13 février 2016

Impensé rural français : de nouvelles prises de terres ?


Ces quelques propos de Camille Rougeron sur l'économie agricole dans la perspective de la Défense nationale nous servaient d'introduction. Olivier Kempf, proposant son analyse du système irriguant la France (d'Europe), c'est-à-dire les relations entre les villes, les campagnes, les systèmes de transport et les flux les liant, remarquait un "impensé rural" français (Géopolitique de la France - Entre déclin et renaissance, Paris, Technip, 2013, pp. 93-110). La nature ayant horreur du vide, nous vous proposons d'invoquer Carl Schmitt par la notion de "prise de terres" afin d'envisager quelques perspectives pour cette "France spacieuse" (p. 94).


Olivier Kempf cite Michelet qui affirmait en 1846 que "La terre de France appartient à 15 ou 20 millions de paysans qui la cultivent ; la terre d'Angleterre à une aristocratie de 30 000 personnes qui la font cultiver." (p. 95). Les conséquences, tardives, de la révolution industrielle en France entraîne le développement de l'urbanisation. Cependant, ce n'est que dans les années 1950 que se produit la révolution rurale selon trois facteurs : un exode rurale massif, le remodelage de l'agriculture et la tertiarisation de la société (p. 96). 

Dès 1934, la population urbaine dépasse la population rurale, dans une France où, statistiquement, la ville est une agglomération de 2000 habitants dans une organisation territoriale à 36 000 communes (p. 95). En 2013, les trois quarts de la population vivent sur 20% du territoire tandis que 80% du territoire connaît une densité inférieure à 30 habitants au km² contre une moyenne à 114 (pp. 100-101). Aussi, la moitié des 65 millions de français vivent dans un pôle urbain supérieur à 200 000 habitants, les dix premières agglomérations regroupent un tiers des français (p. 101). 

Le processus mêlant révolutions industrielle et rurale accouchent d'une France (d'Europe) fondamentalement urbaine. Il en découle un couloir des Ardennes jusqu'aux Pyrénées, assez homogène, à la densité de peuplement très faible. Précisons que ce désert rural prête son flanc droit à l'entonnoir eurasiatique convoyant nombre d'invasions (p. 13). 

Dans l'Histoire, nombre de nations connurent un événement fondateurs que Carl Schmitt nomme "prise de terres". "Les grands actes fondateurs du droit restent des localisations liées à la terre. Ce sont des prises de terres, des fondations de cités et des fondations de colonies." (SCHMITT Carl, Le nomos de la Terre, Paris, Presses Universitaires de France, 2012 (1988), p. 49). Une des acceptations de l'action de coloniser est de cultiver un sol pour en obtenir une récole. 

Ajoutons que la prise de terres n'est que la première action du triptyque schmittien, c'est-à-dire prendre. Mais il reste à partager l'espace puis à pâturer ou produire à partir de celui-ci.

Les choix stratégiques français conduisent à ce désert rural s'étirant selon un axe Nord-Sud. Si ces terres ne sont pas mise en culture par des Français, cela ne peut faire oublier que d'autres peuples sur Terre ne connaissent pas une telle richesse. Les paysans sans terres ou bien les Etats sans suffisamment de terres arables sont légions. Pensons autant à la Chine qui tente d'assurer sa sécurité énergétique par l'achat de terres sur plusieurs continents, dont l'Afrique et l'Amérique du Sud. Mais également aux flots de réfugiés et de migrants recherchant une vie meilleure, fuyant des terres interdites par la guerre ou bien par un climat trop difficile pour les exploiter. 

La France, et l'Europe en général, ne connaît que trop bien ce phénomène. Pourquoi la Normandie ? Des populations scandinaves, pressées par la pauvreté des richesses des sols de la pointe Nord de l'Europe, recherchaient les richesses dans d'autres espaces. Ils obtinrent un tel territoire de Charlemagne. Le Nouveau monde et les différents empires coloniaux européens connaissaient la destination de l'expansion démographique européenne. Mais au XXIe siècle, l'Europe connaît plutôt un déficit démographique comparativement à d'autres régions du monde, bien plus dynamiques. 

C'est pourquoi nous proposons l'hypothèse que ce désert rural français, ressemblant à un couloir du vide, est un terreau favorable pour de nouvelles prises de terres. Des partisans, prêchant une nouvelle forme d'agriculture plus écologique et/ou traditionnelle pourraient les accaparer. Une Europe et une France ne maîtrisant pas ou plus les flux de réfugiés et de migrants pourraient faire le choix, afin de préserver un équilibre social, de repeupler ce couloir vide. Enfin, quelques groupuscules ou réseaux pourraient prétendre à prendre quelques terres. 

La question touche à l'hypothèse d'un éventuel repeuplement de ce couloir, en cas de rejet partiel de l'urbanisation ou bien par arrivées de nouvelles populations. Ce qui pose la question de la finalité de leurs prises de terres au regard du projet politique français dans un contexte où, l'Etat semble perdre son autorité et ses capacités d'actions, notamment au profit d'un nouveau maillage territorial laissant apparaître de nouvelles provinces (FLICHY DE LA NEUVILLE Thomas et MATHIAS Grégor, 2030 - Le monde que la CIA n'imagine pas, Paris, Bernard Giovanangeli, 2015, pp. 43-46). En ce sens, l'agriculture a une incidence stratégique sur l'occupation du territoire nationale. "Gouverner, c'est peupler" disait Juan Bautista Alberdi, père de la constitution Argentine (CHANTRIAUX Olivier et FLICHY DE LA NEUVILLE Thomas, Le basculement océanique mondial, p. 123). 

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