31 juillet 2018

TLM : disparition de la "salle des torpilles" ?



L'innovation apportée par l'ensilotage des diverses munitions des sous-marins, en particulier les missiles à changement de milieu, sans oublier les drones, amène à s'interroger sur la pertinence d'en faire de même avec les torpilles. Le tir horizontal des torpilles dans l'axe de la proue est un héritage plus qu'un besoin fondamental dans les perspectives actuelles : les torpilles à grande autonomie ou très grande portée. Néanmoins, supprimer la "salle des torpilles" - ou soute à armes tactiques - à l'avant dans sa configuration actuelle pourrait autant simplifier l'architecture des sous-marins que soulever quelques défis techniques à relever et quelques contraintes opérationnelles à réduire pour ne pas dégrader la signature acoustique des bateaux.


La disposition des Tubes Lance-Torpilles (TLT) à bord des submersibles et sous-marins est le fruit de l'évolution de l'art de la guerre sous la mer. Il est remarquable de noter l'exploit du CSS Hunley qui parvenait à faire détonner sa charge fixée au bout d'un éperon contre la coque du sloop USS Housatonic (17 février 1864). Par la suite, les premiers submersibles et sous-marins étaient en réalité des torpilleurs submersibles et le premier archétype en était le Narval (1899 - 1909) de Maxime Laubeuf.  Depuis, la disposition des TLT est relativement riche puisqu'ils peuvent être simplement intégrés dans l'axe de part et d'autre de la proue, si ce n'est dans la proue elle-même. Indépendamment de la disposition à l'avant, il est possible d'avoir des TLT intégrés à l'arrière soit tirant vers l'avant et selon un angle d'environ 45 degrés, soit tirant vers l'arrière. Sans oublier certains bateaux ayant des TLT tirant... par le travers !

Ce sont bien les armes et les distances prévisibles du combat sous-marin qui dictent la disposition de ces TLT puisque faute d'armes guidées - avec des torpilles à détonation magnétique, etc -, il s'agit de placer la torpille sur la route du but tout en facilitant la rencontre entre les deux. D'une autonomie de seulement plusieurs milliers de mètres jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, les distances au combat sont relativement courtes et il n'est pas toujours possible pour le sous-marin d'esquiver ou de se dérober devant un ennemi, si bien qu'en auto-défense il s'agit de pouvoir parer au plus pressé avec un "tir tendu" contre le premier venu afin de ne pas avoir à manœuvrer, tout du moins de ne pas se retrouver pris en défaut de ne pas pouvoir le faire. D'où cette richesse du nombre de TLT et de leurs dispositions.

Après la Deuxième Guerre mondiale, au fur et à mesure de l'évolution technique des torpilles puis des sous-marins eux-mêmes, le tir horizontal par l'avant du bateau se généralise et devient le standard des forces sous-marines de par le monde. La grande évolution est la création d'une zone de sécurité autour du sous-marin lanceur au sein duquel une torpille n'est pas "activée" afin d'éviter qu'elle se retourne contre son propre bateau.

C'est le principal senseur des sous-marins - c'est-à-dire le sonar - qui peu contraindre à déplacer les TLT latéralement ou bien à "étager" les TLT et le sonar sur deux plans différents pour partager le volume de la proue. Depuis que la torpille automobile est guidée par ses senseurs propres ou alignés tout au long de sa course via un filoguidage, le tir par l'avant n'est plus indispensable. En particulier dans le cas d'un combat sous-marin où les bateaux manœuvrent pour faire défiler le but adverse tout en essayant d'éviter de se retrouver dans les zones d'écoutes de l'adversaire ou bien que celui-ci se glisse sans ses propres baffles. Si bien que le tir par l'avant est un avantage tactique pour le chasseur qui peut mettre à l'eau la torpille dans le sillage ou par le travers du sous-marin adverse. Avantage réduit s'il s'agit de lancer contre un but de surface puisque la torpille et prévue pour détonner sous la coque : l'azimut compte moins.

Par ailleurs, si le nombre de TLT se concentre à l'avant, leur nombre demeure plutôt modéré : entre quatre et huit dans la moyenne mondiale, cela dépend de l'ambition de chaque marine a lancé une salve plus ou moins grande. Et encore, certains dispositifs permettent d'accélérer le rechargement des tubes et donc de compenser ou d'optimiser le nombre de TLT. Si bien que le nombre d'armes tactiques se concentre à la pointe avant dans un espace qu'il est difficile d'étendre entre le PCNO et les postes d'équipage situés plus ou moins sous le massif et le sonar à l'extrême avant.

Aussi, cette héritage qui innerve l'architecture des sous-marins est une contrainte très importante puisque le nombre d'armes est limitée et il faut des bateaux d'un très fort tonnage (classes Seawolf, Virginia, Type 885 Iassen, etc) pour atteindre un nombre d'armes emporté similaire aux bâtiments de surface. Mais, et peut-être surtout, les soutes à armes tactiques sont une contrainte systémique quant à la conception des armes sous-marines puisque le diamètre des tubes et les méthodes de lancement permettent difficilement de s'en passer. Il y a, en général, les tubes de 550 et 650 mm, ces derniers étant beaucoup plus rare.

C'est pourquoi le début de la polyvalence des Tubes Lance-Missiles et leur abandon de la spécificité balistique nucléaire amène à les considérer pour le stockage et le tir des torpilles. Il ne semble pas y avoir d'obstacles techniques insurmontables pour un tir vertical en lieu et place d'un tir horizontal. Par contre, il y aurait une contrainte opérationnelle supplémentaire car pour tirer la torpille il s'agirait d'ouvrir et la porte du TLM et celle du TLT, deux mécanismes relativement lourd et donc potentiellement bruyant. Et il s'agirait de réussir à stocker pendant de nombreuses semaines des torpilles dans des TLT ensilotées sans pouvoir les visiter. Leur surveillance par des senseurs serait indispensable tandis qu'un éventuel problème sur la batterie imposerait des mesures radicales pour évacuer le danger. C'est toute une chaîne à reconsidérer et à reconstruire.

Mais quels seraient les avantages d'un changement radical de méthode de lancement des torpilles ?

Le premier des avantages serait comme cela a été sous-entendu de ne plus s'astreindre au diamètre des TLT mais bien à celui des armes sous-marines elle-même dans la limite du diamètre des TLT. Entre 0,55 et 0,65 mètres (TLT) d'un côté et 2,2 mètres (TLM) de l'autre, il devient envisageable de libérer des marges de manœuvres pour de nouvelles torpilles, de nouvelles formes, etc. La conséquence pourrait être une rupture entre bâtiments de surface et sous-marins qui disposaient des mêmes torpilles lourdes. Les TLT des premiers n'étant plus sur le pont mais intégrés aux superstructures ou à la coque sont plus difficilement adaptables. Mais une telle évolution libérerait les sous-marins pourvus des contraintes pré-citées, ce qui leur ouvrirait grand les portes des combats à grande portée.

Le deuxième avantage serait de se libérer des contraintes de gestion des volumes d'avant des sous-marins afin de mieux exploiter tout le volume utile du bateau. Là où il s'agissait d'intégrer le maximum d'armes dans un espace très contraint à proximité immédiate et du PCNO et des postes d'équipage, le risque peut être mieux réparti dans tout le sous-marin. En conséquence de toi, cette meilleure répartition géographique ouvre la porte à un compartimentage plus serré.

Le troisième avantage est simultanée au premier : il devenait très coûteux d'entreposer un maximum d'armes tactiques à l'avant du bateau, la possibilité de mieux les répartir tout le long de la coque épaisse imposera un allongement onéreux du sous-marins. Mais celui-ci sera peut-être moins coûteux que l'architecture actuelle pour entreposer des armes au mètre linéaire. Sachant qu'une diminution de l'avant du bateau entre le sonar et le PCNO peut être attendu.

Le quatrième avantage est donc l'augmentation facilité du nombre d'armes à bord puisqu'un Virginia (Block I à IV) atteindra les 65 armes et non plus "seulement" 37 par une augmentation de 1800 tonnes. Il serait très avantageux de calculer le coût d'un tel bateau à seulement 40 armes sans les 37 à l'avant. Ce qui ouvre, aussi, la discussion au fait de savoir quelle sera la longueur optimale d'un TLM pour SNA puisque plus elle sera petite, plus il sera possible d'insérer deux rangées de TLM plutôt qu'une seule. Un Virginia Playload Module (VPM) ainsi configurée emporterait 56 UGM-109 Tomahawk et non plus 28.

Et cette remarque renvoie à la question de l'avantage intrinsèque du SNLE vis-à-vis du SNA pour l'embarquement du nombre d'armes à tonnage égal. Avec deux rangées de TLM sur le premier et non pas une seule, il y matière à atteindre des chiffres extra-ordinaires à nombre égal de bateau.

Cinquième avantage, déjà détaillé : la conception des torpilles deviendrait relativement plus libre qu'à l'heure actuelle.

Sixième avantage, et non des moindre : les opérations de chargement et rechargement en armes tactiques serait probablement plus simples et rapides que celles consistant à charger torpille par torpille via un accès spécial à la soute à armes tactiques.

Au final, il est question d'atteindre la polyvalence totale des TLM pouvant emporter aussi bien des armes sous-marines pour le milieu éponyme ou bien des armes à changement de milieu. Il serait envisageable de simplifier l'architecture du bateau, de réduire contraintes et risques à la proue tout en densifiant sa puissance tactique et en multipliant les possibilités au même niveau tactique. Sur le plan stratégique, des sous-marins plus polyvalent par les armes emportées car conçues avec plus de libertés et disponibles en plus grand nombre procurera un avantage décisif aussi bien dans la posture que dans l'emploi tant en diplomatie navale qu'en temps de guerre.


1 commentaire:

  1. je pensais intuitivement que le chasseur avait un intérêt à tirer dans son axe pour diminuer sa signature sonar. Tirer en perpendiculaire expose beaucoup plus.

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