06 mars 2021

Marine nationale : classe Province, un projet excessivement médiocre ?

© World of Warships - iJoby EU. « Flandre Tier VIII French Battleship ».

    Les quatre cuirassés à mettre sur cale – à la suite des 35 000 tW du type Richelieu (Richelieu (1940 - 1967) , Jean Bart (1940 - 1961), Clemenceau et Gascogne) et portant du 380 mm de 45 calibres modèle 1935 – fut officieusement baptisé classe Province en raison d’une note de l'état-major général, adressée au ministre de la Marine (13 mars 1938 - 16 juin 1940), M. César Campinchi, proposant quatre noms : Alsace, Normandie, Flandre, Bourgogne. La Deuxième Guerre mondiale en ayant décidé autrement, ils devinrent pourtant les icônes d'une ligne reconstruite autour des 35 000 et 40 000 tW et donc du sentiment d'une puissance navale française recouvrée. Pourtant, les recherches des historiens, en particulier celles de Robert Dumas, invitent à conclure que ces bâtiments auraient été excessivement coûteux en études et infrastructures pour un résultat opérationnel pratiquement nul vis-à-vis du Richelieu. Plus surprenant encore : la classe « Province » cacherait toujours l’esquisse d’un projet de cuirassés français de 50 à 55 000 tW…

    La conférence navale de Washington (12 novembre 1921 - 6 février 1922) accouchait du traité naval de Washington signé par les représentants des pays membres - États-Unis d'Amérique, Royaume-Uni, France, l'Italie et l'Empire du Japon - le 6 février 1922 pour une durée de 10 années.

Il en ressortait des limitations des armements navals pour les cuirassés, porte-avions et croiseurs. Pour les premiers, les caractéristiques à ne pas dépasser étaient un tonnage unitaire de 35 000 tW (une tonne Washington est égale à une tonne anglaise de 1 016 kg) et un armement d'un calibre égal ou inférieur à du 406 mm. Et le tonnage de cuirassés détenus par les puissances signataires ne devaient pas excéder 580 450 tonnes pour le Royaume-Uni, 500 600 tonnes pour les États-Unis, 301 320 tonnes pour le Japon, 220 170 tonnes pour la France et 180 800 tonnes pour l'Italie. Mais les tonnages à atteindre à terme étaient de, et respectivement, 525 000 t pour Londres et Washington, 315 000 tonnes pour Tōkyō et 175 000 tonnes pour Paris et Rome.

Aucune mise sur cale de cuirassés n'était autorisée pendant dix années, hormis cas particulier de la France et de l'Italie à qui était accordée la faculté de pouvoir remplacer deux des plus anciennes unités de ce domaine, soit 70 000 tW de construction autorisée sur les 175 000 tW à détenir. Il en ressortait que tous les projets de cuirassés d'un tonnage unitaire supérieur à 40 000 tonnes et portant du 406 à 450 mm furent, de facto, abandonnés.

 

Marinenationale : cuirassé de 40 000 tonnes, canon de 450 mm de 45 calibres modèle1920 A

La lecture des travaux de John Jordan et Robert Dumas (French Battleships - 1922-1956 (Londres, Seaforth Publishing, 2009, 224 pages), sur l'aimable conseil de lecteurs remerciés ici, est l’occasion de prendre connaissance de quelques détails supplémentaires au sujet des cuirassés de 40 000 tonnes. L'artillerie principale aurait été construite autour du canon de 450 mm modèle 1920 (17,7 pouces). Et ce serait un projet bien plus imposant que les dernières évolutions des cuirassés du type Richelieu : les Types 1 (40 000 tW), Type 2 (42 500 tW) et Type 3 (45 000 tW) devant définir les « classe Province » (2) ou classe Alsace (2). Ces cuirassés de 40 000 tonnes, portant du 450 mm, auraient été les égaux des quatre cuirassés N3 britanniques (48 500 tonnes à pleine charge, neuf canons de 18 pouces (457 mm) et quatre croiseurs de bataille G3 (48 400 tonnes, neuf canons de 16 pouces (406 mm), n°13 à 16 japonais (47 500 tonnes à pleine charge, huit canons de 18 pouces (457 mm) et des projets américains des six cuirassés classe South Dakota (43 000 tonnes, douze canons de 16 pouces (406 mm) et des croiseurs de bataille de classe Lexington (43 500 tonnes à pleine charge, huit canons de 16 pouces (406 mm).

 

Et la réunion de la Commission préparatoire pour la conférence du désarmement (1927 - 1929) donnait plutôt le pouls de diplomaties ouvertes à l'idée de négocier de nouvelles limitations dans un cadre plus général allant à l'adoption de dispositions de contrôle et limitations des armements. La délégation britannique proposait de réduire les caractéristiques opérationnelles des cuirassés à un déplacement de 28 000 tW et portant du 343 mm puis à des cuirassés de seulement 25 000 tW et portant du 305 mm, ce qui devait constituer sa position dans le cadre des négociations du renouvellement du Traité naval de Washington (6 février 1922).

C'est pourquoi le « Traité pour la restriction et la réduction d'armement naval » ou traité naval de Londres (22 avril 1930), perçu comme étant la continuation des discussions débutées en 1927, permettait de prolonger les dispositions du traité naval de Washington (6 février 1922) de 1931 jusqu'au 31 décembre 1936. Une nouvelle conférence, devant se tenir en 1935, devra alors adopter un nouveau traité. La proposition britannique (cuirassés de 25 000 tW portant du 305 mm) fut accueillie froidement par les États-Unis d'Amérique. Et ne fut pas adoptée. Mais aucun empressement à la reprise de la construction de cuirassés n'était perceptible parmi les participants. C'est plutôt la disposition contenue dans le Traité naval de Washington pour moderniser les cuirassés en service, dans la limite des 3 000 tonnes supplémentaires du fait de ce chantier de modernisation, qui fut exercée, en particulier par l'Italie et l'Empire du Japon.

La Conférence pour la réduction et la limitation des armements (1932 - 1934) n'obtint pas de succès en matière de cuirassés, voire pas de succès du tout.

La course aux armements navals reprenait, et très paradoxalement, du fait de l'Allemagne qui n'était soumise qu'aux limitations navales du traité de Versailles (28 juin 1919) : à savoir un tonnage de 10 000 tonnes et un calibre égal ou inférieur à 280 mm. L'annonce de la mise sur cale des Panzerschiffe (navires blindés en traduction littérale mais croiseur cuirassé comme traduction figurée) ou « pocket battleship » (cuirassés de poche) selon la presse britannique - les Admiral Scheer (juin 1931) et Admiral Graf Spee (octobre 1932) - de 10 000 tonnes, marchant jusqu'à 26 nœuds et portant deux tourelles triples de 280 mm, a été le déclencheur.

Les Deutschland n'étaient nullement une menace pour les cuirassés mais pour les croiseurs Washington (10 000 tW, calibre égal ou inférieur au 203 mm), malgré une interprétation de plus en plus extensive par la pratique de cette caractéristique, qui ne pouvaient pas encaisser du 280.

La France disposait, avec l'Italie, et en raison d'une disposition exceptionnellement accordée par le traité naval de Washington (6 février 1922), malgré les 10 ans de vacances navales, de 70 000 tW de bâtiments de ligne à construire. Face aux Deutschland, elle ripostait par un « croiseur protégé » de 23 333 tW, ce qui permettait de pouvoir en construire trois : le futur Dunkerque (1937 - 1942). Projet succédant à celui de 17 500 tW devant être un « tueur de croiseurs » dont la protection était insuffisante face au 280 des Deutschland.

Mais le projet évoluait afin de surclasser les cuirassés Conte di Cavour (1933 - 1937) et Giulio Cesare (1933 - 1937) dont le projet de reconstruction (1933 - 1937) devait leur permettre de débarquer leurs 11 pièces de 305 mm (3 x III + 2 x II) au profit de 8 nouvelles d'un calibre de 320 mm (2 x III + 2 x II) et de d'atteindre une vitesse maximale 27 nœuds et non plus seulement de 22 nœuds. Le déplacement normal du projet français était donc porté de 23 333 tW à 26 500 tW. Et ces caractéristiques n'étaient pas de nature à heurter les propositions diplomatiques britanniques (1929 - 1930), se contentant d'atteindre, en employant une expression ici anachronique : la « stricte suffisance ».

La manœuvre, mal comprise par le Parlement, provoquait de nombreuses tergiversations (1930 - 1931). La mise en chantier du Dunkerque (1937 - 1942) est adoptée à l'Assemblée nationale, le soir du mardi 26 octobre car le ministre de la Défense nationale (20 février – 3 juin 1932), François Piétri, a eu les députés à l'usure en fin de soirée.

L'Allemagne ripostait par la réduction de la série des Deutschland de six à trois unités et en décidant, le 14 février 1934, la mise sur cale des futurs Scharnhorst (1939 - 1943) et Gneisenau (1938 - 1945) et de dont le déplacement annoncé excède celui annoncé pour le Dunkerque (1937 - 1942). Mais leur artillerie principale est limitée à du 280 mm car l'Allemagne négociait le Traité naval germano-britannique de 1935 et Londres souhaitait abaisser les caractéristiques des cuirassés à 25 000 tW avec une artillerie principale limitée entre du 305 mm (1929 - 1930) et du 356 mm (1934 - 1935).

Mais l'Italie répondait à son tour au Dunkerque (1937 - 1942) quand elle annonçait en mai 1934 vouloir mettre sur cale deux cuirassés de 35 000 tW portant du 381 mm, ce qu'elle fit avec la commande, le 10 juin 1934, puis la mise sur cale des Littorio (1940 - 1948) et Vittorio Veneto (1940 - 1948), ensemble le 28 octobre 1934.

En réaction, le « croiseur de combat » Strasbourg (1938 - 1942) fut inscrit à la tranche navale de 1934 et mis sur cale le 25 novembre 1934, en réponse au Vittorio Veneto car le cuirassé de 35 000 tW n'était pas encore prêt et le Conseil supérieur de la Marine avait recommandé de ne pas modifier les caractéristiques du Dunkerque (1937 - 1942) afin de pouvoir engagement rapidement la construction d'une deuxième unité.

Le Conseil supérieur de la Marine n'arrêtait les caractéristiques d'un 35 000 tW que le 24 juillet 1934. Le projet définitif (variante A2) était soumis au ministre de la Marine  (1er juin 1935 – 4 juin 1936), François Piétri, le 14 août et adopté le 31 août 1935. La quille du Richelieu fut posée le 22 octobre 1935.

L'Empire du Japon avait annoncé, dès 1934, ne plus vouloir se soumettre à aucune stipulation d'un traité de désarmement naval. S'ouvrait la deuxième conférence de désarmement naval de Londres dès le 9 décembre 1935. Le Japon s'en retirait même dès le 15 janvier 1936. L'Italie, afin de protester contre les « sanctions » prises à son encontre par la Société des Nations, en raison de son intervention ayant provoqué la seconde guerre italo-éthiopienne, ou profitant de l'occasion pour se soustraire aux dispositions de contrôle et de limitation des armements navals, se retirait également.

Seuls le Royaume-Uni, les États-Unis et la France signèrent le Second traité naval de Londres (25 mars 1936). Le déplacement des cuirassés demeurait limité à 35 000 tW mais le calibre maximum était ramené de 406 à 356 mm. Cependant, la disposition avait été rendue réversible (article 25) si l'Italie et le Japon ne devaient pas signer ledit traité d'ici le 1er avril 1937.

Le Jean Bart (1940 - 1961) fut ordonné le 27 mars 1936, dans l'immédiate foulée de l'échec du Second traité naval de Londres (25 mars 1936).

Et les États-Unis exercèrent cette clause dès le 31 mars 1937 afin que les cuirassés prévus au Vinson‐Trammel Act (1934) portent finalement du 406 mm et non pas du 356 mm, comme cela avait été étudié dans la perspective des négociations précédemment énoncées, et dont la mise sur cale des deux unités de la classe South Carolina (37 000 tW) avait été retardée de 1934 jusqu'à l'année 1937.

En raison de la non-participation de l'Empire du Japon et de l'Italie au Second traité naval de Londres (25 mars 1936) par l'absence de signature apportée jusqu'au 1er avril 1937, les puissances signataires dudit traité négocièrent le protocole de 1938, signé le 30 juin 1938. Sa disposition principale consistait dans la possibilité accordée aux signataires de mettre sur cale des cuirassés de 45 000 tW, portant du 406 mm, si l'une des puissances signataires du traité naval de Washington (6 février 1922), malgré l'expiration de ses effets, outrepassait les limites des caractéristiques opérationnelles dévolues aux cuirassés, à savoir un déplacement normal de 35 000 tW et une artillerie principale d'un calibre maximal de 406 mm.

La France profitait des dispositions du protocole du 30 juin 1938 mais sa position exprimée par la voie du ministre de la Marine (13 mars 1938 - 16 juin 1940), M. César Campinchi, dans le cadre de ses négociations consistait à ne pas en bénéficier tant qu'aucune puissance européenne n'outrepasserait les limites des caractéristiques opérationnelles des cuirassés édictées par le traité naval de Washington (6 février 1922). La diplomatie du Royaume-Uni ayant constamment exprimé la volonté d'abaisser ces mêmes caractéristiques depuis 1929, à un tonnage être de 28 000 tW pour un calibre maximum de 305 à 356 mm, la position française s'adressait donc en priorité à l'Allemagne et l'Italie. Pour Paris, le cuirassé de 45 000 tW était essentiellement une problématique navale ayant trait à la rivalité entre les États-Unis d'Amérique et l'Empire du Japon dans l'océan Pacifique.

 

Tranche navale 1938 bis

    Les Dunkerque (1937 - 1942) et Strasbourg (1938 - 1942) répondaient finalement, non plus aux Deutschland, mais désormais aux Scharnhorst et de Gneisenau tandis que les Richelieu (1940 - 1967) et Jean Bart (1940 - 1961) étaient toujours considérés comme étant la réponse apportée aux Littorio (1940 - 1948) et Vittorio Veneto (1940 - 1948). Mais en novembre 1935 fut annoncé la mise sur cale prochaine des premiers 35 000 tW allemands, portant du 38 cm SK C/34 : les futurs Bismarck (1940 - 1941) et Tirpitz (1941 - 1944), réponse de l'Allemagne aux deux 35 000 tW français.

Le 2 mai 1938 il était décidé d'inscrire à la tranche 1938 bis deux nouvelles unités de 35 000 tW, devant pouvoir répondre aux nouvelles mises sur cale allemandes et tirer parti des premiers essais à la mer du Dunkerque (1937 - 1942). Mais les futurs Clemenceau et Gascogne ne pourront pas être mis sur cale avant 1939, voire 1940 car les rares bassins pouvant les accueillir sont occupés : le bassin n°4 du Salou (Brest) ne sera libre qu'à la mise en flottaison du Richelieu (1940 - 1967) prévu pour la fin de l'année 1938 mais cet évènement ne se déroulera finalement qu'en janvier 1939. À Saint-Nazaire, la forme Penhoët devait être occupée dès novembre 1938 par la mise sur cale du porte-avions Joffre. La nouvelle forme Caquot fut donc la seule infrastructure industrielle disponible.

Par ailleurs, l'état-major général de la Marine nationale par la voie de son chef, l'Amiral de la Flotte François-Xavier Darlan, décidait, le 2 décembre 1937, du lancement de nouvelles études afin d'améliorer les plans des 35 000 tW de classe Richelieu avec les modifications suivantes devant être apportées : nouvelle disposition de l'artillerie principale avec le déplacement à l'arrière d'une des deux tourelles quadruples de 380 mm de 45 calibres modèle 1935 devant être, non plus en chasse, mais en retraite ; fruit des observations de l'évolution de l'artillerie secondaire des constructions allemandes, américaines, britanniques et italiennes, il sera étudié de poursuivre le choix d'une artillerie secondaire duale (aériens - surface) reprise des Richelieu (152 mm de 55 calibres modèle 1936) ou des Dunkerque (130 mm de 45 calibres modèle 1932) ou même un panachage entre 152 contre buts de surface et 100 mm de 45 calibres modèle 1933 contre buts aériens ; une réduction des installations aéronautiques à une seule catapulte et deux avions sans l'installation d'un hangar et la même protection que les Richelieu (4).

En réponse, le STCN proposait pas moins de trois projets, eux-mêmes déclinés en douze variantes, soit 4 pour l'avant-projet A qui reprenaient l'essentiel des choix architecturaux des Richelieu dont la disposition de l'artillerie principale en deux tourelles quadruples en chasse, 5 pour l'avant-projet B où l'artillerie principale consistait toujours en deux tourelles quadruples mais dont l'une était désormais disposée en retraite et 3 pour l'avant-projet C qui innovaient avec l'adjonction d'une troisième tourelle, disposée en retraite, à une artillerie principale constituée de tourelles triples ou quadruples.

Les déplacements variaient entre 34 615 tonnes (projet B3 bis) et 37 265 tonnes (projet C1). Les différentes variantes exploraient nombre de configurations possibles entre l'artillerie secondaire, selon le ou les calibres considérés, et les installations aviations. Le projet C approchant des 40 000 tW, il ne fut même pas proposé au choix de l'Amiral de la Flotte François-Xavier Darlan alors même qu'il apparaissait comme une réponse idéale aux : 

  • Littorio (1940 - 1948) et Vittorio Veneto à trois tourelles triples de 381 mm dont les plans initiaux en faisaient des 37 000 tW et leur achèvement des 41 000 tW (1941) alors même que furent autorisés les Roma et Impero en décembre 1937 ; 
  • Bismarck (1940 - 1941) et Tirpitz (1941 - 1944) à quatre tourelles doubles de 38 cm SK C/34 dont le déplacement normal annoncé devait être de 35 000 tW alors qu'il était de 40 000 tW.

Mais ces faits relatifs à la vérité des déplacements normaux étaient ignorés par l'état-major général de la Marine nationale (p. 166) C'est pourquoi l'augmentation du déplacement normal demandée par le projet C, plus proche des 2200 tonnes - qu'il aurait été très probablement possible de réduire - que des 5000 tonnes, voyait le STCN prendre une décision de non-présentation très exagérée.

Les projets A et B furent donc soumis au jugement du chef de l'état-major général de la Marine nationale, le 19 mars 1938. De manière étonnante aujourd'hui, peut être car les facteurs de sa décision ne sont pas tous connus,  l'Amiral de la Flotte François-Xavier Darlan retint deux variantes, à savoir le :

 

Projet A2 : Clemenceau

    L'artillerie principale était disposée tout à l'avant tandis que l'artillerie secondaire bénéficiait d'un placement en ligne, à l'arrière de deux des quatre tourelles de 152 mm de 55 calibres modèle 1936 alors que deux autres demeuraient disposés de part et d'autre du château et que l'artillerie aérienne retenue était constituée autour six pièces doubles de 100 mm de 45 calibres modèle 1933. Le déplacement normal demeurait presque le même car n'engrangeant que 50 tonnes, grâce à la suppression d'une des cinq tourelles de 152 mm de 55 calibres modèle 1936 vis-à-vis des Richelieu.

Le Clemenceau fut commandé le 24 août 1938. Le jour même de la mise à flot du Richelieu (1940 - 1967), le nouveau cuirassé était mis sur cale dans la forme n°4 du Salou le 17 janvier 1939. Le calendrier prévisionnel prévoyait un lancement en 1941 et une admission au service actif en 1943. Quand les troupes allemandes entraient dans Brest le 10 juin 1940, le cuirassé n'était achevé qu'à 10%, ce qui correspondait essentiellement à une coque non-fermée qui, après quelques travaux pour la rendre étanche, fut évacuée de cette forme en 1941. Coulée en 1944, la coque était renflouée pour finalement se briser en septembre 1948 et être ferraillée en 1951.

 

© World of Warships. Le Gascogne et le Richelieu.

 

Projet B3 ter : Gascogne

    L'artillerie principale était constituée de deux tourelles quadruples de 380 mm de 45 calibres modèle 1935 dont l'une était disposée en chasse tandis que l'autre l'était en retraite, avec une artillerie secondaire constituée de trois tourelles triples de 152 mm de 55 calibres modèle 1936 toutes disposées en ligne, avec deux pièces superposées et surmontant la tourelle avant de 380 tandis que la troisième en faisant de même au-dessus de la deuxième tourelle quadruple de 380 et l'artillerie anti-aérienne grimpait à huit tourelles doubles de 100 mm de 45 calibres modèle 1933. Le déplacement normal bénéficiait de l'économie de 360 tonnes du fait de la suppression d'une tourelle supplémentaire de 152, toujours vis-à-vis des Richelieu.

Mais le B3 ter exigeait pas moins de 12 mois de nouvelles études puisqu'il fallait redessiner tout l'arrière du château afin d'intégrer le déplacement de la tourelle quadruple de 380 mm de 45 calibres modèle 1935 de l'avant à l'arrière, c'est-à-dire et la partie tournante et la barbette. Le Gascogne, nom de baptême retenu par le chef de l'état-major général, représentait alors le plus fidèlement possible ce que pouvaient être les vues de l'Amiral Darlan par la disposition entièrement en ligne des artilleries principale et secondaire, permettant que toutes les pièces battent les deux bords et donc économisant d'autant le poids des pièces superflues dans cette perspective.

Le Gascogne bénéficiait du début de l'approvisionnement de son futur chantier en matériels en juin 1939. Il devait être mis sur cale dans la forme Caquot à l'été 1940. Le lancement devait intervenir au printemps 1942, pour une admission au service actif alors visée pour le mois de juin 1944. Mais ces travaux préparatoires furent suspendus le 28 septembre 1939. Les travaux reprenaient le 12 avril 1940. Au 1er juin 1940, seulement 6% du matériel nécessaire à sa construction avait été rassemblé. Et le chantier fut suspendu le 10 juin 1940 et jamais repris depuis.

 

Classe Alsace

    La variante B3 ter, présentée le 19 mars 1938, devint une rupture lourde de conséquence dans la construction navale française de bâtiments de ligne car elle remettait en cause un choix mûrement réfléchi pour les Dunkerque (1937 - 1942) et Strasbourg (1938 - 1942) depuis 1930. C'était même, en réalité, l'héritage de l'influence des croiseurs de bataille G3 britanniques de 1922 qui donnèrent les Nelson (1927 - 1947) et Rodney (1927 - 1946) de disposer l'artillerie principale tout à l'avant, par souci d'économie de poids sur le caisson blindé et donc de proposer une solution à la quadrature du cercle entre vitesse, protection et feu. Mais ce choix engageait résolument la suite des études demandées par l'état-major général de la Marine nationale.

L'Amiral Raeder présentait à Adolf Hitler le « plan Z », le 27 mars 1939, préparé depuis 1938. L'un des points d'orgue était le projet H39. Ce projet devait comprendre six unités de 53 400 tW portant des canons de 40.6 cm SK C/34 car il fut porté à la connaissance de l'Oberkommando der Marine (OKM) que la Marine soviétique allait engager la construction du projet 23 ou classe Sovetsky Soyuz (4), portant du 380 mm et possédant un déplacement standard de 59 150 tW. L'OKM souhaitant réagir, le Schlachtschiff H (1935) dont les caractéristiques étaient alors légèrement différentes de celles du Bismarck (1940 - 1941), évolua jusqu'à la variante H39 dont les travaux débuteraient dès 1937. La classe Sovetsky Soyuz (4) et la non-signature par le Japon du Second traité naval de Londres (25 mars 1926) jusqu'au 1er avril 1937 et l'adoption du 406 mm par l'US Navy pour ses cuirassés prévus par la loi Vinson‐Trammel Act (1934).

Seulement quatre chantiers navals allemands étaient en mesure de mettre sur cale les cuirassés du projet H39 dont chacune des six unités étaient désignés par une lettre de l'alphabet : « H », « J », « K », « L », « M » et « N ». Les « H » et « J » furent commandés le 14 avril 1939. Le premier fut mis sur cale le 15 juillet 1939 au chantier naval Blohm & Voss à Hambourg. Le deuxième fut mis sur cale le 15 août 1939 au chantier naval AG Weser à Bremen. Les « K », « L », « M » et « N » furent commandés en mai 1939. Mais la construction des H et J fut suspendue le 1er septembre 1939.

Malgré les précautions prises par la position française exprimée en préalable à la signature du protocole du 30 juin 1938, la France est mise devant le fait rapidement accompli par l'Allemagne car, et malgré le lancement de la construction des H e J observé dans le plus grand secret, les services de renseignement français en ont eu vent. Mais ils estimèrent improprement le déplacement normal à 40 000 tW mais identifièrent correctement le calibre de l'artillerie principale : 406 mm.

Et bis repetita : comme en 1934, aucun projet de cuirassé de 40 000 tW ou 45 000 tW n'est prêt. Ce n'était que le 20 juillet 1939 que l'Amiral de la Flotte François-Xavier Darlan demandait au Service Technique des Constructions Navales (STCN) des études pour concevoir une réponse française aux cuirassés H39 allemands par des cuirassés d'un déplacement supérieur à 35 000 tW et des études à la Direction des Armes Navales (DAN) pour des nouveaux canons de 400 mm, 406 mm et 420 mm (p. 177).

En ce qui concerne les études demandées pour la future artillerie principale, en se fiant à l'inventaire de la série 2i7 du fonds des archives de la Direction des constructions navales de Ruelle : aucun modèle pour les calibres pré-cités ne fut développé. Seul le canon de 406 mm modèle 1924 de 50 calibres avait été étudié pour le projet de croiseur de bataille de 37 000 tonnes de mai - juillet 1928.

Il existe cependant un canon de 431 mm modèle 1939 qui semble être directement la réponse aux études demandées. D'où l'hypothèse suivante : les calibres considérés n'étaient pas jugés intéressants pour répondre au problème opérationnel soulevé, notamment en termes de possibilités industrielles pour les développer dans le temps imparti.

Retenir un canon de 431 mm modèle 1939 afin de contrer « seulement » le 406 mm des H39 allait à rebours des choix français depuis les années 1870 en matière d'artillerie principale des cuirassés. Le seul exemple comparable est le projet français de 1920 de 11 cuirassés de 40 000 tonnes devant porter des canons de 450 mm modèle 1920 A de 45 calibres. Ce serait supposer que Paris savait soit l'entièreté du « plan Z » dont ses cuirassés géants devant porter du 510 mm, soit pour les Yamato (2) et leur 457 mm.

Le STCN répondait à la demande du chef de l'état-major général de la Marine nationale, l'Amiral de la Flotte François-Xavier Darlan, fin 1939, en reprenant le Projet C3 (1937 - 1938) avec trois déplacements standards :

 

Type 1 : 40 000 tW

    Le Type 1 était la reprise du Projet C variante C3 non-présenté par le STCAN à l'Amiral de la Flotte François-Xavier Darlan en 1938 car approchant des 40 000 tW - alors que ne faisant que 37 245 tW - et qui atteignait donc ici les 40 000 tW grâce à un allongement de la longueur de la coque de 4 mètres, portant la longueur totale à 252 mètres, et un maître-bau augmenté de 2 mètres, portant la largeur maximale de 33,08 à 35 mètres.

L'artillerie principale consistait en trois tourelles triples de 380 mm de 45 calibres modèle 1935 (deux en chasse, une en retraite), l'artillerie secondaire en trois tourelles triples de 152 mm de 55 calibres modèle 1936 (une en chasse, deux en retraite). L'artillerie anti-aérienne composée de huit tourelles doubles de 100 mm de 45 calibres modèle 1933 reprenait la configuration retenue pour le Gascogne.

La protection était légèrement renforcée (170 mm au-dessus de la propulsion, 180 mm au-dessus des magasins à obus), exigeant 15 000 CV supplémentaires par rapport aux Richelieu (4) afin de tenir les 31 nœuds demandés.

 

Type 2 : 42 500 tW

    Le Type 2 ne diffère du Type 1 que par l'adoption de canons de 406 mm, en lieu et place de ceux de 1980 : même s'il n'y a pas trace de la mise à l'étude d'un nouveau modèle pour ce calibre. Afin de compenser le devis de poids supplémentaire, la coque est allongée d'encore 4 mètres, la portant à 256 mètres mais le maître-bau n'augmentait que de 0,5 mètres, passant de 35 à 35,5 mètres. Pour tenir les 31 nœuds demandé, la puissance propulsive était portée de 170 000 à 190 000 CV.

 

Type 3 : 45 000 tW

    Le Type 3 revient aux tourelles quadruples de 380 mm de 45 calibres modèle 1935, ajoutant une troisième de celles-ci en retraite et portant donc le nombre total de canons à 12 contre 8 sur les Richelieu (4). L'artillerie anti-aérienne progresse ici, avec 12 tourelles doubles de 100 mm de 45 calibres modèle 1933 et non plus seulement 8. La protection est renforcée à l'endroit de la ceinture cuirassée dont l'épaisseur est portée de 330 mm à 350 mm. Il en résulte que la coque est, une fois encore, allongée à 265 mètres contre 247,5 mètres pour le Richelieu. Le maître-bau est toujours porté des 33,08 des Richelieu à 35,5 mètres. La puissance propulsive est poussée à 220 000 CV afin d'atteindre 32 nœuds.

John Jordan et Robert Dumas (French Battleships - 1922-1956, Londres, Seaforth Publishing, 2009, p. 180) jugeaient que le Type 2 ajoutait un quatrième calibre et que le Type 3, s'il surpassait toutes les constructions étrangères alors connues de l'état-major de la Marine nationale, obligeait à franchir un seuil en termes d'infrastructures. C'est pourquoi, et selon les deux auteurs, le choix de l'état-major général « était relativement simple » : le Type 1. Deux cuirassés furent autorisés le 1er avril 1940 dont la quille devait être posées en 1941, après le lancement du Joffre, et en 1942 quand auraient été achevés les travaux des bassins de Laninon à Brest, fin 1942. Le matériel nécessaire au chantier du premier des deux cuirassés aurait été approvisionnés à partir du milieu de l'année 1940. Une note de l'état-major général, adressée au ministre de la Marine (13 mars 1938 - 16 juin 1940), M. César Campinchi, le 15 mai 1940, proposait quatre noms : Alsace, Normandie, Flandre, Bourgogne.

À la remarque près que John Jordan et Robert Dumas (French Battleships - 1922-1956, Londres, Seaforth Publishing, 2009, p. 180) ne semblent pas conclure sur pièces mais sur leur jugement qu'il était question de deux cuirassés de 40 000 tW dits du Type 1. Il s'agit d'une conclusion et non pas d'une information tirée des archives. Il a été avancé (cf. supra) le problème des calibres puisque seul le canon de 380 mm /45 modèle 1935 pouvait être rapidement construit. Même les infrastructures prévues pour réaménagées largement la zone de Laninon et la pointe témoignent moins du projet de mettre sur cale deux cuirassés du Type 1 car ceux-ci ne supposaient qu'une coque allongée de 247,5 à 252 mètres. Seul le bassin n°9 de Laninon devait être allongé de 250 à 300 mètres mais la largeur de l'entrée des deux bassins demeurait à 36 mètres.

Le reste des travaux prévus, à l'instar de la cale sèche devant être creusée à l'Ouest du bassin n°9 et parallèle à celui-ci, d'une longueur de 360 mètres pour une largeur maximale de 58 mètres et 48 mètres à fond de bassin témoignait d'un tout autre projet très probablement en lien avec le canon de 431 mm modèle 1939 qui avait été mis à l'étude, contrairement aux autres calibres demandés (400, 406 et 420 mm). La Marine nationale préparait un projet de cuirassé excédant les capacités d'un bassin de 300 mètres pour une largeur maximale de 50 mètres pour seulement 36 mètres à son entrée : donc plus gros que le Type 3 de 45 000 tW. Et ce dernier ne devait porter que du 380 mm /45 modèle 1935.

Et si Paris avait appris la « vérité des prix » du projet H39 allemand, c'est-à-dire un déplacement normal de 53 400 tW ? L'état-major général de la Marine nationale n'aurait pu conclure qu'au caractère obsolète du 380 mm pour percer la protection implicitement comprise dans un tel déplacement et donc juger nécessaire d'y répondre par le calibre permettant de faire ce peu aux mêmes distances de combat considéré : d'où le 431 mm. Et de lancer des cuirassés protégés, au moins, contre le 406 mm, voire plus si jamais l'état-major général avait pu considérer que l'analyse d'un calibre de 406 mm pour les H39 ne pouvaient qu'être erronés face à un tel tonnage.

C'est dans cette perspective que la classe Province, devant comporter, peut être, un maximum de deux unités, peut apparaître comme projet excessivement médiocre. Il avait fallu consentir à douze mois d'études afin de produire les plans du Gascogne dont la seule originalité était de déplacer une tourelle quadruple de 380 mm de 45 calibres modèle 1935 de l'avant à l'arrière : modification bien dispendieuse pour un résultat opérationnel négligeable vis-à-vis d'un recul de la standardisation tactique – l’une des leçons de la bataille de Tsushima (27 – 28 mai 1905) car le Gascogne ne combat plus comme les Richelieu (1940 - 1967), Jean Bart (1940 - 1961) et Clemenceau, hormis intégration à la ligne de file. La classe Province adoptait une disposition de l'artillerie principale à trois tourelles triples de 380 mm pour un déplacement de 40 000 tW, malgré une protection modifiée de manière infinitésimale

    Autrement dit : le neuvième canon de 380 mm de 45 calibres modèle 1935 de la classe Province, par son Type 1 : pesait la bagatelle de 5 000 tW. Là, est l'excessive médiocrité. Et l'ironie est cruelle : voulant depuis 1937 réduire les défauts de l'artillerie principale disposée tout à l'avant, choix hérité de l'influence exercée par les croiseurs de bataille G3 sur la construction navale française, la classe Province réintroduisait le défaut initial des G3 : c'est-à-dire que le neuvième canon exigeait une troisième tourelle, et tout le poids associé là où pour les Richelieu (4) le choix d'adopter deux tourelles quadruples permettait d'employer le poids de la troisième tourelle au bénéficie de la protection et de la vitesse. Les 5 000 tW du neuvième canon interdisaient d'améliorer fondamentalement les plans initiaux du Richelieu (1940 - 1967), modifiés par le Gascogne alors même que l’état-major de la Marine nationale savait, entre la négociation du protocole du 30 juin 1938 et par les notes des services de renseignement, qu’il n’était plus question que de cuirassés excédant les 45 000 tW aux États-Unis et les 50 000 tW en Allemagne et portant, au minimum, du 406 mm.


1 commentaire:

  1. Bonjour
    A la lecture de cette très intéressante analyse, au moins une autre solution peut être envisagée.
    En premier lieu, un canons de 406.4 mm de 50 calibre modèle 1924 a été fabriqué en 1938 selon francearchives.gouv.fr "plans de canons".
    Second point, la différence de dimensions entre le type 1 et le type 2 (4 m de long et 0.5 m de large) est suffisamment ténue pour passer inaperçu pendant la phase de construction (voir les imprécisions des services de renseignements Français concernant les plans H39 Allemand).
    Ces 2 points réunis pourraient plaider en la faveur d'un type 2. (dans l'attente de finaliser les travaux d'infrastructure à Brest et Saint-Nazaire).
    Dans cet esprits, il y fort à parier que si un type 3 avait vu le jour, l'armement aurait été constitué de 9 pièces de 17 pouce (431.8 mm) et non 12*380 mm totalement obsolètes. Mais déjà à cette époque, les jours des cuirassés en tant que capital-ship étaient comptés.
    Frank DENIS

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