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Il y aurait la fin d'un cycle dans la manière de bâtir les flottes de surface depuis les années 2000. La « corvette » consacrait un compromis politico-militaire qui aurait été brisé - au plus tard - en 2022. Et probablement plus tôt. Il y a eu transmutation de ce que le vocable « corvette » recouvre : un bâtiment construit aux normes civiles, portant toute ou partie de l'armement d'un destroyer ou d'une frégate légère. Si l'analyse proposée ici rendait correctement compte des phénomènes à observer alors il ne resterait plus qu'à annuler de toute urgence les programmes subsistants afin de ne pas détruire la flotte de surface par une deuxième erreur systémique et... historique.
Il y a, d'abord, le mot « corvette ». La définition simple pouvant être proposé pour ce vocable, proposée ici – un bâtiment construit aux normes civiles, portant toute ou partie de l'armement d'un destroyer ou d'une frégate légère –, recouvre un ensemble de pratiques et d'exemples historiques, en particulier depuis l'avènement de l'ère de la propulsion à vapeur et de la généralisation du cuirassement. La corvette étant ce bâtiment conçu pour des missions de patrouille et pouvant rendre les coups, même si les encaissant très mal à son corps défendant.
Nous touchons à l'éternel reproche à l'endroit de la « corvette » dont le bordage puis le compartimentage souffre, voire cède à chaque coup. N'est-ce pas reprocher à la mer d'être salée ? Ce bâtiment doit pouvoir s'imposer dans des missions d'éclairage, aujourd'hui « ISR » (Intelligence, Surveillance & Reconnaissance) dirions-nous, face à d'autres unités légères. Mais non pas intégrer la ligne de bataille.
La « corvette » s'est bien diffusée depuis la fin du conflit Est-Ouest, ce que nous pourrions attribuer à deux dynamiques différentes, pouvant s'additionner dans certains cas :
La première touche au renouvellement des marines militaires au prisme de l'avènement des nouvelles responsabilités des États côtiers découlant de la signature (1982) puis ratification (1994) de la Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer, dites Convention de Montego Bay. La nécessité de montrer le pavillon, en assurant une présence navale et en exerçant la responsabilité étatique par des missions dites de police invitait à décuirasser, ajuster le choix des armements, tout en recherchant un nombre de plateformes navales en cohérence avec la permanence ou le taux de revisite recherché.
Les flottes de surface des marines militaires ayant reçu en héritage comme fraction principale de leur « capital » des bâtiments conçus pour le combat, ce serait donc dans la plupart des cas une priorité à accorder au renouvellement, voire à la création de moyens hauturiers de surveillance et d'intervention au service des missions de police. Le renouvellement du « capital » intervenant logiquement après et ayant été retardé au prisme des déflations financières des budgets militaires des années 1990... selon les acteurs.
Il y a eu alors un ensemble de pratiques abolissant les frontières entre deux catégories de bâtiments de surface, à savoir le « patrouilleur » et la « corvette ». Si nous nous en tenions à notre définition alors il serait seulement question d'une différence de nature dans le choix de l'armement consenti à l'un et l'autre. Force est pourtant de constater qu'il y a eu des patrouilleurs si onéreux qu'il y a fort à parier qu'ils sont bâtis comme des frégates, à l'instar, et par exemple, des River Batch 1 et 2 britanniques. Tout comme il y a eut des corvettes bâties conformément à la définition proposée - autrement dit aux normes civiles - et bénéficiant d'un armement bien moindre que d'autres patrouilleurs.
Le positionnement politico-institutionnel d'un programme de bâtiments de surface peut recéler des trésors de nuances entre l'origine étymologique, les usages historiques constatés du vocable, les rationalités théoriques pouvant être extirpés de ceux-ci. Finalement, cela ne pèse rien dans les relations de pouvoir au sein d'un programme d'armement où les caractéristiques peuvent fluctuer en fonction des intérêts des acteurs.
La deuxième dynamique méritant d'être citée nous semble être l'adéquation entre les caractéristiques intrinsèques de la corvette et « l’effet stratégique potentiel de l’utilisation de tels navires [qui] contraste avec leur relative accessibilité. La corvette n’étant pas difficile à construire, de nombreux acteurs peuvent en acquérir. »1
Nous touchons à deux enjeux essentiels contenus dans la « corvette » et pouvant se résumer à la recherche d'un apprentissage : l'accessibilité financière de l'outil, permettant d'accéder à un bâtiment de surface pouvant participer à des missions de sea control ou de sea denial car pouvant recevoir et des effecteurs et des senseurs dans un ou plusieurs domaines de lutte. Les capacités opérationnelles sont presque toujours limitées à de l'auto-défense, même si cela n'empêche pas de porter des coups et donc de rétablir une situation militaire à son avantage, marquant un seuil dans l'engagement de la force.
Par ailleurs, la « corvette » a été un objet politico-industriel car recherché comme programme abordable techniquement et financièrement afin d'établir un chantier naval ou rétablir l'outil industriel existant dans l'optique, non seulement de conduire ce programme, mais aussi de se préparer à d'autres plus ambitieux sur le plan technique. C'est peut-être même cette fonction politico-industrielle qui peut avoir notamment justifié partiellement la « transmutation » de la corvette : l'ambition industrielle obligeant à renforcer résistance et tenue aux chocs et donc à renforcer à un tel point les normes de construction qu'il y ait eu basculement théorique de la « corvette » à la « frégate ». Témoignages et ouvertures, futures, d'archives nous renseigneront quant à la finesse de certains choix.
Si nous embrassons d'un seul regard la place tenue dans le premier tiers du XXIième siècle par les « patrouilleurs » et « corvettes » alors nous ne manquerons pas d'observer la disparition progressive des normes civiles au bénéfice des normes de construction militaire. Certaines enveloppes financières des programmes concernés ne peuvent pas s'expliquer autrement, même en essayant de soupeser tous les autres facteurs de coût. Là résiderait la transmutation de la « corvette » en quelque chose d'autre par le simple jeu d'un renforcement des normes de construction qui aurait permis la bascule jusqu'à un autre bâtiment : pouvant recevoir, peut-être même beaucoup, tout en poursuivant la lutte car en mesure de continuer à porter des coups. Et plus largement, les programmes de corvettes se raréfient. La majorité de celles en construction correspond à des programmes lancés il y a plusieurs années ou bien à reposent sur des caractéristiques relevant plutôt d'une « frégate » que d'une « corvette ».
Le « mauvais » usage du vocable de « corvette » consistait précisément sur la valeur du bordée et du compartimentage du bord à encaisser les coups. Par exemple, la Frégate de Défense et d'Intervention (FDI) de classe Amiral Ronarc'h est régulièrement qualifiée de « corvette » car la plage avant n'a pas reçu quatre lanceurs SYLVER et que le reste de l'armement laisserait à désirer. Ceux s'en offusquant pourraient-ils - enfin ? - nous expliquer en quoi l'absence de deux SYLVER A70 et donc de seize Missiles de Croisière Naval (MdCN) abaisse la valeur militaire dudit bâtiment dans le combat naval ? Cela ne nous renseigne pas plus quant à la capacité, toujours du même bâtiment, à encaisser un missile anti-navire moderne. Il y a pourtant, en la matière, un changement de nature entre ce que font les unes (FDI, FREMM aussi) et les autres (Gowind 2500).
La « transmutation » précédemment distinguée tiendrait également au retour du combat naval comme hypothèse d'engagement probable. Ce sont bien les oppositions politiques, dans un mouvement stratégique nourri de politiques pouvant être qualifiées d'impérialistes et du retour également de la recherche de l'obtention d'une sphère d'influence qui sous-tendent certaines offensives stratégiques. Observons que cela pourrait être, aussi, l'effet cumulatif d'ambitions industrielles internes, haussant la valeur militaire de plateformes navales et obligeant à repenser les oppositions en mer, à ambitions politiques inchangées.
C'est alors que nous touchons à un point névralgique de notre sujet, à savoir l'adéquation observée dans le premier tiers du XXIième siècle entre la fonction politique de la « corvette » et la nécessité de montrer le pavillon, en imposant une présence navale, si besoin par la force. Que cette même « corvette » si imposer sa présence sur un théâtre où un ensemble de capacités militaires ont été bâties pour en interdire l'accès, oblige à déployer une force navale pour imposer sa présence ?
Le débat autour de la « corvette » est aussi celui d'une époque où un État, voulant agir tel un « spectateur engagé » afin de peser sur le court des évènements au service de son action diplomatique, pouvait se contenter de déployer un bâtiment de surface comme « marqueur » de son engagement politique. Et la construction des flottes de surface était présidée avec cette idée qu'un bâtiment seul, accomplissant un large éventail de tâches opérationnelles, pouvait « en un lieu, en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli ».
Par exemple, l'opération Hamilton (14 avril 2018) voyait la Marine nationale engageait dans une opération menée en coalition avec le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique devant nombre de marines spectatrices, aussi bien sous la mer qu'à sa surface ou même au-dessus de celle-ci. Comment ne pas penser à un théâtre ? Et même à un théâtre immersif où chaque spectateur participe, parfois involontairement à la représentation.
Il aurait été terriblement trop simple de conclure qu'il s'agissait simplement de tenir compte d'une évolution des fiches-programmes rédigées par les état-majors et de leur retranscription en cahiers des charges, avec de plus en plus de normes militaires et de moins en moins de normes civiles. Si le combat naval est bien le facteur décisif justifiant la transmutation alors la réponse à apporter n'est pas une bascule des « corvettes » aux « frégates » mais bien l'ouverture d'un débat sur la maîtrise des mers, au sens corbettien du terme.
La règle des trois unités du théâtre classique sied à merveille pour illustrer comment Julian S. CORBETT entendait le command of the sea, à savoir obtenir localement et temporairement le sea control afin de pouvoir réaliser le but politique de l'engagement naval qui est toujours d'influencer la décision à terre, possiblement par le débarquement d'un contingent.
Le curseur doit donc être déplacé dans le débat naval, non pas sur la plateforme et l'évolution de ses qualités nautiques, caractéristiques opérationnelles possédées en propre, mais bien sur le nombre de forces navales pouvant être constituées afin d'accomplir la mission demandée par le Politique, en engageant la force au besoin pour s'imposer à d'autres, voire à interdire à d'autres. La définition même de la puissance selon Serge SUR : « capacité de faire, de faire faire, d'empêcher de faire, de refuser de faire. »
Il nous reste à présenter nos hommages à « Sa Majesté la Surface » dont le contrôle ne peut-être obtenu que par la maîtrise d'une dimension et de deux volumes (sous-marin, aéro-spatial). Une force devant repenser sa profondeur tactique qui n'est pas le simple éclatement de la force mais bien la capacité à tirer parti du théâtre à son avantage et cela suppose des unités : nombreuses.
Afin de ne pas détruire la flotte de surface par une deuxième erreur systémique et... historique, à l'instar du programme FDI, alors balançons par-dessus bord les programmes Patrouilleurs Hauturiers (PH) et Corvettes Hauturières (CH) dont le seul résultat sera d'avoir produit des spectateurs impuissants car dimensionnés pour un contexte stratégique – déjà – disparu. La réflexion doit moins s'attacher à la catégorie de la plateforme, au prisme des normes de construction que de se focaliser sur les capacités de lutte et les tâches opérationnelles pouvant être accomplies.
Pensons à de nouvelles forces navales constituées, les seules à même d'investir un théâtre, de l' « occuper » et d'encaisser les coûts sans quitter le combat.
1 Louis OUVRY, « Affirmer sa puissance navale : la corvette, un outil de choix au XXIème siècle ? », Classe internationale, 06 décembre 2018, URL : https://classe-internationale.com/2018/12/06/affirmer-sa-puissance-navale-la-corvette-un-outil-de-choix-au-xxieme-siecle/, consulté le 09 décembre 2025.


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