07 décembre 2020

Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut : bataille politique autour du deuxième lot de la classe Nagapasa

     La Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut (TNI - AL ou Marine de l'armée nationale indonésienne) devrait admettre au service actif le KRI Alugoro (405) en ce mois de décembre 2020. Il s'agit du troisième sous-marin de la classe Nagapasa dont le premier lot avait été commandé à Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME), vainqueur le 22 décembre 2011 de l'appel d'offres pour l'acquisition de trois sous-marins émis par l'Indonésie. Malgré la signature d’un contrat portant construction de trois nouveaux sous-marins de la classe Nagapasa, une lutte politique est à l’œuvre entre le Président de la République indonésienne et son ministre de la Défense dont l’issue portera sur la poursuite du programme avec le même fournisseur ou un autre.

     La programmation militaire indonésienne se déploie actuellement par le plan dit Minimum Essential Force (MEF) dont le terme quant à l'atteinte des objectifs assignés en matière capacitaire est l'année 2024. Et le MEF vise expressément un segment sous-marin fixé à huit unités en 2011. La TNI-AL possédait d'ores et déjà la classe Cakra (KRI Cakra (401), KRI Nanggala (402) forte de deux sous-marins Type 209/1300 mis sur cale en novembre 1977 et juillet 1978 et dont les admissions au service actif furent prononcées en 1981.

Un premier appel d'offres était émis par l'Indonésie et portant sur l'acquisition de trois sous-marins mais aussi sur des transferts de technologie. Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME) était proclamé vainqueur le 22 décembre 2011. Par voie de conséquence, un contrat fut notifié à l'industriel sud-coréen pour la construction de trois sous-marins issus d'une version améliorée (Type 209/1400) du KSS I ou classe Chang Bogo (Type 209/1200) dont les neuf unités, mises en chantier entre 1993 et 2001, sont en service dans la Daehanminguk Haegun (Marine sud-coréenne).

 

Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut : de 2 à 8 sous-marins 

Durant tout le conflit Est-Ouest (1947 – 1991), l'Indonésie du fait de sa géographie physique recevait le rôle stratégique de commander le passage de l'océan Pacifique à l'océan Indien. La Marine indonésienne (Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut (TNI-AL) ou Armée Nationale Indonésienne - Force Navale) comprend une force sous-marine indonésienne forte de deux unités depuis 1981. L'ambition depuis 2017 est de porter ce nombre à huit sous-marins d’ici à 2024. Un premier contrat visant l’acquisition de trois sous-marins, avec des transferts de technologies, a été signé en 2011. Pourtant, la livraison de la première unité laisse entrevoir quelques difficultés.

 

L'exécution de ce programme rencontrait deux difficultés majeures :

La première, et loin d'être anecdotique, consisté dans l'augmentation unilatérale du volume financier proposé par DSME de 1100 à 1400 millions de dollars (2011) après avoir été désigné vainqueur de l'appel d'offres. Et consécutivement l'offre concurrente germano-turque fut réaffirmée.

La deuxième a trait à l'arrivée du KRI Nagapasa (2017 - 2047 ?) en Indonésie après 16 jours de navigation entre le chantier DSME d’Okpo et la base navale de Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie) le 28 août 2017. Il était alors apparu que le sous-marin KRI Nagapasa ne répondait pas aux spécifications techniques du cahier des charges : la vitesse maximale en plongée, l'immersion opérationnelle de service n'étaient pas atteintes. Et le bateau n'était pas plus en mesure de tirer ses armes tactiques.

Malgré ces premiers essais difficiles, comme le furent les rectifications matérielles à apporter aux bateaux pour tenter de corriger les défauts constatés et dont l'origine reposait presque exclusivement quant aux relations devenues difficiles entre DSME et TKMS, les KRI Ardadedali (404) et KRI Alugoro (405) furent admis au service actif le 25 avril 2018 pour le premier et lancé le 11 avril 2019 pour le deuxième.

Le troisième sous-marin - KRI Alugoro (405) - ayant la particularité d'avoir été assemblé par PT. PAL à Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie). Il devrait être admis au service actif en ce mois de décembre 2020.

En avril 2019, un contrat supplémentaire fut signé entre le KEMHAN (Kementerian Pertahanan), la société indonésienne PT. PAL et la société sud-coréenne DSME.  L'affaire paraissait être réglée et la commande du deuxième lot devant se conduire selon des modalités similaires au premier, à la différence notable que l'importance des transferts de technologies d'ores et déjà effectués et à venir doit permettre un assemblage des trois sous-marins à Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie).

L'affaire n'est pourtant pas entendue en Indonésie : M. Prabowo Subianto, ministre indonésien de la Défense (23 octobre 2019) a affirmé devant le Dewan Perwakilan Rakyat (DPR ou Conseil représentatif du peuple) - c'est-à-dire la chambre basse du Majelis Permusyawaratan Rakyat (MPR ou Assemblée délibérative du peuple) - qu'il ne souhaitait pas que le contrat signé en avril 2019 soit exécuté.

En toile de fond, il s'avère que le ministre indonésien de la Défense ne souhaite pas que le programme parvienne à son terme car le Président de la République indonésienne, M. Joko Jokowi Widodo (20 octobre 2014), auquel il s'oppose, et qui a été réélu en 2019, en retirera tout le bénéfice politique de la bonne exécution du plan MEF. Par une certaine ironie, ces deux programmes relèvent de rationalités que ne renieraient pas M. Prabowo Subianto : c'est-à-dire renforcer la base industrielle et technologique de Défense indonésienne par le biais de transferts de technologie et d'une politique militaire ambitieuse.

C'est à cette aune qu'il s'agit d'apprécier les premières critiques émises contre la qualité de la construction du KRI Ardadedali (404). Les deux parties s'opposent sur le fait que le troisième sous-marin - le KRI Alugoro (405) - sera prochainement admis au service actif et que les deux premiers répondent déjà au cahier des charges, ce dont se félicitait le Président Joko « Jokowi » Widodo quand il visitait le chantier de ce dernier sous-marin, mis sur cale à Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie). C'est pourquoi la qualité de la construction desdits sous-marins est toujours vilipendée par voie de presse.

D'où ce travail de sapes effectués par M. Prabowo Subianto, ministre indonésien de la Défense contre deux programmes menés avec la Corée du Sud et qui n'est pas seulement de nature déclaratoire car l'action du ministre a, aussi, conduit à l'échec du versement en temps et en heure des paiements dues au titre des programmes DSME-1400 et l'avion de combat de cinquième génération KAI KF-X dont la déclinaison indonésienne est l'IF-X.

Et d'où cet important activisme diplomatique quand il exprime publiquement qu'il désire substituer au contrat d'avril 2019 un autre qui pourrait être signé avec TKMS (Type 214, Type 212 CD ?) ou les sociétés turques qui assemblent au sein du Gölcük Naval Shipyard les sous-marins de Type 214/1200 de classe Reis (6). Les chantiers de construction de sous-marins de ces deux pays ont été visités par M. Prabowo Subianto.

Et d'où, également, les annonces répétées depuis fin 2019 et relatives à la commande de 48 Rafale et 4 Scorpène 2000. La candidature de ce dernier sous-marin s'appuie sur des jalons plus anciens que cette bataille d'influence au sein du gouvernement indonésien puisqu' un protocole d'accords entre PT. PAL et alors DCNS fut signé le 30 mars 2017, comme l'une des conséquences de la visite du Président de la République François Hollande en Indonésie et des échanges tenus dans le cadre du Indonesia-France Defense Dialogue (IFDD ou Dialogue de la défense française indonésienne). Et la visite du chantier naval de Cherbourg (Naval group) par M. Arrmanatha Christiawan Nasir les 24 et 25 novembre 2020 donne corps aux propos de M. Prabowo Subianto, ministre indonésien de la Défense.

C'est pourquoi, sur la seule partie sous-marine, M. Prabowo Subianto, ministre indonésien de la Défense, essaie de faire remplacer le directeur général de PT. PAL, à savoir M. Budiman Saleh (3 avril 2017) car il est suspecté dans le cadre de l'enquête menée par la Komisi Pemberantasan Korupsi (KPK ou Commission pour l'éradication de la corruption) au sujet de faits allégués de corruption au sein de PT. Dirgantara Indonesia. D'où une lutte d'influence entrea MM. Prabowo Subianto et Erick Thohir Manurung - ministre des entreprises publiques (23 octobre 2019) et lieutenant du Président Joko Widodo - sur ce dossier.

Il se dessine trois voies théoriques que sont la confirmation de la signature du deuxième lot de trois sous-marins de la classe Nagapasa à construire à Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie) avec la société sud-coréenne DSME ; la résiliation unilatérale du contrat signé en avril 2019 au profit d'une nouvelle commander à passer auprès d'une autre société étrangère allemande, française ou turque ou un abandon plus ou moins durable de ce dossier capacitaire en acceptant que les KRI Cakra (401) et KRI Nanggala (402), mis en service en 1981, assurent la soudure avec de futurs sous-marins pendant encore une demi-douzaine d'années.

Toutefois, dans l'attente que la lutte d'influence à l'œuvre dans le gouvernement indonésien parvienne à une décision, il se dessine aussi un possible éclatement du volume de sous-marins à construire entre la résiliation du contrat signé en avril 2019 qui serait compensée par la commande d'une quatrième unité et à la contractualisation d'une autre commande portant sur quatre unités dont les deux premières seraient commandées simultanément au quatrième Nagapasa, ce qui permettrait de renouveler les KRI Cakra (401), KRI Nanggala (402).

L'objectif du MEF serait atteint, certes avec un retard de quelques années, mais cela resterait une réussite politique pour les deux protagonistes : le Président Joko Widodo ayant mis en œuvre le MEF, avec PT. PAL devenu constructeur de sous-marins et Prabowo Subianto ayant réussi à s'imposer face au président.


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