03 octobre 2022

Marine nationale : plaidoyer pour un socle de compétences opérationnelles pour les fonds marins

© IHC. Hi-Traq®.

     Le Secretary of State for Defence, M. Ben Wallace (24 juillet 2019), au Conservative Party Conference, a affirmé qu'un Multi-Role Ocean Surveillance Ship (MROSS) sera acquis en 2022, admis au service fin 2023 ; un 2ième MROSS sera construit au Royaume-Uni : la Royal Navy accélère à la faveur du sabotage des gazoducs NordStream 1 et 2 (26 – 27 septembre 2022). Paris est mis au défi d'abandonner sa médiocre posture, arrêtée depuis la présentation (14 février 2022) de la Stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, et d'aborder enfin sérieusement le sujet : plaidoyer pour un socle de compétences opérationnelles pour les fonds marins.

     La présentation de la Stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, le 14 février 2022, suivie par la publication d'une version publique dudit document, le 18 février 2022, témoignait de l'impuissance de Paris face aux agissements observés, pourtant par la Marine nationale et pas seulement, sous la mer lors de démonstrations opérées principalement par la Fédération de Russie. C'est dans cette perspective que fût présentée la prochaine constitution d'une capacité opérationnelle intérimaire, à partir d'essais à mener en 2023 - bien qu'ils aient lieu depuis 2022, au plus tard, selon la propre communication de la Marine nationale - : dans la perspective que ladite capacité soit employable dès 2023, et serve à préparer les réflexions puis décisions quant à l'adoption d'une capacité opérationnelle pérenne à l'horizon 2030.

     Il ne s'agit pourtant que d'une très légère inflexion des programmes SLAM-F (Système de Lutte Anti-Mines Futur) et CHOF (Capacité Hydrographique et Océanographique Future) : en ce sens que toute ou partie des futures plateformes navales devront pouvoir opérer des ROV (Remotely Operated underwater Vehicle) et AUV (Autonomous Underwater Vehicle) aptes à plonger et opérer jusqu'à 6 000 mètres.

Le sens stratégique à cette légère inflexion est une extension du domaine de la guerre des mines au profit de la Dissuasion nucléaire : la capacité opérationnelle intérimaire participant à la sûreté des atterrages de Brest, au bas du plateau continental et jusqu'à 6 000 mètres ; mais également à surveiller et dénicher tous dispositifs pouvant participer à menacer départs et retours de patrouille des Sous-marins Nucléaires Lanceurs d'Engins (SNLE) et la liberté de manœuvre des unités et forces associées.

C'est pourquoi la capacité opérationnelle intérimaire est une extension du domaine de la guerre des mines jusqu'à la corruption ou le sabotage d'infrastructures reposant sur les fonds marins mais ne constitue pas la manifestation d'une volonté française de constituer une palette d'outils opérationnelles devant permettre de maîtriser les fonds marins par extension de la stratégie navale et donc de la maîtrise des communications passant par la mer.

     Le problème stratégique qui se pose à Paris est le déni manifesté par trop de monde quant au déclassement - non pas français - de la Marine nationale vis-à-vis des « perturbateurs stratégiques » que sont principalement la République populaire de Chine et la Fédération de Russie mais également à l'endroit des alliés de l'Alliance atlantique, sans compter les tiers, constitués en majorité d'industriels mais aussi de particuliers ayant les capacités financières de mener des expéditions sous-marines à la recherche d'épaves.

Ce n'est pas commenté en France, voire peut-être pas observé du tout : les navires de sauvetage de sous-marin (Submarine rescue ship) sont en nette progression par le monde. Il est couramment admis que l'immersion de destruction de la plupart des sous-marins militaires se situe aux alentours des 500 à 600 mètres, raison pour laquelle les capacités de sauvetage sont dimensionnées à cette aune. Pourtant, et par exemple parmi les nombreuses capacités détenues par des marines étrangères : les navires de sauvetage de sous-marins de l'Armada Española et la Marina Militare peuvent mettre à l'eau des engins descendant jusqu'à 3 000 mètres. Et puisqu'il faut énoncer la conclusion logique, ignorée jusque-là : Seabed Warfare.

La Stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins sanctionnait donc une absence de capacités en propre de la Marine nationale et un refus de se saisir de l'ensemble de la problématique : ce n'est donc pas seulement un problème matériel mais, et avant toute chose, un déni du sujet stratégique dans son ensemble.

     La Seabed Warfare, en son acception usuelle, consiste à constituer les outils institutionnels, juridiques et opérationnels devant permettre de conjurer risques et menaces pesant, par accident ou fait volontaire, sur les infrastructures déployées sur les fonds marins. Mais aussi d'être en mesure de porter atteinte aux infrastructures de l'éventuel adversaire, si cela pouvait être rendu nécessaire ou bien si cela pouvait servir à le dissuader d'agir de la sorte ou bien autrement.

     C'est pourquoi la France ne peut plus ignorer cette extension du domaine de la stratégie navale, ayant déjà été distancée par ses adversaires et alliés. Et sa prise en compte suppose quelques projets sérieux pour ce faire, pouvant facilement consister dans la réorientation de trois programmes existants, à l'occasion de la préparation de la Loi de Programmation Militaire (2024 - 2030) mais aussi par le truchement de procédures existantes, à l'instar de la procédure urgence opérationnelle (UOPS ou UO).

     Premièrement, prenons la peine d'énoncer que les Bâtiment de Soutien, d'Assistance et de Dépollution (BSAD) Jason (2003) et Argonaute (2009) servent principalement à assurer la permanence d'une plateforme navale apte à recevoir et prendre la mer pour opérer le NATO Submarine Rescue System (NSRS), au profit des bases navales de Brest (SNLE) et Toulon (SNA) pour l'océan Atlantique et la mer Méditerranée. Il y a matière à ouvrir une réflexion, dans le cadre de la Flotte Océanographique Française (FOF), quant à la pertinence de rapprocher ce besoin Marine nationale de celui de l'IFREMER d'opérer des sous-marins habités jusqu'à 6 000 mètres, et donc de mettre fin à l'abandon de cette dernière capacité.

Cela constituera une capacité d'intervention au profit des sous-marins en difficulté et de récupération des épaves dont certains secrets intéressant la Défense nationale doivent être extirpés.

     Deuxièmement, le programme CHOF (Capacité Hydrographique et Océanographique Future) aboutira à deux à trois bâtiments devant remplacer les Bâtiments Hydrographiques classe Lapérouse (4 + 1). Il est avéré que les futurs bâtiments mettront en œuvre un « module » mêlant plusieurs types de drones dont des drones de surface (Unmanned Surface Vehicle (USV) ou Autonomous Surface Vehicle (ASV) ainsi que des UUV (Unmanned underwater vehicles) et AUV (Autonomous Underwater Vehicle). C'est, encore une fois, un besoin qui gagnerait à être rapprochée du remplacement de la plupart des navires hydrographiques et océanographiques équivalents de l'IFREMER à l'horizon 2030-35.

Cela constituera une capacité d'intervention non-habitée et de surveillance au profit des infrastructures reposant sur les fonds marins (câbles de télécommunication sous-marins, câbles d'interconnexion électrique, gazoducs, oléoducs, etc) dans les trois, voire cinq (les pôles, surtout celui du Nord), océans à l'échelle de l'Archipel France et pas seulement des atterrages de son territoire européen.

     Troisièmement, le programme SLAM-F (Système de Lutte Anti-Mines Futur) gagnerait à être réorienté, à nouveau, sur la seule guerre des mines. Le sabotage des gazoducs NordStream 1 et 2 (26 - 27 septembre 2022) s'est produit entre 70 et 90 mètres. Et les problématiques opérationnelles entre les très petits fonds et les limites du plateau continental sont d'ores et déjà Légion :

Il semble bien plus pertinent de faire émerger une nouvelle composante à ce programme, en intégrant rapidement le remplacement des Bâtiments Remorqueurs de Sonar (BRS) classe Antares (3) par des drones de surface dédiés à la surveillance permanente des portions de fonds marins ne pouvant souffrir de la dépose d'un dispositif de surveillance ou d'atteinte à la liberté de manœuvre des forces françaises ou des flux irriguant le pays.

Il s'agirait également de repositionner le programme Bâtiments-Bases des Plongeurs Démineurs de Nouvelle Génération (BBPD-NG) sur le sujet de la lutte contre les nageurs de combat et autres plongeurs malintentionnés, au profit des bases navales et des ports, avec l'armement et les équipements associés. La progression de certaines capacités sous-marines ou leur diffusion doit amener la prise de conscience du rapprochement inéluctable de l'insertion discrète de nageurs et plongeurs près des installations intéressant la Sécurité nationale.

     La Marine nationale doit-être s’équiper d’un navire-câblier ? La réflexion mérite d’être ouverte, en particulier si les considérations qui se devinent, la lecture de la Stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, quant à la pertinence de déposer des infrastructures militaires de surveillance sur une partie du plateau continental français.

     Sur le plan financier, il s’agit avant toute chose de réorienter des programmes existants, et pas uniquement militaires, dans la perspective de surveiller et d’intervenir. Certaines capacités exigeront un abondement budgétaire supplémentaire mais ce n’est pas là l’essentiel de l’effort, ni même du débat.

     Ce ne sont que là que des capacités devant constituer un socle de compétences opérationnelles qui permettront de surveiller et d'intervenir, le cas échéant, sur les fonds marins pour soustraire les infrastructures intéressant la Sécurité nationale aux risques et menaces et conserver notre liberté de manœuvre dans son acception la plus large. Il ne s'agit là que d'une posture défensive : l'horizon 2030 doit servir à ériger une ou plusieurs capacités offensives afin d'entretenir une logique de dissuasion à l'égard des perturbateurs stratégiques mais aussi de renforcer la fonction connaissance et anticipation en allant chercher le renseignement où il se trouve.


3 commentaires:

  1. Mr Le Marquis
    la France à un savoir Faire en intervention sous-marine, Naval à un démonstrateur de drone sous-marin de grande taille, une entreprises comme ECA fabrique des robots d'intervention, le groupe bourbon à 285 navires dédier aux travaux off shore, le groupe orange à un magnifique navire câblier en stand by à Brest et bien d'autres compagnies.
    il serait judicieux que notre Marine Nationale ce rapproche de ces entreprises ; nos officiers pourraient trouver les compétences mais aussi les solutions techniques qui sont disponibles.

    RépondreSupprimer
  2. Ou remettre en service le SAGA exposé à Marseille :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le commandant COUSTEAU était un grand homme qui savait bien s'entourer:
      https://youtu.be/alyx_AALR4k

      Supprimer