24 août 2018

Shtorm-KM : projet de porte-aéronefs "léger" STOBAR


Le centre de recherche russe Krylov - auteur du projet 23 000E Shtorm, un porte-avions CATOBAR (Catapult Assisted Take-Off But (ou Barrier) Arrested Recovery) d'environ 100 000 tonnes présenté à Army 2015dévoile un concept de porte-aéronefs "léger" STOBAR (Short Take-Off But Arrested Recovery) lors du salon Army 2018. Avant-projet qui avait semble-t-il "fuité" en 2017 sans que cela ne semble avoir été repris alors. Ce porte-aéronefs "léger" STOBAR apparaît comme une proposition très raisonnable tant sur les plans financier et naval d'un hypothétique remplaçant du porte-aéronefs projet 1143-5 Kuznetsov. Ce serait ce qu'il est possible de faire dans un cadre très contrainte et en ne dépassant par le "porte-aéronefs enveloppe" qu'est le projet 1143-5.

Cette proposition de Krylov est remarquable : s'agit-il d'une simple initiative industrielle face à l'énormité du projet 23 000E Shtorm - issu du même bureau d'études - dont la mesure n'a d'égale que celle du CVN-78 Gerald R. Ford ? La première remarque touche au fait que depuis 2017 ce projet ne semble pas disposer d'un projet et du numéro associé. Mais il serait baptisé, comme le remarque Red Samovar, "Shtorm-KM". Ensuite, une deuxième appréciation de l'apparition de ce porte-aéronefs "léger" pourrait être une tentative de Krylov d'appuyer la mise sur cale d'une unité bien plus modeste dans ses ambitions, sans sacrifier l'utilité opérationnelle : bien au contraire. Mais eu égard au tempo de(s) présentation(s), cela pourrait aussi répondre à un fléchissement, tout du moins à quelques réflexions, de l'état-major de la Marine russe dans le cadre du nouveau plan d'armement (2018 - 2027). "Si l’on tient compte du taux de change – le rouble a été dévalué —, c’est moins que le plan précédent (2011-2020) dont l’enveloppe était à peu près similaire. Alors que le nucléaire est sanctuarisé, certains secteurs seront les parents pauvres, comme la Marine" dixt Igor Delanoë (Jean-Dominique Merchet, "Igor Delanoë : « La défense russe va devoir se serrer la ceinture »", L'Opinion, 8 mars 2018).

Outre le seul angle financier de l'affaire, tout en notant que l'effort de renouvellement de la sous-marinade russe est soutenu tandis qu'il produira son plein effet utile sur la période de ce nouveau plan d'armement, il est aussi question de l'angle adopté par la stratégie navale et maritime russe. Igor Delanoë plaide pour l'hypothèse, assez appuyée par l'exécution du plan d'armement passé et celui à venir, d'une "continentalisation" de la Voenno Morskoy Flot (VMF) réduite à la protection des atterrages avec une capacité de projection régionale et ponctuellement "mondiale". D'où l'intérêt marqué pour observer les plans navals russes vis-à-vis des modernisations - croiseurs des classes Slava et Kirov - et constructions - projet 23 560 Shkval et problématique du nouveau porte-aéroenfs/avions - de nouveaux grands bâtiments de surface. Les unités plus modestes et dotés du missile de croisière naval Kalibr semblant avoir plus le vente en poupe. Ces choix indiquant où et comment les Russes placeraient le curseur entre l'obtention de la maîtrise de la surface et de son exploitation ou bien dans le déni d'accès à certains espaces maritimes dans quel cadre géostratégique.

Ce projet de porte-aéronefs léger se présente via ses qualités nautiques et opérationnelles qu'il est plus commode de commenter successivement :


Projet de
porte-aéronefs léger
Projet 23 000E Shtorm
Propulsion classique (2015)
Projet 23 000E Shtorm
Propulsion nucléaire (2015)
Projet 23 000E Shtorm
Propulsion nucléaire (2017)
Longueur
entre perpendiculaires
(mètres)
260
?
?
?
Longueur
du pont d’envol
(mètres)
304
?
330
330
Maître-bau
(mètres)
38
?
40
40
Largeur
du pont d’envol
(mètres)
78
?
?
?
Déplacement :
(tonnes)
lège
37 000
55 000 ?
80 000 ?
90 000 ?
normal
40 500
65 000 ?
85 000 ?
95 000 ?
à pleine charge
44 000
?
90 000 ?
100 000 ?
Propulsion
(MW)
81
?
II x RITM-200
II x RITM-200
Usine électrique
(MW)
32
?
?
?
Autonomie
(nautiques)
8 000 à 16 nœuds
?
?
?
Vitesse maximale
(nœuds)
28
?
30
30

Eu égard aux caractéristiques énoncées, ce pont plat marcherait grâce à une propulsion classique consommant donc de l'énergie fossile. Les aspirations et échappements nécessaires aux turbines à gaz citées n'apparaissent ni dans l'ilot, ni ailleurs sur les parties visibles. Pourtant, ces échappements doivent être à "angle droit" pour les turbines à gaz, ce qui explique la position de l'ilot, la présence de deux cheminées ou encore les deux l'ilot sur des porte-aéronefs comme le Cavour de la Marina militare et la classe Queen Elizabeth de la Royal Navy, pour ne citer qu'eux

Chose relativement curieuse car ce projet de porte-aéronefs léger est donné pour une propulsion classique et ne présente pas de cheminée(s) visible(s) alors que le projet 23 000E Shtorm en sa version à propulsion nucléaire laisse apparaître de tels échappements au sommet du deuxième ilot, hypothétiquement au bénéfice des moyens de secours en cas d'avarie sur la propulsion. Une clefs d'explication pourrait être d'avancer l'hypothèse que le dessin d'artiste présentant ce nouveau projet de porte-aéronefs STOBAR est pensé et développé avec une version à propulsion nucléaire et une autre à propulsion classique. Ce serait peut être la première qui serait visible, et permettrait ainsi à la Russie de proposer un porte-aéronefs/avions à construire en Inde plus en phase avec les compétences réciproques des deux puissances là, où, le Shtorm (proposition en 2016) semble hors d'atteinte.

Ce porte-aéronefs "léger" se distingue très nettement du projet 23 000E Shtorm en ses deux versions à propulsion classique ou nucléaire. De manière générale, la seule lecture des caractéristiques nautiques laissent apparaître une sorte de version optimisée du projet 1143-5 Kuznetsov. A la manière du porte-avions Charles de Gaulle qui est une version la plus augmentée possible des porte-avions Foch et Clemenceau tout en demeurant dans leur "enveloppe" afin de ne pas engendrer des dépenses d'infrastructures, ce projet de porte-aéronefs léger STOBAR peut apparaître comme la version la plus agrandie possible du Kuznetsov - 270 mètres entre perpendiculaires pour 35 mètres de largeur au niveau de la ligne de flottaison -, tout du moins en ce qui concerne ses caractéristiques opérationnelles en lien avec la mise en œuvre de l'aviation qui ne constitue plus qu'une unique "batterie". C'est l'agencement des caractéristiques opérationnelles et donc tout particulièrement aéronautiques qui explique, contrairement à l'exemple français, que l'optimisation de l' "enveloppe Kuznetsov" se traduit, non pas par une augmentation du tonnage unitaire comme en France, mais bien par sa diminution : chose relativement très rare.

Les caractéristiques opérationnelles pré une "batterie" unique très optimisée quant à la mise en œuvre des aéronefs avec des choix assez originaux :


Projet de
porte-aéronefs léger
Projet 23 000E Shtorm
Propulsion classique (2015)
Projet 23 000E Shtorm
Propulsion nucléaire (2015)
Projet 23 000E Shtorm
Propulsion nucléaire (2017)
Catapultes
Non
?
Oui
Oui
Nombre de catapultes
0
?
2
2
Longueur des catapultes
0
?
?
?
Tremplin
Oui
Oui
Oui
Oui
Brins d’arrêt
Oui
Oui
Oui
Oui
Ascenseurs
Centraux
Latéraux
Latéraux
Latéraux
Nombre d’ascenseurs
3
?
4
4
Nombre d’aéronefs
46
50-55
70
90
Chasseurs-bombardiers
12-14 Su-33K
12-14 MiG -29K/KUB
Su-57
MiG-29K
Su-57
MiG-29K
Su-57
MiG-29K
Avions de guet aérien
4
Oui
Oui
Oui
Drones
?
Skat
Skat
Skat
Hélicoptères
12-14 Ka-27
Oui
Oui
Oui
Munitions
600 t
?
?
?
Carburéacteur
2 000 t
?
?
?

Il ne s'agit pas d'un fait original mais cela reste notable qu'il s'agit d'un "pur" porte-aéronefs débarrassé des contingences d'une deuxième batterie comprenant des missiles ensilotés à la manière des projets 1143, 1153, 1143-5 et de l'Ulyanovsk. L'orientation retenue en faveur d'un pont plat à unique batterie composée d'aéronefs est relativement récente et se confirme, au moins, avec le projet 23 000E et celui-ci. Mais contrairement à l'Ulyanovsk et au Shtorm, il ne s'agit pas d'un bateau hydride mêlant les filières STOBAR et CATOBAR : pur STOBAR comme les porte-aéronefs 1143-5.

Un ensemble de choix architecturaux - outre l'absence de la deuxième batterie pré-citée - explique le tonnage de 44 000 tonnes - et une quille très centrée supportant un très important pont d'envol ? - à pleine charge nettement moindre que les 58 000 tonnes du Kuznetsov :

Premièrement, tous les ascenseurs pour aéronefs ne sont pas latéraux mais pratiquement dans l'axe du navire tout en étant eux-mêmes contenu dans un même axe relativement court. Sur le plan nautique, cela veut dire que dans des conditions météorologies, et donc face à un état de mer peu favorable, la circulation des aéronefs entre le hangar et le pont d'envol sera bien moins perturbé que sur les ponts plats avec ascenseurs latéraux.

Il est possible de supputer que leur "centralisation" peut amener à une économie sur le tonnage général avec des installations de plus faibles dimensions et des contraintes moindres "dans les hauts" tout en ayant une influence très faible sur le pont d'envol auxquels ils n'apportent qu'assez peu de contraintes.

Cet alignement des ascenseurs laissent deviner la mise sur le pont d'envol de trois chasseur-bombardiers prêts à rejoindre, respectivement dans l'ordre des ascenseurs, chacune des trois pistes de décollage face au tremplin. Là aussi, la solution retenue semble optimiser la vitesse de circulation des aéronefs. A contrario, il y a matière à se demander si après l'appontage la circulation est aussi aisée.



Deuxièmement, Leur dimensionnement visible sur la maquette numérique souligne leur relative étroitesse qui impose des ailes repliables. Le PAK-FA ou Su-57 de plus de 30 tonnes de masse maximale au décollage à une envergure de 14 mètres, plus petite de quelques dizaines de centimètres que celle du Su-33. Les marges d'évolution semblent inexistantes... !

Troisièmement, ces trois ascenseurs - contre 4 pour le Shtorm ou 2 pour le Kuznetsov - ne portent qu'un seul Su-33K ou Mig-29K/KUB là, où, sur le projet 23 000E il pourrait être possible d'en porter deux. Ces trois ascenseurs dénotent le maintien d'une certaine ambition dans la cadence de la salve.  Trois aéronefs peuvent être injectés sur le pont d'envol à chaque rotation des ascenseurs contre quatre, par exemple, sur le porte-avions Charles de Gaulle avec... deux ascenseurs latéraux. Il a déjà été souligné combien la position des ascenseurs facilitait l'accès aux pistes des avions.

Quatrièmement, l'architecture autour d'un "pur" STOBAR implique l'absence de catapultes et donc une nouvelle économie de poids puisque, par exemple, les catapultes C13-90 américaines auraient une masse voisine des 200 tonnes chacune : ce serait donc près de 400 tonnes dans les hauts d'économiser et peut-être un pont d'envol aminci, par la même occasion.

Cinquièmement, et c'est un fait très notable : les deux pistes "courtes" ne coupent pas la piste oblique, de sorte que la capacité "CATAPO" (catapultages" et appontages simultanées) peut être atteinte, laissant entendre une nouvelle fois l'accent mis sur la cadence de la salve qui pourrait s'avérer élevée. Reste qu'il y a de quoi se demander s'il est possible d'apponter puis de se dégager pour un chasseur embarqué jusqu'au parking sans perturber les opérations de décollage sur la zone avant, derrière le tremplin.

Sixièmement, si la "poutre-navire" demeure comprise dans des dimensions très similaires à celles du Kuznetsov à la ligne de flottaison, c'est surtout le pont d'envol qui paraît avoir été porté en superficie au paroxysme de ce qu'il était techniquement possible de faire. A la manière, une fois encore, de la transition entre les Clemenceau et Foch et le porte-avions Charles de Gaulle (superficie du pont d'envol portée de 8800 à 12 000 m²). Les parkings semblent concentrées entre la piste oblique et la zone avant.

Dans cette perspective, l'ilot du porte-aéronefs semble très optimisé en ce sens que son empreinte sur le sol paraît assez réduite avec une longueur, d'environ, deux à deux chasseurs et demi. D'une certaine manière, ce serait peut être retrouver la même préoccupation que celles des autorités chinoises puisque le Type 002 a un ilot redessiné permettant de gagner une place de parking pour un J-15 sur le pont.



Dans un autre ordre d'idée, la proue supportant dans le tremplin peut sembler plus fine que celles des prédécesseurs. Une chose à peut être mieux observer.

Enfin, l'armement du pont plat se limite à des systèmes de courte et très courte portée là, où, les porte-aéronefs soviétiques étaient, aussi, des croiseurs lance-missiles. La rupture est une nouvelle fois consommée sans être la première. Cela participe de manière non-négligeable à un devis plus réduit et à un devis de masse moindre.

Dans l'ensemble, ce porte-aéronefs semble être l'optimisation la plus poussée et la moins coûteuse de ce qu'il est possible de faire dans l' "enveloppe" du Projet 1145-5 Kuznetsov. Il ne s'agirait pas d'une évolution du projet 23 000E Shtorm à propulsion classique car les choix architecturaux tendent à dessiner un projet parallèle. A moins que ce ne soit celui-ci et qu'une rupture, somme de tous les choix, soit intervenue entre deux avant-projets.
Bien des choix techniques visibles et communiquées laissent deviner un gain de poids, une dépense moindre ou les deux à la fois. Ce projet de porte-aéronefs léger ne devrait pas avoir une incidence plus importance sur les infrastructures navales russes. C'est une proposition très similaire dans l'esprit à l'adaptation franco-française du CVF-FR entre 2007 et 2011 pour atteindre les objectifs opérationnels définis par l'EMM et l'EMA tout en diminuant drastiquement les coûts. La problématique des ascenseurs et l'absence de catapultes amènera à revisiter la capacité à durer dans le temps de la génération émergente d'avions de combat et donc comment sera repoussée l'obsolescence d'un futur pont plat russe.

Ce projet de porte-aéronefs STOBAR pourrait peut être mis sur cale dans le cadre du plan d'armement (2018 - 2027) dans le cadre de certaines hypothèses navales et donc financières. Cela dépendra des crédits alloués à la VMF et des choix effectués, notamment entre les croiseurs lance-missiles et l'avenir de l'aéronavale russe. Une capacité océanique et une permanence aéronavale ne sont pas hors d'atteinte si les efforts ne sont pas dispersés (projet 23 560 Shkval contre Gorshkov-M, à tout hasard).


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