Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





30 novembre 2025

Marine nationale : face au triple challenge stratégique, prolonger des Rubis ?

© Service d’Infrastructure de la Défense. Photographie publiée le 13 mai 2020 (LinkedIn).

     
     La vieille France et la seule Europe ont à résoudre le triple « challenge » adressé par les puissances révisionnistes russe et chinoise, identifiées ainsi à Paris (Revue Nationale Stratégique, 09 novembre 2022, p. 09) et Londres (Global Britain in a Competitive Age:the Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy (16 mars 2021, p. 26). Se transposant par un double défi naval, dans les océans Atlantique Nord et Pacifique Nord. Les États-Unis d'Amérique de Donald J. TRUMP donnent partiellement dans le révisionnisme. C'est d'une concentration secondaire de l'US Navy aux confins septentrionales de l'Europe que repose la capacité à contrer la « meute » de sous-marins russes. Comment soutenir le courant atlantiste à Washington, tout en parant à une éventuelle victoire de son opposant isolationniste ? En venant à une extrémité matérielle, pour sceller un « deal » stratégique : prolonger deux à trois Sous-marins Nucléaires d'Attaque (SNA) de type Rubis.

Un certain nombre d'actes stratégiques matérialisent dans la sphère diplomatique le positionnement de nos deux puissances révisionnistes russe et chinoise. Vladimir Vladimirovitch POUTINE, Président de la Fédération de Russie, se déplaçait à Pékin, le 04 février 2022. Après une réunion puis un dîner avec Xi JINPING, 7ième président de la République populaire de Chine , était publié une déclaration conjointe proclamant l' « amitié sans limites ». L'alignement stratégique entre les deux puissances, voire leur « alliance » constitué l'essence même du message adressé à l'Occident. Face au Sud global, les deux capitales voulaient se faire les garants de la stabilité face à l'élément perturbateur du système international que serait les États-Unis d'Amérique. Et tout cela à seulement vingt jours de l'invasion de l'Ukraine. Le soutien de Pékin à Moscou n'était pas exclusif de toute critique mais n'a jusqu'à présent pas été pris en défaut.

     Le double défi naval dans les océans Atlantique Nord et Pacifique Nord peut être schématisé par un jeu complexe de vases communicants, car ne pouvant se réduire à la somme de ses parties constitutives :

Le tonnage sans cesse plus important de la Marine de l'Armée populaire de Libération, selon une approche quantitative. Avec l'émergence de deux principaux instruments navals, à savoir une flotte amphibie, alliée à une flotte auxiliaire, atteignant la valeur militaire afférente à des plans d'annexion de la République de Chine et de l'île de Taiwan. Mais également le développement de groupes aéronavals en mesure de combattre « sous » la première chaîne d'îles (John Foster DULLES, « island chain strategy », 1951) sans avoir à la franchir. Le tout étant soutenu par une flotte sous-marine chinoise, forte d'environ soixantaine unités, surtout à propulsion classique, servant principalement à des missions de déni d'accès.

     L'accroissement naval chinois appelle deux mouvements stratégiques américains, à savoir une relance de l'effort naval qui, dans le contexte industriel et économique actuel, permet seulement de soutenir l'actuel tonnage afin d'en évider l'érosion, malgré des ambitions politiques de relance, à divers degrés de volontarisme. L'autre mouvement notable est l'identification de la nécessité d'une plus grande concentration navale dans l'océan Pacifique, entamée depuis la présidence de Barack OBAMA, 44th President of the United States (20 janvier 2009 - 20 janvier 2017) et l'identification de la nécessité d'un « pivot to Asia », par exemple dans le discours d'Hillary CLINTON, Secretary of State, le 10 novembre 2011 devant le Center for East-West Studies d'Hawaii University. D'où la publication de documents stratégiques actant le repositionnement stratégique, aboutissant à placer 60% du tonnage de l'US Navy dans l'océan Pacifique.

     La Fédération de Russie entretient une flotte sous-marine d'une grosse soixantaine d'unités pouvant agir comme un robinet rhéostatique, en particulier en freinage du repositionnement de l'US Navy, dans le cadre de l'engagement de Washington en Europe, manifesté le plus crument par son statut de membre de l'Alliance atlantique. Plus prosaïquement, Washington refuse l'égalité stratégique et donc nucléaire à Moscou, ce qui incite à ne pas octroyer une liberté de manœuvre totale à sa composante sous-marine, en particulier ses Sous-marins Nucléaires Lanceurs d'Engins (SNLE). Le couplage transatlantique suppose de continuer à interdire toute « sortie » à la Flotte du Nord de la Военно-морской флот (ВМФ ou Voïenno-Morskoï Flot (VMF) au-delà de la ligne GIUK ( Greenland, Iceland, and the United Kingdom).

     Toutefois, ce « containment » de la flotte sous-marine russe dans l'océan Atlantique Nord ne se présente pas dans le premier tiers du XXIième siècle selon les modalités éprouvées du conflit Est-Ouest. Il n'est plus seulement questions de SNA et de SNLE, dans le cadre du polylectique nucléaire. Mais également d'une modalité supplémentaire au dialogue stratégique, manifestée par exemple, par la présence des sous-marins du 29ième escadron spécial de sous-marins, opérant sous le commandement du Главное управление глубоководных исследований (Glavnoye upravlenie glubokovodnikh issledovanii (GUGI)), la « Direction principale de la recherche en eaux profondes » participant d'une offensive stratégique par des opérations spéciales sous-marines et d'une tentative d'asseoire une nouvelle stabilité stratégique au plan nucléaire (« torpille de grande croisière » 2M39 Poseïdon (indicatif radio OTAN : Kanyon)).

En outre, la « sortie » des mois d'octobre à décembre 2019 illustre parfaitement le défi naval posé par cette flotte, toujours en pleine croissance, et ce que nous tentons de mettre en exergue. Ainsi, l’Amiral James FOGGO, commandant l’U.S. Naval Forces Europe and Africa, a déclaré à des journalistes le 18 décembre 2019 que « [2019] a été l'une des années les plus occupées dont je me souvienne, et je fais cela depuis 1983 ». Il faisait notamment référence à l’exercice menée par dix sous-marins russes dans l’océan Atlantique Nord dont huit à propulsion nucléaire, soit 20% de la force sous-marine russe, entre octobre 2019 et décembre 2019.

Le jeu de vases communicants entre le Nord des océans Atlantique et Pacifique, au prisme de l' « amitié sans limites » voit Moscou suggérer une activité navale accrue, et donc principalement sous-marine (une petite trentaine de SNA dont les deux tiers dans la Flotte du Nord), dans le premier océan si Pékin s'aventurait à mettre en branle ses plans d'annexion brusquée de Taiwan par la force militaire. Mais il convient de remarquer que la persistance des effets stratégiques de la flotte sous-marine russe retient, quoi que l'on veuille faire, une fraction de l'US Navy, tout en fixant le principal de l'effort naval européen.

     Mais il convient, pour tenter de parfaire ce tableau stratégique trop rapidement dépeint, de ne pas oublier de relever que l'invasion de l'Ukraine (24 février 2022) a été suivie de plusieurs démonstrations navales russes dans l'océan Pacifique Nord, notamment pour soutenir la crédibilité de la composante océanique de la Flotte du Pacifique, à l'endroit de Pékin. La prise de sûreté stratégique à l'Est, avant d'envahir à l'Ouest et de soutenir une offensive stratégique sous le seuil du conflit armé, s'est doublé de démonstrations de force nucléaire pour raffermir la position militaire face à Pékin. Les patrouilles navales communes sino-russes observées ne sont pas antinomiques de ce fait puisque s'adressant surtout aux États-Unis et au Japon.

     La vieille France et la seule Europe entretiennent deux flottilles de SNLE de quatre unités chacune, deux flottilles de SNLA fortes de six (France) et sept (Royaume-Uni) unités, soit un total de treize sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire. En termes de présence opérationnelle effective, il y aurait un à deux bateaux français pour deux à quatre britanniques selon les périodes : soit un total très approximatif de trois à six SNA franco-britanniques en opérations dans l'océan Atlantique Nord. L'appoint américain ne peut être qu'estimé, notamment par les escales observées en Écosse, en Norvège et en Islande qui ne représentent qu'une fraction des sous-marins réellement présents : peut être au nombre d'une demi-douzaine.

Une hypothèse maximaliste, autrement dit une alliance militaire de facto et sans faille entre Pékin et Moscou verrait une concentration navale « totale » permise par la prise de sûretés stratégiques de l'un des protagonistes vis-à-vis de l'autre, permettant une offensive stratégique dans un océan, avec réduction de l'effort militaire dans l'autre. Par exemple, Moscou pourrait faire peser une menace sous-marine concentrée dans l'Atlantique et ambitionnant de découpler l'Europe de l'Amérique en interrompant trafics maritime et de données en cas de fléchissement, voire de lâchage stratégique des Européens par Washington avec la MAPL opérant de grandes sorties dans le Pacifique. À l'inverse, en cas de coup de force chinois contre Taiwan, la flotte sous-marine russe serait toujours concentrée dans le Pacifique et tenterait de fixer le maximum possible d'unités navales américaines afin d'essayer d'éviter une bascule de l'US Navy de l'océan Atlantique à l'océan Pacifique.

     Dans les deux cas, la République populaire de Chine ne déploie pas la MAPL dans l'océan Atlantique mais peut entretenir une activité dans le Pacifique propre à fixer l'US Navy. Et la flotte sous-marine russe dont son plein potentiel dans l'océan Atlantique. L'hypothèse critique pour les Européens serait de voir l'investissement naval atlantique américain se restreindre au seul océan glacial arctique. Contrer la « meute » de sous-marins russes demeurant impératif afin d'assurer la sûreté des atterrages des deux flottilles de SNLE, pour ne pas voir s'effondrer leur crédibilité et donc de ne pas avoir à céder face à Moscou, après effondrement stratégique.

Dans ce cadre stratégique, comment soutenir le courant atlantiste à Washington mené par Marco RUBIO (Secretary of State), tout en parant à une éventuelle victoire de son opposant isolationniste mené par James David Vance (50th Vice President of the United States) ? En venant à une extrémité matérielle, pour sceller un « deal » stratégique : prolonger deux à trois Sous-marins Nucléaires d'Attaque de type Rubis.

Les États-Unis ne savent pas dire clairement s'ils attendent un engagement des Européens dans le Pacifique. Le deuxième mandat de Donald J. TRUMP laissent affleurer des déclarations soutenant plutôt un refus catégorique de se voir associer aux Européens face à la Chine qui devrait demeurer, selon eux, une affaire exclusivement américaine. En revanche, il y a un consensus politique américain de longue date quant au déficit européen du « Burden Sharing » et la tentation des isolationnistes de voir Washington dénoncer sa participation au traité de Washington (04 avril 1949) et donc son appartenance à l'Alliance atlantique afin que les États-Unis puissent entièrement se vouer au « pivot to Asia ». Rêve géopolitique américain, entamé dès la fin du XIXième siècle et dont l'élan s'est brisé sur deux guerres mondiales et un conflit gelé en Europe (1914 – 1991).

     Le « deal » stratégique consisterait dans la production d'actes par Londres et Paris afin de de débarrasser l'US Navy de missions servant principalement aux Européens, c'est-à-dire d'assurer la sûreté des atterrages des deux flottilles de SNLE (principalement ceux des Britanniques), des ports européens. Et que les Européens se montrent capables d'assumer non seulement ces missions mais également de les exercer « plus haut », c'est-à-dire au Nord de la ligne GIUK avec l'US Navy, tout en étant capable de le faire au Sud de cette ligne sans l'US Navy.

     La prolongation de deux à trois Sous-marins Nucléaires d'Attaque de type Rubis serait la réponse française, complétant celle de Londres. Avec le programme SSN-AUKUS, il s'agit de prétendre au Royaume-Uni de porter la flotte de SNA de sept à douze unités à partir de la fin des années 2030. L'effort français, le seul possible en l'état, assurerait la jonction avec un éventuel format de la Marine nationale à huit SNA. Le tout permettant de plus ou moins égaliser le nombre de SNA russes pouvant être en opérations dans l'océan Atlantique.

     Le « deal » résiderait alors dans la capacité européenne soit à libérer une fraction de la demi-douzaine de SNA américains en opérations sur les deux versants de la ligne GIUK, soit à leur permettre de se concentrer au Nord de cette ligne, voire même à réduire l'effort dans cet océan. En ayant à l'esprit qu'il y a, environ, une cinquantaine de sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire américains pour, toujours environ, une trentaine en opérations. La bascule de quelques unités d'un point à l'autre n'est pas marginal sur le plan stratégique. Et la jonction entre marines européennes et US Navy au Nord de la ligne GIUK scellerait le couplage transatlantique à partir d'une des nouvelles bases, prouvant à Washington que la défense de l'Europe participe de la sécurité nationale américaine, permettant de défaire l'alliance de deux « peer-competitor ».

 

Tableau n°1. Légende : « Nom du bateau - P » désignant l'unité ainsi prolongée au service. Bleu : mois de service opérationnelle. Rouge : bateau désarmé. Jaune : bateau en construction. Vert : bateau aux essais. Noir : bateau au chantier IPER. Blanc : service opérationnel d'un bateau prolongé au service. CO : Cyle Opérationnel.

     À fin d'illustration, il est proposé un tableau brossant à grands traits ce à quoi pourrait ressembler une prolongation de quatre SNA type Rubis. Le quatrième ne servant que de volant de gestion afin de soutenir la disponibilité technique opérationnelle de l'Escadrille de SNA (ESNA) pour permettre le lancement consécutif de chantiers d'Indisponibilités Pour Entretien et Réparation (IPER) de trois SNA type Rubis et les Indisponibilités pour Entretien (IE) des type Suffren. L'enjeu étant d'entretenir un cycle opérationnel fort de huit sous-marins, avec un format allant de huit à neuf bateaux.

Les différents coûts seraient inévitablement significatifs, tant pour la réalisation matérielle du programme, les dépenses opérationnelles supplémentaires. Ils jaugeraient l'ordre du milliard d'euros. L'entretien d'équipages supplémentaires est probablement le plus grand défi qui aurait, au moins, le mérite de poser sur la table le sujet de la réforme des réserves, du service militaire volontaire et du nouveau service national à l'endroit de la Marine nationale. Ces dispositifs peuvent-ils avoir d'autres utilités que de soutenir et renforcer l'armement des bateaux en équipage ? De conserver en RO1 et RO2 les détenteurs des compétences rares et orphelines ?

Il est également certain que cela suppose de voir l'Autorité de Sûreté Nucléaire Défense (ASND) se prononcer quant à la capacité des cuves à soutenir un tel surcroît de vie opérationnelle ; la DGA et Naval group devant en faire de même pour les coques. Et ce sont-là les deux obstacles décisifs. Il avait été prudemment dit à l'introduction qu'il s'agissait d'en venir à une extrémité matérielle. Et donc politique. Aussi, il n'y a nul doute que l'auteur de ces lignes a provoqué bien des cris et est voué au gémonies pour avoir osé proposer cette manœuvre sur la génétique des forces.

     Mais, au final : pour éviter d'avoir à concentrer la quasi-totalité de la Marine nationale dans l'océan Atlantique, c'est-à-dire de n'exister que dans le seul premier cercle (théorie des « trois cercles », général Lucien POIRIER) et de réduire la France à la seule défense de ses frontières et intérêts vitaux, de ne plus protéger ses intérêts partout où elle est présente : à quelle(s) marge(s) de manœuvre avons-nous accès pour parer à un désaccouplage atlantique avant 2030 ? Commander deux SNA type supplémentaires ne répond pas à ce besoin stratégique.

 

1 commentaire:

  1. Ce texte a le mérite de remettre la mer au centre du jeu, en particulier ce va-et-vient entre Atlantique Nord et Pacifique. Mais j’ai l’impression que tu traites presque ces 2 théâtres comme équivalents pour les Européens, alors que la réalité des moyens tire franchement dans un autre sens. Les États-Unis ont déjà basculé l’essentiel de leur effort vers le Pacifique, face à une marine chinoise qui aligne plus de 300 navires de combat et vise beaucoup plus haut. Dans ce face-à-face là, soyons honnêtes, Paris et Londres ne sont que des acteurs de 2e rang, tolérés pour la symbolique et la diplomatie plus que pour le rapport de forces.
    La France dans le Pacifique, c’est une puissance de souveraineté, pas une puissance de bataille : quelques frégates de surveillance, des patrouilleurs, des moyens aériens comptés. Le Royaume-Uni joue la carte Global Britain, mais ses grands programmes (SSN-AUKUS, Dreadnought, Type 26) trahissent une hiérarchie claire où l’Atlantique, l’Arctique et la Méditerranée restent le coeur. On est beaucoup plus dans l’héritage que dans la capacité réelle à peser à l’est de Singapour.
    D’où mon malaise avec l’idée de « double défi naval » pour nous. Si on accepte l’état de post-puissance européenne, il faut hiérarchiser : l’Atlantique Nord, de la mer de Norvège au détroit de Gibraltar, est le seul espace où France et Royaume-Uni peuvent encore peser au premier rang sécuriser les SNLE, les flux énergétiques, les câbles, le lien avec Washington. Le Pacifique, pour eux, reste un théâtre d’appoint, surtout politique. Tes Rubis prolongés prennent d’ailleurs tout leur sens dans cette logique-là, mais à condition d’assumer deux choses : le pari technique (pas neutre) et le coût humain, en équipages et en format, qu’aucun responsable n’ose vraiment mettre sur la table aujourd’hui.

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