Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





18 septembre 2023

L'attaque de la base navale de Sébastopol du 13 septembre 2023 : la chance d'un premier avertissement

B-237 Rostov-na-Donu (Izd. 636.3). Photographie probablement du fait d’un ouvrier travaillant dans le bassin recevant ce bateau. Le cliché invite à considérer que la coque résistante a été percée en deux endroits distincts et que les munitions ont détonné à l’intérieur de celle-ci, sans compter le déclenchement d’éventuel(s) incencie(s).

    
     La base navale de Sébastopol, attaquée par « des missiles » dans les premières heures du 13 septembre 2023, a vu le bâtiment de débarquement de chars BDK-43 Minks (Izd. 775/II) et le sous-marin diesel-électrique B-237 Rostov-na-Donu (Izd. 636.3) être atteints. Ils sont probablement devenus depuis aptes à être condamnés à la démolition. Cette escarmouche mérite d'être détachée de l'ensemble des actions menées sur le théâtre d'opérations, car elle a le potentiel de sonner la fin de la Flotte de la Mer Noire, et d'achever de constituer la proposition stratégique révélée le 4 août 2023. C'est peut-être, aussi, la seule démonstration que nous aurons la chance d'observer, chez autrui, prouvant que la défense des bases navales est entièrement à repenser. Ces épisodes historiques furent rares, et souvent incompris.

     L'attaque aéroportée du 13 septembre 2023 a été présentée, par le gouverneur russe de Crimée, comme ayant consisté dans le lancement de « missiles ». S'il fallait en croire les allusions, voire les affirmations, côté ukrainien : il s'agirait, ni plus, ni moins que de missiles de croisière aéroportés SCALP-EG (Système de croisière Conventionnel Autonome à Longue Portée d'Emploi Général) ou Storm Shadow, sa version britannique : voire les deux variantes mêlées et probablement emportés par des Sukhoï Su-24M/MR adaptés à leur emploi.

     Le premier effet obtenu réside dans la sphère des perceptions : serait-ce la fin de Sébastopol en tant que base navale « du temps de guerre » ?

     L'équation tactico-opérative ukrainienne se dessine ainsi, dans sa première proposition  : Sébastopol est, à l'évidence, sans défense. Cet état de fait consacre son incapacité à soutenir la Flotte de la Mer Noire. Passer au dock flottant, en cale sèche, au bassin peut signifier la destruction d'une coque. Les doutes se dissipent au fur et à mesure que les revendications ukrainiennes de destruction de batteries anti-aériennes russes s'accumulent et que les munitions tirées à distance de sécurité (dites « stand-off ») continuent à atteindre leurs cibles, malgré le travail des services de renseignement et le retour d'expérience, de la Syrie (opération Hamilton, 14 avril 2018, par) à la Crimée.

     L'autre partie de la proposition réside dans l'étude de l'ensemble des solutions pouvant être proposées afin de remédier au problème posé :

Nonobstant notre absence aux travaux d'état-major russes, il peut être avancé, sans risque aucun, que cet éventail ne peut aller que de tentatives vaines de renforcer la défense aérienne, les rares à convenir sur le plan politique.

À l'autre extrémité de l'éventail se tiennent les solutions les plus désastreuses sur le plan politico-stratégique, c'est-à-dire déplacer la Flotte de la Mer Noire : jusqu'à la base navale de Novorossiysk, dans la Baie de Tsemes : donc de l'autre côté du détroit de Kertch ? Encore plus loin, jusqu'à la base navale d'Otchamtchira, en Géorgie et au risque de donner prise à des sentiments russes pouvant aller jusqu'à la violence armée ?

Nous bénéficions pourtant d'éléments de réponse qui condamnent ces deux groupes de solutions possibles. L'attaque du 4 août 2023 voyait trois drones de surface (USV) s'en prendre au Sig, pétrolier de 6 619 DWT. Il a été atteint au niveau de la ligne de flottaison, au droit de la salle des machines, désormais inondée, au large de Novorossiïsk.

D'autres escarmouches navales, comme celle, par exemple, du 24 mai 2023 (Ivan Khurs (Izd. 18280), bâtiment collecteur de renseignement, attaqué par trois USV dont l'un l'atteint, à ~70 nautiques au Nord du détroit du Bosphore). Il s'agit, bel et bien, de frapper dans toute la profondeur de toute la Mer Noire.

Cela nous prouve que, en ce qui concerne la proposition stratégique ukrainienne, il ne s'agit pas de permettre à Moscou de procéder à un « roc », en voyant la Flotte de la Mer Noire atterrir de l'autre côté du détroit de Kertch. Mais bien de la détruire.

Au milieu de l'éventail des solutions possibles, existe la possibilité de consacrer, certes, une « fleet in being », mais en rénovant de la façon la plus audacieuse qui soit le concept : en mouvement, toujours, aux évolutions les plus imprévisibles et soutenue par un « train d'escadre » composé de tout ce qui peut ressembler de près, et même de loin, à un navire-atelier et à un dock flottant. Cela peut apparaître paradoxal mais un bâtiment, un bateau est plus à l'abri en mer, notamment de l'usure car son équipage, si possible au complet, est à bord et surveille systèmes et installations. La moindre avarie est signalée, si possible réparée. Rien ne souffre d'un manque de surveillance, de fournitures pour tenter d'atteindre les plages de fonctionnement optimales. Couteux exercice mais aux résultats efficaces.

Le mouvement et la formation de convois sont les seuls espoirs de conserver la Flotte de la Mer Noire en vie, tout en obtenant ponctuellement, en un temps et un lieu, la maîtrise de la Mer afin d'en retirer tous ses avantages, à savoir maintenir ouvert le commerce et de continuer à soutenir les opérations à Terre, tout en essayant d’interdire à l’ennemi d’en faire autant.

     Il est pourtant très peu probable d'observer cela car ce serait parier que Moscou se souviendrait de l'existence du système des cinq mers, et donc de la capacité à basculer des coques, des matériels divers et variés mais aussi des hommes entre les autres flottes et la Flotte de la Mer Noire. Ce serait également parier sur une aptitude, jusque-là inexistante, à lier une volonté à la capacité de plier les évènements, les organisations afin de mettre en branle tout cela. Rien n'atteste, par ce qui a été observé depuis le 24 février 2022, d'une propension à se donner les moyens d'un tel sursaut.

     C'est pourquoi il ne faut pas écarter la possibilité que nous observerons la Flotte de la Mer Noire perdre, peu à peu, sa force de vie : ses bâtiments et ses bateaux, rendus inopérants par la succession des attaques de drones (UAV jusqu'à AUV) et l'incapacité à établir des conditions de sûreté permettant de réparer les bordées, de régénérer le potentiel des systèmes et installations des coques. La « fleet in being » deviendra alors un ensemble d'épaves.

Et se révélera alors une caractéristique, oubliée mais essentielle, du bâtiment de guerre : sa puissante essence romantique. L'image d'une flotte, battue, aux coques échouées, fumantes sur les rives Nord de la Mer Noire, sera un désastre au retentissement historique car le tableau sublimera tout depuis 1783 et l'annexion de l'ancien khanat de Crimée par Catherine la Grande.

     Il s'agira alors du deuxième effet qui pourrait être géopolitique : consacrant le départ - voire la destruction - de la Flotte de la Mer Noire et donc éteindre le principal argument quant à la présence russe en Crimée. La guerre n'en serait pas finie que la justification à la première intervention, en 2014, disparaîtrait. Pire encore, ce serait la mise en scène d'un premier retrait stratégique russe.

     Le troisième effet obtenu, à nouveau dans la sphère des perceptions : serait-ce la fin de Sébastopol en tant que base navale « du temps de paix » ?

Une erreur, grossière mais très probable, sera de conclure que tout cela n'engage que des situations survenant du temps de guerre – voire de l’atteinte ou du dépassement du « seuil » – et que cet atterrage de la Marine russe en Crimée, ou même sur l'autre versant du détroit de Kertch, retrouverait toute sa pertinence en temps de paix. C'est oublier que l'avenir de l'Artillerie est à des portées de l'ordre des 40 à 80 km pour les obusiers mais entre 80 et 1000 - voire jusqu'à environ 3 000 km ! – pour les missiles (aérobies, balistiques, portant un planeur hypersonique, etc). Les moyennes des portées des systèmes projetées se situant aux alentours des 500 km. Autrement dit, l'artillerie de chacun des riverains de la Mer Noire sera en mesure d'atteindre la rive d'en face, et même l'hinterland des ports et bases navales.

     Plus largement, aucune base navale en Europe n'est inaccessible à cet état de fait : soit car à portée de l'artillerie actuelle ou future d'un pays pouvant être, à une échéance prévisible hostile, soit possédant, par exemple, et à tout hasard, une force sous-marine apte à frapper dans la profondeur par missiles de croisière à changement de milieu (Submarine-Launched Cruise Missile (SLCM). Engins dont la portée pourrait atteindre, environ 4 500 km avec le projet « Kalibr-M ». Par exemple, un sous-marin lançant ce dernier engin, à l'Est de l'Islande, pourrait atteindre Brest. Ou Toulon depuis la Mer Caspienne. Brest aussi est accessible depuis cette mer.

     Ces observations se font impérieuses : toute la manière de penser la défense d'une base navale est entièrement à rebâtir. Nous n'avons pas encore tout vu du potentiel de l'emploi des drones à l'échelle tactico-opérative contre une flotte et ses atterrages, jusqu'aux passages les plus étroits (« choke-points »), bien qu’il s’agisse d’un préambule très percutant. Il y a - au moins - un précédent historique récent qu'a été l'entre-deux-guerres : les implications de la menace aérienne (Tarente (1940), Dakar - Rabat - Bizerte - Mers el-Kébir (1940-1942), Pearl Harbor (1941) ou d'une attaque terrestre sur les arrières d'une base navale (Singapour (1941), Toulon (1942) n'avaient pas été comprises. Les résultats furent à la hauteur.

8 commentaires:

  1. Bonjour. Ce n'est pas que les bases navales, mais l'ensemble des sites sensibles qui font l'objet d'une menace protéiforme, et il est impossible de mettre des SAM partout.....

    J'indique une lettre oubliée :

    soutenue par un « train d'escadre » composé de tout ce qui peut ressembler de près, et même de loi..., à un navire-atelier et à un dock flottant.

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  2. Je suis partagé sur cet article à mon avis écrit à chaud.

    Sevastopol n'est pas sans défence. Elle n'est pas inattaquable non plus. De nombreuses solutions n'ont pas été déployées par les russes près des navires.

    On assistera probablement au déploiement de grands filets et de ballons ainsi que des patrouilles mobiles d'armes très courte portèe comme les ukrainiens le pratique. Le taux d'interception de missile subsonique ukrainien semble pas mauvais. Les russes doivent pouvoir en faire autant.

    La mer noire est de toutes façons bien trop petite pour assurer la dilution de la flotte de surface russe.

    Plus largement, les bunkers de la seconde guerre mondiale ne sont pas la panacée mais au moins cela limiterai l'impact des 'petites fuites' dans la défence.

    Dans une moindre mesure, les immenses hangars cache la position exacte des navires ce qui réduit la précision du coup porté.

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  3. L'ampleur des dégâts faits sur des navires DEJA en réparation n'est pas estimé avec précision et pourraient être gérables par les Russes sans trop de difficultés. Le chantier reste en fonction et les dommages véritables finalement assez réduits. Il n' y a aucune espèce de raison d'en déduire ni un affaiblissement sensible de la flotte de la mer noire, ni surtout l'incroyablement délirante image de coques fumantes agitée avec ridicule ici.
    Réalisé avec des armements en quantité limitée (les Scalps/Storm Shadow difficiles à mettre en oeuvre) ces dommages sont limités voire symboliques et ne signifient absolument aucun infléchissement du cours de la guerre.

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    1. Si les photos sont véridiques, le sous-marin est cuit les réparations sont certainement possible, mais le Rostov s/ Don sera HS pendant plusieurs années.

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  4. L essentiel de la guerre se déroule sur terre et la raison d être d une marine est d être à la mer. La mer noire étant une mer fermée je ne vois pas d intérêt à y avoir une flotte ,de plus la Turquie contrôle les détroits, sauf à considérer un débouché vers le canal de Suez et la Méditerranée. Historiquement la marine russes n a jamais brillé par ses capacités, la Russie a l inverse des usa étant surtout une puissance continentale.

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  5. Et pourtant, il faut bien des bases pour les navires. Dans le cas de Sévastopol, je dirais que les Russes ont tout simplement sous-estimé les capacités et les appuis de leur adversaire.

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  6. la fmes partage la même analyse que l'auteur

    https://fmes-france.org/vers-une-neutralisation-de-la-flotte-russe-de-la-mer-noire/

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