25 février 2021

𝘊𝘰𝘮𝘮𝘢𝘯𝘥𝘢𝘯𝘵 𝘥𝘦 𝘴𝘰𝘶𝘴-𝘮𝘢𝘳𝘪𝘯 : 𝘋𝘶 𝘛𝘦𝘳𝘳𝘪𝘣𝘭𝘦 𝘢𝘶 𝘛𝘳𝘪𝘰𝘮𝘱𝘩𝘢𝘯𝘵, 𝘭𝘢 𝘷𝘪𝘦 𝘴𝘦𝘤𝘳𝘦̀𝘵𝘦 𝘥𝘦𝘴 𝘴𝘰𝘶𝘴-𝘮𝘢𝘳𝘪𝘯𝘴 de l'Amiral François Dupont

     L'Amiral François Dupont, ayant servi 40 années dans la Marine nationale (1968 - 2008), nous offre le récit de son troisième et dernier commandement d’un sous-marin (Daphné (1984 – 1986), Agosta (1984) à bord du bateau dont il a été le premier commandant. Commandant de sous-marin : Du Terrible au Triomphant, la vie secrète des sous-marins (Paris, éditions Autrement, 2019, 288 pages) cumule les chassés-croisés à tous les points de vue : littéraire, naval, humain, historique. Au rythme de l'une des cinquante et quelques patrouilles accomplies par chaque Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins (SNLE) depuis 1972, l'auteur nous raconte ce que sont ces bateaux, les hommes et femmes qui leur permettent de naviguer. Et ce : sans s'épargner aucun sujet, même les plus difficiles.

     C'est le premier roman dédié aux sous-mariniers qui vont sous la mer à bord des Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins (SNLE) depuis Le jour ne se lève pas pour nous (Paris, Plon, 1986, 251 pages) de Robert Merle. La tonalité des deux ouvrages est significativement différente car le premier abordait essentiellement les enjeux humains tandis que l'Amiral François Dupont ne peut s'extraire de l'entrelacement de toutes les facettes des responsabilités reposant sur les épaules du commandant d'un SNLE.

     Le roman de Robert Merle avait proposé un récit de la vie à bord d'un SNLE de la première génération, celle de la classe Le Redoutable (6), l'Amiral François Dupont fait de même pour le premier cycle de renouvellement de la composante océanique : Le Triomphant (1997 – 2037 ?), premier des SNLE-NG, bien plus tard rebaptisés SNLE de 2ième Génération (SN2G) afin de les situer vis-à-vis des SN3G, avatars du deuxième cycle de renouvellement.

     Avant de débuter plus en avant le récit offert par l'Amiral François Dupont, il est à souligner qu'il aura un mot au sujet de l'une des plus fameuses décisions de l'Amiral Bernard Louzeau (1929 - 2019) qui s'en ira quelques semaines avant la parution de l'ouvrage et en hommage duquel il sera décidé de donner le nom à l'une des frégates du programme Frégates de Défense et d'Intervention (FDI). L’Amiral Louzeau avait été le premier commandant du SNLE Le Redoutable (1971 – 1991).

     Au carrefour de tous ces croisements, le récit s'ouvre sur le parallèle entre les derniers travaux et dernières rondes devant libérer Le Triomphant de quitter l'Ile Longue pour retourner à son élément et le même bateau qui s'apprête pour la première fois, en 1994, à rencontrer son élément, reposant sur le dispositif de mise à l'eau de la zone Cachin à Cherbourg. Le premier du programme SNLE-NG sera le dernier commandement à la mer (1994 - 1995) de l'Amiral François Dupont.

     Mais précisons les choses : l’Amiral François Dupont transmettait le commandement du SNLE Le Triomphant en juin 1995 mais le bateau ne sera admis au service actif que durant l’année 1997. La patrouille qu’il nous raconte est peut-être librement inspiré de ses expériences comme commandant en second du SNLE Le Terrible (1973 – 1996), de ses commandements des (Daphné (1984 – 1986), Agosta (1984) et donc du Triomphant (1994 – 1995), voire peut être d’échanges avec d’autres commandants de SNLE.

     Il nous emmène à bord de l'une des premières patrouilles du SNLE Le Triomphant (1997 – 2037 ?) qui sera donc sa dernière à lui. Le voyage débute depuis la fin de l'entretien à l'Ile Longue et la sortie du goulet de Brest. Le récit est rythmé par les traditions des sous-mariniers et leur explication par l'auteur qui, avec grande pédagogie, sait mêler les petits détails au grand, proposant même de nombreux encartés sur les bateaux sous-marins, les sciences employées, etc.

     L'un des grands mérites de l’ouvrage est le parallèle fait entre la fascination des sous-mariniers pour le sous-marin à propulsion nucléaire, en particulier celui pouvant lancer des missiles balistiques, objet le plus complexe jamais conçu, à ce jour, par l'Homme et dont ils doivent maîtriser une partie des arcanes pour y être utile à la mer. Et distillant ce sentiment au lecteur, l'Amiral François Dupont sait l’amener à comprendre les enjeux des problèmes qui se présentent, petits ou grands, et le rôle du commandant qui, conscient de la mission à accomplir, se doit de décider : il est moins question de « management » que de commandement, dans l’incertitude particulière des abysses, pour se soustraire à tout ce qui pourrait compromettre la mission.

Il aurait pu évoquer la « solitude du commandement » mais proposera plutôt l'exemple de la nécessaire délégation de la décision et de la nécessité d'accorder sa confiance.

     Autre parallèle, l'auteur évoque la finalité de la dissuasion nucléaire, entre crédibilité de celle-ci qui repose autant sur la volonté d'employer le feu nucléaire si telle était la nécessité que sur la crédibilité des deux forces opérationnelles l'incarnant. Et de l'autre côté, il ose aborder la question difficile d'un éventuel décès à bord et des décisions qui se présenteraient alors au commandant du bateau. Entre les deux, il souligne la nécessaire fraternité d'arme : tant à l'intérieur de l'équipage qu'avec les autres commandants, les autres équipages des SNLE des marines étrangères. Rappelant le souvenir, difficile, de la perte du К-141 Koursk (2000) et du S-42 ARA San Juan (2017).

     Robert Merle pouvait laisser au lecteur de Le jour ne se lève pas pour nous une sensation presque triste de cet étrange isolement alors qu'il se dégage du récit de l'Amiral François Dupont une sérénité et presque une joie que de raconter les turpitudes de l'équipage et le « bateau », son âme, ceux qui travaillent à régler ses tropismes et qui, par-dessus tout, veulent l'arracher à la torpeur des cales.

     Le lecteur trouvera aussi, à travers les pages, éparpillés ici ou là, un aperçu global de tout le dispositif concourant à la mise en œuvre de la composante océanique de la dissuasion, mettant en jeu toutes les forces de la Marine nationale, afin de concourir à la sûreté des atterrages de Brest car les SNLE ne plongent pas avant d'avoir plus de 200 mètres d'eau sous la quille. Sans cette sécurité, l'éventuelle avarie de barre ne pourrait être contrée avant de rencontrer le fond. Le danger guette toujours. Et la solitude est finalement celle trouvée dans la dilution du bateau dans l'immensité océanique.

69 jours se sont écoulés après le début de la patrouille, celle-ci prend fin. Le lecteur glanera encore quelques pages, à la manière de l'Amiral François Dupont quittera le bord et le service à la mer.

 

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