© Canada's Navy Annual, « Innaugural Edition 1986 A Wings Magazine Special Edition ». |
H. I. Sutton, auteur du site internet Covert Shores et de quelques ouvrages, a repéré sur Twitter la publication de l'auteur canadien Daniel L. Little, ayant retrouvé dans ses archives la revue Canada's Navy Annual par son numéro « Innaugural Edition 1986 A Wings Magazine Special Edition » dont sont extraits ces quelques pages. Et elles permettent de (re)découvrir quelques détails au sujet de la proposition française présentée dans le cadre du projet d'Ottawa d'acquérir rien de moins que douze Sous-marins Nucléaires d'Attaque (SNA ou SSN (Ship Submersible Nuclear) afin de patrouiller les eaux du grand nord canadiens, entre le conflit Est-Ouest et prétentions souveraines canadiennes.
La Marine Royale Canadienne n'entretenait alors, au moment des débats et décisions, que sur une flotte sous-marine forte de seulement trois unités - à savoir les HMCS Ojibwa (1965 - 1998), HMCS Okanagan (1968 - 1998), HMCS Onondaga (1967 - 2000) de classe Oberon. Dans le cadre des travaux préparatoires au futur livre blanc, le Canada cultivait le projet d'acquérir 17 sous-marins classiques supplémentaires.
Une autre option s'était entre-temps imposée : à savoir l'acquisition d'une sous-marinade fondée sur des bateaux à propulsion atomique. Le format visé devait atteindre dix à douze unités, construites localement en transfert de technologie. Et le changement d'échelle envisagé gagnerait à être comparé au saut quantitatif et qualitatif visé au début du XXIe siècle par l'Australie.
Le 1987 White Paper Challenge and Commitment: A Defence Policy for Canada publié sous la férule du gouvernement progressiste-conservateur mené par Brian Mulroney (1984–1993) est, toujours aujourd'hui, de mémoire canadienne, le plus ambitieux plan proposé quant à la politique de défense d'Ottawa (Robert Smol, « CHALLENGE & COMMITMENT LOST: Part 1: Looking Back At The Defence White Paper Of 1987 - A Made-In-Canada Policy », Canadian Military Magazine, volume 24-8, 12 octobre 2017). L'effort proposé était considérable car les dépenses de défense devaient, pour soutenir l'exécution de la stratégie adopte, atteindre une hausse annuelle de 2% par an et durant 15 ans. Rien que l'acquisition de nouveaux équipements était chiffrée à hauteur de 200 000 millions de dollars en 1987 (soit 1 202 000 millions de francs (1987) ou encore 316 554 millions d'euros en données ajustées de l'inflation (2019), soit une dépense annuelle d'environ 13 300 millions de dollars (environ 21 100 millions d'euros (2019).
En focalisant les enjeux de ce document sur la souveraineté canadienne - « Le Canada doit se tourner vers lui-même pour sauvegarder sa souveraineté et poursuivre ses propres intérêts » et « nous seuls, en tant que nation, devrions décider de ce qu'il faut faire pour protéger nos côtes, nos eaux et nos espace aérien » -, les archontes canadiens tournaient leur attention vers deux besoins de sécurité touchant à la maîtrise du volume sous-marin, intimement liés :
- le premier résultait de l'idée que, dans le cadre de la participation canadienne à l'Alliance atlantique, il était impératif de pouvoir interdire aux sous-marins soviétiques d'atteindre les océans Atlantique et Pacifique en empruntant la calotte polaire de l'océan glacial arctique, notamment, via les eaux canadiennes dont le passage du Nord-Ouest ;
- le deuxième découlait du premier puisque le gouvernement de Brian Mulroney (1984–1993) souhaitait, par ce livre blanc, réaffirmer la souveraineté canadienne sur ses eaux bordant ses frontières Nord et par-là même, défendre sous les eaux ses prétentions quant au passage du Nord-Ouest.
L'ambition militaire portée par le 1987 White Paper Challenge and Commitment: A Defence Policy for Canada se déclinait au plan naval par une déconcentration de la Marine Royale Canadienne, traditionnellement centrée sur Halifax, afin de l'élargir et la partager à ses deux principales façades maritimes que sont les océans Atlantique et Pacifique. Cela revenait à déplacer le centre de gravité du dispositif naval canadien depuis l'Est jusqu'à l'Ouest et le Nord quant aux futures activités opérationnelles visées. Et dans cette perspective, le nouveau document stratégique sanctionnait l'option d'une sous-marinade nucléaire forte de dix à douze unités mais pas de renforcement de la flotte de surface qui devait se cantonner aux douze frégates de classe Halifax alors en construction et des quatre destroyers anti-aériens de classe Tribal.
Le Premier ministre canadien, M. Brian Mulroney (1984–1993), justifiait cela en ces termes, dans un commentaire accordé au journal Global and Mail du 6 juin 1987 : « l'intrusion militaire exige effectivement d'être capable de détecter un intrus et de réagir » et qu'un « sous-marin peut détecter et suivre les intrus et annoncer sa présence, si vous le souhaitez » mais aussi que « la simple menace d'un sous-marin à propulsion nucléaire dans une zone inhibe un adversaire et agit comme un puissant moyen de dissuasion » (Robert Smol, « CHALLENGE & COMMITMENT LOST: Part 1: Looking Back At The Defence White Paper Of 1987 - A Made-In-Canada Policy », Canadian Military Magazine, volume 24-8, 12 octobre 2017). Ajoutez à cela la particulière endurance conférée par la propulsion nucléaire et le fait qu'il est extrêmement difficile pour un sous-marin à propulsion classique de se maintenir durablement les glaces, l'option du SNA s'imposait alors pour défendre les prétentions canadiennes dans eaux glaciales.
Cette ambition politico-militaire d'affermir le contrôle naval canadien quant à ses eaux bordant ses frontières Nord ne pouvait pas rencontrer le soutien des États-Unis d'Amérique, principal allié militaire d'Ottawa, pour la simple et bonne raison que Washington refuse de reconnaître les prétentions souveraines canadiennes sur ces eaux. Et il ne fallait donc pas attendre ni un soutien, ni une participation d'industriels américains, notamment via une version adaptée des SSN de classe Los Angeles, à la future compétition qui allait s'ouvrir.
© Canada's Navy Annual, « Innaugural Edition 1986 A Wings Magazine Special Edition ». |
Et s'il fallait énoncer une évidente exclusion : la participation soviétique était, de facto, exclue.
Le gouvernement canadien créait le Canadian Submarine Acquisition Program (CASAP), fort d'une centaine de personnes et dirigeait par l’Amiral John Anderson (1963 - 1993 dans la Marine Royale Canadienne), un surfacier. Et il ne restait donc plus que deux pays aptes à proposer une classe de SNA au Canada, à savoir le Royaume-Uni avec la classe Trafalgar et la France avec le programme SNA 72 dont est issu la classe Rubis. Il ne sera pas question ici de la proposition britannique (Thierry d'Arbonneau (dir.), L'encyclopédie des sous-marins français - Tome IV : La fin de la Guerre froide, Paris, SPE Barthélémy, 2017, p. 447). Mais il est à remarquer que, sociologiquement et militairement, les Britanniques partaient avec une longueur d'avance car les sous-mariniers canadiens étaient formés à bord des sous-marins de Sa Majesté (Louis Le Pivain, « Des SNA français vendus au Canada ? Un rêve collectif qui fût proche du succès », CAIA, 30 septembre 2020).
L'affaire canadienne est prise très au sérieux à Paris. Le ministre de la Défense, M. André Giraud (1986 - 1988), chargeait DCN et Technicatome de créer une filiale commune afin de pouvoir assurer la commercialisation et les transferts de technologie nécessaires. La tâche échût à l'ingénieur général de l'armement Dominique Castellan, directeur de DCN Cherbourg. Mais la problématique juridique résultant du fait de pouvoir créer une filiale à partir de la DCN qui était alors une entité attachée à la DGA et donc du ministère de la Défense ne pu être réglée, en raison du revirement canadien. Elle s'est appelée Navatome et devait travailler avec la filiale canadienne de Technicatome - SNA (Société de Navigation Atomique) Canada - avec laquelle travaillait également les autres industriels français engagés (Thales, SAGEM, etc).
SNA Canada qui fut créée avec Louis Le Pivain envoyé au Canada par le directeur des constructions navales, Henri Cazaban, en novembre 1987. « Dès mon arrivée sur place, je participe à la création de la société SNA Canada avec Larry Herman, avocat d’affaires à Toronto, qui en devient le président, Keith Davies, ancien officier de la marine canadienne, et l’amiral retraité Dan Mainguy. » (Louis Le Pivain, « Des SNA français vendus au Canada ? Un rêve collectif qui fût proche du succès », CAIA, 30 septembre 2020)
© Yvan C. Le Saphir à Halifax, un soir de
novembre 1987.
Ce qui est aujourd'hui dénommé le SOUTEX (SOUTien aux EXportations) bénéficia d’un déploiement du Saphir (1984 - 2019), équipage rouge. Courant octobre – novembre 1987, le bateau naviguait entre la base navale de Toulon et Halifax, principale base navale canadienne, avec comme invités à bord des sous-mariniers canadiens. Le bateau est arrivé un soir de novembre sous la neige (« 1984 - 1989 - Premier cycle C », Saphir S 602, 27 juin 2022). Certaines sont cocasses. Ainsi des journalistes farouchement anti-nucléaire deviennent des défenseurs du projet après une visite à bord et avoir constaté que l’équipage semble en parfaite santé. Comme quoi, la relation au nucléaire est souvent totalement irrationnelle ! » (Louis Le Pivain, « Des SNA français vendus au Canada ? Un rêve collectif qui fût proche du succès », CAIA, 30 septembre 2020)
La proposition française à la Marine Royale Canadienne et à Ottawa était baptisée, selon la réclame, Canadian AMETHYSTE. L'emploi de majuscules permet de souligner qu'il s'agissait bien de proposer le « standard » AMElioration Tactique HYdrodynamique, Silence Transmission, Ecoute (AMETHYSTE) porté par le cinquième sous-marin de la série, à savoir l'Améthyste (1992 - 2027 ?). Mis sur cale le 31 octobre 1984, il n'était lancé que le 14 mai 1988 et n'entra en service que le 20 mars 1992. Autrement dit, la proposition française s'incarnait par un sous-marin encore en construction. Et il fallait apprendre, plus tard et en creux, que la raison ayant motivé la refonte des quatre premiers Rubis, avant même la mi-vie, était qu'ils étaient bien trop bruyants (Thierry d'Arbonneau (dir.), L'encyclopédie des sous-marins français - Tome IV : La fin de la Guerre froide, Paris, SPE Barthélémy, 2017, p. 447).
Tableau n°1 - Comparaisons entre le Canadian AMETHYSTE, les Rubis et les évolutions jusqu'au SMAF. |
Le Canadian AMETHYSTE se distinguait de son cousin français par plusieurs choix opérationnels obligeant à un allongement (+ 6,05 mètres) et à un alourdissement (+ 220 tonnes pour le déplacement en plongée) des Rubis.
Le premier consistait dans l'aptitude à pouvoir faire surface à travers la glace et donc éventuellement à pouvoir en percer une certaine épaisseur :
Il est supposé que le massif, dont les barres de plongée, était renforcé par le choix presque exclusif de l'acier comme matériau le constituant et imposant donc un ensemble nettement plus lourd : ce qui oblige, en chargeant les eaux, à renforcer le bas pour soutenir le nouveau poids. Cela expliquerait grandement la prise de poids par le Canadian AMETHYSTE vis-à-vis du SNA 72 dont les unités, même refondues AMETHYSTE, conserveront le même tonnage. Un allongement de 6,05 mètres n'aurait peut être pas suffi à expliquer.
De précise et vérifiée : « pour répondre aux spécifications de la marine canadienne qui stipule que le SNA devra être capable de faire surface en perçant un mètre d’épaisseur de glace arctique de première année, nous développons un dispositif ingénieux de mât perceur de banquise dans le massif du sous-marin. Des expérimentations à échelle réduite ont lieu dans un laboratoire de glaciologie de Saint Jean de Terre-Neuve » qui validèrent le principe de l'installation (Louis Le Pivain, « Des SNA français vendus au Canada ? Un rêve collectif qui fût proche du succès », CAIA, 30 septembre 2020).
Le « mât perceur de banquise » aurait peut être compensé les faibles dimensions des barres de plongée par rapport à celles, et par exemple, d'un SNA de classe Sturgeon pour percer la glace ou bien se serait substitué à un massif en acier.
Deux autres caractéristiques opérationnelles obligeaient à quelques réaménagements ou agrandissements internes, à savoir : une autonomie en vivres portée de 45 à 70 jours et la dotation en armes tactiques augmentée de 14 à 22 armes, avec un nombre de tubes lance-torpilles passant de quatre à six (soit six armes aux tubes et seize sur les racks).
Et il est à remarquer que la vitesse de pointe n'était plus donnée pour 25 nœuds mais bien pour 25 nœuds +, probablement grâce à l'allongement de la coque portant le coefficient de finesse de 9,68 à 10,48.
Cependant, l'écorché proposé à la publication canadienne paraît être, ni plus, ni moins, qu'une simple reprise de celui de l'Améthyste (1992 - 2027 ?). Et l n'y aurait pas d'enseignements à en tirer dans cette optique.
Le ministère de la défense canadien arrêta son choix sur la proposition française fin 1987. Mais le partenariat avec la France paraissant alors, et toujours selon les auteurs, trop risqué au gouvernement canadien, le programme est brutalement reporté lors de la présentation à la presse du budget 1988 le 1er avril. Le ministère de la Défense canadien a été surpris par la décision, recevant alors Jacques Chevallier (1921 - 2009), DGA et dont le nom a été donnée à la classe éponyme de Bâtiments Ravitailleurs de Forces (BRF), au titre de son rôle de direction, comme ancien DPN (Directeur de la Propulsion Nucléaire), dans la mise au point de la propulsion atomique des Redoutable (Thierry d'Arbonneau (dir.), L'encyclopédie des sous-marins français - Tome IV : La fin de la Guerre froide, Paris, SPE Barthélémy, 2017, p. 447).
En mai 1989, le programme Canadian Submarine Acquisition Program (CASAP) fut officiellement annulé, ce qu'annonçait un soir à 20h00 à la télévision canadienne M. Michael Wilson (17 septembre 1984 - 21 avril 1991), ministre des finances. « On apprendra plus tard que cette décision prise dans le plus grand secret entre le Premier ministre, Brian Mulroney et le ministre des finances qui n’en avaient pas informé le ministre de La Défense, Perrin Beatty, avait été dictée par les Américains. Nos concurrents anglais ayant appris que les Canadiens allaient annoncer le choix du sous-marin Français, de préférence au leur, avaient dé-noncé le programme aux Américains pour que ces derniers le coulent... » (Louis Le Pivain, « Des SNA français vendus au Canada ? Un rêve collectif qui fût proche du succès », CAIA, 30 septembre 2020)
Il est à se demander si la même décision n'aurait pas été prise plus tard, malgré l'éventuelle signature de l'accord intergouvernemental car les prémices de la fin du conflit Est-Ouest (1947 - 1991) se faisaient se sentir et la chute du mur de Berlin et la dissolution progressive de l'URSS (26 décembre 1991) et du Pacte de Varsovie (1er juillet 1991) aurait-elle justifié un tel programme ?
De cette brève aventure canadienne demeure une version modifiée des Rubis au sujet de laquelle, et en mettant de côté la spécification canadienne de pouvoir faire surfacer à travers les glaces, se dessinait d'ores et déjà le long chemin vers le programme Barracuda dont le prélude était le SMAF. En effet, l'augmentation de l'autonomie à la mer et du nombre d'armes participait probablement à l'augmentation des dimensions des Rubis afin de pouvoir proposer le Canadian AMETHYSTE. Il en ressort que tous les projets dérivés de l'Améthyste (1992 - 2027 ?) et le SMAF ne parviendront plus jamais à s'engoncer dans le corset des Rubis. Les avancées dans la réduction acoustique, apportées par les SNLE-NG ou SN2G dans la nouvelle nomenclature, achèveront l'impossible retour en arrière, avec l'état de l'art actuel.
Et Louis LE PIVAIN de conclure que « pendant mon séjour au Canada, j’ai été approché en 1988 à mon bureau à Ottawa par des Brésiliens, « nous avons appris que SNA Canada est une société spécialisée dans la vente de SNA, nous souhaitons en acquérir »... les Brésiliens ont de la suite dans les idées ! » (Louis Le Pivain, « Des SNA français vendus au Canada ? Un rêve collectif qui fût proche du succès », CAIA, 30 septembre 2020).
Marinha do Brasil : l'avant-projet SN-10 Álvaro Alberto ?
Le contrat signé en septembre 2008, entre Paris et Brasilia, le 23 décembre 2008, portait notamment la construction au Brésil au sein d'un nouveau chantier naval de quatre Scorpène 2000 (devenus S-BR (Scorpène Brasil) mais également d'une cinquième coque : le SN-BR (Submarino Nuclear – BRasil). Toute la chaufferie nucléaire est à la charge de la partie brésilienne qui entretient un programme en ce sens depuis le projet stratégique initié en 1979. Deux dessins d'artiste de l'avant-projet ou deux avant-projets différents seraient visibles. Le deuxième dessin n'apparaît plus que sur un seul site, français, depuis sa disparition d'autres sources ces derniers mois.
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