Quelles raisons présidèrent à retenir comme nom de baptême pour le Porte-Avions Nucléaire n°1 (programme PAN) celui du Libérateur de la France, le général Charles de GAULLE ? Bien des sources secondaires proposent des explications qui ne se recoupent pas toujours tant sur les dates que sur les rationalités de la manœuvre. Certaines légendes tenaces attribuent un rôle à un Appelé qui n'aurait pas apprécié son service à la mer à bord de l'Arromanches. Il est tenté d'apporter quelques précisions qui ne lèveront pas toutes les zones d'ombre mais qui osent prétendre écarter certaines hypothèses et lever certains doutes.
Monsieur Paul QUILÈS est appelé au servie du gouvernement de la République française, en tant que Ministre de la Défense (20 septembre 1985 – 20 mars 1986), pour la première fois le 20 septembre 1985 par le Premier ministre, Monsieur Laurent FABIUS (17 juillet 1984 – 20 mars 1986). Il restera ministre presque sans discontinuer jusqu'en 1993 et des élections législatives sanglantes pour la Gauche.
Laurent FABIUS est nommé par le Président de la République, Monsieur François MITTERRAND (21 mai 1981 – 17 mai 1995), nouveau Premier ministre afin de voir mettre en place un nouveau gouvernement. Le Président se saisissait d'un outil constitutionnel à sa disposition afin d'essayer de tourner la page du projet de loi dit « Savary » - du nom du titulaire du portefeuille de l'Éducation nationale - et sur le « référendum sur le référendum » afin d'étendre le champ de l'article 11 de la Constitution portait une des deux procédures de révision constitutionnelle afin de l'étendre aux « libertés publiques ».
Sur le bureau du nouveau Ministre de la Défense, de nombreux dossiers dont l'un des plus illustres qui déchaîne déjà les passions de la classe politique : le programme Porte-Avions Nucléaire. Depuis le Conseil de Défense du 23 décembre 1980 qui avait sanctionné la décision du Président de la République Valéry Giscard d'Estaing (27 mai 1974 – 21 mai 1981) de lancer le programme, celui-ci en est rendu à la fin de préparation du Dossier de Lancement en Réalisation (DLR). Et c'est justement feu Monsieur Paul QUILÈS qui offrait son propre témoignage sur son blog (Paul QUILÈS, « Une histoire de porte-avions », Le blog de Paul Quilès, 9 décembre 2020).
« C’était en janvier 1986 [...] Les pré-études étaient suffisamment avancées, constructeurs et futurs utilisateurs s’étaient mis d'accord sur le projet et les crédits annuels étaient en place. Le PAN (Porte-Avions Nucléaire) constituait le plus important de ces programmes. »
Selon l'ancien Ministre de la Défense Paul QUILÈS, l'idée de baptiser le futur PAN n°1 Charles de Gaulle lui revient. Et en l'état actuel des recherches de l'auteur de ces lignes : rien ne permet de dénier à l'ancien Ministre la chose. « Le conseiller qui en était chargé, Jacques GROSSI, me suggéra que le lancement soit l'occasion de lui donner un nom, si possible prestigieux, pour renforcer l’image de ce programme, qui avait beaucoup d'adversaires. Charles de GAULLE me semblait le nom idéal ».
Mais il apparaît nécessaire de compléter l'affaire car ce n'était pas le premier nom de baptême retenu mais seulement le deuxième. Il avait été proposé eu préalable que le futur bâtiment soit dénommé Bretagne et le PAN n°2 devait logiquement être, quant à lui, baptiser Provence. Les sources secondaires ne permettent ni de préciser la date exacte à partir de laquelle cette paire de noms fut arrêtée, ni par qui elle avait été prise : était-ce une décision interne à l'équipe du programme, à la Marine par le truchement de son Chef d'état-major ? Ou bien cela avait-t-il atteint l'échelon ministériel, voire avait été discuté en Conseil de Défense et donc avec le Président ? Il n'en demeure pas moins que cette paire de noms aurait vécu pendant la période 1980 - 1986.
Et l'affaire avait été suffisamment sérieuse pour que les Sous-marins Nucléaires d'Attaque du programme SNA 72 devaient constituer la classe Provence avec, et donc, la Provence, la Bretagne et la Bourgogne durent être débaptisés. La Provence est mise sur cale, le 11 décembre 1976 et lancée le 7 juillet 1979 : il est bien peint à l'avant de la coque Provence, chose vérifiable sur les rares clichés de l'évènement. La série de SNA fût débaptisée sous la présidence de Monsieur Valéry GISCARD D'ESTAING (27 mai 1974 – 21 mai 1981) : justement, après le Conseil de Défense du 23 décembre 1980 ? Il est à remarquer que le SNA 72 n°2 a été lancé, le 1ier septembre 1981, avec le nom de baptême Saphir peint sur la coque.
Pour en revenir à janvier 1986, Paul QUILÈS poursuit son témoignage : « je décidais d'en parler avec le Président Mitterrand. Je fus déçu par sa réponse : "C'est un très beau nom et je suis sûr qu'il le portera un jour. Mais nous sommes en pleine période électorale et si je donne aujourd’hui ce nom, je serai accusé de démagogie. Proposez-en un autre". »
Il y avait effectivement - déjà - les élections législatives du 16 mars 1986 qui se profilaient à l'horizon, bénéficiant de la réforme du mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Le Président de la République, Monsieur François MITTERRAND (21 mai 1981 – 17 mai 1995) observe la persistance de « mauvais sondages » vis-à-vis des intentions de vote à l'endroit des partis de gauche et ce, dès 1985. Il se saisit du prétexte de l'une des 110 propositions pour la France, adoptées au congrès de Créteil (24 janvier 1981) où il fut officiellement désigné candidat du Parti socialiste à l'élection présidentielle de 1981. La 47ième proposition donc proposait l'introduction du scrutin proportionnel pour différentes élections et ce fût donc fait, grâce à une loi organique, pour les élections législatives de 1986 avec la mise en place du scrutin à listes départementales à un seul.
En attendant le verdict des urnes, le Ministre de la Défense (20 septembre 1985 – 20 mars 1986), Monsieur Paul QUILÈS devait bien trouver un nom au PAN n°1. L'Ingénieur en chef de l'armement Jacques GROSSI, conseiller technique du Ministre, en charge du dossier programme PAN, suggérait à Paul QUILÈS de donner au PAN n°1 « un nom, si possible prestigieux, pour renforcer l’image de ce programme ».
L'affaire est, en effet, « politique » à double-titre. Une source proche du dossier œuvrant sur la période nous intéressant confie que, pour la Marine, l'affaire n'était pas entendue de la même manière par tous les marins. « Il y a toujours eu une moitié de la Marine contre le "phénomène porte-avions" et une autre moitié contre les SNLE. Étant dit que ce ne sont évidemment pas les mêmes moitiés ! »
L'autre enjeu politique attaché au choix du nom consistait dans le fait d'employer ce levier afin d'essayer de protéger l'objet, c'est-à-dire le programme PAN et plus particulièrement le PAN n°1 puisque le PAN n°2 devait être commandé d'une loi de programmation militaire ultérieure, précisément en 1989, des passions qu'il déchaîne dans les autres Armées et dans tout le Ministère, plus largement dans le Gouvernement, la classe politique et même dans la population française. D'où le sage conseil de l'ICA Jacques GROSSI à Paul QUILÈS.
« La Marine voulait qu'il s'appelle Charles de Gaulle pour que personne ne puisse le supprimer » relate cette source proche du dossier. Feu l'ancien Ministre de la Défense, Monsieur Paul QUILÈS, de témoigner que cette proposition avait été écartée par le Président de la République car les élections législatives approchaient. « Il fut décidé de revenir aux noms classiques des grands bâtiments de la Marine : Jean Bart, Colbert, Richelieu… et, comme la construction devait se faire à Brest, le choix se porta sur Richelieu, fondateur de l'arsenal de Brest. »
Rappelons, à toutes fins utiles, qu'il est attribué au Président de la République, Monsieur François MITTERRAND, le choix de faire mettre sur cale le PAN n°1 à Brest. Rien d'évident puisque le porte-avions Foch (1963 – 2000) l'avait été à Saint-Nazaire. Rien de surprenant non plus, la répartition du plan de charge de la Direction des Constructions Navales (depuis 1986) favorisait la construction de grands bâtiments à Brest, de frégates à Lorient, de sous-marins à Cherbourg.
4 février 1986, « c'est ainsi que, devant la presse réunie dans mon bureau [à l'Hôtel de Brienne], je lançai officiellement le programme de construction du Richelieu » à l'occasion de la signature du Dossier de Lancement en Réalisation (DLR). La dépêche ministérielle de mise en chantier aurait été signée le même jour ou procéderait du même document alors que certaines sources avancent que cette dépêche aurait été signée le 7 février 1986.
L'affaire ne s'arrêtait pas à ce jalon et Paul QUILÈS de poursuivre : « après bien des vicissitudes, le premier ministre Jacques CHIRAC décida en 1987 - avec l'accord du Président - d'appeler le Richelieu... Charles de Gaulle. » La cérémonie de découpe de la 1ière tôle du PAN n°1 Charles de Gaulle n'interviendra pourtant que le 24 novembre 1987.
Que s'est-il passé entre les 4 février 1986 et 24 novembre 1987 ? À la connaissance de l'auteur de ces lignes, aucune source secondaire n'est en mesure de relater ce qui s'est déroulé durant cette période et comme l'idée défendue par Paul QUILÈS et dont il réclame la paternité, c'est-à-dire de baptiser le PAN n°1 Charles de Gaulle a pu être transmise au nouveau Premier ministre, Jacques CHIRAC (20 mars 1986 – 10 mai 1988), ni même quand il l'a fait sienne et la poussa au Président de la République, Monsieur François MITTERRAND, probablement à l’occasion d’un Conseil de Défense.
Il est à noter ces quelques mots lourds de sens employés par l'ancien Ministre de la Défense Paul QUILÈS : « après bien des vicissitudes ».
Une légende tenace, circulant toujours au sein de la DGA par exemple, veut que Monsieur Laurent FABIUS aurait eu son mot à dire dans l'affaire. En effet, il lui est prêté qu'il aurait détesté son service à la mer à bord du porte-avions Arromanches, en 1970. Cela aurait été une manière de faire des politesses aux marins et d'obliger Jacques CHIRAC à confirmer le programme, en essayant de le rendre impossible à annuler avec un nom pareil. Pourtant, notre source proche du dossier est formelle, avec une sortie nette et sans bavure : « FABIUS ne s'est jamais intéressé au porte-avions. Jamais, jamais, jamais. »
Reprenons dès janvier 1986 alors que le Dossier de Lancement en Réalisation (DLR) est en voie d'achèvement jusque dans les moindres détails. Toujours selon cette source proche du dossier, au « Dossier de lancement, c'était le Richelieu. Toute l'équipe du programme, tout le monde savait que si CHIRAC gagnait [les élections législatives du 16 mars 1986], il s'appellerait Charles de Gaulle et non plus Richelieu. »
Cette assertion permet de balayer un ensemble d'hypothèses et autres affirmations voulant que le choix du nom du Libérateur de la France devait permettre, non seulement de « sécuriser » le programme, en général, mais plus particulièrement à l'endroit de Jacques CHIRAC. Chose surprenante puisque rien ne semble témoigner d'une hostilité particulière de sa part à l'égard de l' « objet porte-avions ».
La seule défiance connue de lui, en lien avec un porte-avions, est la célèbre scène où il lance un regard lourd de sens au Président de la République, Monsieur Valéry GISCARD D'ESTAING (27 mai 1974 – 21 mai 1981), sur la passerelle du porte-avions Clemenceau, le 12 juillet 1976.
Par ailleurs et c'est un fait notable : la « Plate-forme commune du RPR et de l'UDF » intitulée « Plate-forme pour gouverner ensemble », signée le 16 janvier 1986, par MM. Jacques CHIRAC, président du Rassemblement pour la République (RPR), et Jean LECANUET, président de l'Union pour la Démocratie Française (UDF), comportait plusieurs parties dont l'une s'intitulait « Troisième partie : redonner sa vraie place à la France ». Entre autres considérations, il est question de relancer l'effort militaire en général, sans expression particulière pour favoriser une Armée par rapport à une autre ou brusquer la programmation alors en vigueur.
Les élections législatives du 16 mars 1986 donnaient, sur 577 sièges à l'Assemblée nationale, 155 au RPR et 131 pour l'UDF. Ce dernier parti s'était singularisé de la « Plate-forme commune du RPR et de l'UDF » car avait été publié, en février 1986, le livre-programme Redresser la défense de la France : Propositions d'action pour 1986 (Paris, C.P.I.P., 1986, 277 pages), avec une préface de Valéry GISCARD D'ESTAING. Et cet ouvrage proposait d'augmenter le format aéronaval de la Marine à trois porte-avions.
Autrement dit, entre une absence d'hostilité du nouveau Premier ministre Jacques Chirac et une « Plate-forme commune du RPR et de l'UDF » le liant par sa majorité parlementaire, avec un parti pouvant être regardé comme étant « très favorable » au porte-avions, il est difficile d'admettre qu'il ait fallu contraindre le nouveau Premier ministre.
Si nous prétendons avoir écarté les deux hypothèses précédentes - l'hostilité de Jacques CHIRAC, celle de Laurent FABIUS -, nous sommes, toutefois, bien en peine d'expliquer comment l'affaire se développe « après bien des vicissitudes », selon le mot de Paul QUILÈS, après le 4 février 1986. Il est certain que, le 20 mars 1986, André GIRAUD lui succède à l'Hôtel de Brienne en tant que Ministre de la Défense. Malgré la signature du DLR et de la dépêche de mise en chantier (7 février 1986 ?), la construction du PAN n°1 Richelieu n'est manifestement pas lancée et n'a peut-être même pas reçue de début de commencement d'exécution. Est-ce à partir de ces mêmes documents que la découpe de la 1ière tôle pu sanctionner le début de la construction, sans nouveaux actes à commettre par André GIRAUD ?
L'idée de débaptiser le Richelieu pour le baptiser Charles de Gaulle parvient, courant 1986 ou courant 1987, jusqu'au Premier Ministre, Monsieur Jacques CHIRAC (20 mars 1986 – 10 mai 1988). Les élections législatives sont passées et le Président de la République n'avait opposé aucun refus de principe. Au contraire puisque, toujours selon le témoignage de Paul QUILÈS, il déclarait même « C'est un très beau nom et je suis sûr qu'il le portera un jour. »
Un dernier point demeurerait à éclaircir : l'intime conviction du Président de la République, Monsieur François MITTERRAND. Ce témoignage de Paul QUILÈS invite à croire que MITTERRAND avait une opinion du Libérateur de la France suffisamment haute pour adouber l'idée de son Ministre de la Défense. Pourtant, notre source proche du dossier qui a assisté à la cérémonie de lancement du porte-avions nucléaires Charles de Gaulle, à Brest, le 7 mars 1994, verse son propre témoignage : en vingt minutes d'allocution, le Président de la République n'aurait pas dit « Charles de Gaulle » et ce, alors même que le texte comporte six occurrences (Allocution de M. François Mitterrand,Président de la République, sur la construction du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, la coopération européenne pour la construction navale, et la mission de la Marine nationale, Brest, 7 mai 1994). Seul le prononcé fait foi ?
« La République a décidé de donner à notre porte-avions nucléaire le nom de Charles de Gaulle, associant ce nom à ceux de Clemenceau et de Foch et aux noms des hommes illustres qui, au cours de ce siècle et aux heures sombres de notre histoire, ont su affirmer leur refus de la défaite et la volonté du pays de rester maître de son destin. C'est précisément Charles de Gaulle qui le déclarait en 1951, je le cite : "Quand un pays est le seul au monde qui s'ouvre à la fois sur la Manche, la mer du Nord, l'océan Atlantique et la Méditerranée, quand il y pénètre par autant de caps, quand il se prolonge dans les cinq parties de la terre, quand il fournit depuis des siècles d'aussi nombreux et bons marins, ce pays est fait de toutes pièces pour jouer demain comme hier un grand rôle sur les océans". Et c'est le porte-avions qui porte ce nom-là qui nous aidera désormais à jouer ce rôle auquel tout notre passé, à laquelle toute notre histoire nous convient. »
François MITTERRAND, Président de la République, Allocution sur la construction du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, la coopération européenne pour la construction navale, et la mission de la marine nationale, Brest, 7 mai 1994.
enfin de retour !
RépondreSupprimerMerci de ces mots et content que cela plaise !
SupprimerA voir si je tiens la marée, désormais... !
Bonjour juste un petit erratum les élections du 16 mars 86 donnent 155 voix au RPR et 131 à l'UDF ce qui avec quelques non inscrits amène la majorité à 290 mais en aucun cas le RPR seul a 290.
RépondreSupprimerBon retour a vous cela est très agréable de vous lire à nouveau !!
Bonjour Fred,
SupprimerC'est parfaitement exact et c'est corrigé !
Merci de votre vigilance.
Au plaisir de vous retrouver et en espérant que cela reprenne à un rythme plus soutenu.
Bien à vous,