Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





25 mai 2024

Marine nationale : la classe Richelieu, une autre interprétation française du 𝘣𝘢𝘵𝘵𝘭𝘦 𝘤𝘳𝘶𝘪𝘴𝘦𝘳 ?

© Franklin D. ROOSEVELT Presidential Librairy and Museum. Rencontre, le 19 mars 1943, entre le vice-amiral Raymond FENARD, le capitaine de vaisseau Denis de BOURGOING et Monsieur Franklin Delano ROOSEVELT, 32nd President of the United States (4 mars 1944 - 12 avril 1945). Une maquette du Richelieu a été offerte, toujours conservée dans les collections du musée dédié à la présidence de « FDR » et méritant aujourd'hui une restauration.

     Les deux représentants de la classe Richelieu, à savoir les Richelieu, Jean Bart auxquels nous pouvons ajouter le seul représentant de la sous-classe, c'est-à-dire le Clemenceau, ont toujours été rangés, par la Marine nationale, dans la catégorie des « bâtiments de ligne ». En jetant un autre regard sur classe, tout en distinguant bien celle-ci du « type » Richelieu, il est proposé d'essayer d'arguer que ce n'étaient pas des bâtiments de ligne car plutôt conçus - malgré les intentions initiales ? - pour se détacher la ligne, et donc « barrer le "T" », voire pour briser la ligne adverse. Leurs caractéristiques opérationnelles invitent à cette réflexion exploratoire car il convient de les questionner : témoignent-elles d'une agressivité tactique sans commune mesure vis-à-vis des représentants étrangers appartenant aux espèces « cuirassés rapides » et autres « croiseurs de bataille » ?

     La conception de la classe Richelieu, telle que rapportée dans la plupart des monographies la citant ou bien étant vouées à ce sujet, se penchent rarement, si ce n'est jamais, quant aux rationalités tactiques ayant présidé aux choix. Ce sont les considérations juridiques, et donc politiques, qui dominent dans les analyses proposées puisque le lancement d'un programme de cuirassés de 35 000 tonnes Washington était l'un des nœuds dénoués du système de sécurité collective né au lendemain de la Grande guerre (28 juillet 1914 - 11 novembre 1918). La période consécutive au Traité naval de Washington (06 février 1922) verra se croiser différents objets que sont les « croiseurs protégés », « croiseurs de combat », « croiseurs de bataille » et, enfin, « cuirassés rapides ». Autant de vocables pour autant de réalités politico-navales rigoureusement précises, en particulier dans leurs conséquences pratiques : non, tout n'est pas cuirassé et tout croiseur ne sert pas à la bataille... en ligne de fille.

Cela nous permettant d'essayer de faire émerger le concept de croiseur de bataille dans la pensée navale française depuis les esquisses de l'ingénieur du génie maritime Paul Adolphe Marie GILLE (d’où le fait qu’il apparaisse dans les publications comme « P. GILLE », tantôt comme « M. GILLE ») et du LV Georges DURAND-VIEL (1911-14) : 1926 marque-t-elle la réapparition du « croiseur de bataille » français ?

 

 

I. Dix ans de vacances navales avant le cuirassé de 35 000 tW

     Ce sont les raisons pour lesquelles il nous faut dire un long mot qui apparaîtra probablement fastidieux au lecteur mais terriblement indispensable à notre réflexion afin d’expliquer l’enjeu des 70 000 tW (A) entre la France, l’Italie et le Royaume-Uni ; comment l’Allemagne mis le doigt dans l’engrenage de la relance de la course aux armements navals (B) jusqu’à obliger la France à réagir par le « croiseur protégé » (C), sorte de « cuirassé rapide de poche » auquel l’Allemagne ne pouvait pas accéder.

 

     A – 70 000 tW à employer d'ici à décembre 1936

     La conférence navale de Washington (12 novembre 1921 - 6 février 1922) accouchait du traité naval de Washington signé par les représentants des pays membres - États-Unis d'Amérique, Royaume-Uni, France, l'Italie et l'Empire du Japon - le 6 février 1922 pour une durée de 10 années.

Il en ressortait des limitations des armements navals pour les cuirassés, porte-avions et croiseurs. Pour les premiers, les caractéristiques à ne pas dépasser étaient un tonnage unitaire de 35 000 tW (une tonne Washington est égale à une tonne anglaise de 1 016 kg) et un armement d'un calibre égal ou inférieur à du 406 mm. Et le tonnage de cuirassés détenus par les puissances signataires ne devaient pas excéder 580 450 tonnes pour le Royaume-Uni, 500 600 tonnes pour les États-Unis, 301 320 tonnes pour le Japon, 220 170 tonnes pour la France et 180 800 tonnes pour l'Italie. Mais les tonnages à atteindre à terme étaient de, et respectivement, 525 000 t pour Londres et Washington, 315 000 tonnes pour Tōkyō et 175 000 tonnes pour Paris et Rome.

Aucune mise sur cale de cuirassés n'était autorisée pendant dix années, hormis cas particulier de la France et de l'Italie à qui était accordée la faculté de pouvoir remplacer deux des plus anciennes unités de ce domaine, soit 70 000 tW de construction autorisée sur les 175 000 tW à détenir. Il en ressortait que tous les projets de cuirassés d'un tonnage unitaire supérieur à 40 000 tonnes et portant du 406 à 450 mm furent, de facto, abandonnés.

 

     B – L’affaire à tiroirs des Panzerschiffe

     La course aux armements navals reprenait, et très paradoxalement, du fait de l'Allemagne qui n'était soumise qu'aux limitations navales du traité de Versailles (28 juin 1919) : à savoir un tonnage de 10 000 tonnes et un calibre égal ou inférieur à 280 mm. L'occupation de la Ruhr (11 janvier 1923 - 25 août 1925) retardait les projets allemands de bâtiments portant un calibre de for diamètre. D'où l'échec d'une conférence de la Reichsmarine de mai 1925. Des avant-projets sont pourtant étudiés consécutivement à celle-ci. Une mise sur cale avorta courant 1926 car les études n'étaient pas suffisamment achevées. L'avant-projet Panzerschiff A (1926-28) fut retenu et mis à l'étude. Choix rendu public par l'Amiral Hans ZENKER, Chef der Marineleitung (1ier octobre 1924 - 30 septembre 1928), le 11 juin 1927. Après un débat politique houleux vidé par les élections générales de 1928 dont ce projet fut un des symboles des oppositions entre les partis, le premier Panzerschiffe fut autorisé, en novembre 1928, par un parlement où s'était dégagé une majorité acquise à sa cause. La mise sur cale intervenait le 5 mai 1929.

     Il est à se demander si le Renseignement naval, à Paris, n'avait manqué aucun de ces actes. Cela pouvant expliquer, partiellement ou totalement, les différents projets étudiés (1926-32) de croiseurs lourds de 17 500 tW (1926), croiseurs de bataille de 37 000 tonnes type A (1927-28) et B (1928), « croiseurs protégés » de 23 690 tW (1929 ?) puis de 23 333 tW (1930) et, enfin, de 26 500 tW (1932).

     L'annonce de la mise sur cale des Panzerschiffe (navires blindés en traduction littérale mais « croiseur cuirassé » comme traduction figurée) ou « pocket battleship » (cuirassés de poche) selon la presse britannique - les Admiral Scheer (juin 1931) et Admiral Graf Spee (octobre 1932) - de 10 000 tonnes, marchant jusqu'à 26 nœuds et portant deux tourelles triples de 280 mm, a été le déclencheur. Les Deutschland n'étaient nullement une menace pour les cuirassés mais pour les croiseurs Washington (10 000 tW, calibre égal ou inférieur au 203 mm) – malgré une interprétation de plus en plus extensive par la pratique de la manière de calculer le déplacement – qui ne pouvaient pas encaisser du 280. Et d'où, aussi, le fait que le projet de croiseurs lourds de 17 500 tonnes ait été écarté à la lumière de l'apparition des Panzerschiffe.

 

     C – Le « croiseur protégé » ou la réponse française au Treaty Cruiser Killer

     La France disposait, avec l'Italie, et en raison d'une disposition exceptionnellement accordée par le traité naval de Washington (6 février 1922), malgré les 10 ans de vacances navales, de 70 000 tW de bâtiments de ligne à construire. Il y avait eu l'idée de remplacement le cuirassé France, appartenant à la classe Courbet, naufragé le 26 août 1922, par un authentique « croiseur de bataille ». D'où les projets de croiseurs de bataille type A (en 1927-28) et B (1928).

     Mais la teneur des arguments présentés à la Commission préparatoire pour la conférence du désarmement (1927 - 1929) puis leur traduction partielle dans le « Traité pour la restriction et la réduction d'armement naval » ou Traité naval de Londres (signé le 22 avril 1930 et ratifié le 27 octobre 1930) aboutissait à écarter ce projet en octobre 1930 et ne survécu pas au changement de gouvernement : gouvernement dit André TARDIEU II (2 mars 1930 - 4 décembre 1930) remplacé par celui de Théodore STEEG (13 décembre 1930 - 22 janvier 1931).

     Face aux Deutschland et à l'aube de la conférence navale de Londres (21 janvier - 22 avril 1930), à la lumière donc des discussions préparatoires à celles-ci tenues depuis l'échec de la Commission préparatoire pour la conférence du désarmement en 1929, l'état-major général de la Marine demandait au Service Technique des Constructions Navales (STCN) de préparer des projets de cuirassés d'un déplacement dit « normal » allant de 23 333 tonnes jusqu'à 25 000 tonnes, dans l'idée de pouvoir en faire mettre sur cale jusqu'à trois unités, épuisant presque parfaitement le « crédit » de 70 000 tW octroyé à la France avant l'expiration du Traité navale de Washington dont le terme sera prolongé de 1932 à décembre 1936 par le Traité naval de Londres.

Le projet de « croiseurs protégés » de 23 690 tW (courant 1929 ?) peut être regardé comme une réduction des projets de croiseurs de bataille de 37 000 tonnes des types A et B et une étude transitoire et inaboutie de ce que deviendront les Strasbourg et Dunkerque en termes de choix architecturaux.

     Albert SARAULT, Ministre de la Marine (21 février 1930 - 27 janvier 1931) accepta la proposition faite par l'état-major général de la Marine de reprendre les discussions « à ce sujet ». Il s'agirait de comprendre que l'état des discussions diplomatiques invitaient à écarter, en l'état, l'idée d'un « croiseur de bataille ». Cela ne dit pas s'il s'agissait toujours d'engager le remplacement du cuirassé France. En tous les cas, Monsieur Albert SARAULT accepta la proposition de l'état-major général de la Marine de solliciter au Parlement les crédits budgétaires pour un « croiseur protégé » de 23 333 tW (déplacement normal ou déplacement dit Washington). Il s'en suivit de très longues explications devant la Chambre des Députés, ne comprenant pas que face à des Panzerschiffe de 10 000 tonnes, il fallait autant.

Ce « croiseur protégé » de 23 333 tW peut être regardé comme un bâtiment agrandi et mieux blindé que le projet de croiseur lourd de 17 500 tW (1926) devant servir à chasser les treaty cruisers. À l'instar de son devancier, sa batterie principale se composait de pièces de 305 mm. Il s'agissait donc purement à ce stade d'une réponse française aux Panzerschiffe. Par ailleurs, dans le cadre engagements consentis à l'occasion de la Conférence navale de Londres (21 janvier - 22 avril 1930), les Britanniques pressèrent Français et Italiens de tenir des discussions bilatérales qui eurent effectivement lieues en janvier et février 1931. Les bases d'un accord furent arrêtées le 1ier mars 1931 reconnaissance mutuellement aux deux pays la mise sur cale de deux « croiseurs protégés » de 23 333 tW avant l'expiration du Traité naval de Washington, repoussée à décembre 1936 en vertu du Traité naval de Londres (signé le 22 avril 1930 et ratifié le 27 octobre 1930). L'accord ne fut conclu entre les deux pays que le 4 mai 1931.

 

 

II. Réactions italiennes au « croiseur protégé », naissance des 35 000 tW

     Le « croiseur protégé » français se vit répliquer immédiatement un programme naval italien consistant dans la reconstruction (1933-37) des Conte di Cavour et Giulio Cesare (A) au titre d’une des dispositions du Traité naval de Washington (06 février 1922), c’est-à-dire la modernisation de cuirassés existants dans la limite des 3 000 tonnes. C’est pourquoi le projet français a vu son déplacement normal être porté de 23 333 à 26 500 tW, au prisme du French Two-Powers Standard : équilibrer et l’Allemagne (classe Deutschland), et l’Italie (classe Cavour reconstruite). C’est alors que le Duce Benito MUSSOLINI dévoila son jeu : il voulait se créer l’occasion pour « légalement » faire mettre sur cale le 1ier 35 000 tW depuis le Traité naval de Washington (06 février 1922), ce qui fut annoncé au monde le 11 juin 1934.

 

     A – « Croiseur protégé » français, reconstructions italiennes

     L'Italie, dans le cadre de son dilemme de sécurité face à la France et rapporté à ses ambitions en Méditerranée se devait de réagir car les deux futures unités françaises surclassés tous les bâtiments de ligne italiens. Fallait-il invoquer les dispositions afférentes du traité naval de Washington (06 février 1922) permettant la mise sur cale de deux cuirassés de 35 000 tW ? Ou bien les termes de l'accord négocié avec la France, à l'invitation des Britanniques et dans le cadre des engagements consentis à la Conférence navale de Londres (21 janvier - 22 avril 1930), permettant donc la mise sur cale de capital ships de 23 333 tW ?

     Les décisions italiennes sont conséquentes à la réunion de la Commission préparatoire pour la conférence du désarmement (1927 - 1929) qui ne parviendra pas à un accord. Pourtant, elle donnait le pouls de diplomaties ouvertes à l'idée de négocier de nouvelles limitations dans un cadre plus général allant à l'adoption de dispositions de contrôle et limitations des armements. La délégation britannique proposait de réduire les caractéristiques opérationnelles des cuirassés à un déplacement de 28 000 tW et portant du 343 mm puis à des cuirassés de seulement 25 000 tW et portant du 305 mm, ce qui devait constituer sa position dans le cadre des négociations du renouvellement du Traité naval de Washington (6 février 1922).

     La position britannique, déjà annoncée en 1929, fut donc proposée à l'occasion des discussions devant aboutir à la signature du « Traité pour la restriction et la réduction d'armement naval » ou Traité naval de Londres (signé le 22 avril 1930 et ratifié le 27 octobre 1930), perçu comme étant la continuation des discussions débutées en 1927, permettait de prolonger les dispositions du traité naval de Washington (6 février 1922) de 1931 jusqu'au 31 décembre 1936. Une nouvelle conférence, devant se tenir en 1935, devra alors adopter un nouveau traité. La proposition britannique (cuirassés de 25 000 tW portant du 305 mm) fut accueillie froidement par les États-Unis d'Amérique. Et ne fut pas adoptée. Mais aucun empressement à la reprise de la construction de cuirassés n'était perceptible parmi les participants.

C'est plutôt la disposition contenue dans le Traité naval de Washington pour moderniser les cuirassés en service, dans la limite des 3 000 tonnes supplémentaires du fait de ce chantier de modernisation, qui fut exercée, en particulier par l'Italie et l'Empire du Japon.

     En premier lieu, la Regia Marina ripostait très rapidement à la décision française puisqu'il fut plutôt décidé de lancer les chantiers de reconstruction (1933-37) des Conte di Cavour et Giulio Cesare dès 1933, plutôt que de recourir à la mise sur cale d'unités de 23 333 tW équivalentes aux futurs Dunkerque et Strasbourg. Autrement dit, les études furent lancées vraisemblablement courant 1931-32, dès connaissance de la décision française de mettre à l'étude le Dunkerque et l'accord politique obtenu quant à son financement. C'est à la lumière Traité naval de Londres qu'il s'agit d'apprécier la décision italienne car modérée puisque recourant à la possibilité de moderniser des cuirassés en service dans cette limite des 3 000 tonnes supplémentaires.

Le Generale del Genio navale Francesco ROTUNDI a dirigé ces reconstructions qui ne conserveraient que 40% de l'existant. Les choix italiens portèrent sur l'amélioration significative des fonctions feu et mobilité, la protection l'étant à la marge : le tout occasionnant un déplacement à pleine charge porté d'environ 25 600 tonnes avant reconstruction à 29 600 tonnes après celle-ci. Il s'agissait donc du débarquement de leurs 13 pièces de 305 mm (3 x III + 2 x II) au profit de 10 nouvelles d'un calibre de 320 mm (2 x III + 2 x II). La coque était allongée de 10,31 mètres et donc portées de 175,88 mètres à 186,19 mètres. Outre l'amélioration subséquente mais à la marge du coefficient de finesse de la coque, la puissance propulsive était portée de 32 800 CV à 93 430 CV atteints à feux poussées aux essais, permettant au Giulio Cesare de marcher jusqu'à 28,24 nœuds à ses essais, pour 27 nœuds en service et seulement 21,5 nœuds en service, avant la reconstruction.

 

     B – Le « croiseur protégé » au prisme du French Two-Powers Standard

     Paris ne restât pas sans réactions. Le « croiseur protégé » de 23 333 tW n'avait bénéficié que de son approbation budgétaire, le 10 juillet 1931. Il était convenu que le Parlement se prononcerait à nouveau, à partir de ses caractéristiques définitives, avant que la Marine sollicite les passations de marchés nécessaires à sa mise en chantier.

C'est alors que l'Amiral Georges DURAND-VIEL, nouveau chef de l'état-major général de la Marine (17 février 1931 - 31 décembre 1936), demanda de nouvelles études relatives au projet de « croiseur protégé » de 23 333 tW portant sur un bâtiment devant déplacer entre 23 333 et 28 000 tW. L'artillerie principale ne serait plus constituée de pièces de 305 mm mais bien de 330 mm et conservant l'arrangement en deux tourelles quadruples disposées à l'avant, cela obligeait de porter le déplacement normal de 23 333 à 25 000 tW. En raison d'autres modifications des caractéristiques, il est finalement relevé de 25 à 26 000 tW. Les études avançant, il est modifié légèrement à 26 500 tW. Le projet est approuvé courant avril 1932 et les caractéristiques figées au 27 avril 1932.

Il s'agirait d'en déduire que cette période ne se justifierait plus au regard des trois Panzerschiffe (Deutschland, Admiral Scheer, Admiral Graf Spee), le « croiseur protégé » de 23 333 tW répondant à la nécessité de contrer des croiseurs lourds portant du 280 mm. Il serait utile de connaître la pensée de l'état-major général de la Marine, abreuvée par le truchement du Renseignement naval, quant aux Panzerschiffe "D" et "E" (1928-34) devant déplacer 19 000 tonnes qui furent effectivement mis sur cale (14 février - 05 juillet 1934). Ils furent annulés alors au bénéfice de l'autorisation donnée par HITLER de porter leur déplacement normal à 26 000 tonnes, permettant d'ajouter une troisième tourelle, tout en respectant l'accord naval anglo-allemand de 1935, c'est-à-dire en s'engageant à ne pas porter un calibre supérieur à du 280 mm : les futurs Scharnhorst et Gneisenau dont le déplacement annoncé excède celui du Dunkerque.

     Dans le même ordre d'idées, il convient de s'interroger quant à la capacité de l'état-major général de la Marine, toujours abreuvé par le truchement du Renseignement naval, de prendre connaissance du projet de reconstruction des Conte di Cavour et Giulio Cesare qui aurait été conçu courant 1931-32 et mis en chantier sur la période 1933-37. Le « croiseur protégé » de 23 333 tW au déplacement porté à 26 500 tW courant 1931 se justifiait-il rien qu'à cet égard ?

C'est par là qu'il s'agirait d'apprécier le calibre retenu pour les tourelles triples : des canons de 330 mm/50 modèle 1931. Un calibre inédit dans l'histoire navale, s'intercalant sur le 305 mm et les 340 et 343 mm. Le calibre de 340 mm, pourtant déjà connu car en service dans la Marine nationale, n'aurait pas été retenu en raison du poids supplémentaire qui aurait obligé à alourdir, une deuxième fois, le devis général. Mais cette explication paraît insuffisante car, comme cela sera souligné (cf. infra) : le devis poids du Projet 1 devant aboutir au Richelieu était trop lourd de 350 tonnes et le calibre ne fut pas abaissé de 10 mm pour autant. La décision française s'expliquerait par la volonté de surclasser les cuirassés Conte di Cavour et Giulio Cesare qui ne porteraient que du 320 mm. Ne serait-ce qu'une mesquinerie ? Ce point ne paraît pas avoir été rigoureusement éclairci à la lumière des archives.

 

     C – Le « croiseur de combat » Dunkerque et l’équilibre des forces en Méditerranée

     En deuxième lieu, la Régia Marina se devait de riposter une nouvelle fois. Le problème ne résidait pas tant dans le défi posé par le Dunkerque puisque la reconstruction des cuirassés Conte di Cavour et Giulio Cesare, en tant que mesure temporaire, relativisait grandement l'avantage français. L'autre sujet italien résidait plutôt dans les capital ships de la British Mediterranean Fleet, portant du 15 inch (381 mm), possible opposante aux prétentions coloniales italiennes en Afrique du Nord et de l'Est. Dans cette perspective, il s'agissait plutôt d'équilibrer les Britanniques, dans la droite lignée des développements à venir de la politique étrangère.

Le 26 mai 1934, le Duce Benito MUSSOLINI déclarait devant le Parlement italien la future construction de deux unités de 35 000 tW, les premières du genre depuis la formalisation du Traité naval de Washington (6 février 1922). Le projet a été révélé, le 11 juin 1934, par dépêche de presse de l'agence Stefani, annonçant que l'Italie allait commander ces deux cuirassés de 35 000 tW et donc recourir à la totalité de ses 70 000 tW à construire d’ici décembre 1936.

     Ceci expliquant le choix italien de ne pas faire mettre sur cale de bâtiments de 23 333 tW alors que c'était diplomatiquement accepté par l'accord du 10 mai 1931. Rome ne voulait donc pas consommer son quota de 70 000 tW. Et le gouvernement italien de postuler que le futur cuirassé « rapide » Dunkerque rompait l'équilibre des forces en Méditerranée. Argument spécieux, voire risible : le Dunkerque était conçu pour une vitesse maximale en service de 29,5 nœuds tandis que les cuirassés Conte di Cavour et Giulio Cesare reconstruits l'étaient pour 27 nœuds, pouvant même atteindre plus de 28 nœuds à feux poussés.

 

 

     En tous les cas, nous voici parvenu - enfin ! - au point de départ de la narration des idées principales présidant à la conception des deux représentants de la classe Richelieu, à savoir les Richelieu, Jean Bart auxquels nous pouvons ajouter le seul représentant de la sous-classe, c'est-à-dire le Clemenceau. Cela nous obligera à procéder à des allers et retours dans les projets étudiés depuis 1926 jusqu'à 1932 jusqu'aux études détaillées des Dunkerque et Strasbourg. Et fort de ces longs développements quant aux servitudes diplomatiques et donc juridiques (Amiral Raoul CASTEX, Théories stratégiques), il sera plus aisé, malgré les apparences, d'essayer d'extraire ce qui relève des premières de ce qui prête le flanc à notre thèse voulant que ces trois cuirassés peuvent être regardés comme une autre interprétation française du battle cruiser.

 

 

III. La classe Richelieu, une autre interprétation française du battle cruiser ?

 

     Pour tenter d'en venir à notre thèse, il nous faut tenter de retracer la transposition des servitudes diplomatiques et donc juridiques (Amiral Raoul CASTEX, Théories stratégiques) de la classe Dunkerque jusqu'à la classe Richelieu (Richelieu, Jean Bart) à laquelle nous avons ajouté le seul représentant de sa sous-classe, le Clemenceau aboutissant à une conception générale au prisme de l'optimisation du devis de poids (A). Il en ressortira qu'il y a une drôle de coïncidence entre les rationalités précédemment exposées et l'étonnante concentration de l'artillerie et de la protection sur le secteur avant (B) aboutissant à une agressivité tactique sans pareil (C) dont il est difficile de conclure si elle a été originellement désirée.

 

     A – Une conception générale au prisme de l'optimisation du devis de poids

     La clef de la conception de la classe Richelieu, à savoir les Richelieu, Jean Bart auxquels nous pouvons ajouter le seul représentant de la sous-classe, c'est-à-dire le Clemenceau, réside dans les « croiseur protégé » de 23 690 tW (1929) et le « croiseur protégé » de 23 333 tW (1930-31).

Du premier, c'est-à-dire le « croiseur protégé » de 23 690 tW (1929), il y a de nombreux héritages différents dans les idées-forces servant à guider la conception générale ainsi dépeinte par ses concepteurs. Ce projet a été redécouvert par Robert DUMAS au Centre des Archives de l'Armement de Châtellerault et il aurait été dessiné courant 1929 selon celui-ci (John Jordan et Robert Dumas, French Battleships - 1922-1956, Londres, Seaforth Publishing, 2009, p. 27). Comme il le remarque lui-même, la conception générale emprunte au croiseur de bataille de 37 000 tonnes, en ce qui concerne l'arrangement de l'artillerie secondaire. Plus intéressant pour notre propos est la tour de commandement du « château », mise au point au pour le croiseur Algérie et dont c'est la première apparition sur un cuirassé et elle sera observée sur chacun des projets suivants.

     Ce qui tranche avec ce qui va suivre est que, toujours selon Robert DUMAS, la disposition de l'artillerie principale figure le nombre maximum de canons de 305 mm pouvant être intégrés en trois tourelles (1 x IV, 2 x III), dans le cadre de ce déplacement. Par-là, l'héritage est tout autre puisque l'apparentant aux diverses variantes des classes de cuirassés Courbet, Bretagne, Normandie et Lyon comportant le choix d'un calibre inchangé ou abaissé par rapport à l'existant - généralement le 305 mm - afin de décupler le volume de la salve au détriment de la portée et de son effet destructeur final. Un trait caractéristique de la culture tactique française qui a donc survécu à la Première Guerre mondiale.

     Le « croiseur protégé » de 23 333 tW (1930-31) contient un autre trait architectural distinctif et même décisif. Cela a été abondamment dit, nombre d'avant-projets et de projets de cuirassés français s'inspiraient assez largement des croiseurs de bataille classe G3 britanniques dont l'artillerie principale (3 x III 406 mm) était entièrement disposée à l'avant afin de réduire la longueur du caisson blindé et donc le devis de poids général. Cette idée est reprise dans ce projet avec la disposition de l'artillerie principale en deux tourelles quadruples tandis que l'artillerie secondaire est ramassée en seulement cinq tourelles, contre 10 dans le précédent projet. Le calibre n'est pas précisé par Robert DUMAS mais il s'agirait vraisemblablement toujours de 305 mm eu égard au devis de poids inchangé. Et la raison en était qu'il s'agissait de libérer la plage arrière des effets d'une tourelle de l'artillerie principale faisant feu, en particulier à l'endroit de la catapulte servant aux hydravions du bord.

     La tourelle quadruple portant une partie de l'artillerie principale est mise à l'étude dès 1907 (John Jordan et Robert Dumas, French Battleships - 1922-1956, Londres, Seaforth Publishing, 2009, p. 140) à la demande de l'état-major de la Marine et au bénéfice du Projet C étudié dans le cadre de la future classe Courbet. Il faudra attendre la classe Normandie pour qu'une telle tourelle soit retenue et elle le sera très souvent pour les études suivantes jusqu'à des réalisations concrètes comme les classes Dunkerque et Richelieu. Seule la « classe Province » aurait pu finir par y déroger en retenant une configuration à trois tourelles triples portant du 380 mm.

Toutefois, si la classe Richelieu retient ces idées principales de la classe Dunkerque dont elle est régulièrement présentée comme en étant un agrandissement et une amélioration, les rationalités liées au devis de poids s'inverse. Le « croiseur protégé » de 23 333 tW (1930-31) a pu voir son déplacement être porté jusqu'à 26 500 tW, notamment pour conforter l'évolution de l'artillerie principale et d'autres modifications, sans sacrifier à la vitesse ni à la protection.

     Le cheminement est inverse avec la classe Richelieu puisque le devis de poids est asservi à une limite haute qui est le déplacement standard, dit Washington, de 35 000 tW à ne pas dépasser. Et contrairement à l'Allemagne et l'Italie : la France s'y tiendra. Dès lors, après l'annonce italienne (11 juin 1934) à laquelle il convient de répliquer, il s'agira de faire mieux. Et le seul vase d'expansion permettant de surpasser les caractéristiques des Littorio consistera dans l'optimisation du devis de poids.

24 juillet 1934, le Conseil Supérieur de la Marine (CSM) arrête les caractéristiques générales des deux cuirassés de 35 000 tW dont il va falloir entreprendre l'étude, à savoir, outre le déplacement standard précité, une artillerie principale comprenant huit ou neuf pièces de 380 mm ou 406 mm, une artillerie secondaire apte à engager des buts de surface et aériens à longue portée, une vitesse maximale en service de l'ordre de 29,5 à 30 nœuds et une ceinture de 360 mm, avec la même protection sous-marine que le Dunkerque.

Cela n'est pas expressément dit ici mais il s'ajoute une condition supplémentaire : toutes les propositions respecteront une longueur maximale de 247 mètres, pour un maître-bau de 33 mètres. Cela afin que les propositions ne dépassent pas les possibilités industrielles permises par les nouveaux bassins de Laninon n°8 et n°9 (250 x 36 mètres), la forme du Homet (249 x 36 mètres) et les Grands bassins Vauban (250 x 40,7 mètres).

Aussi, il est très tôt envisagé que l'artillerie principale sera disposée en deux tourelles quadruples de 380 mm ou 406 mm ; ou bien en trois tourelles triples de 380 mm. Le Service Technique des Constructions Navales (STCN) y répond dès ses calculs préliminaires en avançant que le 406 mm ne permettait pas de respecter toutes les exigences demandées que le montage soit en deux tourelles quadruples ou en trois tourelles triples. Raison pour laquelle le 380 mm est privilégié. En revanche, rien n'explique qu'à ce stade ait été privilégié - si tôt - une concentration de l'artillerie principale tout-à-l'avant puisque chacun des six projets observera cet arrangement.

Les six projets peuvent être répartis ainsi :

Projet 1 est un Dunkerque portant du 380 mm et marchant jusqu'à 31,5 nœuds, avec un renforcement général de la protection horizontale et verticale ;

Projet 2, Projet 3 et Projet 4 reprennent l'architecture générale de la classe Nelson avec différentes configurations de l'artillerie principale, mélangeant tourelles doubles, triples et quadruples, plus ou moins espacées et séparées (magasins, etc) mais marchant que jusqu'à 29,5 nœuds ;

Projet 5 et Projet 5 bis sont ceux qui font le meilleur usage du devis de poids grâce à une artillerie principale disposée au centre et à l'arrière de la tour de commandement en deux tourelles quadruples, réduisant l'artillerie secondaire à seulement trois tourelles (Projet 5), permettant de presque parfaitement respecter le déplacement standard maximum permis.

     Le Projet 1 est retenu par l'état-major général de la Marine car représentant le meilleur compromis entre les fonctions feu, mobilité et protection. Les projets comportant une troisième tourelle exigent la perte de deux nœuds et un dépassement de poids pouvant atteindre jusqu'à 1 150 tonnes car allongeant d'autant le caisson blindé.

Pourtant, le Projet 1 dépasse le déplacement standard maximum permis de 350 tonnes, en l'état. Il a été logiquement alourdi encore quand l'état-major général de la Marine éprouva la nécessiter d'augmenter le calibre de l'artillerie secondaire, selon deux motifs : d'une part, la classe Nelson britannique porte du 152 mm et les Littorio en feront de même. D'autre part, les Courbet portent quant à eux du 138,6 mm, juste suffisant contre les contre-torpilleurs et croiseurs légers. La solution retenue par le Conseil Supérieur de la Marine (CSM), le 14 avril 1935, fut de faire mettre à l'étude une artillerie de 152 mm duale contre buts de surface et buts aériens à longue distance, disposée en cinq tourelles triples, en lieu et place des tourelles quadruples de 130 mm initialement considérées, faisant ainsi l'économie de pièces de 75 mm HA.

Les 350 et quelques tonnes de dépassement restantes furent partiellement ou totalement supprimées par des mesures diverses. La plus connue est l'adoption de la chaudière SURAL (SURAlimentée) aux dimensions plus réduites que celles employées sur le Dunkerque. Combinée à une coque plus large (33 contre 31 mètres), permettant d'en installer dorénavant trois de front dans une même salle des chaudières et plus seulement deux : une salle entière fut économisée, permettant de réduire la longueur dévolue à la propulsion de 4,85 mètres. En outre, la protection fut amincie à la ceinture (330 mm, en lieu et place des 360 mm demandés), compensée en cela par une plus forte inclinaison des plaques de blindage, portée de 11°03 à 15°24 pour obtenir le même résultat.

 

     B – L'étonnante concentration de l'artillerie et de la protection sur le secteur avant

     Comme cela vient d'être exposé, la disposition de l'artillerie tout à l'avant est généralement présentée comme générant une économie de poids : cela est factuellement faux. Il a bien été montré qu'une disposition à trois tourelles - doubles, triples ou même quadruples -, portant du 380 ou du 406 mm était trop lourde, certes.

Mais, et c'est là que la rigueur doit être totale : strictement rien ne permet d'affirmer que la disposition de l'artillerie principale tout-à-l'avant était indispensable au respect du devis de poids, c'est-à-dire un déplacement de 35 000 tW. Rien ne serait plus faux que de le dire ! Il faut et il suffit de se reporter au cas du Gascogne :

Le 2 mai 1938 il était décidé d'inscrire à la tranche 1938 bis deux nouvelles unités de 35 000 tW, les futurs Clemenceau et Gascogne, devant pouvoir répondre aux nouvelles mises sur cale allemandes et tirer parti des premiers essais à la mer du Dunkerque (1ier février – 15 mai 1936).

L'état-major général de la Marine nationale par la voie de son chef, l'Amiral de la Flotte François-Xavier Darlan, décidait, le 2 décembre 1937, du lancement de nouvelles études afin d'améliorer les plans des 35 000 tW de classe Richelieu avec les modifications suivantes devant être apportées :

  • nouvelle disposition de l'artillerie principale (toujours en 380 mm/45 calibres modèle 1935), montée en deux tourelles quadruples à l'avant ou bien disposées en chasse et en retraite ou encore en trois tourelles triples ;
  • réexamen de la configuration de l'artillerie secondaire (152 mm dual ? Panachage entre 152 mm et 100 mm AA ?) ;
  • une réduction des installations aéronautiques à une seule catapulte et deux avions sans l'installation d'un hangar et la même protection que les Richelieu.

Douze projets sont présentés :

Les projets type C ont été écartés car possédant une troisième tourelle, ils dépassent le devis de poids par 2 085 à 2 265 tonnes. En réalité, ils préfigurent la configuration générale étudiée, en différentes variantes, pour la classe Province considérée plus tard.

Parmi les restants, les projets type A (A1, A2, A3, A3 bis) et B (B1, B2, B3, B3 bis, B3 ter) sont présentés à l'Amiral de la Flotte François-Xavier DARLAN, le 19 mars 1938. Décision est arrêtée de retenir le Projet A2 pour le Clemenceau et le Projet B3 ter pour le Gascogne.

Le Projet B3 ter permet l'économie de 360 tonnes quant à lui, ce qui s'explique aisément : l'artillerie secondaire est réduite de cinq à trois tourelles triples, montées en ligne et donc supposément pour produire le même rendement opérationnel. Choix propre à l'Amiral de la Flotte François-Xavier DARLAN trouvant dispendieux de ne pas l'avoir fait dès le Richelieu. Et ce, malgré l'ajout de huit tourelles doubles AA de 100 mm.

Il en résulte que, non, la disposition de l'artillerie toute-à-l'avant n'était pas un impératif découlant de la transposition des servitudes diplomatiques et donc juridiques (Amiral Raoul CASTEX, Théories stratégiques). Alors, qu'est-ce qui l'explique ?

Le Projet B3, retenu pour le futur Gascogne, permettant de déplacer une des tourelles quadruples de l'artillerie principale en retraite, dans une coque possédant toujours la même longueur : il aurait pu en être certainement de même pour le Projet 1 aboutissant au Richelieu puis au Jean Bart et même à la variante du « croiseur protégé » de 23 333 tW (1930-31) à partir de laquelle sont lancées les études détaillées du Dunkerque quand ses caractéristiques sont figées le 27 avril 1932.

L'explication débute par le peu d'intérêt manifestement témoigné pour la question. Pourtant, l'ensemble des projets et variantes hésitaient, entre 1931 et 1940, entre deux et trois tourelles. À l'intérieur de ce choix, il n'apparaît finalement qu'avec le Gascogne qu'il est demandé de disposer l'artillerie principale en chasse et en retraite. Les autres projets ne demandaient pas une tourelle spécifiquement en retraite mais bien une troisième tourelle qui s'ajoutait alors deux premières disposées en chasse. La nuance est de taille. Elle aurait pu également être en chasse, il faut et il suffit de rappeler les Projet 2, Projet 3 et Projet 4 présentés au Conseil Supérieur de la Marine (CSM), le 27 novembre 1934. La troisième tourelle sert donc moins à renforcer la fonction « feu », en premier lieu, qu'à en réduire sa vulnérabilité : il a toujours été mis en exergue qu'un coup heureux sur le Dunkerque ou le Richelieu pourrait immobiliser les deux tourelles à la fois.

Il s'agissait donc de recherche une plus grande redondance avec une troisième tourelle et une meilleure protection en espaçant les trois pièces.

Et par extension, il n'a pas été non plus considéré qu'il puisse s'agir d'un choix conscient car fondé sur des considérations de tactique navale. Pourtant, en posant le regard sur des schémas exposant aussi finement que possible la répartition des blindages horizontaux et verticaux, certaines choses sont étonnantes :

La protection verticale des tourelles quadruples de l'artillerie principale atteint, pour la face avant, 430 mm puis 405 mm d'épaisseur pour la barbette - sur toute la circonférence - jusqu'au Pont Blindé Supérieur (PBS).

La protection verticale du secteur avant ne chute à 233 mm jusqu'à fond de cale, dont une partie renforcée jusqu'à 355 mm. C'est absolument remarquable puisqu'il n'y a pas une telle protection verticale sur les bords : en effet, la ceinture blindée, s'étendant sur toute la longueur du caisson blindée, est épaisse de 327 mm mais sur seulement 6,25 mètres au-dessus de la ligne de flottaison. Sous celle-ci, elle est épaisse de 177 mm sur 2,5 mètres.

Il va de même pour le « kiosque » (conning tower) dont la protection verticale atteint 340 mm sauf sur le secteur arrière où elle s’amincit à 280 mm.

La répartition des épaisseurs de la protection verticale en secteur avant est similaire dans des exemples étrangers mais sans atteindre les mêmes ordres de grandeur. Par exemple, les 430 mm de la face avant des tourelles quadruples du Richelieu représente une épaisseur de 100 à 250 mm de plus que les réalisations comparables généralement en Europe. Seules des cuirassés américaines (classes South Dakota, North Carolina et Iowa) l'égalent. La classe Yamato la surpasse, certes, mais avec un déplacement normal de 65 000 tW…

 

     C – Une agressivité tactique sans pareil : un nouveau « croiseur de bataille » ?

     Nous nous retrouvons avec la classe Richelieu, à savoir les Richelieu, Jean Bart auxquels nous pouvons ajouter le seul représentant de la sous-classe, c'est-à-dire le Clemenceau dont la disposition de l'artillerie tout-à-l'avant n'est pas un choix contraint mais réfléchi et même confirmé par deux fois. Le renforcement de la protection verticale sur le secteur avant et plus particulièrement sur les tourelles quadruples est également un choix conscient et mûrement réfléchi de privilégier la défense de ce secteur par rapport à tous les autres.

Ces cuirassés ont bel et bien été conçus dans l'optique de remonter adversaire par l'arrière ; de marcher à sa rencontre jusqu'à pouvoir ouvrir le feu à portée utile ou même de l'aborder par le travers. Le premier cas de figure positionne idéalement ces unités à l'avant de la ligne de file puisque c'est la division de tête qui est appelée à recevoir, dans la majorité des cas, le feu en premier. Le deuxième cas d'emploi vise à un engagement frontal qui n'est pas le plus agressif car c'est réservé au troisième cas d'emploi envisageable : briser la ligne adverse en fondant dedans.

     La perspective d'emploi opérationnel brièvement esquissée, à partir d'un autre regard jeté sur les caractéristiques opérationnelles des trois unités précitées, invitent donc à considérer qu'il puisse s'agir de battle cruiser. Dans l'idée de l'Admiral of the Fleet John Arbuthnot Fisher, 1st Baron Fisher, les trois unités de la classe Invincible devaient servir, en tant que squadron ou division navale homogène, à « barrer le "T" » de la ligne adverse : autrement dit à dépasser les cuirassés adverses ordonnés en ligne de file, quitte à les remonter pour les dépasser et tourner la colonne tout en essayant de mettre hors de combat les unités de tête. Ralentissant, celles-ci devaient gêner les suivantes et permettre au reste de la ligne suivant les battle cruisers de contourner l’avant de la ligne adverse, ainsi désorganisée, et de faire pleuvoir de toutes leurs pièces sur chacun des bords des premières divisions jusqu’à les réduire au silence et ainsi importer l’avantage.

 

     Mais il s'agit-là d'une analogie avec l'œuvre de Fischer qui reposait sur une composition matérielle différente : les battle cruisers de classe Invincible avaient une tourelle bitube de 305 mm de moins que le HMS Dreadnought, ainsi qu'une protection « sacrifiée » permettant d'élever la vitesse maximale de 21 à 25 nœuds.

Avec la classe Richelieu, à savoir les Richelieu, Jean Bart auxquels nous pouvons ajouter le seul représentant de la sous-classe, c'est-à-dire le Clemenceau : le choix aurait été en apparence différent puisque le cuirassé rapide bénéficierait d'un différentiel en vitesse maximale intéressant face aux cuirassés type Dreadnought et Super-Dreadnought bien moins rapides d'environ 5 à 7 nœuds. C'est pourquoi il s'agit d'éclairer les choix consentis à travers ces trois cuirassés français à l'aune de ce qui allait suivre après le Gascogne : la « classe Province ». Sans sacrifier à la vitesse, celle-ci allait voir un renforcement de la protection, avec une troisième tourelle balancée en retraite, voire un renforcement du feu en passant au 406 mm.

Dans cette perspective, il est à se demander si les Richelieu, Jean Bart et Clemenceau n'avaient pas été pensés en tant que division navale homogène de « croiseurs de bataille », figurant une autre interprétation française des battle cruisers depuis la reprise du esquisses présentées par l'ingénieur GILLE et le LV DURAND-VIEL (1911-14). Autre interprétation française car ouvrant la possibilité de, non plus seulement « barrer le "T" » mais bien d'enfoncer la ligne adverse à la manière d'un Admiral Horatio Nelson à Trafalgar. Une telle agressivité tactique n'a pas été observée ailleurs.

 

 L'Amiral Georges DURAND-VIEL aurait-il été l'auteur d'un tel choix ?

 

4 commentaires:

  1. Réponses
    1. Et navré de ne pas vous avoir répondu - déjà - bien plus tôt.
      Allez, cela commence à y ressembler...

      Supprimer
  2. article très intéressant

    RépondreSupprimer