Paul Mullié est titulaire d'une licence de géographie (Institut de Géographie Alpine/Institut d'Urbanisme de Grenoble). Au sein de l'université Jean Moulin (Lyon III), il obtenait son master I (Relations Internationales, Sécurité et Défense) en soutenant un mémoire sur la marine chinoise ("La marine chinoise du XXIème siècle : posture défensive ou stratégie hégémonique potentielle?"). En deuxième année de master (Relations Internationales et Diplomatie), son deuxième mémoire portait sur "Le concept d'universel en sciences sociales et sa transposition en relations internationales par l'universalisme."
Pourriez-vous nous présenter l'organisation des forces
navales chinoises à travers ses trois flottes ?
Le
Livre blanc de 2009 indique qu' « actuellement, la MAPL (Marine de
l’Armée Populaire de Libération) a une force totale de 235 000
officiers et soldats, et commande trois flottes, à savoir, la flotte
de Beihai, la flotte de Donghai et la flotte de Nanhai. » Ainsi
à chaque flotte correspond une mer : la Mer de Chine Méridionale,
la Mer de Chine Orientale et la Mer Jaune. Chacune de ces flottes
dispose de ses propres quartiers généraux, de ses garnisons, de son
aviation et de ses brigades marines.
En
extrapolant et surtout en simplifiant, il est alors possible de
considérer que la flotte du nord, (Mer Jaune) serait orientée vers
les Corées voisines, la flotte de l’est (Mer de Chine Orientale)
serait plutôt à destination du Japon, et enfin la flotte du sud
(Mer de Chine Méridionale) aurait vocation à gérer les questions
de territoires disputées avec les différents membres de l’ASEAN.
Taïwan est quant à elle située, selon les sources, tantôt entre
les deux mers de Chine, et donc les deux flottes associées, tantôt
dans l’espace de la flotte de l’Est. Cependant une telle
description, si elle permet de saisir rapidement les enjeux, est
surement trop caricaturale et éloignée des réalités techniques.
A
travers cette division de la MAPL il est alors possible de donner un
ordre de priorité aux différents objectifs chinois en fonction de
l’ampleur de chaque flotte. La Mer de Chine Méridionale
bénéficierait du plus important contingent indiquant une priorité
accordée aux problèmes « du Sud ».
Ceci
peut être interprété comme rassurant, un signe d’apaisement dans
les relations avec Taïwan et le Japon, tout en contribuant à
alimenter les tensions avec les pays de l’ASEAN ou encore en
alimentant la théorie du « collier de perles ». Mais, encore une fois, il
n’est pas si simple de mesurer l’importance des flottes, par
exemple le porte-avions ne semble pas avoir été associé à l’une
d’elles. Il a été vu dans le port du Dalian, au Nord, alors que la
base de Sanya, sur l’île de Haïnan, à l’opposé Sud, serait
l’une des bases navales les plus importantes et pourrait accueillir
les sous-marins nucléaires de même que le porte-avions, tout du
moins dans un futur proche.
Pour
conclure cette présentation de la MAPL, je pense qu’il est
également important de rappeler qu’elle n’est en aucun cas d’une
ampleur comparable à celle de l’US Navy dont la VIIème flotte est
en permanence déployée entre l’Asie de l’Est et l’Ouest du
Pacifique. Les forces de défenses japonaises sont également
considérables, Taïwan est bien armée, et les forces cumulées des
pays de l’ASEAN son également importantes. Un rapide passage en
revue des chiffres ne permet pas de marquer une nette hégémonie
chinoise.
Quelles sont les différentes frontières maritimes de
l'action régionale de la Chine ?
Classiquement,
les objectifs et les opérations de la MAPL sont limités selon deux
lignes symbolisant sa zone d’activité présente et future. Il
s’agit de la description commune des frontières maritimes de la
Chine. La première de ces lignes, celle qui englobe les opérations
actuelles de la Chine, se dessine à partir de l’archipel japonais
et descend vers le sud en passant par les îles d’Okinawa, puis par
celle de Taïwan avant d’atteindre les Philippines et la Malaisie.
La deuxième ligne, celle ayant vocation à contenir les opérations
chinoises dans le futur, se trace également au Nord depuis le Japon
ou bien les îles Kouriles, mais survole ensuite Iwo Jima dans
l’archipel d'Ogasawara, les îles Marianne, donc l’île de Guam,
puis l’archipel des Carolines. Cette deuxième ligne englobe, donc,
en plus des deux mers de Chine, la mer des Philippines et marque une
projection plus importante dans le Pacifique. Ces deux tracés
virtuels sont en fait concrètement constitués d’un rideau d’îles
englobant la Chine, la protégeant ou la contenant. Il s’agit des
zones de sécurité à contrôler pour la MAPL. Ces deux rideaux
d’îles sont également marqués par l’omniprésence américaine,
avec notamment la base d’Okinawa et les accords de défense avec
Taiwan et le Japon pour la première ligne, ou encore la base de Guam
sur le second rideau.
Passer
outre la première ligne d’îles ne peut se faire sans traverser
des eaux peu profondes ou les sous-marins peuvent être repérés.
L’accès au second rideau est donc déterminé par la capacité
chinoise à contrôler et traverser le premier, en faisant des eaux y
menant une sorte de mer intérieure. C’est alors que Taïwan prend
une position stratégique clef, permettant l’accès de la Chine à
l’Océan Pacifique ou au contraire en le verrouillant. En
conclusion, les deux lignes illustrent le problème de l’enfermement
de la MAPL.
La « théorie du collier de perles » se transpose-t-elle à la pratique ? La MAPL s'appuie-t-elle sur ces « bases » ?
Pour
répondre en un seul mot, je dirais non.
Conjointement
au développement important de ses capacités militaires,
(développement contribuant à alimenter la théorie) un élément
ayant suscité de nombreuses inquiétudes au sujet des ambitions
maritimes chinoises est la théorie communément dite du « collier
de perles ». Il s’agit de l’idée selon laquelle la Chine
tisserait un réseau de bases dans l’Océan Indien, formant un
collier encerclant l’Inde et dans lequel chacune de ses bases
serait une « perle ». Selon cette théorie, le collier de
perles refléterait la volonté chinoise de contenir son voisin. Ce
projet s’inscrirait alors dans une vision « Mahanienne »
du contrôle des océans fondé sur un réseau d’installations
susceptibles d’accueillir la flotte. Cette vision s’inscrit
également dans la prise en compte du dilemme de Malacca et de la
forte dépendance de la Chine vis-à-vis du détroit.
Si je
suis spontanément tenté de répondre non aux questions posées ici,
c’est parce que les perles du collier ne sont tout simplement pas
des installations militaires. Depuis la Chine, les premières perles
sont l’île du Hainan et l’archipel des Paracels. Il s’agit
bien là d’installations militaires réelles ou en cours de
construction, mais situées pour la première en territoire chinois,
et pour la seconde en territoire sous contrôle chinois contesté par
le Viêt-Nam. Viennent ensuite la ville de Kyaukpyiu en Birmanie,
laquelle accueille un terminal pétrolier reliant ensuite la Chine
continentale par pipeline, et le port de Chittagong au Bangladesh,
financé par les milliards chinois afin d’accueillir les conteneurs
et les vracs pour ensuite relier la Chine par autoroute à travers la
Birmanie encore. La perle suivante est au Sri Lanka, où la Chine a
promis de financer les réparations du port d’Hambantota, et où
certains pensent qu’il pourrait servir de base à la MAPL.
Cependant aucun accord de la sorte n’a été confirmé. Et enfin la
dernière perle est le port de Gwadar au Pakistan. Encore une fois
financé par la Chine, Il pourrait accueillir les navires de combats
postés dans le golfe d’Oman, tout comme il pourrait servir de
point de départ d’une liaison « offland » acheminant
les hydrocarbures en Chine (une liaison autoroutière existe déjà.).
La gestion du port commercial vient de passer des mains d’une
entreprise singapourienne à une chinoise. A chaque perle le même
schéma se retrouve, celui d’un port commercial où la Chine voit
une solution de réduire sa dépendance à Malacca en offrant des
routes alternatives, tout en alimentant les hypothèses et les
rumeurs d’installations militaires.
Dans
l’actualité plus récente une nouvelle perle semble se rajouter au
collier, comprenant cette fois réellement un volet militaire. Les
accords en cours de négociations entre la Chine et Djibouti
concernant l’implantation d’une base militaire logistique
pourraient être le premier vrai argument crédibilisant la théorie
du collier de perles. Cependant là aussi il est nécessaire de
placer des limites. Depuis 2008 la Chine a déployé plusieurs
navires dans le Golfe d’Aden et au large de la Somalie pour mener
des missions d’escorte, de lutte contre la piraterie, et de
sauvetage humanitaire. Il s’agit là de l’une des rares
véritables expéditions maritimes chinoises hors visites
diplomatiques dans différents ports. L’objectif de ces missions
est comme à l’accoutumée pour la Chine, de sécuriser ses voies
d’approvisionnement en hydrocarbures. Le déploiement chinois a
connu quelques difficultés, notamment logistiques et de
ravitaillement et a dû être intégré au commandement commun des
forces de l’ONU. L’hypothétique base à venir à Djibouti est
donc prévue dans cette optique. Celle-ci confirme donc le
développement de la MAPL et de son rayon d’actions, mais si elle
devient une perle du collier, servant à assister les navires dans le
Golfe d’Aden, alors le port de Gwadar à qui certaines théories
avaient prédit ce rôle perd de son importance et se confirme comme
étant simplement un port commercial. Cette nouvelle perle viendrait
donc seulement en supplanter une autre, mais dépasserait cette fois
le seul stade de la théorie.
Le
collier de perles n’est donc pas une succession de bases militaires
mais bien un réseau établi dans une logique commerciale et dans la
peur d’un étouffement à Malacca où passent 80% des importations
pétrolières chinoises. De plus ce réseau souffre de l’instabilité
de ses partenaires Birmans et Pakistanais.
La
théorie du collier de perles comme encerclement de l’Inde, très
instrumentalisée, serait donc le fruit d’un ensemble de mauvaises
perceptions Indiennes et Américaines, alimentées par la peur de la
montée en puissance de la Chine, développant elle-même ce réseau
par peur d’une vulnérabilité trop grande. En ce sens il s’agirait
d’une construction théorique pouvant mener certains à craindre
« une prophétie auto-réalisatrice », en un sens où la
théorie alimente les peurs des pays concernés qui augmentent donc
leur armement, alimentant à leur tour la peur chinoise d’une
coupure de ses routes commerciales, et s’armant à son tour dans un
dilemme de sécurité classique.
Le « dilemme de Malacca » pour reprendre le mot
de Hu Jintao n'est-il pas partagé, en partie, avec l'Inde ?
Pas à
ma connaissance. Si le dilemme de Malacca marque la dépendance de la
Chine à ce détroit dans ses routes commerciales, mais
principalement pour son approvisionnement en pétrole et en
hydrocarbures issus du Moyen-Orient, alors je ne vois pas de raisons
pour que l’importation en matière fossiles de l’Inde circule par
le détroit de Malacca. En revanche il est partagé avec le Japon, et
ce certainement de manière croissante depuis l’accident nucléaire
de Fukushima et la réduction (à défaut de sa sortie finalement
annulée) de l’usage de l’énergie atomique sur l’archipel,
laquelle est inévitablement compensée par des importations
massives. Un exemple qui illustre très bien cette dépendance et ce
dilemme partagés est le vieux fantasme de la création d’un canal
au niveau de l’Isthme de Kra en Thaïlande. Aujourd’hui, parfois
envisagée comme une des perles du collier précédemment évoqué,
le projet était aux origines une ambition japonaise. Finalement, ce
canal « coupant » Malacca et raccourcissant les routes
commerciales semble finalement prendre plus simplement la forme d’une
liaison terrestre entre deux terminaux côtiers.
Dans
la même logique on peut supposer que le dilemme soit aussi partagé
par Taïwan et la Corée du Sud. Mais pour ces États comme pour le
Japon la situation et moins sujette à des inquiétudes et à de la
paranoïa puisque, outre Singapour, le détroit est principalement
sous contrôle et surveillance japonais et américains.
Pour
ce qui est de l’Inde, je suppose qu’on peut très bien imaginer
que le détroit de Malacca ait tout de même une importance
considérable dans les routes commerciales, hors des
approvisionnements en hydrocarbures.
Bonjour.
RépondreSupprimerUn article de la revue Orient XXI sur la base chinoise de Djibouti : http://orientxxi.info/magazine/djibouti-les-chinois-arrivent,1284,1284
Bonne journée.
Bonjour.
SupprimerMerci pour le lien. Un article en effet très intéressant notamment sur le parallèle avec le port de Gwadar qui ne devrait donc pas devenir une base militaire.
Paul Mullié.