Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





23 octobre 2022

US Navy : SSBN-736 USS 𝘞𝘦𝘴𝘵 𝘝𝘪𝘳𝘨𝘪𝘯𝘪𝘢 en patrouille dans l'océan Indien, cas d'école de la NPR 2018 ?

© US Navy – US CENTCOM.

     Le United States CENTral COMmand (CENTCOM) - l'un des onze Unified Combatant Commands - a signifié, par communiqué de presse, et photographies à l'appui, que le SSBN-736 USS West Virginia (1990) naviguait dans les eaux internationales de la mer d’Arabie, le 19 octobre 2022. Et qu'ont été reçus à bord le général Michael « Erik » Kurilla, commandant le CENTCOM depuis le 1er avril 2022, et le vice-amiral Charles Bradford "Brad" Cooper II, commandant la Fifth Fleet. Ce serait le 1ier déploiement d'un SSBN (Sub-Surface Ballistic Nuclear ou Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins (SNLE) américain en océan Indien et peut-être la manifestation la plus explicite de la posture nucléaire américaine - par fait de diplomatie navale sous-marine et nucléaire - depuis le 24 février 2022, c'est-à-dire l'invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie.

     La connaissance de la présence du SSBN-736 USS West Virginia (1990) n'est pas le fruit d'une « indiscrétion » volontaire ou involontaire commise par son équipage, destinée à prévenir un nombre restreint de protagonistes des conséquences d'une présence aussi avancée. Mais la publication d'un communiqué de presse, assorti de trois photographies censées représentées la présence à bord du général Michael « Erik » Kurilla, commandant le CENTCOM depuis le 1er avril 2022, et le vice-amiral Charles Bradford « Brad » Cooper II, commandant la Fifth Fleet, et du bateau lui-même témoignent de la volonté de faire tomber dans le domaine public cette information, soulignant d'autant plus, par le canal employé, de l'importance du message à délivrer et du souhait qu'il bénéficie d'une couverture maximale.

     Ce fait se distingue, par exemple, de l'escale du SSBN-740 USS Rhode Island (1994) à la HMNB Clyde (Faslane) entre les 1er et 5 juillet 2022. Il bénéficiait de l'escorte assurée par la frégate HMS Portland (2001) – Type 23 – et son hélicoptère lourd Agusta Westland EH101 Merlin en survol. Et sa présence avait été confirmée par un communiqué lapidaire de l'US EUCOM. Il s'agissait alors d'une escale, programmée et cyclique : deux précédentes escales similaires, engageant un SSBN de l'US Navy, avaient eu lieu dans la même base navale britannique les 2 juillet 2019 et 7 octobre 2016. Une autre distinction à souligner consiste dans le contexte diplomatique car le mois de juillet ne consistait pas dans un regain de tensions internationales apparents et en lien avec les opérations militaires en Ukraine.

     La patrouille du SSBN-736 USS West Virginia (1990) procède de rationalités différentes :

     Premièrement, et depuis l'admission au service actif du SSBN-598 USS George Washington (1959), le 30 décembre 1959, cela pourrait être la première fois qu'une patrouille d'un SSBN est menée dans l'océan Indien : il y a eu des patrouilles régulières dans l'océan Atlantique Nord, jusqu'à la mer de Norvège - avec une base navale dédiée à Holy Loch (1961 - 1992) avec la Fleet Ballistic Missile (FBM) Refit Site One soutenant le Submarine Squadron 14 - et l'océan glacial Arctique, et en Méditerranée - le SSBN-609 USS Sam Houston (1962 - 1991) faisait escale à Izmir en avril 1963 comme réaffirmation de la présence stratégique américaine, avec des patrouilleurs menées régulièrement ensuite depuis la Naval Station Rota, malgré le retrait des MRBM PGM-19 Jupiter, en vertu du règlement de la Crise des missiles de Cuba (14 - 28 octobre 1962) -, mais aussi et toujours dans l'océan Pacifique, les zones de patrouilles évoluant selon les améliorations de la portée des missiles Mer-Sol Balistiques Stratégiques (MSBS ou Submarine Launched Ballistic Missile (SLBM) et du contexte international.

     Deuxièmement, cette patrouille du SSBN-736 USS West Virginia (1990) est à relier à une expérimentation opérationnelle de l'US Navy, menée dans l'océan Indien, et d'importance stratégique, n'ayant pas suscité de nombreux commentaires, voire aucun.

Dans un premier temps, il était relevé que la Naval Support Facility Diego Garcia de l'US Navy dans l'archipel British Indian Ocean Territory possède et entretient des infrastructures permettant le soutien de SSGN classe Ohio (14 + 4).

Dans un deuxième temps, le SSGN-728 USS Florida (1983) a mené un déploiement à la durée étonnante : plus de 800 jours (~ février 2018 - 9 mai 2020). Le soutien n'a été prodigué au bateau que lors d'escales, sans aucune mise au sec dans un bassin ou une forme. Parmi les onze escales, deux ont été effectuées à la Naval Support Activity, Souda Bay et à la Naval Support Facility Diego Garcia : d'une durée de trois à quatre semaines dans ces deux cas.

Une mission analogue a été menée par le SSGN-729 USS Georgia (1984), d'une durée de 790 jours (24 juillet 2020 - 22 septembre 2022 ?). Le bateau été visible sur image satellitaire et sa présence confirmée par communiqué de presse à l'occasion d'une escale à la Naval Support Facility Diego Garcia (25 - 29 septembre 2020) durant laquelle il a peut-être bénéficié d'un entretien à quai de longue durée, pendant trois à quatre semaines.

La communication de l'US Navy n'indique pas s'il s'agit d'une expérimentation au bénéfice, par exemple, des sous-marins nucléaires d'attaque (SSN et SSGN), afin de renforcer la présence « en avant » et donc le nombre de bateaux effectivement déployés sur zone. Il s'agit manifestement d'un effort de longue durée, ayant trouvé une cinématique globalement figée autour de missions de 800 jours, permettant d'organiser le soutien tout au long des escales (~10 à 12) dont deux de longue durée (3 à 4 semaines) et avec une relève des équipages qui effectuaient plutôt des missions de 4 à 6 mois.

Il est parfaitement remarquable que le basculement d'un SSGN à un SSBN issu de la même classe Ohio (14 + 18) nécessiterait d'adapter le programme d'entretien et de vérifications de la disponibilité des SLBM Trident 2D5, au sein d'une marine ayant déjà déployés des SSBN dans des bases navales installés sur des sols étrangers (La Rota, Holy Loch par exemple).

     Troisièmement, la patrouille du SSBN-736 USS West Virginia (1990) et ses 20 UGM-133A Trident 2D5, ponctuellement interrompue par sa mise en lumière, à l'occasion de sa navigation en mer d'Arabie, intervient dans un contexte international souffrant d'un regain de tensions. Il n'est pas aisé de tenter de souligner quels peuvent être les protagonistes visés. La capitale de la République islamique d'Iran, Téhéran, est distante de 1 665 km du centre de la mer d'Arabie et donc le SSBN-736 USS West Virginia (1990) devrait patrouiller plus à l'Ouest ou au Sud pour pouvoir lancer ses SLBM en dehors de la zone couverte par la distance minimale de tir. C'est pourquoi il est à se demander si le 20ième congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) pourrait être le récipiendaire de cet appel à la modération.

     À moins qu'il ne puisse s'agir d'un avertissement à l'égard de la Fédération de Russie, vis-à-vis de l'évacuation de Kherson dans l'oblast éponyme et des allusions plus ou moins explicites à une attaque du barrage hydro-électrique de Kakhovka, voire tout simplement une frappe nucléaire sur la ville de Kherson dont les habitants ont été appelés à l'évacuation « immédiate » tandis que les troupes ukrainiennes avanceraient pour réduire la « poche » russe.

     Le SSBN-736 USS West Virginia (1990) et ses 20 UGM-133A Trident 2D5 sont à, environ, 3 900 km de Kherson. Cette position de tir pourrait difficilement être contrariée par la présence de sous-marins russes dans l'océan Indien, voire de la plupart des marines de la planète. Cette position de tir semble être idéale pour « stresser » les défenses adverses en raison d'une trajectoire « en cloche » qui réduit la durée du vol et augmente la vitesse maximale. Par ailleurs, l'emploi de MSBS / SLBM assure la capacité à pénétrer les défenses adverses le long de trajectoires potentielles qui semblent peu ou pas concernées par les capacités de défense aérienne régionales, en particulier celles à finalité anti-balistique de territoire ou dites ABM.

     Ce qui amène à questionner le panachage des 20 UGM-133A Trident 2D5 entre des têtes nucléaires W76-1 et W76-2 :

     La Nuclear Posture Review 2018 (février 2018), dont les travaux préparatoires débutèrent et furent menés sous la férule du général James Norman Mattis (20 juin 2017 - 1er janvier 2019) avant l'élection de Donald J. Trump (8 novembre 2016), proposait, notamment, comme recommandations le développement d'un missile de croisière à changement de milieu (Sea-Launched Cruise Missile (SLCM) porteur d'une charge nucléaire (SLCM-N) et d'une nouvelle tête nucléaire à faible rendement au profit des Sous-marins Nucléaires Lanceurs d'Engins (SNLE ou Ship Submersible Ballistic Nuclear (SSBN). Deux recommandations pouvant aider à soutenir une posture opérationnelle contre forces que le Pentagone souhaitait depuis, au moins, la Nuclear Posture Review 2010.

     La Nuclear Posture Review 2018 postulait le besoin avéré d'une arme nucléaire de faiblesse puissance (« low-yield nuclear weapon ») dont la finalité opérationnelle serait des frappes anti-forces et anti-structures durcies ou enterrées dans la perspective d'une guerre dite « régionale ». Plus précisément, il s'agirait d'une réponse à l'évolution de la doctrine nucléaire russe suspectée ou clairement accusée selon les protagonistes d'avoir abaissé le seuil d'utilisation de l'arme nucléaire par la « doctrine d'escalade et de désescalade » dont l'existence même fait l'objet d'âpres débats.

     En tous les cas, la « low-yield nuclear weapon » doit permettre de rétablir la valeur dissuasive des forces militaires américaines déployées dans les différentes « régions » par une réponse de la même nature et donc rétablir la dissuasion. Son utilité opérationnelle est à contrebalancer avec celle des armes nucléaires tactiques ou « sub strategic » dans le vocable otanien B61 en ses différents « mod. » : les B61 ne sont déployées qu'en Europe et non pas, par exemple, en Asie (Japon, Corée du Sud). Un UGM-133A Trident 2D5 porteur de W76-2 peut combler cette lacune. Aussi, le même missile équipé des mêmes têtes peut être lancé sur ordre du président américain et atteindre sa cible au cours d'une crise en moins d'une heure car le SNLE en alerte est constamment prêt à exécuter cet ordre. Le même tir par B61 suppose un délai plus long en raison de la mise en alerte des forces de l'OTAN aptes à délivrer ces armes.

     L'arsenal nucléaire américain possède à l'inventaire environ 448 missiles Mer-Sol Balistique Stratégique (MSBS ou Submarine Launched Ballistic Missile (SLBM) UGM-133A Trident 2D5. Sur ces 448 MSBS, 240 sont déployés effectivement sur les SNLE. Les autres, soit plus ou moins 208, servent de volant de pièces de rechanges mais aussi aux de missiles consommables pour soutenir le programme d'essais en vol d'un missile possédant des perspectives d'évolution par le truchement du Trident 2D5 Life Extension Program devant étendre leur service opérationnel de 2028 à 2042.

Ces 240 MSBS Trident 2D5 peuvent être armés par :

  • 1486 têtes nucléaires W76 mod. 1 (W76-1) d'une puissance nominale de 90 Kt, à raison de 1 à 8 têtes « mirvées » par missile dit « Mk 4A » (2008), de quoi armer un maximum théorique de 185 missiles ;

  • 384 têtes nucléaires W88 d'une puissance nominale de 455 Kt, à raison de 1 à 8 têtes « mirvées » par missile dit « Mk 5 » (1990), de quoi armer un maximun théorique de 48 missiles ;

  • 50 têtes nucléaires W76 mod. 2 (W76-2) d’une puissance nominale qui serait comprise entre 5 et 7 Kt.

Le nombre de configurations ne peut être trop grand puisqu'il n'y a « que » dix SNLE sur quatorze pouvant recevoir leur dotation complète en missiles. Et donc cela suppose une « masse critique » à affecter à chaque scénario sur lequel est bâtie la posture opérationnelle.

Il convient de souligner que restreindre le nombre de têtes nucléaires emportées de huit à seulement deux implique un allongement de la portée qui à l'origine de 12 000 km, avec toutes ses charges.

La recommandation sur les armes nucléaires de faiblesse puissance fut suivie d'effet puisque fut mis à l'étude dès 2018 la tête nucléaire W76 mod. 2 (W76-2) grâce à l'allocation de 65 millions de dollars via un amendement du 13 avril 2018. Dans la littérature ouverte, il est dit que sa puissance nominale serait comprise entre 5 et 7 Kt, contre 90 Kt pour la W76-1. Puissance réduite et non pas réglable.

L'année 2019 aurait vu la mise en production par Pantex Ordnance Plant de la W76-2 à raison de 50 exemplaires. La première - First Production Unit (FPU) - serait sortie de la chaîne dès février 2019 et les dernières auraient été livrées en septembre 2019. La nouvelle venue aurait été déclarée opérationnelle la même année.

Toujours dans la littérature ouverte, deux configurations possibles de MSBS Trident 2D5 ou « Mk 4A » sont évoquées : 

  • L'une croit savoir que deux missiles par SNLE de classe Ohio en patrouille recevraient deux MSBS Trident 2D5 chargés chacun à raison de deux W76-2, de quoi armer vingt-cinq missiles, soit douze SNLE de classe Ohio ;

  • l'autre configuration évoquée est beaucoup plus flexible car elle n'évoque la présence que d'un ou deux MSBS Trident 2D5 chargés chacun d'une à huit W76-2.

     Le 4 février 2020 a été publié un communiqué par le Pentagone affirmant qu'avait été mené par le SSBN-734 USS Tennessee (Naval Submarine Base Kings Bay (1979), océan Atlantique) la première patrouille opérationnelle de la tête nucléaire W76 mod. 2 (W76-2), probablement entre décembre 2019 et janvier 2020. Il s'agit de l'une des recommandations de la Nuclear Posture Review 2018 qui aboutit assez rapidement. Le choix de l'océan, lieu de la première patrouille, ne permet pas de douter que la Fédération de Russie est la principale intéressée par cette évolution.

     C'est dans cette perspective que la patrouille menée par le SSBN-736 USS West Virginia (1990) jusque dans la mer d'Arabie, et plus largement dans l'océan Indien, interpelle quant à un possible cas d'école de l'application de la Nuclear Posture Review 2018, avec un avertissement, dans cette hypothèse, parfaitement clair à l'endroit de Moscou.

 

3 commentaires:

  1. Bonjour, un grand merci pour cet article passionnant.
    A titre de précision, je lis que l'US Navy a supprimé le financement de la recherche et du développement du missile de croisière à lanceur maritime à armement nucléaire (SLCM-N).
    https://news.usni.org/2022/04/27/report-to-congress-on-sea-launched-nuclear-cruise-missile
    Bien cordialement, Jean.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Jean,

      Bonjour, vous avez raison de noter que les financements ont été pour le moment annulés au sujet du programme SLCM-N...

      Toutefois, les débats ne sont pas éteint et sa pertinence est toujours discuté.

      Il ne peut pas être totalement écarté qu'il puisse être relancé.

      Bien cordialement,

      Supprimer
  2. en ce moment annoncé déploiement du sous-marin uss georgie

    RépondreSupprimer