La société de construction navale militaire ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) est mise au défi d'un redressement spectaculaire de sa place dans l'industrie allemande : quitte à influencer lourdement la décision publique, malgré les désidératas énoncés par le gouvernement fédéral lui-même. C'est avec la douceur d'une Panzerdivisionen déflorant les forêts des Ardennes un petit matin de mai que M. Oliver Burkhard a fait du programme F127 le « véhicule » du retour en force de TKMS sur le segment des bâtiments de surface. Quitte à faire la décision quant à l'arrêt de la coopération avec les Pays-Bas. En effet, le « Bundesamt für Ausrüstung, Informationstechnik und Nutzung der Bundeswehr » (BAAINBw) excluait de la procédure par appel d'offres, en mars 2018, TKMS du programme MehrzweckKampfSchiff klasse 180 (MKS180).
Premier acte, et dès juillet 2015 : il était décidé du lancement d'un appel d'offres européen, devant notamment servir à sanctionner l'industrie allemande, et plus particulièrement ThyssenKrupp Marine Systems pour les déboires rencontrés sur les programmes K130 et F125. L'appel d'offres européen suscitait l'intérêt de six soumissionnaires (Damen/Blohm et Voss ; DCNS ; Fincantieri ; GNYK/BAE Systems ; Lürssen/TKMS ; Navantia). Mais rapidement certains se retiraient à l'instar, par exemple, de DCNS et Fincantieri : au motif que le caractère européen de la procédure n'en a que le nom. BAE Systems en faisait de même, en 2017.
Deuxième acte : il se déroulait à l'occasion de la remise de la deuxième offre des soumissionnaires restants qu fût effectivement déposée en décembre 2017. Et en mars 2018 : le Bundesamt für Ausrüstung, Informationstechnik und Nutzung der Bundeswehr (BAAINBw) ou Office fédéral des équipements, des technologies de l'information et du soutien en service de la Bundeswehr excluait de la procédure ThyssenKrupp Marine Systems et Lürssen.
La sidération était telle que des rumeurs se faisaient jour quant à la cession des activités de construction de bâtiments de surface alors même que TKMS achevait de donner toute son ampleur à la crise. L'entreprise s'était réorganisée en ce sens (2011 – 2018).
Une esquisse des manœuvres des industriels allemands avait été dévoilée dès le 17 avril (« Thyssenkrupp in talks with local rivals about possible warship unit merger », Reuters, 17 avril 2020) quand le conglomérat Thyssenkrupp disait envisager de fusionner sa filiale ThyssenKrupp Marine Systems avec un rival national - German Naval Yards (GNYK) ou Lürssen donc - afin de faire naître un champion national. Mais ce mercredi 13 mai, ce sont GNYK (~250 millions d'euros de Chiffre d'Affaires (CA) ou Lürssen (~700 millions d'euros de CA) qui sont parvenus à un accord afin de rapprocher leurs activités via une société commune. Et la porte demeure ouverte à l'attention de ThyssenKrupp car Lürssen pourraient prendre jusqu'à 50% de GNYK avant d'entreprendre les discussions avec le conglomérat allemand afin d'adjoindre au précédent et nouvel ensemble TKMS.
Un rapprochement de TKMS avec Fincantieri (~1600 millions d'euros millions d'euros de CA) a également été étudié. Cette dernière hypothèse passerait par la création d'une société commune détenue à parts égales par Fincantieri et TKMS qui prétendrait à un chiffre d'affaires annuel d'environ 3400 millions d'euros. La coopération Fincantieri - Naval group (2015 - 23 octobre 2019) ne vise comme activité que les programmes binationaux de bâtiments de surface, la coordination des efforts des deux industriels sur les marchés étrangers et la mise au point d'un nouveau système de combat devant équiper les quatre frégates du programme Horizon - à savoir les classes Forbin (2) et Andrea Doria (2) dans le cadre de leur rénovation à mi-vie (Mid-Life Update (MLU) qui sera un chantier binational et la Coopération Structurée Permanente (CSP ou PErmanent Structured COoperation (PESCO) European Patrol Corvette.
Raisons qui invitent à écarter un scénario d'un double mouvement de consolidation mêlant Fincantieri - TKMS, d'un côté, et GNYK - Lürssen : à moins que ne soit accepté en Allemagne ce qui serait plus ou moins une vente à la découpe entre ces deux pôles.
M. Oliver Burkhard, ancien directeur des ressources humaines de la société-mère Thyssenkrupp, a été nommé P-DG de TKMS, le 1ier mai 2022. Il présentait même le nouveau plan stratégique de TKMS dès le 14 du même mois. À l'intérieur de celui-ci était énoncé qu'il s'agissait pour le conseil d'administration dont il assurait la direction de faire en sorte de participer à une « consolidation en Europe. En tant que TKMS, nous pouvons imaginer de nombreuses formes de partenariats ». Il précisait même que « si la route vers un géant européen est encore trop difficile, un champion allemand pourrait d'abord être formé avec Lürssen ou German Naval Yards, par exemple ». (Von Carsten Dierig, Birger Nicolai, « Thyssenkrupp Marine Systems willdeutschen Werften-Champion bilden », Welt, 14 mai 2022)
Il pouvait en ressortir, a priori, que M. Oliver Burkhard n'énonçait rien de nouveaux et que les discussions allaient se poursuivre du point des dimensions capitalistiques, de rationalisation des outils industriels : dans l'optique de mener une concentration capitalistique à l'échelle considérée. Pourtant, et a posteriori : c'était peut-être là le point de départ d'un retour en force sur le plan industriel, en agissant avec rudesse et brutalité. Et le conseil d'administration avait peut être alors déjà en tête de replacer TKMS sur les meilleures positions industrielles, en termes de conception des bâtiments de surface, et en arrachant des briques technologiques et les métiers d'intégration associés, que TKMS serait la seule société à détenir en Allemagne.
Le « véhicule » de la manœuvre allait être le programme « Next Generation Frigate » ou future F127.
« Next Generation Frigate » car ce programme n'a pas été lancé directement par la Deutsche Marine mais par le bureau de planification du ministère fédéral de la Défense. Cela manifesterait deux choses : la première est l'importance interministérielle accordée au projet. La deuxième est que l'organisation ainsi arrêtée aurait permettait l'économie de 12 à 18 mois dans l'analyse préliminaire. Les protagonistes de l'affaire qui mêle PlgABw, BAAINBw, CIR, MarKdo, BAIUDBw sont rassemblés dans une équipe de projet intégrée dès le lancement du programme et non pas à une échéance plus lointaine, comme pour d'autres procédures plus classiques.
Le programme F127 ne doit pas seulement pourvoir au remplacement des frégates type F124 (Sachsen (2003), Hamburg (2004), Hessen (2006) et Thüringen (option non-affermie) « nombre pour nombre » de coques. Ces futures frégates de défense aérienne sont pensées comme la manifestation de la participation de la Deutsche Marine à la défense territoriale de l'Allemagne, avec en sus une possible contribution aux capacités de l'Alliance atlantique en matière de lutte contre les missiles balistiques. Les cinq premières frégates seront aptes à des interceptions en bas et haut endo-atmosphérique jusqu'à 100 km d'altitude. La sixième frégate serait éventuellement conçue et adaptée matériellement pour des interceptions extra-atmosphériques, dépassant les 100 km d'altitude, si une telle décision politique était prise. D'où des considérations pour les missiles SM-3 et SM-6 mais également pour European Midcourse. Defence Interceptor (EMDI) basé en mer, voire un missile à statoréacteur de conception nationale. La question est étudiée par le „HF133 –Flugkörper für maritime Luftverteidigung“.
L'Inspecteur de la Marine approuvait le concept de „Territoriale Flugkörperabwehr“ (Défense territoriale contre les missiles) au plus tard au début du mois de juillet 2018. L'équipe de projet intégrée recevait un mois plus tôt, en juin 2018, la commande de la première étude (juin 2018) soumettait un concept opérationnel préliminaire approuvait par l'état-major de la Deutsche Marine en avril 2019.
C'est pourquoi l'objectif de l'équivalent allemand d'une « posture permanente » et d'un « contrat opérationnel » repose sur la disponibilité permanente de deux bâtiments : l'un devant assurer la défense aérienne d'un groupe naval constitué, l'autre contribuer à la défense antimissile territoriale dans le cadre de la sécurité intérieure et de la défense nationale mais également à la défense antimissile balistique de l'OTAN. D'où une cible programmatique de six frégates, contre quatre pour l'ancien programme LCF / F124 dont seulement trois furent mises sur cale. Une cible qui a été récemment confirmée par le document « Zielbild Marine 2035+ » (Image cible Marine 2035+) - ayant fuité, malgré la Deutsche Marine - avec une cible actuellement arrêtée à cinq pour le programme et devant être portée à six unités.
Une première esquisse - présentée comme datant de juin 2019 - matérialisait le résultat des réflexions préliminaires. Point notable : le système de lancement vertical se composait alors de 11 lanceurs octuples, soit 88 silos contre 32 pour les F124. Le reste des systèmes d'arme embarqués au titre des batteries des futurs bâtiments comprendront, dans l'esprit des architectes actuels du projet, des RAM Block II aussi bien que des ESSM Block II pour la défense à courte et moyenne portée. Deux options matérielles se distinguent dans cette perspective : la volonté d'intégrer un laser de combat de la classe des 100 kW et des réflexions quant au développement d'une « arme de grande envergure » pour la lutte anti-sous-marine. Les F127 intégreront une suite de drones (UUV, USV et UAV). Mais plus intéressant est que deux zones modulaires seront disposées à la poupe, sous la plate-forme hélicoptère et au centre du bâtiment qui comprendra le hangar aéronautique plus les niches latérales.
Le premier bâtiment livré en 2032 disposera de la moitié des caractéristiques opérationnelles d'un premier standard lui permettant de remplacer les frégates F124 dans leurs futures capacités post-modernisation (2025). La deuxième F127 sera livrée toujours à ce premier standard mais avec l'entièreté des caractéristiques visées. La troisième frégate détiendra une première capacité opérationnelle contre les missiles balistiques de la « couche inférieure » (interception en bas endo-atmosphérique ?). Les quatrième et cinquième F127 disposeront d'autres capacités, dont « des » lasers, des modules de missions. La sixième et dernière unité recevra si pareille décision politique était prise une capacité d'interception extra-atmosphérique. L'harmonisation des standards se fera au fur et à mesure du calendrier des arrêts des bâtiments. Eu égard à la vie opérationnelle des bâtiments (2030 – 2075), une approche modulaire ne peut qu'être mobilisée pour parer aux imprévus.
Cette prise de parole, par la Deutsche Marine, quant au calendrier du programme F127 permet à la Marine allemande d'exercer une légère – mais perceptible – pression sur le ministère fédérale de la Défense car il est bien sous-entendu qu'il ne sera pas possible de mener de front la construction de MKS180 après 2030 et celle des F127, si bien qu'il s'agit de comprendre que les MKS180 n°5 et 6 seront construits avant 2030 en exerçant l'option insérée dans le programme... ou ne seront pas.
Le prélude au programme F127 demeure la modernisation des trois frégates F124 à l'horizon 2025. Celles-ci doivent bénéficier d'un « Mid-Life Update » (MLU), équivalent à la Rénovation à Mi-Vie (RMV) dans le vocabulaire français. Et ce programme devait être effectué de concert avec le programme néerlandais afférent aux LCF (Luchtverdedigings- en commandofregat) : c'est-à-dire dire les Zr. MS. De Zeven Provinciën (2002) Zr. MS. Tromp (2003) Zr. MS. De Ruyter (2004) et Zr. MS. Evertsen (2005).
Cette affaire, relevant, en apparence, du banal « traitement des obsolescences » de bâtiments dont il faut régénérer le potentiel opérationnel et adapter senseurs et effecteurs aux nouveaux enjeux militaires, constitue pourtant l' « acte de guerre » de TKMS. Les programme Midlife update (MLU) of air defence and command frigates (classe De Zeven Provinciën (4) et le „Projekt Obsoleszensbeseitigung Weitbereichssensor und Fähigkeitserweiterung Luftverteidigung (ObsWuF LV F124)“ mené au bénéfice des F124 (classe Sachsen (3) devait en constituer l'acte premier tandis que le remplacement de ces bâtiments par les programmes Replacement of air defence and command frigates (incl. studies) et « Next Generation Frigate » ou F127 en serait le deuxième.
Dans un premier temps, le BAAINBw attribuait un contrat (23 août 2021) à la société allemande Hensoldt et israélienne Israel Aerospace Industries (IAI), pour un montant de 220 millions d'euros (2021) dont le principe avait été approuvé par le Bundestag en juin 2021. Son objet consiste dans le remplacement des radars S1850/SMART-L (Thales NL) des F124 (classe Sachsen (3) par un nouveau radar AESA dénommé TRS-4D/LR ROT.
Celui-ci résulte de la coopération menée entre Hensoldt et ELTA Systems (IAI) dans le domaine des radars à longue portée compatibles BMD (Ballistic Missile Defence). Le TRS-4D/LR ROT sera capable de suivre des cibles très petites et maniables à des distances de plus de 400 km pour les cibles aériennes et jusqu'à 2 000 km pour les cibles en orbite terrestre. Cela inclut les missiles balistiques à longue portée. Les systèmes IFF seront également modernisés.
Ces travaux sont à mener dans le cadre du „Projekt Obsoleszensbeseitigung Weitbereichssensor und Fähigkeitserweiterung Luftverteidigung (ObsWuF LV F124)“ qui a débuté - au plus tard - en 2019. La cible programmatique est de quatre radars dont l'un est destiné à la Marinetechnikschule (MTS) à Parow (Mecklenburg-Vorpommern, Allemagne) pour installation en 2023. Les trois autres seront installés et intégrés sur les frégates Sachsen (2003), Hamburg (2004), Hessen (2006). Le premier bâtiment entrera en chantier en 2024. Les TRS-4D/LR ROT devant être posés entre 2025 et 2028 sur chacune des frégates. Ceci devant leur permettre de servir à la mer jusqu'en 2036.
Il avait été initialement considéré que les S1850/SMART-L (Thales NL) des F124 (classe Sachsen (3) ne devaient pas être débarqués mais bien modernisés, conjointement avec les Néerlandais qui ont porté les leur au standard SMART-L EWC — Early Warning Capability (alerte avancée), au bénéfice des Zr. MS. De Zeven Provinciën (2002) Zr. MS. Tromp (2003) Zr. MS. De Ruyter (2004) et Zr. MS. Evertsen (2005) de la Koninklijke Marinen. Aux environs de l'année 2010, l'Allemagne exigeait que la portée du SMART-L (Signaal Multibeam Acquisition Radar for Tracking, L band) soit portée au-delà des 800 km de la version initiale. Les Allemands exigeaient 1 000 km. Les Néerlandais répondirent donc avec la version EWC conférant une portée allant jusqu'à 2 000 km dont 700 km en altitude en BMD (Ballistic Missile Defence). Finalement, quand l'appel d'offres était émis en 2020 pour moderniser ou remplacer les S1850/SMART-L (Thales NL) des F124 : l'Allemagne a formulé des exigences dans l'appel d'offres qu'un employé de Thales NL qualifiait d'« extrêmes » et de « politiquement motivées » (Jaime Karremann, « Bom onder Nederlands-Duitsfregattenproject; Duitsers willen Amerikaanse radar », Marine Schepen, 2 mars 2023). Le choix s'est finalement porté sur le TRS-4D/LR ROT.
Projekt ObsWuF LV F124 était précédé par les travaux du consortium « HW Regeneration CDS F124 » (2013 - 2017) afin de moderniser les systèmes de combat (Combat Direction System (CDS) des mêmes frégates. Atlas Elektronik et Thales Deutschland - formant le consortium « HW Regeneration CDS F124 » - signaient un contrat, en mars 2013, avec le BAAINBw à Coblence. Le Test and Training Center (EZ/AZ) à Wilhelmshaven (Allemagne) et le Reference Maintainer and Training Site (RMTS) à Den Helder (Pays-Bas) bénéficiaient de travaux similaires.
Parallèlement au contrat signé le 23 août 2021 : un deuxième, signé quant à lui le 22 juillet 2021, bénéficait à la Luftwaffe afin de percevoir la livraison et l'installation de quatre radars longue portée dans le cadre du HR-3000 ou « Hughes Air Defence Radar Nachfolgesystem » (HADR NF), conçu et fabriqué également par Hensoldt et ELTA Systems (IAI), aussi pour un montant de 220 millions d'euros (2021). Les nouveaux systèmes radar d'alerte avancée seront installés au cours des prochaines années sur quatre sites en Allemagne de l'Ouest, sur de nouvelles tours à construire et à mettre en service, dans le cadre de la „Territoriale Flugkörperabwehr“ (Défense territoriale contre les missiles).
TKMS est donc devenu l'un des industriels européens pouvant intégrer un radar à longue portée pouvant mener des missions DAMB (Défense Anti-Missile Balistique) ou NATO BMD (Ballistic Missile Defence) avec Hensoldt - à l'instar de Thales (radar UHF), Thales Nederland (SMART-L EWC) et de Leonardo (KRONOS Power Shield) - à retirer l'un des avantages compétitifs des Pays-Bas dans le cadre d'une coopération devant porter sur des frégates de défense aérienne. La société de construction navale batave Damen ayant remporté l'appel d'offres (13 janvier 2020, contrat signé le 17 juin 2020) au profit du programme MehrzweckKampfSchiff klasse 180 (MKS180) : TKMS se devait donc désormais de lui interdire l'accès à la « poutre-navire », grâce à une manœuvre - encore une fois - en deux étapes à travers le programme Next Generation Frigate ou F127.
Il ne s'agit plus seulement d'un programme national depuis la signature d'une lettre d'intention, le 17 décembre 2020, par la staatssecretarissen van Defensie, Mme Barbara Visser (26 octobre 2017 – 31 août 2021) et le Staatssekretär für Ausrüstung und Cyber/Informationstechnik (BMVg), M. Benedikt Zimmer (5 avril 2018) portant sur le remplacement conjoint des frégates de défense aérienne : LCF (Luchtverdedigings- en commandofregat) par le programme « LCF replacement » / « Future Air Defender » (FuAD) et donc les frégates type F124 par le programme « Next Generation Frigate » ou F127. Du point de vue du calendrier, la 1ière FuAD doit avoir été livrée en 2031 tandis que la F127 n°1 devra l'avoir été en 2032.
Le vice-amiral allemand Carsten Stawitzki déclarait, en 2021, qu'il s'efforcerait toujours d'obtenir des « navires identiques » entre pour les programmes FuAD et F127.
Il est à noter que dans le cadre du programme « Next Generation Frigate » ou F127, le Commander Gilda Prüß (After F124 comes F127, Europäische Sicherheit & Technik, 23 janvier 2023) présentait les trois grandes options placées devant les décideurs allemands :
- coque étrangère + radar étranger ;
- coque nationale + radar étranger ;
- repartir d'une feuille blanche et pour la coque et pour le radar.
Premièrement, le système de combat AEGIS a été introduit (novembre 2022 ?) dans l'équation quand la partie allemande a fait entrer dans les discussions les frégates de la classe Constellation (programme FFG(X) car il se comprend qu'il s'agit d'une frégate de conception européenne (classe Carlo Bergamini, conçue dans le cadre du programme FREMM, pour laquelle ont été intégré les spécifications opérationnelles demandées par NAVSEA et aboutissant à des plans révisés, s'illustrant par plus de 700 tonnes supplémentaires). La Deutsche Marine voudrait ce système de combat, supposément car il coûterait moins cher. Mais il se devine que la manœuvre est poussée par TKMS qui imposerait politiquement le principe d'intégrer un système de combat qui ne serait pas celui de Thales et donc pas repris des travaux consentis pour les futures frégates F126 (programme MehrzweckKampfSchiff klasse 180 (MKS180).
Politiquement, cela signifie, en effet, que deux positionnements industriels de souveraineté auront été retirés à Damen (intégration du système de combat à la « poutre-navire ») et à Thales Nederland (non-choix du successeur du SMART-L EWC oblitérerait l'avenir de la société et donc du positionnement géopolitique des Pays-Bas en Europe). C'est d'autant plus prégnant que la partie allemande considérait même l'intégration des radars AN/SPY-7 (installés à bord des frégates F110 (Navantia) : voire même l'AN/SPY-6 qui est l'un des éléments de réponse de l'U. S. Navy face à la Marine de l'Armée populaire de Libération dans l'océan Pacifique, sur ce qui est dénommé dans l'Alliance atlantique NATO IAMD (Integrated Air and Missile Defence), ouvrant la porte à l'interception de munitions hypersoniques, et plus seulement aux missions dites BMD (Ballistic Missile Defence) et donc ABM (Anti-Ballistic Missile). Une nouvelle réunion devrait intervenir d'ici à quelques semaines.
Deuxièmement, TKMS emprunte un nouveau « véhicule » en dévoilant l'avant-projet mis à l'étude par la société de construction navale militaire allemande afin de se positionner dans le cadre du programme « Next Generation Frigate » ou F127 avec une coque de conception nationale et donc un radar étranger. Il ne s'agit rien de mons qu'un bâtiment long de 220 mètres pour 12 000 tonnes. L'auteur de ces lignes formule l'hypothèse que - et non sans humour - TKMS aurait présenté les dimensions générales du CGN-9 USS Long Beach et il s'agirait donc d'un 12 000 tW (Frank Behling, « Kieler Werft TKMS will neue Riesen-Fregatte bauen », Kieler Nachrichten, 7 mars 2023).
„Das wird ein Schiff für die Luftverteidigung. Eine Art Iron Dome für Nord- und Ostsee“.
« Ce sera un navire de défense aérienne. Une sorte de dôme de fer pour la mer du Nord et la mer Baltique ».
M. Oliver Burkhard (1ier mai 2022), P-DG de TKMS
Politiquement, cela signifierait cette fois-ci que TKMS viserait à faire accepter par la Deutsche Marine une proposition industrielle qui excéderait - et de loin - la matérialisation des exigences opérationnelles de la Koninklijke Marinen par Damen. La considération du radar AN/SPY-6 a, ici, toute son importance car les paneaux sont plus grand en superficie de près de 30%, ainsi que le gain en signal (+ 34 décibels) : ce qui placerait la F127 sur le même segment opérationnel que le futur DDG(X) actuellement mise à l'étude, du point de vue de la formulation du besoin opérationnel, par NAVSEA (U. S. Navy).
Ces dimensions générales ne soulèveront pas l'ombre d'un sourcil dans la Deutsche Marine : les futures F126 devant, déjà !, dépasser les 10 000 tonnes de déplacement à pleine charge. Le P-DG de TKMS, M. Oliver Burkhard (1ier mai 2022) positionnait plutôt son argumentaire vis-à-vis de l'enjeu industriel à livrer en temps et en heure : « Nous pouvons le faire seuls. Nous avons Wismar pour cela ». Tout en promettant une livraison rapide, faisant le lien avec celles des frégates MEKO A200 construites au profit de l'Égypte en approximativement 39 mois.
Troisième temps, finalement, cette coopération germano-hollandaise présentée comme déjà morte et enterrée par Oliver Burkhard : l'élargissement de la coopération, cette fois-ci sur une base multinationale. Les pays participants (Allemagne, Danemark, Finlande, Norvège, Pays-Bas, Suède) au Northern Naval Shipbuilding Cooperation (NNSC) ont signé une lettre d’intention (22 novembre 2022). Ouvrant la NNSC par son discours introductif, le viceadmiraal René Tas, chef d'état-major de la Koninklijke Marinen (9 septembre 2021), liait cette lettre d'intention signée avec les pays d'Europe du Nord, dotés d'une industrie navale, à la future capacité de défense aérienne. « Avec ces pays, nous explorerons les possibilités de collaborer à la conception de capacités futures, telles que comme la future capacité de défense aérienne, qui peut être une capacité complète, comme une frégate ».
Entre parenthèses, l'affaire place - de manière ironique - la Koninklijke Marinen dans une drôle de position car elle envisagerait depuis plusieurs années d'abandonner la famille des Standard Missiles et le remplacement des LCF (Luchtverdedigings- en commandofregat) par les FuAD n'est pas concevable avec un système de combat AEGIS et un radar AN/SPY-6 si l'on désire obtenir des ASTER. En outre, un abandon allemand de la coopération avec les Pays-Bas laisserait ceux-ci en tête-à-tête avec les Danois (lettre d’intention signée en ce sens, 19 décembre 2022).
Il en résulte que c'est bien l'industriel, en l'occurrence ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS), qui ferait et la politique industrielle, et la stratégie des moyens de la Deutsche Marine : en dépit des décisions et travaux commandés par le Politique. Et cela s'expliquerait fort bien : le Politique allemand, et a fortiori le Député du Bundestag ne s'ingénie pas à étudier les enjeux de pouvoir au sein des doctrines militaires et encore moins dans les spécifications des armements. Ce qui l'intéresse plus relève de la capacité du Bundestag à se saisir d'un dossier militaire quand la dépense dépasse les 25 millions d'euros : le chantier naval de TKMS à Wismar est situé dans le Länd de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, dirigé par le SPD. Et M. Oliver Burkhard présentait sa volonté de faire la F127 devant une délégation de Députés SPD du Bundestag.
Au plan stratégique, TKMS n'a donc pas abdiqué et ne sera pas une société vendue « à la découpe » entre GNYK, Lürssen et Fincantieri. Au contraire, sur le plan industriel, il ne manquerait plus que Oliver Burkhard affirme « nous sommes les seuls à pouvoir faire la F127 en Allemagne ». Et il est à noter dans cette perspective que le revirement de TKMS vis-à-vis des Pays-Bas ne résulte peut-être pas des seules considérations afférentes à la survie de la société dans le paysage européen. La F127 est positionnée, dans la continuité des F124 à moderniser, sur le „Territoriale Flugkörperabwehr“ (Défense territoriale contre les missiles). En envisageant d'atteindre les spécifications opérationnelles américaines en la matière (ABM et NATO IAMD) jusqu'à en adopter les définitions matérielles : TKMS pousse l'Allemagne à prendre les devants face aux Pays-Bas.
En ce sens, le programme « Next Generation Frigate » ou F127 doit être regardé comme le pendant naval de la « European Sky Shield Initiative » (ESSI), constituant en cela un « trade-off » avec Washington en pouvant prétendre à dispenser l'U. S. Navy de déployer un squadron de destroyers Arleigh Burke Flight III, voire des DDG(X) en Europe du Nord : dont participer à un Carrier Strike Group (CSG), facilitant peut être en cela leur déploiement en Europe car déchargeant l’U. S. Navy d’un ou plusieurs escroteurs. Et renforçant d'autant les prétentions de Berlin par l'ESSI alors que son rôle de « centrale d'achat » ne se justifie en rien pour ordonner les procédures FMS et des architectures opérationnelles conçues dans l'OTAN, sous la férule des Services américains. Au final, la F127 donne le « La » aux enjeux capacitaires navals à l'horizon 2030.
Je comprends que la renaissance de TKMS soit l'enjeu de ce projet.
RépondreSupprimerMais pour le reste, tout me semble mal ficelé. Il me manque des clefs.
Politiquement:
Pourquoi détruire l'alliance avec les Pays-bas? Qui épaulera l'Allemagne?
D'un point de vu naval:
Deux croiseurs sont'il vraiment plus adaptés que trois destroyer?
Quand on ne vise pas le Pacifique, j'en doute.
Il faut du volume pour la BMD, d'accord, mais ou est la cote -libre- face à une menace?
Bref, cette annonce me laisse perplexe. Je n'en voit pas la rationnalité.
Cher Marquis,
RépondreSupprimerRavi de vous retrouver, après cette longue pause ! L'article m'inspire 3 réflexions distinctes :
La première réflexion concerne le côté "brouillon" et l'absence de stratégie apparente d'une Allemagne qui entend pourtant devenir "la première force conventionnelle en Europe" (déclaration d'Olaf Scholz), mais qui met un point d'honneur à détruire ou contrarier tous les partenariats en cours ou à venir avec ses partenaires européens, et à acheter de préférence des matériels US ou israéliens, plutôt que de s'abaisser à acheter des équivalents européens... comme le souligne très bien l'article, on constate dans les faits que ce sont les industriels allemands qui semblent faire la politique de défense de l'Allemagne (TKMS et la F127, Rheinmetall et le char KF-51...). On peut parfaitement comprendre que l'Allemagne fasse passer ses intérêts industriels avant tout, mais pas au prix d'une absence de cohérence générale de la politique de défense allemande, et pour tout dire de l'absence d'un vrai projet stratégique. A mon sens, cette politique du "canard sans tête" empêchera l'Allemagne d'exercer le leadership qu'elle convoite.
La seconde réflexion concerne le choix de faire des F127 de véritables croiseurs (12 000 tonnes, si cela est confirmé), rejoignant en cela les DDX italiens, ou les dernières productions asiatiques. Ce gabarit s'explique principalement par le besoin d'emporter des missiles anti-missiles balistiques, et installer un laser de puissance. De prime abord, ces unités impressionnent par leur taille et leur puissance de feu. Pourtant, à bien y réfléchir, il semble bien imprudent de mettre "tous ses œufs dans le même panier" à l'heure du retour des conflits de haute intensité, et où les wargames produits par les USA simulant un potentiel conflit face à la Chine débouchent tous sur des pertes de navire par dizaines de chaque côté... A moyens constants, il semblerait plus rationnel, et beaucoup plus prometteur sur le plan tactique, d'envisager de construire des drones de surface de grande taille (environ 1 000 tonnes ?), coûtant chacun une fraction du coût d'une corvette, et navigant sous le contrôle et la supervision d'une frégate spécialement équipée pour cette fonction (la FDI ferait une candidate parfaite pour gérer une telle flotille de drones...). Les drones seraient dotés de senseurs radars et sonars mis en réseau au profit de la frégate (qui pourrait ainsi naviguer elle-même tous senseurs éteints), de tubes verticaux, et d'un système d'autodéfense basique, permettant tous ensemble d'obtenir une puissance de feu équivalente et même supérieure à celle d'un croiseur. A la grande différence que ce réseau de drones apporterait une "bulle" de détection aérienne et ASM infiniment plus vaste et plus résiliente que celle produite par un unique navire, fut-il extrêmement puissant comme un croiseur. La perte d'un drone ne signerait pas la fin du combat, là où la perte d'une unité majeure comme un croiseur amènerait probablement à envisager le retrait et la mise en sécurité des forces navales dans le secteur.
La 3ème réflexion concerne le fait de confier la défense anti-missiles balistiques (DAMB) à des unités navales dotées de missiles (SM-6), ou prochainement de lasers de puissance. Les missiles ont 2 défauts : ils sont extrêmement coûteux, ce qui est en soi problématique compte tenu de nos ressources financières contraintes, et le nombre de silos est nécessairement limité. L'ennemi peut très facilement calculer la taille de la salve, et lancer une attaque par saturation, ou plus simplement envoyer d'abord un grand nombre de leurres destinés à vider les silos, puis tirer quelques minutes plus tard de "vrais" missiles. Tactique basique, mais hélas imparable. Le laser est plus prometteur, puisqu'il permet de contrer même les attaques saturantes. Mais le laser est très sensible aux conditions atmosphériques. Or, ces conditions sont incontrôlables en mer (brouillard, pluie, plafond nuageux, tempête...). Il semble donc largement préférable d'utiliser des lasers de puissance en altitude, plus précisément depuis la stratosphère qui offre des conditions de visibilité et donc de détection presque parfaites (>600km), associé le cas échéant à un réseau de satellites pour détecter les tirs et gagner de précieuses secondes de préavis pour l'interception d'une cible hypersonique. La solution passe donc par des lasers de puissance embarqués sur de grands dirigeables stratosphériques, conçus pour voler plusieurs mois sans interruption, résister aux vents très violents dans la stratosphère, et qui devront embarquer une source d'énergie très puissante, mais avec un poids compatible avec la charge utile forcément limitée du dirigeable (le micro-réacteur nucléaire semble la solution optimale pour cet usage...). Cette réflexion n'a d'autre but que de questionner l'intérêt des missiles et des grands destroyers ou croiseurs pour les missions DAMB, l'argent pouvant sans doute être investi plus intelligemment et plus efficacement...
RépondreSupprimerHors la défense antimissile, j'ai retenu le fait que l'on envisage des armes ASM de longue portée. Vers le retour des Malafon/Asroc au lieu de compter sur les hélicoptères ? Collectionneur.
RépondreSupprimerJe pense que c'est un peu culturelle pour les allemands, la Kaiserliche puis la kriegmarine avaient un penchant pour les grands croiseurs qui furent pour la plupart des réussites sur le plan technique donc je suis pas étonné que la deutchmarine revient au concept de grande unité de combat
RépondreSupprimerIl est intéressant de faire le lien entre les types de bâtiments possédés par une marine et la vision stratégique maritime d'un pays.
RépondreSupprimerLes grands destroyers ou croiseurs équipés essentiellement en missiles anti-balistiques et anti-hypersoniques (+ une défense aérienne à moyenne et courte portée) permettant de protéger le pays me font penser aux garde-côtes de la fin du 19ème siècle : défense plus ou moins statique. Il ne sont pas conçus, pris individuellement, pour le combat en mer contre une autre puissance navale.
Les marines envisageant le combat décisif en mer contre une autre marine sont très peu nombreuses :
Etats Unis, Russie, Chine, Inde, France (de façon un peu présomptueuse) et Grande Bretagne (idem).
Les navires correspondant à cette vision sont les sous marins nucléaires d'attaque, les croiseurs offensifs et les porte-avions.
Pour la France on peut s'interroger sur le rôle réel attribué au porte-avions : réel instrument de combat en mer contre une autre marine ou bien base aérienne d'attaque contre la terre, ce qui fait penser aux anciennes canonnières coloniales de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème.