30 juillet 2018

TLM : une diffusion limitée ?


© Inconnu


Il en ressort que le Tube Lance-Missile (TLM) alors apanage des SNLE (Sous-marin Nucléaires Lanceur d'Engins) devient au cours du premier tiers du XXIe siècle le nouveau moyen d'intégrer des munitions en nombre à bord des vaisseaux noirs. Il en ressort plusieurs conclusions possibles dont l'une qui n'est pas moindre et qui serait, tout bonnement, la fin des tube lance-torpilles installées à la proue ou de part et d'autre de cette dernière. Une autre, et tout aussi majeur, est qu'il semble se dessiner une course analogue au tonnage et à la vitesse comme celle ayant mêlée cuirassés et croiseur-cuirassés. Au final, le premier a effacé le deuxième par densification de la puissance des appareils propulsifs. Enfin, cette dénucléarisation du TLM achève d'enlever le caractère spécifiquement balistique de cette installation pour le rendre polyvalent. Et la polyvalence totale ne sera atteinte que quand il sera pensé, conçu et produit un système aussi bien pensé - non pas comme les VLS (Mk 41, Sylver, etc) - que le MLRS. Le combat en ligne de file reviendrait-il ?

Les premiers sous-marins porteurs de l'arme atomique disposent alors d'engins aérobies, c'est-à-dire de missiles de croisière qui prennent l'apparence de jet (Regulus I et II) quand ce n'est pas celle des V-1 allemands (MALAFACE, MALAFACE Marboré). Ces dispositifs opérationnels affichent assez rapidement leurs contraintes : le bateau doit faire surface pour pouvoir lanceur seulement un à trois engins selon ce que le sous-marin peut porter. Et encore, cela nécessite plusieurs dizaines de minutes avant de pouvoir tirer. Même à une époque sans satellite, c'est assez long.

Une autre filière émerge : les missiles balistiques. Elle démontrera très rapidement sa supériorité. Les Soviétiques envisagent par le truchement du Projet P-2 (1949) un sous-marin capable de lancer engins balistiques et de croisière. Mais ce sont finalement les Américains qui prendront une longueur d'avance via le Georges Washington, l'aîné de sa classe. Lancé le 9 juin 1959 et armé le 30 décembre de la même année, il incarne le SNLE qui tendra à devenir générique dans le monde : une coque Albacore, un massif à l'avant, une tranche missile au milieu et une double-coque pour coiffer des tubes dépassant presque allègrement le plus fort diamètre de la coque.

Il s'agira dès lors de bien distinguer les sous-marins de chasse qui émergent pendant la Deuxième Guerre mondiale des SNLE/SSBN (Sub-Surface Ballistic Nuclear) qui sont le support principal de la dissuasion atomique. En effet, un SNLE peut surtout lancer ses missiles atomiques en immersion et donc s'approcher de l'adversaire tout en multipliant les vecteurs possibles de frappe, étendant d'autant les zones de patrouilles.

Le Tube Lance-Missile est le "héros" discret de cette évolution fondamentale dans les forces sous-marines. Il s'agit d'un dispositif permettant d'accueillir un missile balistique appartenant à la catégorie des MSBS (Mer-Sol Balistique Stratégique)/SLBM (Submarine Launched Ballistic Missile). Cet engin devient l'élément central guidant la conception du SNLE puisqu'il est toujours la plus grande hauteur autour de laquelle sera conçue le reste de la coque. Le réacteur nucléaire arrière en second au niveau des équipements dimensionnant le diamètre de la coque. Dans la majeure partie des cas, le TLM dépasse le diamètre de la coque résistante - soumise à la pression - et est coiffé par la coque hydronamique afin de lisser l'ensemble.

Le TLM n'est "qu'un" élément de la coque résistante dont la seule fonction est d'accueillir un MSBS jusqu'au jour où il faudra procéder à son tir pour essais ou pour parcourir les deux dernières minutes jusqu'à minuit. Héros discret car tous les feux sont braqués sur l'engin balistique. Cela en faisait un équipement presque totalement spécifique aux SNLE et à l'utilisation spécialisée, si ce n'est exclusive, aux MSBS. Dès lors, et faute d'intérêt tactique, sa diffusion est limitée par le peu d'attrait. D'une part, et puisque c'est une capacité résistante, il n'est pas possible d'acquérir cet équipement par ses propres moyens sans réussir à pouvoir usiner des tôles de coque résistante. De l'autre, s'il ne s'agit que de porter des MSBS, sous-entendu à tête(s) nucléaire(s), il n'y avait pas d'intérêt sans être une puissance nucléaire. Même les "parapluies nucléaires" se limitaient aux composantes aéroportées, bien moins coûteuses.

Hormis quelques utilisations très anecdotiques, les TLM restent voués à la seule dissuasion nucléaire. Cette capacité à tirer sous l'eau est le fondement technique et opérationnel de la capacité de seconde frappe qui assure la crédibilité de n'importe quelle doctrine nucléaire. Le traité START II imposait la réduction à 12 SNLE dans l'US Navy. L'oisiveté étant la mère de tous les vices, c'est bien le désarmement de leur mission nucléaire de quatre SNLE de classe Ohio qui offre à l'opportunité à l'US Navy de les réassigner à de nouvelles missions, toutes conventionnelles. Une refonte est alors donnée à cette fin entre 2002 et 2008 qui touche les USS Ohio (SSGN-726), USS Michigan (SSGN-727), USS Florida (SSGN-728) et USS Georgia (SSGN-729). Sur les 24 TLM, 22 servent à embarquer des UGM-109 Tomahawk à raison de 7 par tube, soit la bagatelle de 154 T-LAM par bateau. A titre de comparaison, les huit Los Angeles Flight II et 23 688I (Improved Los Angeles) embarquent 372 Tomahawk, soit 12 par bateau. Quatre Ohio refondus représentent 616 missiles. La capacité en missiles de croisière du Silent service a été multiplié par 2,6 avec seulement quatre bateau là, où, pour deux bateaux remplacent presque nombre pour nombre les missiles de 31 Los Angeles.

Cette première profanation du temple nucléaire des SNLE commence alors à se diffuser puisqu'il est jugé plus productif d'installer des silos verticaux pour missiles dans des TLM plutôt que d'intégrer directement les silos entre coques résistantes et hydrodynamiques comme pour les Los Angeles Flight II, Improved Los Angeles et Virginia Block I et II. Non seulement deux TLM de six UGM-109 Tomahawk arrivent sur les Virginia Block III et IV. Le concept est même poussé encore plus en avant puisque les Block V disposeront du Virginia Playload Module. Compartiment standardisé, dans le même ordre d'idée que les CMC des Columbia et Dreadnought. Il contient quatre tubes embarquant chacun sept silos, portant la capacité en armes du bateau à 65 torpilles et missiles contre "seulement" 37 (25 dans la soute à armes tactiques plus 12 T-LAM dans les VLS) sur les Virginia des Block I à IV.

C'est une progression de 75% du nombre d'armes contre 1800 tonnes exigées pour allonger le bateau. Les Block V remplaceront les Ohio refondus et le feront peut être à meilleur coût que la construction de Columbia spécifiquement dédiés à devenir des SSGN tandis que, contre un nombre d'armes moitié moindre, la capacité renforcée en missiles de croisière se diffusera sur un nombre plus grand de bateau, renforçant d'autant la résilience de la Flotte tout en démultipliant les possibilités de concentration.

C'est bien une nouvelle norme qui semble émerger puisque l'US Navy s'interroge sur une poursuite de la production de Virginia Block V via les Block VI et VII. Par ailleurs, ces TLM portant des missiles aérobies dans des conteneurs ensilotés innervent les ingénieurs d'autres chantiers puisque rien que sur les A26 de Kockums et SMX Ocean il était possible d'apercevoir de tels TLM emportant leur lot de munitions.

Mais, là, où, les refontes des Ohio ouvrent la voie et à l'intégration de missiles de croisière, et à des installations pour plongeurs et autres nageurs de combat, l'évolution technique et opérationnelle entamée est loin d'être achevée. A vrai dire, il est plutôt attendu que toutes les munitions pouvant être ensilotées et tirées sous la mer puisse être intégrées dans un TLM. En poussant plus loin, des Tubes Lance-Torpilles pourraient suivre ce chemin car cela faciliterait l'augmentation du nombre de torpilles à bord. Et permettrait de tirer depuis d'autres azimuts, ce qui est toujours intéressant en auto-défense. Plus généralement, il se pose d'ores et déjà la question d'un système d'ensemble permettant d'intégrer une grande variété de munitions et de capacités opérationnelles sans multiplier les spécificités techniques propres à chaque chantier, ce qui éviterait, aussi, de multiplier les études et frais pour intégration. D'autant plus que ces tubes configurables augurent d'intéressantes perspectives pour d'autres capacités opérationnelles dont les drones.

Au final, il se dessine un nouvel abaissement des "frontières" entre, d'une part, SNLE et SNA, voire tout simplement sous-marins d'attaque et, d'autre part, entre sous-marins nucléaires et à propulsion classique. Il y a des sous-marins lanceur d'engins à propulsion conventionnelle mais ils sont l'exception et répondent, aujourd'hui, à des rationalités très segmentées. C'est pourquoi il se dessine un horizon dans lequel où le SNLE n'aurait plus de spécifique non plus son tonnage ou ses installations, voire ses armes, mais bien sa mission et ses ogives nucléaires.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire