Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





30 novembre 2020

Marine nationale : franchir la deuxième chaîne d'îles ?

© Marine nationale. Escale du SNA Émeraude à la base navale de Guam (US Navy) depuis le 30 novembre 2020.

     La simultanéité de l'escale à la base navale de Guam (US Navy) du Sous-marin Nucléaire d'Attaque Émeraude (1988 - 2022) et de la visite de l'Amiral Pierre Vandier (1er septembre 2020 - ...), chef d'état-major de la Marine nationale à l'Amiral Yamamura Hiroshi (山村 , en fonction depuis le 20 mars 2019), chef d'état-major de la Force maritime d'autodéfense japonaise (海上自衛隊 ou Kaijō Jieitai) doit être relevée et ne peut que témoigner d'une volonté manifeste de coupler les deux évènements sur le plan stratégique. La manœuvre semble non seulement être produite à destination des alliés de la région mais l'accroissement de la présence navale française dans l'océan Pacifique tend à indiquer qu'il s'agit d'un avertissement destiné à la Chine.

La Flotte est principalement concentrée en mer Méditerranée depuis 1820 et ce choix géostratégique a été alimenté par l'évolution des intérêts français dans le monde et des choix diplomatiques en découlant entre la mer Méditerranée et l'Asie du Sud-Est. La mise en place de la composante océanique de la dissuasion nucléaire n'a pas remis en cause de choix, même si les campagnes d'essais nucléaires avaient exigé en leur temps la création de la Force Alfa (1965 - 1968) et l'entretien du Centre d'Essais du Pacifique (1966 - 1996).

Dans cette perspective, la présence navale dans les océans Indien et Pacifique est, sur le plan historique, secondaire et procède de la projection d'unités navales ou de groupes navals constitués depuis Toulon à direction des deux océans.

Dans l'entre-deux-guerres l'Amiral Raoul Castex avançait même la nécessité, selon lui, de choisir entre partir d'Extrême-Orient, en trouvant un arrangement avec une autre puissance coloniale afin que la France se concentre en Afrique par échanges de colonies ou bien de créer flotte dédiée et d'établir un véritable arsenal en Indochine pour afin d'écarter les menaces contre la présence française.

Faute d'avoir produit ou de vouloir produire une réalisation à hauteur du projet mis en avant par l'Amiral Raoul Castex, la présence navale dans les océans Indien et Pacifique est mis au défi du principe d'élongation logistique maximale dégagée par le colonel Maurice Suire et dont la transposition en mer confirme l'importance accordée par l'Amiral Alfred Thayer Mahan à l'importance des bases avancées.

Depuis 1954 et la fin de l'Indochine, la présence navale française dans l'océan Pacifique s'est résumée - hormis cas particuliers de la Force Alfa et du CEP - à des déploiements ponctuels d'unités. Et encore, dans la presque totalité des cas il ne s'agit, pour l'essentiel, que des moyens navals basés en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française dont la valeur militaire est plus que négligeable vis-à-vis des développements navals du conflit Est-Ouest (1947 - 1991) et de l'ascension navale de l'Asie du Sud-Est concomitamment au glissement du centre économique du Monde jusqu'à cette même région.

La présence navale française par-delà Suez a été très active dans l'océan Indien durant le conflit Est-Ouest (1947 - 1991) mais s'est résumée au fait d'y baser des avisos-escorteurs et la faiblesse relative des moyens navals prépositionnés et de leur dimensionnement a été particulièrement mis en lumière à l'occasion des opérations Bouclier du désert (7 août 1990 – 17 janvier 1991) et Tempête du désert (17 janvier 1991 – 28 février 1991) où le groupe aéronaval n'était pas en mesure de participer, dans la même mesure, aux actions militaires que les carrier strike groups de l'US Navy.

Au XXIe siècle, la France réinvestit puissamment sa présence stratégique en océan Indien par, notamment, la première création depuis 1945 d'une base militaire en territoire étranger aux Émirats Arabes Unis en 2009. Mais le point central est peut-être, et surtout, le partenariat stratégique noué avec l'Inde qui comprend, notamment, une alliance navale. La Perle faisait escale à Mumbai, à l'occasion de l'International Fleet Review (17 - 18 février 2001) qui célébrait les 50 ans de l'Indian Navy. Seule escale d'un bâtiment à propulsion nucléaire, trois années après les essais de 1998.

Et il se dessine que l'intérêt trouvé par l'Inde dans ce partenariat, entretenu par des exercices navals réguliers (Agapanthe et Varuna) et un accord logistique avec des facilités d'escales, consiste, par exemple, dans la France à déployer un groupe aéronaval complet, soit un peu plus d’environ 100 000 tonnes depuis 2001, près de 128 000 tonnes en 2030 et 160 000 tonnes en 2040, au fur et à mesure de l'évolution matérielle de la Marine nationale.

Mais l'océan Indien est, aussi, l'aboutissement des différents « raids » lancés par les Forces Aériennes Stratégiques afin de démontrer leur capacité à s'élancer de Saint-Dizier jusqu'à la Réunion, après un peu 10h45 de vol : une élongation à coupler avec la portée de l'ASMP-A. Et si le message n'avait pas été suffisamment clair, l'exercice Picht Black 2018 (27 juillet - 17 août) posait la première pierre de la future faculté de l'Armée de l'Air à déployer un escadron de Rafale B et/ou Rafale C jusqu'en Australie, appuyé et soutenu en cela par 8 A330 MRTT Phénix.

Une évolution conceptuelle a eu lieu depuis 2014. Dans le cadre des travaux préparatoires, débutés le 4 avril 2016, à la rédaction du futur 2016 Defence White Paper (24 février 2016), le concept d' « IndoPacific » s'est imposé dans le débat jusqu'à être retenu par le document stratégique.

Concept qui a fait florès en France car repris, par exemple, par le Sénat en 2016 qui en soulignait la pertinence (Australie : quelle place pour la France dans le Nouveau monde ?, Rapport d'information n° 222 (2016-2017) de M. Christian CAMBON, Mme Marie-Françoise PEROL-DUMONT, MM. Robert LAUFOAULU, André TRILLARD et Christian NAMY, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 14 décembre 2016).

Australie qui devenait le centre de l'évolution française sur ce point car la Revue stratégique de Défense nationale et de sécurité nationale, 11 octobre 2017 et remise officiellement au Président par la ministre des Armées le 13, affirmait que « la France développe avec l’Australie un partenariat structurant et de longue durée, matérialisé par la réalisation en commun de la future génération de sous-marins australiens [...] la France noue des liens utiles au renforcement de la sécurité maritime dans l’Indopacifique. » (p. 65) Et ce dernier vocable est cité une seule et unique fois.

Du 1er au 3 mai 2018, à l'occasion de son voyage en Australie, le Président de la République, M. Emmanuel Macron, avait affirmé son souhait de créer un axe indopacifique Paris - New Delhi - Canberra pour préserver les équilibres géopolitiques dans cette région.

Les océans Indien et Pacifique ne forment plus qu'un seul et même espace stratégique et pour Canberra et pour Paris, selon un processus simultané et presque imbriqué tant les échanges institutionnels et universitaires furent riches sur la période considérée (2014 - 2018).

Les États-Unis suivront plus tardivement le cheminement franco-australien, par la création du commandement US United States Indo-Pacific Command (USINDOPACOM), le 30 mai 2018. Mais il est à remarquer que pareille création n'a pas trouvé d'échos à Paris où les grands commandements n'ont pas été remaniés pour penser les opérations militaires aux échelons opératif et stratégique, suivant les nouvelles orientations diplomatique et stratégique. Est-ce peut-être là une des limites à l'engagement français dans l'océan Pacifique car les affaires militaires demeurent bien ségréguées entre les océans Indien et Pacifique.

Restait à mettre en conformité les paroles avec les actes, ce qui était déjà fait pour l'océan Indien eu égard aux déploiements réguliers, et presque annuels du groupe aéronaval qui culminaient en mai 2019 avec la première escale à Singapour du porte-avions Charles de Gaulle (2001 - 2038 ?) depuis 2002. Mais Singapour semblait incarnait la présence navale française la plus avancée depuis Toulon jusque dans l'océan Indien où Singapour ne constituerait qu'une courte incursion.

Toutefois, ce n'est pas entièrement vrai : en ce sens que des frégates de surveillance et même des frégates de premier rang ont pu aller jusqu'à naviguer dans les eaux contestées des mers de Chine ou bien dans le détroit de Taïwan afin de réaffirmer l'importance pour la France de la Liberté de navigation.

Sous la mer, l'activité des sous-marins français dans l'océan Indien s'est considérablement développée au début des années 2000, dans la foulée de l'intégration des SNA au groupe aéronaval, en tant que retour d'expérience des opérations aéronavales menées en mer Adriatique mais aussi des nouveaux enjeux opérationnels ayant suivi le 11 septembre 2001 et les évènements consécutifs.

Cependant, la présence sous-marine française, en tous les cas pour celle recevant une publicité, est bien plus rare et donc remarquable : le Rubis avait atteint, en navigation continue en plongée, l'océan Pacifique où il faisait escale à Nouméa (Nouvelle-Calédonie) et Papeete (Polynésie française). En 2001, c'était la Perle qui faisait escale à Freemantle en Australie avant d'aller à Singapour pour visiter la nouvelle base de Shangi et préparer la future escale du PAN Charles de Gaulle (2001 - 2038) l'année suivante. Nouvelle escale en 2016, en marge des négociations quant au programme SEA 1000 où l'Australie devait choisir le partenaire lui permettant non seulement d'acquérir 12 sous-marins à mettre sur cale dans un chantier naval australien mais aussi à devenir un pays constructeur de sous-marins.

Mais l'escale (11 - 14 novembre 2020) de l'Émeraude à la base navale HMAS Stirling, à proximité immédiate de Perth (Australie) était le point de départ de ce qui semble être la première incursion - avec publicité - d'un SNA français dans l'océan Pacifique depuis la circumnavigation du Rubis en 1985. L'Émeraude est, en effet, arrivée à la base navale de Guam, simultanément à la visite de l'Amiral Pierre Vandier au Japon.

Depuis 2013 et l'affirmation par le ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, que la France est une nation du Pacifique, et le silence poli qui s'en était suivi alors, les perceptions quant au rôle pouvant être joué par la France et sa faculté à y déployer une force navale ont considérablement évolué, entre : la politique de « poldérisation » en mer de Chine, la montée en puissance la Marine de l'Armée Populaire de Libération qui a dépassé l'US Navy en nombre de bâtiments de guerre - mais pas (encore ?) en tonnage - et l'affirmation de plus en plus décomplexée de la puissance chinoise, plus particulièrement depuis le début de la pandémie en Chine. La France reste et demeure un des membres du conseil de sécurité des Nations unies, une puissance nucléaire et détient une marine apte à se déployer dans l'océan Pacifique. 

« Les évolutions à Paris depuis l’élection du président Macron sont suivies avec attention par la communauté stratégique japonaise » (« Évolution des équilibres en zone Asie-Pacifique : quelles conséquences pour nos intérêts, quelles réponses et quels partenaires privilégier ? », Fondation pour la Recherche Stratégique, rapport n°287, 9 octobre 2017, p. 56) L'évolution du vocabulaire stratégique à Paris, en lien avec l'Australie qui est également un partenaire privilégié du Japon, n'a pu qu'être noté. Et l'Amiral Pierre Vandier aura manifestement fait passer, entre autres messages, qu'il avait été noté « une inquiétude affirmée de la part des Japonais sur un désengagement américain du fait de l'arrivée de la nouvelle administration, avec une concentration plus forte sur les problématiques intérieures et peut-être moins d'engagement sur la scène internationale » (« Le chef de la marine française s'inquiète du «comportement conquérant» de la Chine », AFP, 30 novembre 2020).

L'Inde, l'Australie et le Japon sont demandeurs d'escales et d'exercices du groupe aéronaval français : cela a été fait presque annuellement avec l'Inde depuis la mise en place des exercices Agapanthe et Varuna. Une escale du groupe aéronaval est suspectée de pouvoir se produire en 2021 en Australie. Mais au Japon ?

Il est à espérer que le message envoyé par la France aura été bien reçu en Chine car les déploiements navals français semblent suivre la théorie des deux chaînes d'îles de l'Amiral Liu Huaqing (华清 (1916 - 2011) : la « deuxième chaîne d'îles » court depuis la façade Est du Japon jusqu'au détroit de Malacca en passant par Guam, voire le Nord de l'Australie (Darwin). Mais l'escale à la base de Guam pourrait tout aussi bien indiquer que les futurs déploiements pourraient tout aussi bien se poursuivre jusqu'à la « première chaîne d'îles », celle-ci passant par le détroit de Malacca, l'île de Bornéo, le Sud des Philippines.

L'avertissement est bien si la France était jusqu'à présent, et malgré quelques incursions (frégates Auvergne et Vendémiaire, par exemple), demeurée à l'extérieure de la deuxième chaîne d'îles, à l'avenir Singapour, l'Australie et Guam pourraient servir à aller croiser en mer de Chine méridionale (archipels des Paracels et des Spratleys), dans le détroit de Taiwan ou de faire escale au Japon.

Mêmes sujets pour le Royaume-Uni qui affirme depuis 2018 vouloir déployer son carrier strike group dans l'océan Pacifique. Et la mission, tant attendue, en 2021 pourrait même se combiner partiellement avec celle du groupe aéronaval emmené par le porte-avions Charles de Gaulle. Une présence navale soutenue dans l'océan Pacifique, à rebours de la concentration méditerranéenne observée depuis 1820 et pouvant soutenir des déploiements ponctuels dans l'océan Indien, en cohérence avec l'alliance navale franco-indienne, poserait sur la table la problématique de l'élongation logistique maximale et donc des bases avancées.

La « chaîne d'îles » française passe par l'IMFEAU, Djibouti, la Réunion, Nouméa et Papeete : une présence navale plus soutenue, voire continue parmi les hypothèses possibles, poserait inévitablement les questions de la logistique, des bases avancées ou bien d’un nouveau paradigme des déploiements navals, avec des relèves d’équipage dans des bases ou pays alliés, afin de décupler la durée d’un déploiement, en conservant une empreinte légère.


2 commentaires:

  1. Bonjour,
    peut-être est-ce un oubli ou vous ne la classé pas dans la même catégorie que le déploiement d'avisos mais la mission Prométhée a tout de même assuré une présence majeure dans l'Indien du nord.

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    1. Monsieur,

      Bonsoir, j'ai tout simplement escamoté toute la partie océan Indien afin de pouvoir me concentrer sur le seul cas de l'océan Pacifique, pour tenter de souligner les limites de notre présence navale dans ce théâtre.

      Bien navicalement,

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