© Inconnu. Un CAESAR au Mali.
Pascal Ramounet nous offre un billet de sa plume pour nous présenter sa réflexion sur le devenir de l'Armée de Terre dans le contexte actuel.
La
première remarque que suscite l’observation de l’armée de terre est la
disproportion entre ses effectifs, ses équipements, et sa capacité à les
mobiliser en un temps donné.
Il suffit que quelques hommes soient envoyés ici et là sur des opérations extérieures, pour que l’asphyxie soit proche.
A
quoi donc sert-il d’être doté de 4000 VAB, 630 VBCI, 250 chars LECELRC,
quand l’usage de quelques uns épuise les capacités de nos armées.
Le débat sur la réduction du format de l’armée de terre est dépassé. La réalité l’a tué.
La vraie question est de savoir quel est le format cohérent permis par la capacité budgétaire de la France.
Une absence manifeste de cohérence
L’adjectif
cohérent prend toute son importance, quand à côté de 3500 VAB, 2000
camions logistiques 8X8 Astra, 630 VBCI, nous ne disposons que de 4
drones HARFANG mis à rude épreuve par la campagne Afghane, de 2 NH90
(!!!) destinés à remplacer les valeureux mais antiques hélicoptère PUMA à
bout de potentiel, de 37 hélicoptères de combat TIGRE, 7 ans après leur
première mise en service ….
Le comble est atteint avec le parc de chars LECLERC :
plus de 450 commandés par l’AT,
250 « en service »,
29 véritablement disponibles (parc d’alerte et de gestion…..) …..au sein de 4 ( ! ) régiments de chars de combat
Le
15 octobre 2008, lors de son audition par la commission de la défense
de l’assemblée nationale le général IRASTORZA (CEMAT de l’époque) « Statistiquement,
le char LECLERC…tombe en panne au bout de 36 heures de
fonctionnement ….. L’armée de terre dispose pour 140 chars LECLERC
opérationnels (le chiffre tombé depuis à 42) d’un crédit de
fonctionnement moteur de 2 h par semaine »
Les exemples pourraient être multipliés.
L’armée française serait-elle un tigre de papier ?
L’impression
est que le format et la configuration de l’AT sont davantage le
résultat de l’affrontement de groupes de pressions, que le fruit d’une
réflexion cohérente.
Le
lobby militaro-industriel, est souvent dénoncé. La pression des
chapelles internes à l’AT devrait également l’être. Ainsi l’acquisition
récente de 13 LRU, dont les perspectives d’emplois sont plus que
marginales laisse perplexe.
Une
armée compacte, mobile, disponible, bien articulée et bien entrainée,
formant un ensemble cohérent a-t-elle d’avantage de valeur militaire
qu’une armée de papier, issue de la juxtaposition de choix hétérogènes
dictés par l’influence des uns et des autres.
© Inconnu. Char Leclerc à l'exercice Gulf Falcon au Quatar.
II – Le principe COMOCO
« Dans
un contexte où l’engagement en haute intensité est peu probable et où
les intérêts vitaux de la France sont préservés par la dissuasion, il
faut accepter que la vocation première de l’armée de terre soit
désormais d’être la défense des intérêts de la France au plus vite, au
plus loin et au moindre coût »Michel GOYA (DSI HS 27)
« Le rôle des forces terrestres et la nature de leurs opérations dimensionnantes,
devrait donc demeurer de nature expéditionnaire, mais avec des
temporalités différentes……. C’est sur la capacité à affirmer une
supériorité opérative claire que résideront les clés du succès ». Benoît BIHAN (DSI HS 27)
Quelques constats s’imposent :
1/ La France n’a plus d‘ennemi à ses frontières terrestres ;
2/
Le défense militaire de ses intérêts s’opère en conséquence au -delà de
ses frontières : espace littoral et aérien, espace terrestre extra
hexagonal ;
3/
Son armée de terre doit en conséquence être configurée dans un objectif
de projection, dont la poursuite dépend essentiellement de deux
paramètres liés : La masse à projeter, la capacité de projection.
4/
Son réseau d’alliances diplomatiques exclut la situation où la France
aurait à subir seule une attaque militaire majeure de ses intérêts.
Ces
préalables dessinent les contours d’une armée de terre capable de
conduire seule et avec succès hors de frontières hexagonales des combats
du fort au faible ou de participer à une action militaire
multinationale.
Trois caractéristiques fortes :
La Cohérence
La Mobilité,
La Compacité
Il s’agit d’une armée de terre COMOCO (cohérente, mobile, compacte).
1/ Cohérente
Cela
a déjà été dit, l’armée de terre ne doit pas être conçue par
sédimentation de décisions successives. Son format, son organisation,
ses équipements doivent être déterminés dans leur ensemble dans un même
temps.
Le
choix ne doit pas se faire, à coût budgétaire équivalent, entre 4
hélicoptères TIGRE ou 3 drones MALE ou 10 VBCI, mais en considérant le
rapport indispensable entre nombre de drones, d’hélicoptères de combat
et des véhicules de combat d’infanterie pour mener une action efficace,
dans un cadre d’emploi de référence.
La
cohérence en matière d'équipement se traduit par l'absence de maillon
faible qui serait de nature à fragiliser l'ensemble du dispositif. Un
maillon faible c'est l'absence ou l'insuffisance d'équipement nécessaire
à la cohérence de l'ensemble (exemple des drones) ou un équipement
manifestement obsolète qui ruine l’efficacité permise par la qualité des
autres équipements.
2/ Mobile
La
mobilité opérative d’une force appelée à intervenir hors de son
territoire dépend des capacités de projection disponibles. Celles de la
France se limitent à deux vecteurs principaux : 3 BPC pour la voie
maritime, 50 hypothétiques A 400 M, à l’avenir, pour la voie aérienne.
Cette capacité est structurante. Elle doit commander le format, l’organisation et les équipements de la future AT.
La
capacité de projection aérienne, en particulier, devrait imposer le
gabarit des véhicules blindés appelés dans le cadre du programme
SCORPION à remplacer les AMX 10 RC, les SAGAIES et les VAB.
Un A 400 M peut transporter dans une soute de moins de 18 m de long une charge de 30t sur 4500kms.
*On
entend souvent que le VBRM, futur remplaçant des VAB, prendrait la
forme d’un véhicule blindé à roues de la classe des 20t. C’est une
hérésie, quand l’AT dispose d’un nombre suffisant de VBCI de 28t. Au
côté d’un EBRC de moins de 30t qui pourrait pour des raisons d’économie
et de logistique être issu du VBCI (train roulant et appareil propulsif)
les nécessités d’une projection d’urgence appellent des véhicules de la
classe des 10 t, comme le CRAB et le PVP XL de PANHARD. Ainsi ,3 A 400M
pourraient transporter à 4500 km, un module de 2 CRAB, 4 PVP XL et 3
VBL
3/ Compacte
La
compacité résulte naturellement des scénarios d’emploi de l’AT
(intervention asymétrique limitée et contribution à une force
multinationale), de la capacité de projection, et, en toutes hypothèses,
des contraintes budgétaires de la France.
En
matière militaire, le nombre est une qualité essentielle. Pour des
raisons de coût, les armées occidentales ne peuvent associer le nombre
et la qualité des équipements. Renoncer à des équipements performants,
c'est-à-dire à une forme de supériorité à priori sur l'adversaire, c'est
accepter la possibilité de pertes humaines nombreuses. Les sociétés
occidentales, qui refusent l'idée de la mort, ne peuvent faire ce choix.
L'occident, pour des raisons financières et socioculturelles est
condamné à choisir la course technologique comme palliatif à des
effectifs décroissants.
© Inconnu.
III - Proposition d’organisation
Peu
de moyens budgétaires et des moyens de projection limités signifient
d’évidence une armée de terre au format de nouveau réduit.
Les
conditions d’emploi envisagées conduisent à classifier les forces en
fonction de leur capacité de projection, et en corollaire de leur
puissance et de leur capacité à durer dans la zone de conflit.
Le recours systématique au GTIA lors des récentes OPEX, montre que l’organisation traditionnelle est devenue surannée.
Les
contraintes de projection et la variabilité des conflits soutiennent le
principe d’une armée modulaire, étant admis que cette modularité ne
doit pas affecter la cohésion.
Il est proposé pour résoudre ce paradoxe apparent un dispositif mixte :
Une force d’engagement d’urgence constituée des forces spéciales de l’AT ;
une
force de projection rapide, privilégiant la mobilité opérative et la
cohésion sur le couple puissance-protection, qui serait organisée autour
d’un ensemble de modules autonomes formant des ensembles organiques,
car appelés le plus souvent à opérer de conserve ;
une force de décision, plus puissante mais moins mobile au niveau opératif, composée de modules autonomes, appelés à renforcer la force de projection rapide, sans lien organique entre eux.
| Mobilité opérative | Couple puissance- protection | Durabilité |
Force d'engagement d'urgence | maximale | faible | faible |
Force de projection rapide | forte | moyenne | moyenne |
Force polyvalente de renforcement | faible | forte | forte |
Forces de soutien | faible | - | forte |
Un exemple de format possible :
|
3 REG opérations spéciales
|
- Force de projection rapide
|
1 Brigade haute mobilité (montagne) |
1 REG de chars légers (9 modules de 6 chars chenillés classe 30 t + une réserve de 6 chars, soit un total de 60 chars légers chenillés) |
3
REG infanterie (3 fois 9 modules de 9 VHM infanterie – 1 VHM Dépannage –
1VHM trans/PC – 1 VHM Drones -1 VHM sanitaire- 2 VBL MILAN, soit 351 VHM) |
1 REG artillerie (9 modules de 6 VHM Mortier 120 soit un total de 54 VHM mortier de 120, + 3 modules de 6 VHM JUMPER, soit un total de 18 VHM JUMPER) |
1 REG soutien haute mobilité |
1 Brigade parachutiste |
4 REG infanterie parachutiste (4 fois 9 modules de 3 CRAB+ 13 PVP XL +3 VBL, soit 108 CRAB + 468 PVP XL + 108 VBL) |
1 REG artillerie parachutiste (18 PVP XL Mortier 120 + 18 PVP XL JUMPER) |
1REG soutien parachutiste
|
|
- Force polyvalente de renforcement
|
|
| 1 REG de char de combat (9 modules de 6 LECLERC + une réserve de 6 chars, soit un total de 60 LECLERC + 9 modules de 2VBCI mortier de 120 mm sous tourelle+ 1 module de réserve, soit 20 VBCI mortier de 120) |
|
| 2 REG de cavalerie blindée (2 fois 9 modules de 6 EPRC + une réserve de 6 EPRC, soit un total de 120 EPRC) |
|
| 4 REG infanterie (4 fois 9 modules de 9 VBCI – 1 VBCI MPC – 1 VBCI Dépannage – 1 VBCI Drones -1 VBCI sanitaire-– 2 VBL, soit 468 VBCI) |
|
| 2 REG artillerie (2 fois 9 modules de 6 CAESAR 155, soit 108 CAESAR 155 + 2 fois 3 modules de 6, soit 36 CAESAR FIRE SHADOW ) |
|
| 1 REG artillerie AA (MICA + C-RAM ) |
|
| 1 REG Renseignement (RADAR +DRONES) |
|
| 1 Reg soutien |
|
| ALAT |
|
La terminologie « régiments (REG) » et « brigades » est utilisée par commodité de langage.
Un
« régiment » serait formé de modules pouvant intervenir isolément.
Cette autonomie, qui pourrait être comparée à celle des cellules dans un
corps humain, présente l'avantage de permettre une continuité d'action
en cas de perte d'un ou plusieurs modules. Elle permet également
d'adapter la taille du "régiment" aux contraintes budgétaires, en
ajustant le nombre de modules qui le constituent, sans ruiner la
cohérence du dispositif.
Ainsi
un module d’infanterie parachutiste pourrait être composé comme suit : 9
PVP XL infanterie (72 voltigeurs) – 3 CRAB 25 mm - 1 PVP XL trans/PC
- 1 PVP XL Drones -1 PVP dépannage - 1 PVP XL soutien sanitaire-2 VBL
MILAN -1 VBL MISTRAL. L’ensemble serait transportable par 5 A 400 M.
Un
module d’artillerie parachutiste pourrait être composé comme suit : 6
PVP XL M 120 (ou JUMPER) – 3 VBL appui – 1 VBL MISTRAL – 1 PVP XL trans/PC – 1 PVP XL Drones . L’ensemble serait transportable par 4 A 400M.