14 mai 2019

Plan naval et contrôle de l'action publique

© Gallica. Le ministre de la marine Georges Leygues avec les rescapés du sous-marin Prométhée en juillet 1932.

Loi navale, plan, statut ou programme naval ont disparu du domaine législatif pour se restreindre progressivement du champ réglementaire jusqu'à l'infra-réglementaire. Le contrôle parlementaire de l'action publique menée par le gouvernement est sur ce point précis en recul depuis le XIXe siècle : c'est-à-dire que la question navale, comme l'une des questions militaires, a été dépolitisée et réduite au "fait du prince", non pas de celui gouvernant la cité mais de celui portant la casquette du chef de l'administration concernée. Selon Charles de Gaulle, "la défense ! C'est la première raison d'être de l'État. Il n'y peut manquer sans se détruire lui-même" (discours de Bayeux, 1952) : pourquoi ne pas refaire de l'édification des armées une question politique débattue au Parlement ?

Le bâtiment de guerre est la matérialisation stricte de la pensée qui l'a conçu dont il ne sera jamais autre chose que le dépositaire. En ce sens, le bâtiment de guerre reflète autant l'expression d'un besoin opérationnel qu'il reflète une représentation de l'expression de la force sur (ou sous) la mer d'un Etat. Son apparence dénote de choix techniques dont la force de l'habitude est parfois insoupçonnée, pluriséculaire et peu remis en cause. La silhouette du bâtiment personnifie le rang et la stature de l'Etat sur la scène internationale dont l'Océan est la grande rue, pour détourner le mot de Napoléon Ier. Il y a cette relation presque charnelle aux mensurations des bâtiments de guerre, souvent bien plus qu'à leur valeur militaire réelle, qui représente directement la force physique de l'Etat. Allié au fait qu'il incarne, aussi, l'aventure maritime la plus primaire face à l'hostilité des flots, ceci n'explique que partiellement la relation aigüe liant la population à sa marine.

Plus que le seul bâtiment de guerre considéré comme "le meilleur des ambassadeurs" selon Cromwell, c'est bien la marine en tant qu'institution qui administre la Flotte dans l'optique de la transformer en force opérationnelle au service de la stratégie politique du pays qui importe. Le long développement précédent tente de dégager quelques raisons expliquant l'importance de l'ordre de bataille de la Flotte et sa construction dans le temps, souvent incarnée par un "plan naval", au sein des politiques publiques. La Flotte emporte avec elle des débats passionnés, parfois même irrationnel et quelques fois hystériques, qui ne sont pas toujours proportionnels à leur importance réelle dans le cadre de la politique de défense de l'Etat.

Au niveau institutionnel, il y a une obligation portée par l'administration en charge de la Flotte : son inertie inhérente aux rythmes de construction, d'aguerrissement à l'élément marin, de l'entraînement et de prise en compte du retour d'expérience sans oublier la servitude technologique, plus que la loi immuable du tonnage souvent citée mais pourtant peu probante dans l'absolu. Les seuls délais de construction imposent des figures de programmation à l'horizon moyen d'une trentaine d'années pour constituer une ligne, des groupes navals cohérents. Raisons pour lesquelles la programmation et l'échelonnement dans le temps des dépenses tant pour la matrice de la Flotte, "le ventre" qui l'accouche, que pour financer ses rejetons exigent un document directeur.

Le vocable de plan naval est l'un des plus usités en France depuis au moins le XIXe siècle. Il incarne, en raison de tout ce qui précède, la volonté de l'Etat et l'incarnation de sa force sur mer. Il est un objet en soi tant sur le plan institutionnel, et donc politique, que sur le plan externe à l'endroit des flottes des autres Etats qui ne peuvent qu'en tenir compte, au minimum, si ce n'est réagir et s'y adapter. La réaction la plus basique est le dilemme de sécurité au prisme de la théorie de l'hégémon pour les exemples historiques les plus marquants.

Par exemple, depuis Athènes au Ve siècle avant notre ère : le plan naval, l'ordre de bataille de la Flotte ont pu être des objets éminents des politiques publiques au point d'être discutés dans le champ législatif. En se replaçant dans l'optique de la construction des régimes démocratiques européens et donc "occidentaux" - s'entend ici comme la liaison entre Europe et Amérique du Nord -, le consentement à l'impôt est donné en échange du contrôle de l'action publique.

Dans la perspective du seul exemple français, la monarchie constitutionnelle issue de la Seconde restauration (8 juillet 1815 - 2 août 1830) serait le premier (conditionnel de rigueur) régime politique en France à avoir admis dans le domaine législatif la programmation des dépenses navales contrôlée par le Parlement. Pierre-Barthélémy Portal d'Albarèdes, dit baron Portal, devient ministre de la Marine (29 décembre 1818 – 14 décembre 1821). Portal "plaide en faveur du redressement du grand commerce, du développement d'une flotte marchande et par voie de conséquence d'une marine de guerre" (Philippe Masson, Michèle Battesti et Jacques C. Favier, Marine et constructions navales - 1789-1989, Paris, Lavauzelle, 1989, p. 31). Avec l'accord de Louis XVIII, il obtient un succès parlementaire en faisant voter un budget de 60 millions assurant l'entretien à flot de 40 vaisseaux et 50 frégates. S'il ne s'agit plus de tenir tête à la Royal Navy ou de prétendre à la vaincre, la Marine est "conçue comme un outil de présence, de gestion des crises ou de défense d'intérêts extérieurs." (Philippe Masson, Michèle Battesti et Jacques C. Favier, Marine et constructions navales - 1789-1989, Paris, Lavauzelle, 1989, pp. 31-35)

Le programme naval de 1890 est donc celui du renouveau mettant fin à la "période de recueillement" (programme naval de 1872) consécutive à la défaite de la France face à la Prusse (19 juillet 1870 - 29 janvier 1871). L'Amiral Gervais serait l'auteur de ce programme naval d'une durée de dix ans. 11 cuirassés sont mis sur cale.

Le ministère Lanessan proposait le programme naval de 1900 (Martin MOTTE, Une éducation géostratégique – La pensée navale française de la Jeune école à 1914, Paris, Économica, 2004, pp. 462-469) afin d’assurer à la Marine nationale un corps de bataille fort de 28 cuirassés et 24 croiseurs-cuirassés. La Flotte drainait 22 cuirassés selon Lanessan mais seulement 13 cuirassés modernes d’après Martin Motte. La future loi devait avaliser la construction d’une nouvelle escadre de six cuirassés et graver dans le marbre le format ainsi retenu : quatre escadre de six cuirassés plus quatre unités pour parer aux aléas. Non seulement le Parlement vote la loi portant le programme naval mais réduit le temps exigé par son achèvement de huit à sept ans. Les six nouveaux navires de ligne relèvent des classe République (République (1902 – 1921) et Patrie (1903 – 1928) et classe Liberté (Liberté (1905-1911), Justice (1904 – 1922), Vérité (1907 – 1922) et Démocratie (1908 – 1921).

Le programme naval de 1905-1906 poursuit l’œuvre de Lanessan, malgré Pelletan et l’ultime réaction de la Jeune école dévoyée. Gaston Thomson, nouveau ministre de la Marine, se voyait proposer par le Conseil Supérieur de la Marine (CSM) un nouveau programme naval douze jours avant Tsushima (27 – 28 mai 1905)… Lui-même, heureusement, favorable aux cuirassés, il a sur son bureau la proposition d’augmenter le nombre prévisionnel de cuirassés de 28 à 34, soit cinq escadres de six unités plus quatre bateaux de remplacement et 15 croiseurs-cuirassés (avec trois de remplacement en sus). Le terme de ce programme était l’année 1919, ce qui supposait, en tenant compte des unités existantes, à venir et à désarmer, la construction de 11 cuirassés et 10 croiseurs-cuirassés (ibid., pp. 579-580).

Le Parlement votait le programme de 1905 et la construction immédiate de 6 cuirassés – les Danton -, fortement encouragé en ce sens par le résultat de la guerre russo-japonaise (8 février 1904 au 5 septembre 1905) qui consacre les thèses mahaniennes. Toutefois, les ambitions pour l’outre-mer matérialisées par les stations navales pesaient sur le renforcement du corps de bataille. Si bien  que Thomson sacrifie les 18 croiseurs-cuirassés de deuxième classe prévus pour les stations au profit d’un nouvel allongement de la ligne de bataille de 34 à 38 cuirassés. Le nombre de croiseurs-cuirassés de première classe passe de 18 à 20 unités.

La catastrophe du cuirassé Liberté voit Delcassé (2 mars 1911 – 21 janvier 1913), rebondir en proposant au Parlement une nouvelle loi navale. Non pas pour proposer un nouveau programme puisque la loi reprend celui de 1910 mais bien pour que la loi devienne « la charte même de notre marine » (Albéric NETON, Delcassé (1852-1923), Paris, Académie Diplomatique Internationale, 1952, p. 287 dans Martin MOTTE, Op. Cit., p. 622), presque un siècle après celle de Portal (1820). Le programme naval de 1912 ne modifie pas le nombre de cuirassés arrêté en 1910 -, la loi de 1912 consent à entretenir les mises sur cale et projets de constructions de 13 nouveaux navires de lignes (les informations suivantes sont extraites de : Robert DUMAS, « Les cuirassés « Dreadnought » en France de 1907 à 1921 – Première partie », Revue maritime, n°398, janvier-février 1986).

En juin 1914, la Marine nationale préparait un nouveau programme naval qui ne dépasse pas ce stade pour d'évidentes raisons.

L'aventure parlementaire se poursuit jusqu'au projet de loi déposé le 13 janvier 1920 et conçu par Georges Leygues alors ministre de la Marine (1917 - 1933). Ce dernier a la particularité supplémentaire d'avoir été débattu au Parlement sans avoir été approuvé par lui et donc rejeté de facto. Pourtant, c'est bien ce plan naval qui guidera la reconstruction de la Marine nationale jusqu'au début des années 1930, période au cours de laquelle Georges Leygues sera ministre de la marine presque de façon continue.

Plan ou statut naval, programme naval s'opposent tous par nature à l'annualité des dépenses budgétaires contenues dans les lois de finances, rythme du contrôle et de l'assentiment donnés par le Parlement à l'action du gouvernement. Et depuis 1921, cet outil de programmation pluriannuel disparaît du champ législatif. L'esquisse de 1921 ne sera pas complété par un autre plan d'envergure, probablement en raison de l'achèvement de son œuvre - la reconstruction de la flotte sous-marine, de celle des torpilleurs, contre-torpilleurs et croiseurs - poursuivie utilement par la reconstruction de la ligne de bataille (croiseurs de bataille classe Dunkerque, cuirassés de 35 000tW du type Richelieu avec ses évolutions) qui n'imposait pas d'avoir à repenser la structure de la Flotte dans un cadre où le rythme des affaires internationales dispensait peut être de se consacrer à un renouvellement de la planification navale qui n'était donc pas obsolète.

Plan ou statut naval, programme naval basculent dès 1944 dans le champ, non plus législatif, mais bien réglementaire.

Le Comité de Défense nationale (16 décembre 1943 - 2009) décide, le 2 octobre 1944, d’entreprendre l’examen de la composition des forces armées d’après-guerre (Jean Doise et Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire 1871 - 1969, pp. 389 et s. cité dans Philippe Quérel, Vers une Marine Atomique – La Marine française (1945-1958)). La Marine s’y attèle par la production d’une série d’études et de projets. Le vice-amiral Lemonnier, chef d’état-major général de la Marine (18 juillet 1943 - 12 janvier 1949), remet ainsi à Louis Jacquinot, secrétaire d’Etat à la Marine (9 novembre 1943 - 22 octobre 1947), un rapport intitulé « Statut naval d’après-guerre », suivi le 28 juin par un projet d’ordonnance.
Par la suite, le 4 juin 1945, le même Comité de la Défense nationale (16 décembre 1943 - 2009) prend une série de décisions concernant l’organisation future des forces armées. La Marine doit établir ainsi un « Projet de Réarmement Naval et Aéronavale » pour la période du 1er juillet 1945 au 31 août 1946. A cette date, il s’agit autant de réorganiser la Défense nationale que de poursuivre la Guerre contre le Japon, de protéger les voies de communication, notamment celles avec l’Empire, d’assurer la police dans les eaux de celui-ci et d’apporter son concours à une force internationale. Le pivot de cette organisation sera une Force d’Intervention constituée (Philippe Quérel, Vers une Marine Atomique – La Marine française (1945-1958), p. 48) de :
  • 2 cuirassés,
  • 4 porte-avions de combat, 
  • 6 porte-avions d’escorte, 
  • 12 croiseurs (6 lourds, 6 légers), 
  • une trentaine de torpilleurs ou escorteurs rapides, 
  • une trentaine de sous-marins océaniques.
La Marine nationale conçoit des plans provisoires (plan transitoire du 26 novembre 1947, plan de base du 15 janvier 1948 et Plan 1950) qu'elle soumet aux gouvernements successifs tout en refusant de les qualifier de "statut naval" (Strub, Philippe. « La renaissance de la marine française sous la Quatrième République. 1945-1956 », Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, vol. 25, no. 1, 2007, pp. 197-206).

Après l'échec de la création d'un état-major de l'Organisation des Nations Unies, la création de l'OTAN (4 avril 1949) structure la programmation navale française par le truchement des trois classes du triptyque qui permet la renaissance navale des escorteurs de la Flotte : les escorteurs d'escadre (18 unités) de 2500 tonnes ou l'ultime évolution des contre-torpilleurs classe Mogador nous dit le CV (H) Max Moulin, les escorteurs rapides (18 unités) de 1500 tonnes et les escorteurs côtiers (14 unités) de 600 tonnes.

Ce n'est qu'entre 1952 et 1956 qu'une "fenêtre de lancement" d'un nouveau programme naval, engageant donc le Parlement et nécessitant son approbation par le vote, est perçue par la Marine alors que le gouvernement prend conscience de la valeur stratégique des océans après s'être concentré sur la défense du Rhin (Strub, Philippe. « La renaissance de la marine française sous la Quatrième République. 1945-1956 », Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, vol. 25, no. 1, 2007, pp. 197-206). Le plan naval de 1952 est suivi du plan triennal de 1953. A défaut d'un tel programme naval, les "tranches navales" seront à partir de cette période respectée jusqu'à l'entrée en scène de la dissuasion nucléaire par les composantes aéroportées, sol et, surtout, océanique.

Avant cela, le Statut naval de 1955 définit la demande d'un tonnage global de 540 000 tonnes de bâtiments de guerre qui se répartit comme suit : 450 000 tonnes de bâtiments de combat, 20 000 tonnes de bâtiments amphibies et 70 000 tonnes de bâtiments auxiliaires.

L'Amiral Nomy - Chef d'État-Major de la Marine (26 octobre 1951 - 1er juillet 1960) - rédige un rapport en date du 20 octobre 1956 à l'attention du ministre de la Défense nationale et des forces armées, M. Maurice Bourgès-Maunoury, d'une demande d'inflexion du Statut naval de 1955 (Patrick Boureille (La marine française et le fait nucléaire (1945 - 1972), thèse, annexes, p. ). L'Amiral Nomy propose de modifier la programmation au sujet de la deuxième phase du plan naval qui doit être achevée en 1970 : sur les 180 000 tonnes, 120 000 serviraient à la constitution de la "force opérationnelle atomique" et 60 000 seraient constituées de bâtiments de soutien. Le CEMM propose alors deux périodes triennales (1961 - 1963 et 1964 - 1966) dans lesquelles seront commandés dans chacune : un porte-avions ou croiseur lance-engins, trois croiseurs escorteurs, deux sous-marins atomiques et un bâtiment base atomique. Cette programmation semble être adaptée par un document du 7 novembre 1958. Il établit deux plans quinquennaux : le premier (1959 - 1964) et le second (1965 - 1969) qui devaient très probablement achever les 180 000 tonnes pendantes du Statut naval de 1955. 

La question atomique occupe toujours les esprits quand, après l'échec du Q244, le premier sous-marin stratégique français, la Marine nationale s'oriente sur la bonne filière avec le Q252 : le futur SNLE Le Redoutable et ses frères jumeaux qui vont accaparer l'essentiel de l'effort, au détriment de la flotte de surface. Le décret du 29 février 1972, surnommé le "Plan bleu" pour la seule raison de la couleur du borderau le portant, entend pallier à la revitalisation des forces conventionnelles dans la Marine. Faute d'un passage au Parlement en raison de la nature intrinsèque du document, il est signé par le Président de la République, M. Georges Pompidou, le Premier ministre, M. Chaban-Delmas et le ministre de la Défense nationale, M. Debré, comporte les points suivants :
  1. La composante navale de la force nucléaire stratégique sera au minimum portée et maintenue au niveau de cinq sous-marins nucléaires lanceurs d'engins.
  2. Le volume de la flotte sous-marine sera maintenu à une vingtaine de sous-marins d'attaque à propulsion classique ou nucléaire.
  3. La marine de surface sera constituée de deux porte-avions et de deux porte-hélicoptères, d'une trentaine de corvettes ou frégates, de trente-cinq avisos environ et d'une trentaine de patrouilleurs et vedettes. Elle disposera du soutien logistique mobile nécessaire.
  4. Le parc d'avions embarqués sera renouvelé de façon à maintenir à un porte-avions disponible une capacité d'intervention et de rétorsion.
  5. La capacité anti-mines sera  maintenue au niveau nécessaire pour assurer le libre usage des ports de guerre et des ports marchands.
Les objectifs du Plan bleu sont à atteindre pour l'année 1985 mais il est décimé par la disparition du Président de la République (2 avril 1974) et les chocs pétroliers successifs. Ce n'est qu'avec le plan Armées 2000, mis en application en 1992, que la résurrection d'un document synthétique ambitionnant de régler la construction de la Flotte d'un seul coup d'œil réapparait.

Plan armées 2000 rapidement remplacé par le modèle d'Armées 2015 qui est porté par la première loi de programmation militaire (1997-2002) traduisant le livre blanc de 1994. "Marine 2015" est contenue dans le rapport annexé à la loi de programmation militaire 1997-2002. Ce plan vise à maintenir ou admettre au service les unités suivantes : 4 SNLE-NG, 6 SNA Barracuda, 2 porte-avions (groupe aérien embarqué de 60 Rafale (25 Rafale M, 35 Rafale N, 3 E-2C), 2 BPC + 2 TCD, 26 frégates, 22 navires de l'AEM (frégates de surveillance, BATRAL, etc...) et 16 bâtiment de guerre des mines (dont une unité logistique)6 bâtiments logistique.

Horizon Marine 2025 succède à Marine 2015. Ce plan présenté par l'Amiral Bernard Rogel (12 septembre 2011 – 12 juillet 2016) dès l'été 2014 et dévoilé plusieurs mois plus tard est légèrement amendé par le gouvernement à l'occasion de l'actualisation de la loi de programmation militaire 2014 - 2019 en mai 2015 : 4 SNLE, 6 SNA type Rubis et Barracuda, 1 porte-avions, 3 BPC, 15 frégates de premier rang, une force de guerre des mines, 3 bâtiments de soutien logistique, 8 Bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH), des Bâtiments de surveillance et d’intervention maritimes (BATSIMAR). 

Le plan Mercator ("Cap vers 2030 !") édictait par l'Amiral Christophe Prazuck (13 juillet 2016 - ...) est présenté en juillet 2018 et ne modifie qu'à la marge le modèle d'armée de la Marine tel que présenté en 2014 par son prédécesseur.

Pour résumer, le document synthétique appelé programme naval, statut ou encore plan naval, détaillant l'idée de manœuvre quant à la construction de la Flotte, appartenait depuis 1820 au champ législatif. Depuis 1944, il est entré dans le champ réglementaire quant à son élaboration et n'est plus soumis au Parlement. Celui-ci en prend connaissance via les lois de programmation militaire, voire les livres blancs - du contrat opérationnel - quand les annexes de la loi portant la LPM dresse les cibles des programmes par armée. Contenues dans la loi pourtant, ces annexes ne sont pas directement l'objet des débats. Mais le Parlement peut, par la voie des amendements, rectifier le calendrier ou les cibles des programmes.

Il n'agit plus ainsi dans le cadre d'une armée comme, dans notre exemple, la Marine mais bien sur des questions dites "programmatiques". C'est-à-dire que la somme des "structures de forces" d'une armée appelée "modèle d'armée", hier plan, statut ou programme naval, n'est plus débattu en tant que tel au Parlement vis-à-vis du besoin exprimé par l'administration concernée au regard de la situation diplomatique particulière à laquelle ce modèle d'armée entend proposer l'une des réponses attendues et donc ouvrir le débat, par comparaison avec les autres réponses étatiques, aux questions géostratégiques. C'est donc un appauvrissement du débat politique depuis le Parlement dépossédé qui ne peut plus élever les questions militaires, par armée, et vis-à-vis de la politique diplomatique qui ne serait rien sans la force. La hauteur de vue nécessaire pour approuver selon les annuités budgétaires l'édification des armées, pierre par pierre, tranche navale par tranche navale, n'est plus possible dans le débat public. Et il n'apparaît pas d'indice que le travail en commission parlementaire pallie à cette situation. Et même si c'était le cas, les citoyens en seraient exclus à l'ère de la tyrannie de la transparence politique : situation ô combien paradoxale. Hauteur de vue qui devrait être portée par un livre blanc, une revue des programmes ou même stratégique : tous ces documents qui en ont l'ambition n'ont de stratégique que le nom et ils proposent la seule vue de l'Exécutif que le Parlement n'a même pas à discuter. 

Il serait intuitivement faux d'en venir à croire que cette réduction du périmètre parlementaire quant au contrôle des questions militaires serait bénéfique à l'administration qui ne serait ni dérangée ni ralentie par les députés et sénateurs qu'il faudrait instruire de nombreuses questions supplémentaires et amenant à prendre le risque d'une politisation des débats. Le "torpilleur démocratique" contre le "cuirassé capitaliste" démontrait au temps de la Jeune école combien le débat parlementaire pouvait se fourvoyer. Mais s'était-il fourvoyé seul ? Non, toute la Marine s'y était engouffrée. Cet exemple ne doit pas faire oublier que c'est le Parlement qui accélère le programme naval de 1900, au-delà des espérances du gouvernement. C'est aussi le Parlement qui rejette le projet de plan naval de 1921 mais l'applique consciencieusement au cours des années 1920. C'est toujours le même Parlement qui, paradoxalement, vote pour le croiseur de bataille Dunkerque un mardi, tard dans la soirée grâce à la fatigue des députés ou encore qui pensant voter dans une tranche navale pour la construction du seul croiseur porte-hélicoptères découvre après coup qu'ils ont également consentis à la mise sur cale du porte-avions Foch. Toujours le Parlement par ses commissions parlementaires qui dans les années 1952 - 1956 portent les prémices d'un programme naval qui ne viendra jamais mais aboutit par ses débats éclairés à faire reconnaître politiquement par la majeure partie de ses composantes que la Flotte a besoin, au minimum, que les tranches navales soient respectées.

Le plan naval, appartenant autrefois au domaine de la loi, c'est progressivement replié sur un périmètre qui pourrait être qualifié, par provocation, d' "infra-réglementaire", voire même du domaine privé de l'administration via le chef d'état-major de la Marine et qui est montré dans les annexes de certaines lois, presque pour information mais certainement pas pour réflexions faute de débats. Les partis politiques composants le Parlement ne contrôlent donc plus cette partie des politiques publiques mises en branle par le gouvernement et sont dégagés de toutes responsabilités à cet égard.

Est-ce un progrès ? Du point de vue démocratique : non. Du point de vue de la politique de Défense : très douteux, donc non. Le soutien politique à une politique de défense à l'horizon de vingt ou trente ans n'engage plus la responsabilité que du seul gouvernement au seul horizon de l'annonce d'une loi de programmation militaire qu'il énonce sans n'être jamais contraint à la respecter par ceux qui seront potentiellement aux affaires à sa suite.

1 commentaire:

  1. Intéressante mise en perspective. Nous oublions trop souvent qu'il y eu un système différent avant la Ve République.

    Cela permet aussi de se faire peur en voyant le décalage entre le plan armée 2000 et ce qui a été obtenu, alors que les besoins ont augmenté entre temps.

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