24 octobre 2019

Classe Amiral Ronarc'h


La cérémonie de la découpe de la première tôle de la tête-de-série du programme des Frégates de Défense et d'Intervention (FDI) sous le haut patronage de la ministre des Armées, Mme Florence Parly, est intervenue à midi ce jour. L'Amiral Ronarc'h emmènera une rare classe des amiraux (cinq frégates livrées entre 2023 et 2029) au message politique fort et lisible. La phase d'industrialisation ayant officiellement débuté, l'attention se porte sur la prochaine classe... !

Le programme des Frégates de Taille Intermédiaire (FTI) serait le résultat de l'avancement du programme Navire de Combat du Futur (NCF) devant servir au remplacement des frégates de la classe La Fayette. Bouleversement du calendrier de la programmation opéré afin de soutenir la base industrielle et technologique de défense : le maintien des compétences des bureaux d'études et des chaînes de production permettant l'assemblage de frégates à Lorient.

Ainsi, la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2014 - 2019 arrêtait un objectif de six FREMM (Aquitaine (2015 – 2045 ?), Provence (2016 – 2046 ?), Languedoc (2017 – 2047 ?), Auvergne (2018 – 2048 ?), Bretagne(2019 – 2049 ?), Normandie (2019 – 2049 ?) livrées sur la période plus deux unités de défense aérienne (Alsace (2022 – 2052 ?) et Lorraine (2023 – 2053 ?) à réceptionner par la Marine nationale au début de la LPM suivante. "Pour les trois suivantes [FREMM n°9, 10 et 11], qui seront livrées d'ici à 2025, leur type pourra être adapté, en fonction de l'analyse du besoin et du marché, la décision étant prise au plus tard en 2016" détaillait alors cette LPM.

Le 29 mai 2015, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian annonce que sa décision est prise de réduire la cible du programme FREMM de 11 à 8 unités et la commande future de cinq frégates de taille intermédiaire. C'est le 21 avril 2017 que le programme est notifié à Naval group après que le comité ministériel d'investissement se soit prononcé en sa faveur. La première tôle est découpée le 24 octobre 2019. Quatre années seulement se sont écoulées entre la décision politique d'engager le programme et le début de la construction de la première frégate : une gageure.

Il est alors bien dit que les Frégates de Taille Intermédiaire remplacent les FREMM n°9, 10 et 11 tout en ajoutant deux frégates supplémentaires afin d'atteindre les plans de la maquette arrêté par le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale 2013 soit 15 frégates de premier rang (deux frégate classe Forbin, huit frégates classe Aquitaine et cinq FTI). Donc : non, les FTI ne remplacent pas les frégates de classe La Fayette.

Il ne restait plus qu'à connaître les noms de cinq frégates composant ce programme. L'Amiral Christophe Prazuck concluait l'éloge funèbre prononcée en l'honneur de l'Amiral Louzeau en affirmant que pour sa « mémoire reste vive parmi nous, je proposerai à la ministre des Armées qu’un bâtiment de combat puisse un jour porter son nom. ». Ce premier signal était suffisamment précis pour conclure que l'hypothèse la plus forte était le programme des Frégates de Défense et d'Intervention. Eu égard aux règles et traditions gouvernant la manière de nommer, en France, les bâtiments de guerre il n'en fallait pas plus pour conclure à une série des amiraux.

Avant même le discours de la ministre des Armées devant être prononcé en prélude à la découpe de la première tôle, son pupitre arboré d'ores et déjà le nom de la tête-de-série : Amiral Ronarc'h. Et la ministre, sans dédire son pupitre, d'énoncer les noms des quatre frégates suivantes qui seront baptisées dans cet ordre : Amiral Louzeau, Amiral Castex, Amiral Nomy et Amiral Cabanier en les présentant comme des bâtisseurs de la Marine.

L'ordre n'est pas chronologique et est le signe des discussions ayant eu trait à l'intérêt d'honorer ainsi l'Amiral Louzeau et de laquelle des cinq frégates porterait son nom. Une autre piste aurait été de proposer une classe Amiral Louzeau mais tel n'a pas été la décision finale. Autrement dit il y a manière à s'interroger sur l'éviction d'un nom au profit de l'Amiral Louzeau. Et si tel avait été le cas : lequel n'a-t-il finalement pas été retenu ?

Il convient de noter qu'il s'agit de noms de bâtiments comprenant l'appellation correspondant au grade. Ce serait une distinction dans la typologie des noms car les marins illustres dont la mémoire appartient au panthéon de la Marine sont honorés par des bâtiments portant leur seul patronyme. La mémoire de marins distingués par un bâtiment à leur nom sont habituellement tombés au champ d'honneur au cours d'une guerre mondiale et sont cités de cette manière en exemple pour les générations contemporaines de la geste afin qu'ils servent d'exemple. Mais ces noms ne sont pas transmis à un autre bâtiment.

Les précédents bâtiments ayant porté des noms d'amiraux, appellation comprise, furent un croiseur-protégé de deuxième classe, l'Amiral Cécille (1880 - 1907), le croiseur-cuirassé Amiral Charner (1894 - 1916) qui donnait son nom à une classe, un autre croiseur-cuirassé du nom d'Amiral Aube (1904 - 1922) appartenant à la classe Gloire et un torpilleur transféré par l'Allemagne au titre des dommages de guerre : l'Amiral Sénès (1920 - 1936).


Amiral Ronarc'h

Le vice-amiral Pierre-Alexis Ronarc'h (22 février 1865 - 1er avril 1940) est une figure incontournable de la participation des marins de celle qui s'appelait alors l' "Armée de Mer" à la Grande guerre. Il reste dans la mémoire nationale pour les actions héroïques sur le front de l'Yser (7 août 1914 - novembre 1915) de la brigade des fusiliers marins souvent baptisée de son nom où beaucoup se sacrifièrent (3000 marins tombés (morts, blessés et disparus) sur les 6500 de la brigade.

C'est le deuxième hommage rendu à la Marine nationale à ces combats après que le troisième Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC) - aujourd'hui Porte-Hélicoptères Amphibie (PHA) depuis le 1er janvier 2019 (Dossier d'Informations Marine) - ait été baptisé Dixmude (2012 - 2042 ?) du nombre de la célèbre bataille mené dans cette commune embarquée dans la bataille du front de l'Yver.

Mais l'Amiral Ronarc'h était aussi l'un des grands artisans, si ce n'est le premier, à édifier le dispositif de lutte anti-sous-marine dans l'océan Atlantique. Autre fait remarquable, il a également été CEMM (17 mai 1919 - 1er février 1920). La sixième frégate du programme FLF (La Fayette (1996 - 2026 ?), Surcouf (1997 - 2027 ?), Courbet (1997 - 2027 ?), Aconit (1999 - 2029 ?) et Guépratte(2001 - 2031 ?) devait être baptisée Ronarc'h, 25 ans plus tard la décision prend finalement corps avec la future Amiral Ronarc'h.


Amiral Louzeau

Officier de programme du Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins (SNLE) Le Redoutable (1971 - 1991), commandant du SNLE Le Redoutable (1968 - 1972) lors du premier tir du missile balistique Mer Sol Balistique Stratégique (MSBS) M1, toujours commandant lors de la première patrouille opérationnelle du premier SNLE français, la conception des bateaux successeurs a été assuré sous la direction du vice-amiral d'escadre Louzeau alors CEMM (30 janvier 1987 - 20 novembre 1990) qui a aussi imaginé l'ensemble de l'environnement pour forger l'outil qu'est la composante océanique de la dissuasion nucléaire.

L'Amiral Christophe Prazuck a pratiquemment érigé l'Amiral Louzeau comme l'égal français de l'Amiral Hyman George Rickover (27 janvier 1900 - 8 juillet 1986) considéré unanimement comme le père des sous-marins à propulsion navale nucléaire. Deux sous-marins nucléaires d'attaque des classes Los Angeles Flight I et Virginia Block IV furent baptisés en son honneur : les SSN-709 (1984 - 2006) et SSN-795 (en construction). Le premier des deux étant même baptisé suite au décès de l'Amiral Rickover.

L'amiral français est, au moins, le père dans le récit proposé l'actuel CEMM des SNLE français. Mais puisque ces SNLE sont les premiers bâtiments à propulsion atomique de la marine française en raison de l'échec du Q244 (réplique française du SSN-571 USS Nautilus (1955 - 1980), il peut aussi être dit l'Amiral Louzeau est le père des sous-marins atomiques français et comme l'illustre amiral américain à œuvrer à forger l'outil avant de le transmettre aux nouvelles générations de marins.


Amiral Castex

Ce n'est peut être que le deuxième exemple d'un bâtiment baptisé en l'honneur d'un marin pour avoir œuvré en tout premier lieu à l'édifice intellectuel de la Marine.

L'Amiral Théophile Aube (22 novembre 1826 - 31 décembre 1890) expose dans La guerre maritime et les ports militaires de la France (1882) ses théories proposant une diminution de la part des cuirassés dans l'équilibre de la construction de la Flotte au profit de submersibles, torpilleurs et plus de croiseurs. La Jeune école nait de ses théories et de celles des marins qui le suivent. Son deuxième système hystérise les débats, assurant de la supériorité du "torpilleur autonome" sur le cuirassé : escroquerie intellectuelle. Mais la Grande guerre donne raison à son premier système.

En réaction à la Jeune école apparaît l'école historique menée par les futurs amiraux Darrieus et Daveluy. Réaction de l'orthodoxie navale française pour réaffirmer les principes stratégiques tirés de l'expérience historique du combat naval synthétisée à partir de travaux européens, notamment français, dans The Influence of Sea Power Upon History: 1660–1783 (1890) de l'Amiral Alfred Thayer Mahan.

Le futur Amiral Castex (27 octobre 1878 - 10 janvier 1968) ne se distingue pas particulièrement par son service à la mer et ses commandements comme surfacier, bien qu'il est notable qu'il terminera comme inspecteur général des forces maritimes. C'est bien comme artisan de la pensée navale française qu'il est remarquable :

Il écrit, beaucoup et très tôt. Il rédige un opuscule quant à la défense de l'Indochine dans son environnement régional alors qu'il accompagne un parlementaire en visite dans la colonie française en 1904. Il offre La liaison des armes sur mer alors qu'il n'est encore que lieutenant de vaisseau ou encore Le Grand État-major naval, question militaire d'actualité (1909) toujours pertinent et récemment réédité par l'Amiral Benoit Chomel de Jarnieu. Mais surtout il livre son chef d'œuvre : Théories stratégiques (1929 - 1935) qui assure la synthèse des écoles historique et matérielle.

Ses fonctions à terre permettent à sa pensée d'irriguer la Marine car il a donné de nouvelles fondations au temple de la pensée stratégique devant la guider. Il réforme le service historique de la Marine (1919), forme les officiers de Marine en tant que professeur au Centre des Hautes Études Navales, il est directeur de l'École de Guerre Navale et du Centre des Hautes Études Navales et directeur du Collège des hautes études de la Défense nationale, sans oublier qu'il fonda l'IHEDN.

L'US Navy baptisait pas moins de quatre bâtiments de combat en l'honneur de l'illustre Amiral Alfred Thayer Mahan, à savoir les DD-102 (classe Wickes), DD-364 (tête-de-série de sa classe), le DLG-111 (classe Farragut) et l'actuel DDG-72 USS Mahan, soit le deuxième destroyer Arleigh Burke Flight I. La Marine nationale aura sa frégate Amiral Castex en 2027, première du nom.


Amiral Nomy

L'Amiral Henri Nomy (4 juin 1899 - 2 août 1971) est un marin du ciel. Breveté pilote en 1924 et après plusieurs commandements (deux escadrilles (3B1 (1930) et 3EA (1931), la flottille du porte-hydravions Commandant Teste (1936) et le torpilleur Branlebas (1939) il traverse la Deuxième Guerre mondiale comme marin du ciel combattant depuis le sol de France. Fait prisonnier, Fait prisonnier de guerre, il est libéré en juin 1941. Sert dans un des réseaux de la résistance avant de rejoindre l'Afrique du Nord en 1943.

Il est alors nommé capitaine de vaisseau, il est employé comme sous-chef de l'état-major de la Marine chargé de l'Aéronautique navale. Non seulement il rebattit cette arme mais en plus participe à sa reconstruction : négocie la cession du HMS Colossus par la Royal Navy à la Marine nationale où il servira sous le nom d'Arromanches (1946 - 1974). Par ses fonctions suivantes, il participera à lancer de manière décisive le programme des porte-avions PA54 et PA55 qui devient les Clemenceau (22 novembre 1961 - 1er octobre 1997) et Foch (15 juillet 1963 - 15 novembre 2000).

Mais l'action de l'Amiral Nomy comme CEMM (26 octobre 1951 - 1er juillet 1960) est bien plus large car il est un des principaux, si ce n'est le principal architecte de la Marine de la IVe République : les escorteurs, escorteurs côtiers, rapides et d'escadre permettent de reconstituer les flottilles légères en débarassant la Marine de l'héritage de la guerre, de tout ce qui est obsolète.

Il lance décisivement les programmes de frégates qui doivent être selon lui porteuses d'engins, capables d'agir dans tous les milieux et loin de leurs bases. Autrement dit il formule le paradigme de la frégate hauturière et polyvalente jamais remis en cause depuis.

Il formalise aussi une future Force Atomique qui si elle ne verra pas le jour sous cette forme permet, toutefois, d'engager les premiers essors pour une marine à l'ère atomique : les sous-marins straégiques dont le premier avatar sera le Q244 est un échec très enrichissant et donc relatif qui conduira quelques années plus tard à peine. Les projets de croiseurs à propulsion atomique survivront jusqu'en 1975.

Aviation à terre, embarquée, escorteurs, frégates lance-engins et porte-avions : l'Amiral Nomy lance une Flotte.


Amiral Cabanier

L'Amiral Georges Cabanier (21 novembre 1906 - 26 octobre 1976) embarque sur plusieurs bâtiments de surface après sa sortie de l'École navale (1925) mais a eu l'heure de choisir l'arme sous-marine dès 1932. Il sert sur les sous-marins Achéron (1942 - 1952), Saphir (1930 - 1943), Orion (1931 - 1940) qu'il commande et même à bord du croiseur sous-marin Surcouf (1934 - 1942).
Son deuxième commandement à la mer sera le sous-marin Rubis (1933 - 1949) en 1938. La France signe l'armiste alors que le Rubis est en mission de mouillage de mines en Norvège. De retour à la base le 30 juin, l'équipage et lui-même décide de rallier la France libre pour continuer le combat. Le Rubis et son équipage devienne une légende des combats des Forces Navales Françaises Libres (FNFL). Même ce sous-marin est fait compagnon de la Libération. Deux sous-marins nucléaires d'attaque porte et porteront ce nom (sous-marins nucléaires d'attaque Rubis (1983 - 2020) qui donne son nom à la classe issue du programme SNA 72 et le cinquième bateau (2028 - 2068 ?) de la classe Suffren).

Il finit la guerre dans le Pacifique où il occupe divers postes. Après guerre, il sauve le Rubis d'une bien médiocre fin, c'est-à-dire d'être feraillé pour obtenir au sous-marin d'être coulé avec les honneurs. Il sera chef d'état-major de la Défense nationale avant d'être nommé chef d'état-major de la Marine nationale (1er juillet 1960 - 1er janvier 1968). Ses bonnes relations avec les États-Unis d'Amérique n'ont sans doute pas été inutiles lorsque la France négociait la fourniture d'uranium enrichi pour son programme nucléaire, notamment pour ses applications navales. Il poursuit l'œuvre de restauration entamée par l'Amiral Nomy.

A sa mort, ses cendres seront dispersées là où repose le Rubis.


Le choix de ces cinq noms est une très belle synthèse : un fusilier-marin, deux sous-mariniers, un surfacier et un aviateur. Presque toutes les décennies sont représentées depuis la Grande guerre jusqu'aux années 1980. Deux conflits mondial : l'Amiral Ronarc'h est même distingué l'anniversaire des cent ans de sa prise de fonction comme CEMMA, peut être une dernière manière de marquer le centenaire de la Grande guerre. Ils recèlent plusieurs dénominateurs presque communs à tous : quatre des cinq furent chef d'état-major de la Marine nationale. Deux des trois CEMM ayant eu la plus longue action au cours du XXe siècle - le troisième étant l'Amiral Lemonier (18 juillet 1943 - 31 mai 1950) - font partie de la liste : Nomy et Cabanier, presque dix ans pour chacun d'eux.

Une lecture de leur action permet aussi de dégager qu'ils ont tous agi au pour la construction de la lutte anti-sous-marine soit sur le plan opérationnel (Ronarc'h et Cabanier), soit sur le plan matériel (Nomy et Louzeau) et théorique (Castex). Plusieurs d'entre eux ont œuré à l'entrée de la Marine nationale dans le club très restreint des marines maîtrisant la réaction en chaîne de l'atome pour la propulsion et les armes (Nomy, Cabanier et Louzeau). Les sous-marins sont à l'honneur mais aussi les porte-avions (Nomy et Louzeau) des PA54 et 55 au Charles de Gaulle. Ce qui revient à dire que la propulsion navale nucléaire au service des armes nucléaires de la dissuasion est aussi un dénominateur commun.


Ce blog avait formulé une assez bonne hypothèse le 27 septembre 2019 en trouvant quatre des cinq noms qui sont retenus.


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