023, outre la refonte à mi-vie des frégates de défense aérienne Forbin (2005 - 2035) et Chevalier Paul (2007 - 2037), se pose aussi la question de l'évolution de la suite radar du porte-avions Charles de Gaulle. Ce chantier est réputé avoir été reporté de l'Arrêt Technique Majeur (ATM) n°2 à 3. Et pour cause puisque s'il était maintenu alors il profiterait à plein des enseignements du premier radar Sea Fire 500 et du chantier de refonte à mi-vie des frégates du programme Horizon, notamment quant au système de combat pouvant peut être compléter par briques ou bien remplacer le SENIT 8 du porte-avions.

Reste un dernier espace de manœuvre qui est la résultante de tout ce qui précède et est en lien avec le Porte-Avions de Nouvelle Génération (PANG). Ces travaux "déportés" sur les frégates FDI et Horizon apporteront autant de systèmes d'arme et de briques technologiques pour les futurs programmes dont le PANG mais aussi les successeurs des Horizon. L'Italie explore depuis quelques années déjà la voie de croiseurs de 10 000 tonnes dont la justification ne peut qu'être une extension du périmètre de la défense aérienne à la défense aérospatiale donc aux missions, notamment, anti-missiles balistiques (ABM et non plus seulement ATBM) mais aussi à quelques capacités de lutte dans la zone aérospatiale transitoire. Les Pays-Bas et l'Allemagne prendraient le même chemin sur la même période (2027 - 2035).

Enfin, il sera intéressant d'observer si dans le cadre du plan Mercator (Horizon 2030) il sera décidé qu'un tir de munition complexe interviendra à bord de la première FDI entre 2023 et 2025 pour valider l'interception d'un engin évoluant à vitesse hypersonique alors que le premier tir russe du Tsirkon devrait avoir été effectué en 2019. Le Forbin avait pleinement démontré ses capacités face aux munitions supersoniques en 2012 en interceptant une cible GQM-163A Coyote. Une démonstration probablement à renouveler au cours des prochaines années.

2 commentaires:

  1. >>>Il est remarquable que l'AN/SPY-6 suppose l'installation à bord non plus de cinq unités de réfrigération de 200 tonnes mais bien de 300 tonnes chacune (passage de 1000 à 1500 tonnes)

    Heu...non. Il y a confusion.
    La "tonne de réfrigération" est une unité de mesure correspondant à environ 3.5 kW. Cela ne correspond absolument pas à la masse d'une unité de réfrigération embarquée sur un Arleigh Burke.
    Voir https://en.wikipedia.org/wiki/Ton_of_refrigeration

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