27 janvier 2022

Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut : la proposition Arrowhead 140 en difficultés

© Babcock / BMT. La Type 31.

  Le programme de six frégates devant être construites sous licence en Indonésie par PT. PAL et au profit de la Marine de l'armée nationale indonésienne (Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut (TNI-AL) n'est pas autant mis en lumière que l'extension de la flotte sous-marine ou même le programme de patrouilleurs rapides lance-missiles (KCR-60), ni même que des projets d'acquisition d'avions de combat : mais il demeure l'un des plus importants de la programmation militaire indonésienne. Et la traduction de la proposition industrielle en proposition technique devant rencontrer les caractéristiques militaires demandées est dans une phase « compliquée », les concurrences politiques n’aidant pas.

     La Marine de l'armée nationale indonésienne (Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut (TNI-AL) est créée en 1945, dans la foulée de l'indépendance de l’archipel. Son actuelle programmation est issue du plan dit Minimum Essential Force (MEF),  formalisé par la directive présidentielle n°7 du président Susilo Bambang Yudhoyono (20 octobre 2004 – 20 octobre 2014), en 2008. Les objectifs capacitaires doivent être atteint en 2024, bien que l'exécution subissent de nombreux retards, rendant caduque cette ambition calendaire.

Et en toile de fond de l'exécution de la programmation matérialisant le plan MEF : les ambitions électorales des uns et des autres, et plus particulièrement de M. Prabowo Subianto, ministre indonésien de la Défense (23 octobre 2019).

     En l’espèce et relativement à la flotte de surface indonésienne, il s’agit d’assurer le remplacement, nombre pour nombre, de la classe Ahmad Yani (KRI Ahmad Yani (1986), KRI Slamet Riyadi (1986 - 2019), KRI Yos Sudarso (1987), KRI Oswald Siahaan (1988), KRI Abdul Halim Perdanakusuma (1989) et KRI Karel Satsuitubun (1990) qui sont d'anciennes frégates de la classe Van Speijk (6) cédées par les Pays-Bas qui les avaient fait construire sous licence à partir des plans de la classe Leander (26) de la Royal Navy.

Ce renouvellement voit s’opposer, sein même de la TNI-AL, les tenants, majoritaires, de la programmation initiale du plan MEF et donc de l'allongement de la classe Martadinata (2) et d’autres, soutenant une solution alternative qui visait dans un premier temps à développer des frégates s’inspirant des danoises classe Iver Huitfeldt (3).

     Damen proposait de nouvelles unités de la classe Martadinata (2), dérivée de la SIGMA 10514, construites sous licence en Indonésie par PT. PAL. La société hollandaise peut s'appuyer sur la Marine indonésienne qui s’oppose(ait) au lancement d’un nouveau programme de frégates car le plan MEF avait initialement d'ores et déjà fléché des budgets quant à un allongement de la classe Martadinata (2). La pertinence opérationnelle lui semblait plutôt d'exploiter ce programme alors toujours dans sa phase d'industrialisation - et donc de contractualiser un « repeat order » - plutôt que d'accuser un retard de plusieurs années, inhérent au lancement d'un nouveau programme.

     À l'opposée, le programme d'acquisition et de construction sous licence de deux frégates était soutenu au très haut niveau ministériel, et pas forcément par celui de la défense. Les tenants de cette solution avaient des 2018 soutenu une étude de faisabilité dont l’impartialité demeure incertaine, visant à expliquer que construire deux nouvelles frégates « from scratch » sur la base d’un design reviendrait moins cher que de lancer la construction de deux Martadinata supplémentaires.   

C’est ainsi qu’une personnalité clef du gouvernement Indonésien, le Ministre Coordinateur des Affaires Maritimes et d’Investissement, M. Luhut Binsar Pandjaitan, annonça son soutien à un tel projet en arguant les plans de la classe de frégates danoises classe Iver Huitfeldt (3) offrirait l’opportunité d’acquérir des bâtiments pertinents sur le plan opérationnel afin de sécuriser les eaux territoriales et les zones économiques exclusives de l'archipel indonésien : plus particulièrement les 272 îles de l'archipel Natuna, en mer de Chine du Sud, entre la péninsule Malaise et l'île de Bornéo.

     L'intérêt soudain de M. Luhut Binsar Pandjaitan et pour les questions de sauvegarde maritime face à la République populaire de Chine, et pour cette proposition industrielle d'OMT en particulier , est d’après des sources locales, sans doute lié a des conjonctions politiques qu’il ne serait pas opportun de détailler par ici, car c’est loin d’être le sujet. Il convient cependant de préciser que la politique indonésienne est très évolutive et souvent pleine de surprise.

     Cette conjonction de volontés à ce que la société danoise OMT puisse signer un premier contrat avec PT. PAL - en la personne de l’ancien PDG du chantier, M. Budiman SALEH - relatif à la construction sous licence de deux frégates dérivées de la classe Iver Huitfeldt (3). Et la proposition est alors soutenue comme étant moins coûteuse qu'un allongement de la classe Martadinata (2).

Mais les démarches menées avec OMT butaient sur des sujets de compliance et de mésententes politiques, pouvant affecter le financement du programme en raison du très probable refus des banques d'accepter la présence de certains intermédiaires dans les schémas de financement.

     Le basculement sur ce dossier intervenait avec la nomination comme nouveau chef d'état-major de la Marine indonésienne (Kepala Staf TNI Angkatan Laut (KASAL) de l'Amiral Yudo Margono, en mai 2020, face à deux officiers généraux proches de certains milieux politiques.

Le nouveau KASAL s'était déjà montré opposé à l'accord noué avec OMT dès le premier jour de sa prise de fonctions. L’Amiral Yudo Margono refusait d'emblée les spécifications techniques de la proposition d'OMT et en demandait de nouvelles, tout en sachant que la société danoise ne pourrait pas les satisfaire. Et l'une d'elles consistait dans la capacité de la plateforme navale à mettre en œuvre le couple SYLVER/ASTER, ce qui demeure être une exclusivité des plateformes navales britanniques, italiennes et françaises.

Et l'Amiral Yudo Margono déclarait même sa préférence, par lettre à son ministre de tutel : M. Prabowo Subianto, à la construction de quatre frégates classe Martadinata (2 + 4), en novembre 2020 et après des déclarations publiques par lesquelles il déclarait n'avoir jamais accepté la proposition d'OMT. Le jeu étant relancé, plusieurs industriels réagissaient vite :

     Fincantieri proposait la FREMM classe Carlo Bergamini (12), sans que ne soit précisé s'il s'agissait de la variante GP/LA (General Purpose / Land Attack) ou bien ASW (Anti Submarine Warfare). Il s'agissait alors pour l'Italie, et dans un premier temps, de proposer la cession par Fincantieri - car non-encore livrées - des FREMM n°9 - Spartaco Schergat (2020) - et FREMM n°10 - Emilio Bianchi (2021). Des discussions se tenaient alors simultanément avec l'Égypte depuis le début de l'année 2018 mais également avec l'Indonésie. Le contrat a été signé entre l’Égypte et l’Italie courant août 2020, pour 1200 millions d'euros, assortie d'une option pour la construction de deux FREMM supplémentaires.

Consécutivement à l'impossibilité de livrer dans les mêmes conditions des FREMM, Fincantieri signait, le 10 juin 2021, un contrat portant sur la construction sous licence de six FREMM auxquelles devait s'ajouter le rachat, après désarmement par la Marina militare, par Fincantieri de deux frégates classe Maestrale (8) afin de pouvoir être livrées à la TNI-AL après modernisation. Certains voulaient voir dans ce choix une influence du choix effectué par l'US Navy, dans le cadre du programme FFG(X), de retenir la proposition de Fincantieri Marinette Marine, devant devenir la classe Constellation.

     La société de construction navale japonaise Mitsui proposait la 30FFM, c'est-à-dire la classe Mogami (8 + 14) dont un lot de huit est en cours de construction pour la Force maritime d'autodéfense japonaise (海上自衛隊 ou Kaijō Jieitai). Le ministre des Affaires étrangères japonais, M. Toshimitsu Motegi, à l'occasion de la rencontre 2 + 2 (format diplomatique inauguré en 2015), avait signé un accord en ce sens, le 30 mars 2021, avec le ministre indonésien de la Défense, M. Prabowo Subianto. Celui-ci visait la construction, au Japon, de quatre premières frégates devant être livrées à partir de fin 2023 ou au début de 2024 tandis que quatre autres frégates seraient mises sur cale dans le site de Surabaya de PT. PAL.

     C'est finalement la proposition fondée sur les plans de la classe Iver Huifedt (3), dont la propriété intellectuelle revient à la société danoise OMT, qui fut relancée sous un autre montage industriel mené cette fois-ci par les sociétés britanniques Babcock et BMT, entrées en négociations, en avril 2020. Et la « nouvelle » proposition était légèrement différente en ce qu'elle s'appuyait cette fois-ci sur la construction sous licence de deux frégates dérivées de l'Arrowhead 140 - adaptation britannique de la classe Iver Huifedt (3) et accouchant de la Type 31 (5).

Son adaptation de au besoin opérationnel indonésien aurait vu le KEMHAN, ministère indonésien de la Défense, avoir eu recours aux services de consultance et d'ingénierie des sociétés allemande MTG Marinetechnik et turque FIGES AS pour ce faire.

Des négociations aboutissaient à la signature, dans le cadre du salon Defence and Security Equipment International (DSEI) 2021, de la construction sous licence de deux frégates dérivées de l'Arrowhead 140 au profit de la Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut, le 17 septembre 2021. Ce contrat était devenu effectif le 24 mai 2021. C'est un premier succès relatif au versant exportation du programme Type 31 pour lequel avait été retenu l'Arrowhead 140 au sein du même salon DSEI en septembre 2019. Succès à mettre au compte, et donc, de la National Shipbuilding strategy.

L’accord entre PT. PAL et Babcock consiste dans un transfert de « design » et que cette société britannique présente l’avantage – pour la partie indonésienne – d’être un véritable chantier naval, avec les compétences industrielles et techniques associées : contrairement à OMT qui demeure, peu ou prou, un bureau d’études.

     Toutefois, les travaux d’adaptation de l'Arrowhead 140, menés depuis avril 2020 et donc avec l’appui à confirmer des sociétés allemande MTG Marinetechnik et turque FIGES AS n’aurait pas abouti à régler tous les sujets dont certains demeurent à régler. Par exemple, la longueur de la coque de la proposition industrielle devant bénéficier de la signature d’un contrat de mise en chantier dans le cadre du programme de six frégates a été politisée pour, d’une part, éviter que le linéaire puisse correspondre à certaines options – comme un « reapeat order » au bénéfice de la classe Martadinata (2 + 4). Mais il achoppe aussi, en ce qui concerne l'Arrowhead 140, sur des questions opérationnelles et financières puisque Babcock souhaite entériner que les adaptations demandées par la TNI-AL demeureront dans les limites des 140 mètres alors que cette dernière demande de porter cette longueur à 143 mètres, sans qu’il ne soit bien compris ni connu toutes les rationalités venant appuyer cette demande.

     Les protagonistes du programme en sont donc à trancher les grands sujets de la transformation de la proposition industrielle en proposition technique devant répondre aux spécifications opérationnelles. Certaines options sur la table sont (trop ?) divergentes et amènent à observer si cette phase devant aboutir à l’équivalent d’un avant-projet sommaire va traîner en longueur et offrir un énième rebondissement à un dossier déjà riche en la matière.

 

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