28 avril 2015

Des BPC pour compléter les programmes B3M et BSAH ?

© ECPAD. L'ECPAD film la Marine en direct à Toulon, 11 février 2008.
A la suite de la rencontre entre François Hollande, président de la République française, et Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, le ton est encore et toujours mesuré depuis la réunion précédente. Il n'est plus (vraiment, voire pas du tout) question de pénalités financières.

Le président Hollande semble clairement affirmer qu'une non-livraison engagerait à rembourser les sommes perçues. Aussi, il n'est plus question de livraison (la chose n'est même plus évoquée oralement) car les conditions du respect de l'accord pour le cessez-le-feu en Ukraine ne sont ou ne seraient pas respectées du côté russe. Et le président russe d'affirmer que la commande des deux BPC n'étaient qu'une contre-partie dans les relations franco-russes, pour soutenir l'emploi aux Chantiers de l'Atlantique. Pourquoi pas ?

Le vent tourne actuellement pour laisser entendre que les deux BPC commandés par Moscou pourraient ne pas être livrés et donc remboursés. Aucune décision ne semble avoir été prise et encore moins annoncé. Dans cette hypothèse - la plus étudiée publiquement dans les médias -, pourquoi ne pas se laisser aller au jeu ? 

Premièrement, il faudra bel et bien, un jour ou l'autre, régler les parties financière et juridique de l'affaire. La Russie a versé toute ou partie de la somme exigée par le contrat. Ce dernier porte sur des transferts de technologies. Nous pouvons légitimement supposer que la somme annoncée comprend la facturation de ces transferts. Somme qui serait bien plus importante que le travail effectivement réalisé en Russie et en France. Donc, non, il y a de fortes chances que les deux navires ne représentent pas 1,2 milliards d'euros mais bien moins en fonction de la réalité des sommes engagées.

En 2004, les deux BPC étaient réalisés pour environ 600 millions d'euros environ (études comprises) aux valeurs de ces années (inflation, monnaie courante, matières premières, etc.). 

Nous glissons vers la seconde partie un peu délicate de l'affaire : les parties arrières des deux navires étaient construites en Russie. Si l'utilisateur final n'était pas la VMF, alors il faudra bien régler ce léger détail. 

Deuxièmement, engouffrons-nous dans l'hypothèse qui pourrait faire un peu peur en France : impossible vente à une marine tierce ? Non pas que les Russes puissent faire des manières. Mais, surtout, il faudrait refondre ces deux unités pour un autre utilisateur. Ils sont prévus pour un équipage Russe parlant russe, utilisant des systèmes russes. Il y aurait un changement de normes à opérer. Et avec des navires issus d'un litige international, ce serait, encore une fois, un coût supplémentaire potentiel. Imaginons que le Canada soit intéressé (donc normes OTAN et bien des systèmes américains) : que choisir entre des navires déjà de seconde main à mettre aux normes ou une construction locale ?

La France avait étudié le cas pour un éventuel rachat d'un porte-avions de la classe Queen Elizabeth du temps où une des deux unités ne devait pas entrer en service. Facture trop salée selon l'amiral Guillaud, alors CEMA.

Troisièmement, nos deux BPC Sébastopol et Vladivostok intègrent la Marine nationale : à quel coût ? A moins de supprimer budgétairement un ou deux gros navires - donc une FREMM ou un SNA-NG -, il n'y a pas de grand poste à attaquer. Léventuelle révision à la hausse ou le simple respect de la LPM sont deux hypothèses bénéficiant en priorité à l'Armée de Terre.

Ce serait la répétition du plan de relance de 2009 où la Marine nationale bénéficiait d'un BPC en avance de phase alors qu'elle subissait déjà des difficultés dans le renouvellement de ses frégates (l'autre moyen de "relancer" les Chantiers de l'Atlantique était alors la commande d'un second porte-avions).

Ce qui pose la question d'un financement interministériel pour régler cette embarrassante question franco-russe.

Quatrièmement, que faire de ces navires ? La composante amphibie est dotée de trois BPC et d'un TCD. Ce dernier est proposé depuis plusieurs mois à la vente. Trois marines, au moins, sont intéressées. Deux BPC de plus ne feraient que gonfler une composante déjà bien dotées. La Marine ne souhaite pas remplacer le TCD en cas de vente, l'amphibie n'est actuellement pas la priorité. Ni même relancer une nouvelle Jeanne d'Arc, a priori.

C'est pourquoi nous pourrions proposer de consacrer ces deux navires à la sauvegarde maritime. Les 20 000 tonnes d'un BPC peuvent apparaître comme fantastique pour des missions de patrouilleur. Mais si nous reposons la question avec un paradigme légèrement différent, nous aurons peut être une vue plus favorable.

Considérons la plateforme comme une île artificielle ! Il ne s'agit plus d'un navire de guerre devant manœuvrer dans des situations de guerre. Mais bien d'une plateforme capable d'emporter de nombreuses infrastructures et moyens pour réaliser des missions qui nécessitent, avant toute chose, de traverser un environnement hostile.

Par ses qualités nautiques, un BPC de classe Mistral bénéficie d'une très grande stabilité à bord lors de ses croisières. Il faut le souligner, cela permet des travaux de précision car le navire, rien que par ses dimensions, est peu sensible aux humeurs de la mer. La différence avec des unités de moins de 10 000 tonnes, si ce n'est de moins de 7000 tonnes est très importante.

Aussi, ces navires possèdent de larges volumes d'emport et des capacités aéroamphibies. Il peut remplir n'importe quelle mission logistique grâce à ses qualités de navire amphibie. En plus d'être une base flottante, il dispose des capacités pour atteindre ou franchir un littoral : chalands, hélicoptères, moyens du génie, etc. Ce qui le distingue de bien des unités est ses normes arctiques. Il est capable de naviguer dans les eaux polaires, sa coque est renforcée pour affronter la glace. 

Nous imaginons deux grandes missions dans un tel cadre opérationnel : l'Action de l'État en Mer et les expéditions scientifiques.
Pour les premières, un BPC peut emporter ce qu'il faut comme aéronefs et embarcations (dont des patrouilleurs) pour couvrir tout un espace maritime très important. Il disposerait des installations nécessaires pour embarquer un état-major dédié à la sauvegarde maritime, être en liaison permanente avec les différentes administrations à terre, disposer des spécialistes sur place, cartographier les flux maritimes environnants; recevoir les images satellites, etc. Ce serait comme une préfecture maritime flottante, mais sur place. Ce qui suppose d'intégrer une telle perspective à un financement interministériel, que ce soit pour financer l'opération ou soutenir l'embarquement des spécialistes sur le long terme pour ces croisières.

Par ses extensions flottantes - les patrouilleurs embarqués - il se constituerait en archipel mobile. Les hélicoptères seraient alors véritablement de liaison entre le système flottant et la terre. Cette escadre qui ne dit pas son nom serait capable de mettre en place un ensemble de tactiques pour ratisser ou intercepter tous les contrevenants potentiels. 

Sa zone de surveillance serait décuplée par rapport à tout autre dispositif existant. Bien commode dans certaines régions de l'Archipel France où les moyens de l'État sont inversement proportionnels à l'ampleur des territoires et zones économiques exclusives.

Pour les missions scientifiques, les qualités de la plateforme permettent d'envisager sereinement d'embarquer un ou des laboratoires flottants. Dispositif très rare de par le monde. Et, ce ne serait pas une première depuis les Grandes découvertes. Mais un tel confort dans les travaux réalisés serait, sinon une révolution, tout du moins une évolution significative.

Les qualités logistiques du navire permettraient de soutenir tout un ensemble de stations dans l'Archipel, notamment dans l'Antarctique, où les moyens sont plus que comptés, les capacités donc rare. 

Missions scientifiques qui dépasseraient, de loin, le strict cadre national. Les volumes à bord sont importants, les capacités d'accueil en personnel tout autant (un peu plus de 700 pendant l'opération Harmattan). Et la France pourrait offrir des capacités inédites à des pays rencontrant des problèmes pour soutenir leurs ambitions dans les mêmes zones. Ce qui offrirait des possibilités de financement croisés en Europe et en dehors de l'Europe même.

C'est pourquoi, au titre des programmes B3M (remplacement de tout ou partie des moyens navals arctiques) et BSAH (qui ne comprenant pas le remplacement des brise-glaces), la Marine nationale trouverait là deux îles flottantes particulièrement adaptés aux missions de sauvegarde maritime et scientifiques.

Étape ultime de notre hypothèse : pourquoi ne pas baptiser ces navires l'Astrolabe et la Boussole ?

6 commentaires:

  1. Votre approche est intéressante. Mais dans le cas de l'hypothèse d'une vente à un pays étranger, pourquoi ne pas partir sur l'hypothèse d'une vente à l'Inde !!

    Ce pays est utilisateur de technologies occidentale et russe et a besoin de navires pour contrer la montée en puissance de la marine chinoise.

    Mon hypothèse est que le report de la super commande de 126 avions rafales pourrait laisser à penser que des négociations sont en cour entre gouvernements et non plus avec Dassault pour négocier un package BCP/Rafales.

    Cerise sur le gâteau; peut être un lot de rafale marine pour paré aux problèmes de l'aéronavale de combat indienne l’empêchant de se déployer loin de ses côtes. Ce serait pour elle un atout dans le cadre de sa coopération accrue avec notre marine nationale dont notre PA Charles de Gaulle croise souvent au large de l'Inde dans le cadre d'exercices bilatéraux.

    Donc BPC/Rafales/Inde à suivre.

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  2. Votre article est bizarre. Vous dites que le programme coûte 1,2Md€. Jusque là, on est d'accord. Vous dites ensuite que les mistrals Français ont coutés 600M€ en 2004. De fait, c'est peu ou prou leur coût unitaire.
    Compte tenu de l'inflation des prix des matières premières, je ne vois pas comment ces deux navires ne peuvent pas représenter beaucoup moins que le coût total annoncé. D'autant plus que ces navires ont nécessité des études particulières pour la "mise aux normes" (ce qui comprend le renforcement de la coque et l'augmentation de la hauteur du hanga hélico). De la marge? Je ne vois pas car si la partie arrière des BPC a bien été construite en Russie, ces blocs ont normalement été commandés par STX ou DCNS, et leur prix compris dans le coût total du programme.

    Ensuite, les BPC sont effectivements aux normes Russes. Cependant, ils n'ont pas encore reçu les équipements militaires Russes, ceux-ci devant être embarqués une fois les navires livrés. On ne peut donc pas dire qu'ils comprennent effectivement des équipements Russes. La comparaison avec le cas du porte-avion Anglais est donc d'autant moins pertinente que les BPC ne nécessiteraient pas de modifications structurelles, contrairement à ce qui se serait passé en cas de rachat du PA anglais.

    Enfin, je reviens vers vos idées très fertiles. L'assimilation des BPC à des îles artificielles est problématiques. Ces navires ne peuvent pas rester si longtemps en mer. Ils doivent se ravitailler, les équipages se renouveler, et les navires être entretenus. Les BPC ne sont pas des FPSO.
    Mais bon, admettons. Les BPC servent à faire de la patrouille dans la ZEE. Y mettre des aéronefs? Lesquels? Des patrouilleurs? Depuis quand sont-ils fait pour être posés à sec dans un radier? Sans compter le fait qu'on est déjà en déficit de patrouilleurs!
    Assimiler les BPC à des préfectures maritimes flottantes me paraît en outre bien onéreux.
    Vous souhaitez que ces hélicos fassent le lien entre le navire et la terre. Or, dans le cas des patrouilles, le but est d'aller loin, c'est à dire hors de porté des hélicos.

    Enfin, il va falloir choisir. Préfecture maritime? Surveillance de la ZEE? Missions scientifiques internationales? Oui, il y a la place, mais ces activités ne sont pas compatibles entre elles.

    Gaël HAMELIN a raison, la meilleure hypothèse reste celle d'une revente à l'inde, déjà habituée aux standards Russes

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  3. @ Roland

    Aucun grand navire ne passe 100% de son temps à la mer, et qui dit domaine maritime dit aussi "points d'appui". La Réunion (chef-lieu du district des TAAF) et Mayotte pour l'océan Indien, la Nouvelle-Calédonie et Tahiti pour le Pacifique sont des lieux tout à fait équipes pour conduire les opérations d'avitaillement et de maintenance...
    Et puis, faire relâche dans les ports amis et alliés de la zone géographique pour y "montrer le pavillon", c'est le moyen d'une diplomatie des faits concrets plutôt que des paroles creuses...

    Pour ce qui est de la flottille annexe, l'EDAR fournit un début de réponse très convaincant. Avec une capacité d'emport de 80 tonnes, une vitesse maximale de trente nœuds et une autonomie de près de 600 nautiques, quelques aménagements modulaires peuvent le transformer en un "patrouilleur" ou un "auxiliaire logistique" tout à fait convaincants, avec en prime l'atout non négligeable de son tirant d'eau ajustable. La société CNIM a d'ailleurs proposé des évolutions du concept vers une unité hauturière autonome capable d’accueillir temporairement un hélicoptère et de mettre en œuvre drones, et semi-rigides de commandos.

    Pour ce qui est du "système électrique aux normes russes" des-dits BPC, il s'agit tout simplement d'un "bon vieux" 220V 50hz. Pour le rendre pleinement utilisable par des français, seules les prises sont à changer. Voudrait on le convertir au "110v 60hz" nord-américain qu'il suffirait de remplacer les composants clefs des armoires électriques, un matériel aux normes civiles amplement disponible sur le marché...

    Alors, entre ne rien faire de ces bâtiments et les employer à combler les lacunes de notre dispositif maritime outre-mer... le choix de la volonté politique devrait être vite tranché... si seulement nous étions gouvernés, et non pas "gérés à la petite semaine" à l'aune de contingences comptables réglées sur des normes discutables...

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    1. @ Anonym (pétard, qui se cache comme ca? )

      Je ne pense pas que vous m'ayez bien lu, car sinon vous vous seriez aperçu que je minimise le problème des "normes Russes"

      Concernant les points d'attache des navires, ceux cités ne permettent pas, à ma connaissance, d'accueillir un tel navire en cale sèche. Quand à la maintenance "légère", cela est possible, mais à quel coût? Mais bon, c'est anecdotique. Je réagissais surtout par rapport au concept d'île flottante, concept non nommé directement ici, mais intéressant et régulierement remis sur le tapis. En effet, l'ile flottante, à l'image des FPSO ou des plates formes off-shores sont en mer 100% du temps. Dans le cas des FPSO, ils sont même carénés en mer. Au mieux, les BPC pourraient être 30% du temps en mer car ce sont des navires, pas des îles flottantes au sens industriel du terme, c'est à dire relativement peu mobile. Si l'on veut une vraie permanence à la mer, il faudra donc probablement viser un bâtiment plus petit en plus grand nombre.

      De plus, les EDAR ne sont pas des patrouilleurs. Oui, la cnim propose des dérivés pouvant l'être, mais ils sont plus gros, et donc trop gros. Les EDAR sont catamaran donc peu manœuvrant, ce qui en font de mauvais patrouilleurs. Ils ne sont pour ainsi dire pas armés, et ne possèdent pas de capteurs pour détecter et poursuivre des cibles. En outre, ils ne possèdent pas d'installations pour exploiter ces capacités. L'EDAR n'est donc pas du tout une bonne base pour un patrouilleur enradiable. Et d'autres comme les Intercepteurs proposés par CMN sont plus pertinents mais ne sont pas enradiable du fait de leur coque

      Bref, pourquoi pas avoir des navires dédiés à la protection de notre ZEE comme batiment base de patrouilleurs de d'hélicoptères (concept auquel j'ai déjà pas mal réfléchi dans le passé), mais le BPC ne me semble pas du tout adapté à cette mission.

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  4. Je pense que transformer l'un des deux BPC en navire-hôpital, au sens strict du terme, comme les USNS Mercy et Comfort, serait très utile à l'action extérieure de la France

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    1. Les aménagements seraient très coûteux, et le navire sur-dimensionné, pour une application purement hôpital. En revanche, en convertir un en bâtiment spécialisé dans les interventions humanitaire aurait du sens afin de déployer du matériel (stockable dans les vastes hangars et projetable par hélico ou chaland), pouvoir héberger des rescapés (grâce aux capacités d'accueil que l'on peut éventuellement développer), soigner un grand nombre de blessés (grâce aux capacités existantes et probablement développable grâce à la réduction voir suppression de la capacité poste de commandement), fournir une alimentation électrique pour une partie d'une ville portuaire, ... voilà ce qui pourrait être faisable.

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