12 février 2016

L'économie agricole par Camille Rougeron


Heureux chineur d'un des ouvrages de Camille Rougeron (La Prochaine Guerre, Paris, Berger-Leuvrault, 1948, 358 pages), nous nous sommes intéressés aux leçons qu'il prétendait tirer des combats de la Deuxième guerre mondiale au sujet de ce qu'il nomme L'économie agricole (pp. 137-154). Dans "La prochaine guerre", il mêle des considérations aussi bien du temps de paix que du temps de guerre pour nous proposer une considération stratégique de l'agriculture au service de la Défense nationale.

Le propos introductif de Camille Rougeron se tient dans un constat simple et cruel pour l'Europe de la Deuxième guerre mondiale. Selon lui, les deux pays les mieux nourris du conflit furent la Grande-Bretagne et la Suisse. Il disserte sur quelques considérations nutritionnelles pour nous relater les erreures souvent commises. Ainsi, il considère que "nous" - son propos est d'une rare actualité - nous focalisons sur le pouvoir énergétique de la ration qui, dans le meilleur des mondes, devrait avoisiner les 2000 calories.

Cependant, il cherche à montrer que sans une étude approfondie des aliments que nous ingérons et de leurs bienfaits, nous pouvons aboutir aux pires méfaits à ration égale. Les insuffisances qualitatives en calcium, vitamines et matières azotées, pour reprendre son vocabulaire, peuvent être la source de tuberculose, rachitisme ou d'un arrêt de la croissance. "L'orange n'est pas la source indispensable de vitamines A et C ; carottes et pommes de terre en fournissent en abondance, à bien meilleur compte" (p. 139). "Un naturiste américain fit la démonstration qu'on pouvait fort bien vivre, sans perdre forces ni poids, avec les herbes les plus variées." (p. 139) 

Il ne serait pas trop douteux d'avancer que les préjugés sur notre alimentation, en particulier en France, sont à l'opposé de nos besoins nutritionnels véritables. Mais quand nécessité fait loi, par exemple, en temps de guerre, il s'agissait de savoir si une population pouvait s'adapter. Les Britanniques et les Suisses réussirent pour Rougeron. 

Optimiser la production agricole sur le sol national 

Camille Rougeron propose une réappropriation de l'espace nationale afin d'optimiser la production agricole aux nécessités du temps de guerre. Son propos n'est pas sans incidence sur le temps de paix, loin de là. Il proposait un axiome :
  • région densément peuplée : réduction de l'élevage ; 
  • région faiblement peuplée : développement de l'élevage.
Ce choix entre l'élevage et une production vivrière est formulé par Rougeron à travers cette affirmation : "le demi-hectare qui nourrit l'homme et sa famille entretiendrait à peine la vache du même poids total." (p. 146)  Raison pour laquelle "Les vallées et les plaines les plus riches devront être affectées à la production du blé, de la betterave, de la pomme de terre ; le reste à l'élevage et à la forêt." (p. 141). Il remarquait que, en raison des besoins en eau du blé, il était grand temps d'en cesser l'exploitation en Afrique du Nord. Osons appliquer une telle sentence à l'encontre du maïs. Par contre, il n'expliquait pas l'intérêt de la forêt dans sa réflexion stratégique. 

L'incidence stratégique des actifs agricoles

La part de la population agricole dans la population active a une incidence stratégique considérable selon l'auteur. Il s'interrogeait à propos de l'échec de Lénine en matière d'agriculture alors que, dans le cadre d'un régime communiste où la production agricole était collectivisée, tout portait à croire que l'entreprise ne pouvait qu'être une réussite. "La possibilité d'action sur l'agriculture se mesure avant tout à la proportion des habitants qui en vivent quelle que soit la variété de totalitarisme ou de démocratie qui essaie de leur imposer ses lois. Hitler a réussi là où Lénine échouait, parce que moins du quart de la population allemande cultive la terre, et que cette part était des neuf dixièmes dans la population russe de 1917." (p. 144) Deux conséquences : 
  • les paysans ne peuvent absorber l'ensemble des produits de la ferme, ils ne peuvent que chercher à les vendre (tandis que les paysans soviétiques, n'obtenant pas toujours ceux à quoi ils pouvaient prétendre, préféraient conserver leur production, voire la stocker) ; 
  • il y a besoin d'un intermédiaire entre l'homme et sa production : le kolkoze (sans parcelles réservées au membre du parti plus égaux que les autres) ou la grande ferme anglo-saxonne.
 Détruire les récoles adverses 

Camille Rougeron établit une liste, non-exhaustive, des moyens d'atteindre et de diminuer le potentiel agricole de l'ennemi :
  • les armes incendiaires, particulièrement adapté selon lui dans les régions au climat plutôt sec et chaud ;
  • les armes biologiques (plaies et fléaux (sauterelles), destruction des écosystèmes (introduction d'espèces étrangères au sol visé, etc) ; 
  • les armes bactériologiques (les différentes fièvres et maladies touchant les élevages). 
Ce sont, pour au moins deux catégories sur trois, des armes qui pourraient être aujourd'hui qualifiées "de destruction massive".

Il établissait, également, deux lois générales pour différencier la sensibilité des pays :
  • raison inverse du degré de civilisation (nécessaire disposition d'une industrie chimique, de procédés de traitement : exemple des Etats-Unis face à l'Europe dans le cas des maladies touchant les élevages à cette époque) ;
  • sensibilité particulière des régions dont la production ne dépasse pas les besoins de leurs habitants (cf. Hitler contre Lénine).
Enfin, l'auteur nous propose trois parades :
  • dispersion des exploitations ; 
  • stockage individuel et collectif des vivres en temps de paix ; 
  • éloignement des exploitations (tout en considérant la difficulté à trouver une profondeur stratégique selon la géographie nationale).



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