Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





24 septembre 2012

Chine : pas de groupe aéronaval crédible avant 2022


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© Inconnu. Photomontage montrant le porte-aéronefs chinois avec groupe aérien embarqué et un navire d'escorte.

La nouvelle a fait le tour du monde : le "porte-avions" de la Marine populaire de libération a été livré !

Un petit retour en arrière peut être nécessaire : « Racheté en juin 2000 au chantier ukrainien par l'intermédiaire d'un homme d'affaires chinois, la coque, à environ 70% d'achèvement, a été remorquée en 2002 à Dalian ». Il s'agit du Varyag.

 Il est la seconde unité de la classe Kuznetsov qui ne compte pas d'autres navires (outre le Varyag et cette tête de série). Il est question que la coque vendue à la Chine devienne un casino-flottant (un croiseur porte-aéronefs, le Kiev, tête de série de sa classe, a connu un tel destin en Chine. Un navire de la même classe, le Minsk, est devenu un musée).

Il y eu des chancelleries qui ne furent pas dupes de la finalité du projet puisque la Turquie bloqua le passage de ses détroits (des Dardanelles et du Bosphore). La coque eu alors quelques difficultés à quitter la mer Noire. Les détroits turcs ont la particularité d'être sous la juridiction de traités internationaux (comme, par exemple, la convention de Montreux) qui prohibent le passage de navire porte-avions. Le pont plat quitte donc finalement l'Ukraine en 2001 et arrive en Chine, à Dailan, en 2002. Mais, le navire qui est livré n'est doté d'aucun engin de propulsion.
Le Kuznetsov et l'ex-Varyag sont plus des porte-aéronefs que des porte-avions -et la différence est fondamentale. Première chose, les soviétiques les ont conçu comme des "croiseurs porte-aéronefs". Il s'agissait de pouvoir s'affranchir de la convention de Montreux par un artifice juridique.

De plus, la stratégie navale soviétique s'appuyait sur des bastions. Ces zones, au nombre de deux, étaient sous la responsabilité des flottes du Nord et du Pacifique. Il s'agissait pour la marine russe de construire, par diverses actions opérationnelles, des zones interdites à toutes les menaces dans l'optique de sécuriser les vecteurs nucléaires (SNLE principalement) qui pouvaient y patrouiller.

Donc, il y avait nécessité de navires de défense aérienne car l'attaque anti-navires se faisait par avions à long rayon d'action (Tu-95 et 142, par exemple). En outre, il n'y avait pas de projection de puissance dans la doctrine navale russe car elle était essentiellement défensive (mais pas seulement, soit dit en passant). Alors, ces deux navires (ainsi qu'une classe de quatre autres croiseurs porte-aéronefs : les Kiev) sont des croiseurs lance-missiles en tout premier lieu. Le navire tête de série, le Kuznetsov qui est en service dans la Marine russe, permet d'appréhender la chose. Ils (exemple de la classe Kuznetsov) ont donc :
  • une batterie principale composée de missiles : "12 missiles anti-navires SS-N-19 Shipwreck ("Granit" de 555 km de portée) situés sous le pont d’envol au milieu de la piste (la phase de tir interromprait donc les opérations aériennes). La défense anti-aérienne du bâtiment est assurée par 4 groupements de 6 silos à 8 missiles surface-air SA-N-9 (15 km de portée), 4 systèmes anti-aériens CADS-N-1 (2 canons de 30mm et 8 missiles SA-N-11 -8 km de portée- chacun) et 6 canons anti-aériens multitubes de 30mm. Deux lance-roquettes anti sous-marins complètent le tout" ;
  • et d'une batterie secondaire qui repose sur un groupe aérien embarqué : "Le groupe aérien du Kouznetsov se compose généralement de trente aéronefs dont des chasseurs embarqués Su-33, des avions d’entraînement Su-25UTG et des hélicoptères anti sous-marins Ka-27, de guet aérien Ka-31 et de transport d’assaut Ka-29. A l’origine, il était également prévu d’embarquer des chasseurs à décollage vertical Yak-141 Freestyle avant abandon du programme à la chute de l’URSS. Le Mig-29K a quant à lui été testé mais n’a pas été retenu face au Su-33". 
Le problème pour la Chine, c'est que le navire a été livré sans sa batterie principale. Cette dernière prend une place considérable à bord, ce qui fait que le groupe aérien est plutôt limité (30 machines, officiellement) par rapport au tonnage du navire (60 000 tonnes, contre 32 aéronefs et 40 000 tonnes pour le Charles de Gaulle). Le vaisseau n'est pas non plus optimisé, à l'origine, pour les opérations aériennes puisqu'il fallait composer avec un navire hybride (croiseur/porte-aéronefs) avec deux batteries aux solutions architecturales presque contradictoires.

De plus, les deux navires russes (et six avec les quatre Kiev) relèvent de la filière aéronavale des STOBAR (Short take-off but arrested recovery). C'est-à-dire que les aéronefs à voilure fixe décollent à la seule force de leur réacteur et avec l'aide d'un tremplin et ils reviennent apponter sur le navire avec l'aide de brins d'arrêt. Il n'y a pas de catapultes et c'est une différence vraiment fondamentale d'avec la filière CATOBAR (Catapult Assisted Take Off Barrier Arrested Recovery - qui compte comme seuls membres les Etats-Unis, la France et le Brésil). Si la filière STOBAR simplifie l'architecture des navires, elle implique que l'avion embarqué soit inférieur en performances à son homologue terrestre. La chose est simple à constater : un Su-33 qui décolle du Kuznetsov ne le fait pas avec son plein chargement de munitions et de carburant. A contrario, et avec la filière CATOBAR, un Rafale qui est catapulté du Charles de Gaulle a les mêmes performances que celui de l'Armée de l'Air qui décolle d'une base terrestre : ils sont tout les deux aussi chargés. Cette symétrie des performances entre l'avion catapulté et son homologue terrestre est vraie dans l'US Navy depuis les années 50. Dans la pratique, cela aboutit à ce que le groupe aéronaval CATOBAR ait une portée très supérieure au groupe aéronaval STOBAR.

Si l'ex-Varyag arrive finalement en Chine en 2002, il n'entre en cale sèche qu'au cours de l'année 2005. Si ce long retard reste à expliquer (était-ce pour cacher la finalité de l'opération ? Les deux porte-aéronefs musée et casino ne suffisaient-ils pas pour faire illusion ?), il faut noter que le navire ne quitte sa cale que pendant l'année 2011. 6 années de travaux, c'est à la fois beaucoup et à la fois très peu. Il fallait, au mons, motoriser le navire. Par la suite, les chinois l'ont un peu adapté à leurs besoins, comme c'est expliqué par Mer et Marine. Il semblerait que la batterie principale n'ait pas été renouvelée. Mais les chinois n'auraient pas mené les travaux nécessaires pour optimiser les opérations aériennes à bord du navire, comme cela est actuellement réalisé par la Russie sur un autre navire de la classe Kiev qui a été vendu à l'Inde. Il n'y a pas eu d'installations de catapultes de conception russe ou chinoise à bord non plus.

Le navire sert donc à pratiquer de nombreux essais à la mer depuis 2011, et il a surtout fait l'objet d'une mise en service, plutôt que d'une refonte aussi ambitieuse que celle choisie par l'Inde pour un autre croiseur porte-aéronefs.

Pékin présente son porte-aéronefs (puisque ce n'est pas un porte-avions) comme un navire-école. Il y a un décalage entre ce qui se passe en Asie et ce qui est perçu dans divers endroits de l'Occident. Ce décalage en sera que plus dommageable pour ceux qui perçoivent très mal la montée en puissance des capacités aéronavales chinoises.

Dans un premier temps, l'apprentissage de l'outil aéronaval fondé sur un porte-aéronefs sera très long pour la Chine. Comme le faisait remarquer Coutau-Bégarie, il est nécessaire de distinguer deux notions différentes :
  • le groupe aérien embarqué, qui va de paire avec le navire porte-aéronefs,
  • le groupe aéronaval.
Le groupe aérien embarqué n'est pas une notion qui va de soi. Par exemple, dans le colloque du CESM consacré au centenaire de l'aéronautique navale française, Coutau-Bégarie notait qu'il avait fallu attendre les porte-avions Foch et Clemenceau pour que la notion s'impose en France. Entre temps, bien des compétences avaient été perdues entre les porte-avions de la guerre de l'Indochine et de la crise de Suez et l'entrée en service des deux navires de la classe Clemenceau. Les chinois peuvent difficilement passer à côté d'une telle unité organique qui permet de générer, diffuser et de régénérer les compétences opérationnelles.

Pékin a pris les devants. D'une part, la Chine a conclu un accord aéronaval avec le Brésil, en 2010, relatif à la formation des futurs pilotes embarqués chinois. D'autre part, il y a de nombreuses installations terrestres en Chine qui permettent le début de la formation du groupe aérien embarqué et des personnels méconnus mais ô combien indispensables pour sa mise en œuvre (rien que la gestion du pont est tout un art).

La marine chinoise bénéficierait d'une très bonne préparation avant de percevoir son navire-amiral : mais la pratique sur le porte-aéronefs demeure indispensable...

De plus, si la Chine prépare la constitution d'un groupe aérien embarqué et sa mise en œuvre à la mer sur son pont plat, il est à noter que ce groupe est incomplet. Par exemple, il n'y a pas d'aéronefs dédié à l'éclairage de l'escadre ou à la coordination et au soutien des activités aériennes. Ce groupe est donc sans aéronef de guet aérien (AEW dans la terminologie anglo-américaine) et c'est un manque crucial car c'est l'absence de ce genre d'appareils qui a coûté bien des pertes aux anglais lors de la guerre des Malouines (sans compter qu'il semblerait que la Royal Navy ait été incapable de suivre le 25 de Mayo, le porte-avions Argentin).
C'est sans oublier les hélicoptères de sauvetage qui sont, eux aussi, indispensables pour parer à toutes les éventualités. De même que les hélicoptères logistiques sont nécessaires pour faire durer le navire à la mer.

Outre le couple porte-aéronefs/groupe aérien embarqué, il faut pouvoir l'escorter. Ce n'est pas une mince affaire que d'articuler une base aérienne flottante avec, au moins, un escorteur dédié à la lutte anti-sous-marine et un autre à la lutte anti-aérienne. Tout comme il est impensable de nos jours de déployer un porte-aéronefs ou un porte-avions sans sous-marin nucléaire d'attaque pour assurer sa protection (sauf quand la nation détentrice du pont plat ne possède pas de SNA, mais alors elle déploie rarement son porte-aéronefs de manière indépendante). C'est l'escorte minimale pour protéger le porte-aéronefs.

Et c'est sans compter sur le nécessaire train logistique pour faire durer le navire à la mer : il faut autant ravitailler le pont plat que ses aéronefs que son escorte. Tout comme l'escorte doit pouvoir être relevé si besoin est par de nouveaux navires. Cela implique d'avoir une flotte de surface bien dimensionnée par rapport au besoin -même si le navire n'est pas destiné à être projeté loin de sa base (par exemple, le Charles de Gaulle œuvrait au Sud du port de Toulon pendant l'opération Harmattan). L'escorte de SNA (française était insuffisante pendant l'opération Harmattan) doit aussi suivre, et dans ce domaine, la Chine ne déborde pas de sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire.

Le porte-aéronefs chinois se prépare à entrer en service depuis l'année 2011 : c'est-à-dire que son équipage prend en main le navire et le porte vers l'état opérationnel en qualifiant les systèmes les uns après les autres. Si le navire est livré en fin d'année 2012 (le 23 ou le 25 septembre, peu importe), c'est qu'il aura fallu au moins une année pour le prendre en main depuis ses premiers essais à la mer.

Dans le même temps, le navire a commencé les essais aéronautiques dont les objectifs sont autant de qualifier les hommes que les machines et l'intégration des deux aussi bien sur le pont d'envol que dans les airs. Il faudra probablement une bonne année pour prendre en main tout cela.

Mais il faudra encore une bonne année, si ce n'est plus, pour adjoindre au pilier du groupe aéronaval son escorte et un train logistique efficace.

Bernard Prézelin, l'auteur actuel de "Fottes de combat", estimait en 2011, que cinq année, au minimum, serait nécessaire à la Chine pour construire un groupe aéronaval crédible (par rapport à ce qui se faisait pendant l'opération Harmattan). Il faudra certainement quelques années de plus car il sera nécessaire à la marine chinoise d'apprendre de nombreux exercices, voire d'interventions militaires.

Dire que le groupe aéronaval chinois ne sera crédible que vers l'an 2022, ce n'est ni exagéré, ni une sous-estimation. La Chine se donne les moyens de préparer l'aventure avant la perception du navire afin de gagner du temps sur les enseignements à tirer de la mer. Elle parviendra à construire l'outil qu'elle ambitionne de se doter, à n'en pas douter. Donc, il serait surfait de craindre que le navire puisse actuellement, et dès sa livraison (comme s'il pouvait être livré "prêt à l'emploi en guerre"), être la pièce maîtresse d'un dispositif naval offensif.

C'est sur le plan de la diplomatie navale que le navire produit ses premiers effets car il est l'objet du fantasme d'une "Chine impéraliste". Tout du moins, il montre que la Chine entend aussi projeter sa puissance aérienne par la voie des mers, au moins au large de ses côtes. Mais en attendant le nécessaire apprentissage, il n'est pas un instrument de combat, ce qui va compliquer les bénéfices politiques à retirer de ses croisières. Cela pourrait même fragiliser sa position : un navire inapte au combat ne va pas dans un théâtre d'opérations où pourrait se dérouler des actions offensives de moyenne ou haute intensité. Et donc, le moral chinois en prendrait un coup terrible puisque le fleuron de la flotte resterait au port ou loin des combats, dans une sorte de "fleet in being". La diplomatie navale peut être à double tranchant.

Le décalage entre la situation opérationnelle du porte-aéronefs chinois d'aujourd'hui et la montée en puissance des capacités aéronavales chinoises dissimulent ce qui pourrait se passer en 2022. Ce navire demeurera très certainement un navire-école (tout comme il sera le centre d'un groupe aéronaval école, à vrai dire) car tant qu'il flottera, il sera une inappréciable source d'enseignements opérationnels pour la Chine. Si jamais il devait ne plus naviguer pour bien des raisons, alors ce serait autant de temps perdu.

Mais si Pékin tient son calendrier, alors la marine chinoise pourrait sereinement faire entrer en service d'autres porte-avions à partir de 2022 (la Chine achète les coques d'anciens porte-avions depuis les années 70 (pour leur déconstruction, officiellement) et elle est soupçonnée de pratiquer la rétro-ingénierie à ces occasions). Les équipages du premier groupe aéronaval auront constitué le noyau dur de la puissance aéronavale chinoise. C'est à partir de ce noyau qu'elle grandira. Les actuelles agitations autour de la livraison du navire font oublier le fait que bien des échos annonçent la construction de porte-avions en Chine. S'ils étaient livrés en 2022, alors la Chine ferait un pas de géant dans le club des puissances aéronavales.

Ce n'est pas vraiment une projection saugrenue puisque :
  • le Japon aura alors au moins quatre porte-aéronefs (avec, peut être, des F-35B),
  • la Russie devrait percevoir un second porte-avions (en plus de ses deux premiers BPC et de son Kuznetsov qui serait alors toujours en service),
  • l'Inde percevra, au minimum, deux porte-aéronefs (l'Air Defense Ship et l'ex-Gorshkov, refondu, Russe),
  • la Corée du Sud aura toujours ses trois Dokdo (et pourquoi pas des F-35B à mettre dessus), 
  • et les Etats-Unis auront toujours un porte-avions basé au Japon, en sus des autres naviguant de la mer d'Arabie jusqu'au Pacifique en passant par l'océan Indien.
Dans une telle mêlée, deux ou trois porte-aéronefs chinois, ce n'est pas difficile à justifier.

Pendant ce temps là, en France, le second porte-avions et le remplaçant du Charles de Gaulle se font attendre... Que sera la puissance aéronavale française dans le contexte des années 2020 ?  

23 septembre 2012

Renforcer la puissance navale française ? Des solutions logistiques originales


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© Inconnu. Les navires de l'opération Myrrhe : le porte-avions Foch, bâtiment de commandement et de ravitaillement Somme, la frégate (ou croiseur léger) Duquesne et le navire-atelier Jules Verne. Un SNA pourrait certainement être partie intégrante de cette escadre.

La logistique navale n'est que trop rarement mise en avant alors qu'elle est parfaitement essentielle. Par exemple, pendant la seconde guerre mondiale, les allemands s'appuyaient intelligemment sur des pétroliers pour allonger le rayon d'action des raiders (les cuirassés de poche par exemple), des croiseurs auxiliaires et des sous-marins. Les alliés eurent bien des difficultés à enlever à l'Allemagne ce bras logistique qui démultipliait le rayon d'action de ses navires. Autre exemple, et plus près de nous, pendant la guerre des Malouines, la capacité de la Royal Navy à durer à la mer ne tenait qu'en sa capacité à ravitailler son escadre combattant en Atlantique Sud depuis la métropole. Si les Argentins avaient visé en priorité les navires logistiques anglais, la fin de cette guerre aurait pu être tout autre (comme dans le cas où les Argentins auraient réussi à se procurer quelques missiles Exocet de plus).

Globalement, il est impossible d'envisager l'action lointaine et durable d'une force navale sans qu'elle puisse s'appuyer sur un train logistique hauturier apte à ravitailler les navires en munitions, combustibles, nourritures et pièces de rechanges. Pour peser sur une crise, les outils militaires adéquats sont appelés à durer. En mer, il est donc nécessaire que le groupe naval puisse durer en face des côtes de la crise. Toutes les fois où la puissance aéronavale française a été engagée, les porte-avions durèrent à la mer, sans séloigner de l'épicentre de la crise -ce qui revient à dire que le lien doit être fait entre la base avancée et l'escadre. Mais cette nécessité de durer à la mer concerne aussi le groupe amphibie (voir la présence du Tonnerre pendant la crise présidentielle ivoirienne) et le groupe de la guerre des mines (voir son action durable (un peu plus de 4 mois) et bénéfique dans la dépollution des eaux koweïtiennes (quand l'Irak avait interdit l'accès de cet Etat à l'US Marines Corps).

Pour satisfaire aux besoins de la logistique navale, il faut, généralement, des pétrolier-ravitailleurs et des navires-ateliers. Ainsi, la Flotte des porte-avions Clemenceau et Foch était, à ses débuts, accompagnée par des pétroliers-ravitailleurs, des transports-ravitailleurs et des bâtiments de soutien logistique. Les derniers servaient plutôt au soutien de différentes divisions navales, grâce à leurs ateliers, dans des lieux éloignés des arsenaux ou directement à la mer. Cette flotte logistique était alors constituée d'unités très spécialisées. Par la suite, au cours des années qui suivirent (de 1970 vers 2000), la flotte logistique se resserra autour d'unités de plus fort tonnage et plus polyvalentes. Il faut dire aussi que, après la mise à la retraite des unités logistiques des années 60, il n'y eu pas vraiment de nouvelles entrées en service de navires logistiques. Outre le pétrolier-ravitailleur Durance et les Bâtiments de Commandement et de Ravitaillement (BCR) Meuse, Var, Marne et Somme (ils sont issus de la même classe, sauf que la tête de série n'a pas de moyens de commandement), il n'y a pas eu d'autres constructions de navires logistiques. Par ailleurs, passé l'an 2010, il ne reste plus que les quatre BCR. Le dernier bâtiment se soutien logistique affecté à la guerre des mines, le Loire, a quitté le service en 2009. Le dernier navire-atelier affecté au reste de la Flotte, le Jules Verne, a été désarmé, lui aussi, en 2009.

Les buts de la guerre navale française ont changé et l'évolution du visage de la flotte logistique l'atteste.

Par exemple, la flotte logistique qui existe en 1960 semble très bien adaptée à la flotte issue de la IVe République qui était très équilibrée et très pyramidale. Les trois types d'unités logistiques navales d'alors -pétroliers, transporteurs et navires-ateliers- devaient, manifestement, permettre de soutenir en de nombreux points de la planète bleue les escorteurs et les sous-marins classiques. Il s'agissait de diffuser la flotte en différentes escadres légère pour combattre là où les adversaires se concentreraient, certainement près des points vitaux du trafic maritime. Les porte-avions ne constituent pas encore le centre névralgique du ravitaillement.

Mais la montée en puissance de la force aéronavale française semble bouleverser la flotte logistique toute entière. Les buts de la guerre navale changèrent aussi. La permanence aéronavale française, matérialisée par la navigation quasi-permanente d'un porte-avions, devient la finalité de la flotte logistique. Qui plus est, la guerre navale change car la puissance navale française, tout du moins, se fait au soutien d'opérations de moins en moins hauturières et de plus en plus côtières. Si les Clemenceau et Foch quittent Toulon et la Méditerranée en 1966, sur décision du général De Gaulle, après le retrait de la France du commandement intégré de l'OTAN, c'est pour la retrouver le 18 décembre 1974 par la décision présidentielle de Giscard d'Estaing. Dès lors, nos deux porte-avions ne cessèrent de projeter la puissance aérienne française de la mer vers la terre afin de peser sur les différentes crises qui apparaîtront.

Il y eu des années 60 à 1974 un passage de témois entre une guerre navale qui se concevait dans l'optique d'une guerre des communications et de batailles de rencontre dans l'Atlantique entre les deux blocs à des missions d'intervention dans le cadre des conflits périphériques et au plus près des côtes. Dès lors, il ne s'agissait plus de soutenir des escadres et des divisions qui combattraient à travers le monde. Mais il s'agit bien désormais d'appuyer l'action d'un groupe aéronaval qui doit durer face à des côtes pour peser politiquement sur le règlement d'une crise. Il y a eu concentration de la logistique navale sur une escadre en particulier. A cette formation, il est possible d'adjoindre deux autres groupes tout aussi essentiels : le groupe amphibie et celui de la guerre des mines. La Marine doit pouvoir escorter le groupe amphibie, indépendamment du groupe aéronaval, nous dit le livre blanc de 2008. D'un autre côté, il est bien difficile d'imaginer l'engagement dissocié des trois groupes navals -et donc un soutien logistique naval à assurer en trois points différents du globe. Mais cela est encore arrivé, récemment : le Tonnerre participait donc à la résolution de la crise ivoirienne alors que le porte-avions était en mission Agapanthe.

La physionomie des escorteurs a également été bouleversée. Premièrement, l'Amiral Nomy expliquait que l'introduction des engins (premier nom des missiles) dans la Marine était l'occasion de concevoir de grands escorteurs : il n'était plus question dans son esprit d'escorteurs spécialisés (anti-aérien et anti-sous-marin) mais bien de frégates polyvalentes car il valait mieux "les construire plus gros et plus cher". L'aboutissement de ce processus là, sous l'influence américaine, était le croiseur à propulsion nucléaire. De l'autre côté, c'est bien l'évolution de la guerre navale française qui réduit les objets à protéger et concentre les missions de protection sur la FOST (Force Océanique Stratégique) et sur le GAn (Groupe Aéronaval). Le passage d'une guerre navale à l'autre entraîne aussi des besoins différents : s'il n'est plus tellement question de lutter contre une marine mondiale comme la flotte rouge, alors il s'agit de réussir à peser sur une succession de crises régionales. Le besoin en escorteurs est moins grands (même s'il y a des paliers à ne pas franchir pour pouvoir continuer à avoir une présence mondiale) mais l'endurance qui leur est demandée l'est beaucoup plus, d'où une croiseurisation des frégates, ce qui amène à disposer de FREMM de 6000 tonnes en charge.

Il y a encore une chose qui a poussé la logistique navale vers la concentration : la propulsion nucléaire. Quid de l'intérêt de posséder un train naval dédié au soutien des sous-marins quand ceux-ci sont devenus les navires les plus libres de la planète grâce à leurs réacteurs nucléaires ? L'adoption de cette propulsion par le porte-avions n'a fait que pousser le processus à son paroxysme.

La Royale dispose donc d'un train de logistique navale très concentré, ce qui a entraîné une croissance en tonnage des plateformes et une réduction du nombre de navires. L'expression des besoins de la Marine a conduit DCNS à proposer les BRAVE pour le programme de remplacement des BCR. Ce programme de renouvellement devrait être notifié dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire (et serait même nécessaire pour sauvegarder l'avenir des Chantiers de l'Atlantique, arsenal devenu indispensable pour la Marine). Il y a une confirmation, par cette matérialisation de la pensée actuelle de l'état-major, du processus entamé depuis les années 70 : quatre unités sont espérées. Il y a donc confirmation d'une flotte (logistique) avec de grandes unités polyvalentes. Le processus de concentration s'accompagnerait, tout de même, d'une certaine croissance car le tonnage unitaire grimperait de 18 000 tonnes (BCR) à 30 000 tonnes (BRAVE). Ce surplus consisterait en la prise en compte qu'il manque quelques capacités opérationnelles depuis le retrait du service des navires-ateliers (Loire (guerre des mines) et Jules Verne). Tout aussi intéressant, il faut noter que les volumes supplémentaires des BRAVE serviront pour transporter hommes et matériels au soutien d'une opération amphibie.

Le problème d'une logique qui est portée à son paroxysme, c'est qu'elle crée des déséquilibres propres à déstabiliser tout le système. Cela a été vu avec l' US Navy qui souffre d'une logique mahanienne qui réduit son nombre de navires et donc sa présence mondiale. Dans le cas de la logistique navale française, la concentration observée, constatée, permet, effectivement, de soutenir le groupe aéronaval et ses branches que sont le groupe amphibie et celui de la guerre des mines. Mais c'est un mouvement qui ampute la Marine nationale des capacités nécessaires pour intervenir dans d'autres endroits de la planète quand la nécessité se fait impérieuse. Il y a des choses qui corrigent naturellement les déséquilibres :
  • l'une des premières choses qui redonne de la souplesse au système c'est la plus grande endurance des plateformes actuelles : les sous-marins nucléaires ont très peu besoin de logistique navale dans le cas français (différent dans le cas américain avec des missions de 7 à 9 mois contre 3 à 4 en France) et les frégates sont désormais conçues pour durer plusieurs mois à la mer, avec comme seuls arrêts logistiques les bases avancées.
  • C'est par ailleurs ces bases avancées qui permettent aux unités de la Marine de prendre appui sur des relais terrestres tout autour de l'arc de crises, et même plus grâce aux territoires français d'Outre-mer. 
  • Enfin, il y a donc cette concentration du soutien logistique navale sur un groupe et ses ramifications qui permettent de supporter un si petit nombre de navires logistiques.
Néanmoins, les hypothèses actuelles d'emploi dissocié du groupe aéronaval et de l'un des deux autres groupes ne sont pas si minces. Dans le cadre de la crise syro-iranienne, il ne serait pas étonnant que le porte-avions soit employé dans le bassin oriental de la Méditerranée quand au large de l'Arabie Saoudite Washington demandera l'aide du groupe de guerre des mines français (car la marine américaine n'a presque plus de capacités dans ce domaine et que le groupe de guerre des mines de l'OTAN, s'il a le mérite d'exister, est relativement restreint).

Corriger les déséquilibres constatés ne serait pas simple quand le budget (éternellement, il faut le dire) est contraint. Néanmoins, c'est peut être possible.

Première possibilité, c'est le BPC. Le navire est constitué de grands volumes, vides, pour permettre l'embarquement d'un groupe aéromobile (constitué de voilures tournantes) et et d'un SGTIA (Sous-Groupement Tactique InterArmes) de l'Armée de Terre pouvant être à dominante blindée (il est peut être imaginable qu'un BPC embarque deux SGTIA pour de "courte durée", mais c'est une autre affaire). La proposition se retrouve en bas des billets de blog : pourquoi ne pas utiliser, ponctuellement, un BPC comme navire-atelier ? Cela supposerait que les ateliers soient modulaires et déplaçable pour ne pas faire d'un BPC un navire définitivement spécialisé après installation de tels équipements. Le monde est bien fait puisque à bord des BRAVE "sur l'arrière, une zone modulable peut servir au stockage de matériel, abriter des ateliers de réparation ou accueillir des troupes et des véhicules". Les hangars à véhicules et hélicoptères des BPC devraient bien pouvoir embarquer de telles installations. La plateforme aurait même de belles qualités nautiques puisque ses grandes dimensions et son fort tonnage lui assure une grande stabilité, caractéristique essentielle pour un navire-atelier où peut se dérouler de la micro-électronique (par exemple). 

De cette première possibilité, il découle deux directions différentes, mais complémentaires :
  • un BPC au soutien du groupe aéronaval,
  • un autre, BPC, au soutien du groupe de guerre des mines ou de missions aéroamphibies devant durer dans le temps (comme la mission Corymbe en cas de crise).
Dans le cas d'un BPC navire-atelier, il pourrait soutenir le porte-avions, ses frégates, son SNA et de ses aéronefs. Il pourrait s'approcher de chacune des unités pendant une opération pour livrer des pièces de rechange, des équipements réparés et faire des ravitaillements complémentaires à ceux opérés par les BCR et les futurs BRAVE. Par la suite, le navire s'éloigne rapidement de l'escadre pour se protéger et se ravitailler lui-même au près d'un port amical ou d'une base avancée.

Dans ce cadre là, l'hélicoptère est le moyen incontournable pour faire rapidement le lien pour opérer les échanges entre les navires logistiques et les unités soutenues. Mais est-ce le seul moyen ? Un BPC logistique pourrait se servir de deux EDA-R pour ravitailler plus rapidement les navires de l'escadre et donc écourté une manœuvre qui demeure risqué dans une zone de guerre.

De là, il faudrait peut être proposer un échange de services entre le porte-avions et l'unité logistique. Clément Ader disait que les aéronefs devaient être entretenus et réparés à bord. Mais dans le cadre d'un BPC-atelier qui ferait le lien entre le porte-avions et la terre, il pourrait fluidifier l'entretien des voilures fixes et tournantes. A quoi bon garder à bord un chasseur qui serait bon pour plusieurs semaines de réparations ? Pourquoi ne pas permettre à un BPC qui ferait la rotation entre une base avancée et le porte-avions d'en apporter un directement depuis la France qui serait entièrement disponible et d'enlever la machine indisponible et qui ne pourrait plus quitter le bord par elle-même ? Le porte-avions pourrait délocaliser les opérations lourdes d'entretien vers le BPC et la terre. Ce nouveau partage des tâches allégerait le bateau porte-avions (et peut être son coût - est-ce que le déplacement des moyens de commandement vers un BPC serait de nature à en faire de même pour le PA2 ?). Mais cela permettrait, aussi, de maintenir un groupe aérien embarqué avec des machines en permanence disponible. Mais un tel changement suppose de disposer d'un hélicoptère lourd apte à réaliser de tels mouvements...

Imaginez une autre hypothèse : le soutien d'un BPC-atelier aux opérations offensives du porte-avions. Grâce à l'aide d'hélicoptères lourds, il serait donc possible de transporter des Rafale du pont d'un BPC vers le porte-avions. Ce dernier envoie tout ses Rafale. A ce moment là, pourquoi ne pas concevoir que les Rafale stockés à bord du BPC soient déplacés sur le porte-avions. La suite de l'idée consisterait à les conditionnés pour constituer la seconde vague de l'attaque et donc, à être catapultés. La première vague, à son retour, pourrait être transvasée du porte-avions au BPC et y serait reconditionnée quand la seconde le serait à bord du porte-avions. Dans cette optique, le BPC devient un considérable multiplicateur de forces. L'idée peut être séduisante car elle offre la possibilité de ne plus se laisser limiter aux 32 aéronefs du Charles de Gaulle (dont 24 Rafale) : le poids opérationnel du GAn face à un groupe aéronaval américain serait beaucoup plus relatif.

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© Marine nationale. BCR Var entouré de l'Andromède et du Croix du Sud.

Si le BPC pouvait devenir navire-atelier, ponctuellement, alors il pourrait servir de navire-base au groupe de guerre des mines. Bien que les futurs chasseurs de mines seront plus hauturiers que les actuels, il n'en demeure pas moins qu'ils auront besoin d'un soutien logistique pour renouveler "leurs munitions" nécessaires à la chasse aux mines (constatations de l'opération menée dans le Golfe persique en 1991). Le BCR Var a d'ores et déjà expérimenté une telle formule lors d'un exercice en 2011. Est-ce qu'un BPC pourrait servir dans une telle mission ? Cela permettrait, en tout cas, de délester les futurs BRAVE de missions qui n'emploieraient pas l'intégralité de leur potentiel et où un BPC démultiplierait la force d'une opération de guerre des mines. La protection du groupe pourrait passer, par exemple, par l'embarquement d'hélicoptères Tigre à bord du porte-hélicoptères. Il serait envisageable, à nombre de chasseurs de mines égale, d'embarquer plusieurs équipages afin de travailler presque nuit et jour (grâce aussi aux ateliers et à l'embarquement de consommables). Surtout que, un BPC, avec son radier, pourra emporter deux drones porte-drones (du programme SLAMF) en plus de ceux des futurs chasseurs de mines. Ce ne serait pas un mince avantage quand l'économie mondiale peut être menacée par le minage d'un détroit.

Enfin, il y a le cas où BRAVE et BPC pourraient être au soutien d'une mission aéroamphibie. Il y a clairement la volonté d'utiliser les BRAVE pour renouveler les équipages lors d'une opération qui dure, mais, et peut être aussi, pour soutenir une opération amphibie. Ce serait une option prise sur le  Sea basing : le BPC servirait de porte d'entrée sur un théâtre et le BRAVE transporterait les troupes à injecter sur ce théâtre.

Dans une autre mesure, il y aurait le cas où le BPC dépasse le cas du navire-atelier pour devenir presque un navire-usine. Il est alors engagé dans une mission qui dure et il a besoin de se faire durer, mais aussi de soutenir des moyens qui lui sont rattachés (comme des aéronefs) ou adjoints (d'autres navires qui ne pourraient pas durer aussi longtemps). Ce serait tout l'avantage de coupler les capacités aéroamphibies d'un BPC avec celles d'un navire-atelier. Une telle utilisation du BPC en Somalie permettrait de se passer de quelques frégates dans un contexte où il est difficile d'obtenir les précieuses frégates de la part des Etats engagés dans l'opération Atalante.

Il y a une toute dernière option. La guerre navale à la française permet de se concentrer avec de grands moyens sur chaque crise internationale qui se présente. Cette manière de faire empêcherait d'être ponctuellement présent en d'autres endroits du globe, avec, certes, des moyens moins important. Mais être présent, c'est le minimum pour pouvoir pesé, et c'est le propre d'une marine à vocation mondiale. Les Russes reconstruisent leur puissance hauturière avec des remorqueurs comme navire logistique. Ces auxiliaires de haute mer font rarement partie intégrante d'une escadre. Et pourtant, ils servent très souvent dans la marine russe à appuyer un déploiement de deux ou trois frégates ou destroyers, notamment au large de la Corne de l'Afrique ou dans le bassin oriental de la Méditerranée.
Le cas du groupe de guerre des mines de l'OTAN a été évoqué : lors de son dernier passage à Brest, le SNMCMG1, était composé de quatre chasseurs de mines et d'un navire de soutien polonais, le Kontradm. Z. Czernick. Ce dernier jauge à peine plus qu'un chasseur de mines (6 ou 700 tonnes). Sa présence demeure un puissant moyen pour faire durer la formation à la mer.
Ce ne serait peut être pas une solution à négliger en France que de constituer une seconde ceinture logistique autour de petites unités, comme des remorqueurs de haute mer polyvalent. Dans cette optique, il y a les programmes BSAH et BMM qui pourraient fournir les unités nécessaires. Les BSAH semblent étudiés pour. Mais pourquoi donc ne pas saisir l'opportunité de fusionner, au moins, ces deux programmes pour avoir ce second rideau logistique ? A l'heure où les relations en Asie se tendent, il faudrait peut être plutôt miser sur le déploiement d'une FREMM (avec commandos, MdCN et Exocet block III (donc MdCN aussi) avec l'appui d'un navire de soutien en Asie du Sud-Est pour faire sentir la présence de la France, sans se couper de la présence du GAn en Méditerranée.

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En tout dernier lieu, il y a le cas des EDA-R (Engin de Débarquement Amphibie Rapide). Ils pourraient constituer le troisième niveau du soutien logistique naval. Ils sont de faible tonnage, ce qui fait leur force le jour où il sera possible de remonter des fleuves dans le cadre d'une opération terrestre. Une version agrandie de ces chalands -soit la taille d'un EDIC- avec une plus puissante motorisation pourrait servir de navire logistique et amphibie rapide. Prépositionné, il pourrait faire le lien entre BRAVE, BPC et la base avancée la plus proche. Hors opération, il pourrait bien servir de patrouilleur hauturier : l'EDA-R demeure un catamaran -ce qui est une formule architecturale assez économique- et il n'est pas impératif qu'il navigue à sa vitesse maximale, mais bien à sa vitesse de croisière économique.

Ce ne sont là que quelques pistes qui sont jetées comme sur un brouillon. Le format se réduira à quatre unités logistiques : les futurs BRAVE. Ceux-ci devraient permettre de remplacer une partie des capacités qui étaient offertes par les navires-ateliers et de soutien. C'est le premier rang du soutien logistique naval. Il n'en demeure pas moins que 4 navires est un format bien léger : il faut considérer que le format en SNA à six unités est insuffisant pour protéger la FOST et soutenir le GAn en Libye, face à Toulon. Donc, il y a ces pistes pour combattre les déséquilibres créés par le système : se servir des BPC comme navire logistique auxiliaire, voire comme navire-atelier. La logique pourrait même être poussé pour en faire des porte-aéronefs auxiliaires afin de participer au soutien des aéronefs du GAn, et pourquoi pas d'augmenter le nombre d'avions pouvant être catapultés par le porte-avions. C'est le deuxième rang du soutien logistique naval. En outre, il ne faudrait pas négliger les "nouvelles" capacités de projections (celles des années 60, aujourd'hui perdues, en réalité) qui pourraient être offertes par l'utilisation de navires dédiés initialement à l'Action de l'Etat en Mer comme d'une flotte logistique. C'est le troisième rang. Parfois, il suffit d'une frégate multi-missions et d'un navire de soutien pour participer à une crise à l'autre bout du monde. Enfin, les nouveaux chalands de débarquement, les EDA-R, et une éventuelle version agrandie, les EDA-R XL, pourraient servir d'unités logistiques de bases pour accélérer la manœuvre logistique lors du ravitaillement d'une escadre ou faire la liaison entre la terre et l'escadre. La version agrandie du nouveau chaland de la Marine servirait de moyen prépositionné pour des transports entre théâtres et de patrouilleur en dehors du service aux escadres. C'est le quatrième rang.

Qu'est-ce que ces propositions représentent sur le plan budgétaire ? Les quatre unités logistiques (BRAVE) sont d'ores et déjà programmées : ne pas les commander, c'est une économie comptable et la perte du statut de marine à vocation mondiale. Il y a d'ores et déjà trois BPC, et dans le cadre des propositions, ce ne serait pas un luxe que de monter à 5 unités, sachant qu'une telle commande en lot offrirait des navires moins coûteux (300 millions l'unité) qu'une commande isolée (400 millions l'unité) -soit dit en passant qu'une commande en série et en lot de 5 BPC aurait coûté autant que la méthode actuelle pour en acquérir quatre unités. En attendant, le quatrième BPC est programmé pour la prochaine loi de programmation militaire. Tout comme les programmes BSAH et BMM qui concerneront des unités de 2 à 3000 tonnes. Enfin, il est prévu de percevoir deux EDA-R par BPC. Et la version agrandie n'a pas quitté le brouillon. Donc, au final, il n'est question que d'un BPC de plus et d'EDA-R XL.

21 septembre 2012

Crédibilité de la doctrine nucléaire nationale face à l’évolution de l’anti-missile balistique, par le général Pinatel


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© DGA. Le SNLE Le Téméraire a été admis au service actif en 1999.

Le général Pinatel me fait l’honneur de m’expliquer son point de vue sur la question de la DAMB (Défense Anti-Missile Balistique) de territoire otanienne (couplée à l’ABM -Anti-Ballistic Missile- américain) et sur ses conséquences sur la dissuasion nationale. Ce qui suit est le résultat de ce dialogue où j’ai pu lui demander si l’ABM américain pouvait avoir quelques conséquences sur l’évolution de notre dissuasion nucléaire.

Quand le général mène la fronde contre la défense antimissiles balistique de territoire de l’EPAA (European Phased Adaptive Approach) de l’administration Obama, l’équivalent de l’ABM américain, en Europe, il aime revenir sur les fondements des dissuasions nucléaires américaine et française.

Les explosions des deux premières bombes nucléaires américaines sur Hiroshima et Nagasaki (1945) s’accompagnent après la guerre d’une volonté de « dominance » des États-Unis qui souhaitent tirer les bénéfices politiques du pouvoir nucléaire et ne le partager avec personne. Dès lors, ils commencent à pratiquer une dissuasion « du fort au faible » c’est-à-dire à développer une capacité de première frappe suffisante pour désarmer tout adversaire potentiel et se mettre ainsi à l’abri de ses représailles. C’est l’explosion de la bombe atomique soviétique (à fission, le 29 août 1949) qui va permettre l’apparition d’un dialogue entre les deux puissances nucléaires. Mais c’est aussi l’apparition d’autres bombes -anglaise, française et chinoise- qui achève de complexifier le jeu nucléaire qui n’est plus un « je » américain. Dès lors, les États-Unis ne peuvent retrouver la suprématie nucléaire, c’est-à-dire une capacité de première frappe sans risque de représailles, qu’en disposant d’un bouclier anti-missile efficace. Ainsi, le RIM-8 Talos, engin anti-aérien de la série « T » des années 60, était semble-t-il une première ébauche d’une défense contre les missiles balistiques pour l’US Navy.

La crise de Cuba de 1962 permet de calmer le jeu et de poser les bases d’un dialogue fructueux (sur le plan nucléaire) entre les deux supergrands, et le traité ABM de 1972 enterre, pendant un temps, toutes prétentions à casser l’équilibre qui s’est construit entre les deux grands.
La dernière bataille de la Guerre froide a été la relance de la course aux armements dans les années 80, dont le point d’orgue est le lancement de l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) du président Reagan, qui a conduit à l’épuisement de l’économie soviétique.

L’URSS disparue, l’IDS et ses suites perdureront : le traité ABM n’est plus là, et les États-Unis tentent de saisir l’occasion pour reconstruire une « dominance » de l’espace mondial, tant par des moyens conventionnels que nucléaires. L’ABM doit permettre de retrouver la suprématie nucléaire perdue avec l’apparition de la bombe soviétique et la prolifération nucléaire. La mise sur pied d’un système antimissile efficace permettrait de mettre en échec la dissuasion « du faible au fort » des nouvelles ou potentielles puissances nucléaires.

En effet et c’est une constante, une partie importante des stratèges américains ont toujours refusé la logique de la dissuasion nucléaire car elle revient à accepter, si elle échoue, de subir une première frappe adverse avant de riposter. Or la mentalité «cow-boy» est fortement ancrée chez les militaires et les stratèges américains : c’est celui qui dégaine et qui tire le plus vite qui sort vainqueur de l’affrontement. C’est dans cette logique et, en dehors de tout mandat de l’ONU, que, prenant prétexte de l’existence d’armes de destruction massive en Irak, le texan George Bush junior a décidé la seconde Guerre du Golfe ; c’est pour cela aussi qu’un débat existe actuellement aux États-Unis sur la nécessité de lancer une attaque préemptive contre le potentiel nucléaire iranien en cours de constitution.

Il va s’en dire que le pari est audacieux, au regard des résultats de l’avatar actuel de l’ABM : les missiles GBI (Ground Based Interceptor) ont, au mieux, une réussite de 50%. Ce sont plutôt les missiles SM-3 de l’US Navy (couplés au système AEGIS) qui donnent les meilleurs résultats lors des essais : autour de 70%. Bien entendu, il est difficile de parler d’un bouclier avec une telle passoire. L’interception de missiles balistiques d’une portée de 2000 km, comme celle du missile iranien Sejil 2, est, en effet, très difficilement réalisable car, entre le moment où le tir est décelé et la phase d’impact, on ne dispose que de 15 à 20 minutes pour prendre une décision, lancer un missile anti-missile et espérer toucher une cible qui fonce vers la terre à une vitesse de 4 à 6 km par seconde.

Pour qu’un bouclier anti-missile soit efficace, il devrait être capable d’arrêter à coup sûr un missile équipé d’une tête nucléaire. Cela implique un système en alerte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, un processus de décision quasi-automatique et surtout une capacité démontrée d’interception de 100%. En effet, on ne peut pas accepter le risque qu’un missile équipé d’une tête nucléaire atteigne son objectif. Or il n’existe aucune preuve qu’un taux d’interception voisin de 100% soit réalisable.

C’est pour cette raison que tous les théoriciens de l’arme nucléaire, et en particulier Lucien Poirier et le Général Gallois, ont bâti une stratégie basée sur la dissuasion nucléaire du faible au fort: signifier à tout agresseur potentiel qu’une attaque qui mettrait en cause nos intérêts vitaux entraînerait automatiquement des représailles nucléaires massives sur ses villes. Dès lors, il n’est pas question de concurrencer les deux grands et de tenter de pouvoir annihiler une force considérablement supérieure. Mais les forces stratégiques françaises doivent pouvoir mener des représailles, même après une première frappe destinée à détruire son potentiel nucléaire. Le vocable utilisé sera l’expression de « capacité de seconde frappe » et les SNLE seront l’incarnation de cette expression. Il y aura également une composante terrestre fixe (le plateau d’Albion).

Le problème inhérent à cette capacité de dissuasion est qu’elle s’apparente à une stratégie du tout ou rien. Que faire donc si les divisions soviétiques menaçaient d’envahir notre territoire? La stratégie de dissuasion est alors complétée par la notion « d’ultime avertissement » que doivent donner à l’adversaire l’arme nucléaire tactique, lui signifiant que nous considérons que nos intérêts vitaux sont mis en cause par son agression. Les forces atomiques nationales vont ainsi s’articuler entre celles dédiées à l’ultime avertissement (Mirage IV, missiles Pluton) et celles devant causer des dommages considérables à un éventuel assaillant, au point de le dissuader de tenter l’aventure.

Les vecteurs nucléaires français ont très bien traversé les épreuves à coup de modernisations successives. D’une part, des « aides à la pénétration » ont même été inclues pour tenir compte des développements en URSS et aux États-Unis, puis face aux développements américains issus de l’IDS. D’autre part, les missiles balistiques français embarqués à bord des SNLE ont évolué du M-2 au M-51. Cette succession d’évolutions a permis d’augmenter considérablement les zones de patrouilles des navires de la FOST (grâce à l’augmentation de la portée des missiles embarqués), et par conséquence, de renforcer leur crédibilité rendant leur localisation encore plus difficile.

Enfin, est-ce que la France doit participer à la défense antimissile balistique de territoire, adoptée dans son principe à l’OTAN ? La réponse découle des explications du général Pinatel : non, ce n’est pas l’intérêt de la France de favoriser tout ce qui peut affaiblir sa capacité de dissuasion nucléaire. Mais surtout, l’EPAA de l’administration Obama (relance des sites de l’ABM américain en Europe suite à l’échec du projet de l’administration Bush -installation de missiles GBI-, qui ne permettait aucune protection des territoires européens contre les menaces balistiques) n’est dirigée, dans les discours, que contre la « menace » iranienne. Dans cette optique, il y aura l’installation et le pré positionnement de missiles SM-3 (les destroyers Arleigh Burke AEGIS/SM-3 de la Rota, Espagne, et d’autres destroyers et croiseurs AEGIS en mer Noire). Hors, et comme l’explique très bien le général dans un de ses billets, la menace iranienne n’existe pas contre l’Europe !

Les développements de l’ABM servent, notamment, et peut être essentiellement, à faire tourner les industries de défense américaines. Une partie des Européens y répondent favorablement en s’équipant de missiles SM-3 pour leurs navires, construits autour du système AEGIS qu’ils ont acquis. C’est par exemple le cas des Pays-Bas qui viennent de franchir le pas en annonçant la mise à jour du système d’armes de leurs navires et l’acquisition de missiles SM-3. Les marines de la Norvège, du Danemark et de l’Espagne pourraient franchir également le pas. Dans ce cas ou bientôt ces cas, il ne s’agit pas tant de répondre à une menace. Comme pour le programme JSF, et surtout, comme pour le contrat du siècle où ces pays ont acquis des F-16, il est question d’acheter la présence américaine en Europe : ces dépenses militaires aux États-Unis compensent les frais de stationnement des troupes américaines en Europe.

Pour conclure, le général Pinatel insiste bien pour affirmer que la dissuasion nucléaire française est crédible et que c’est notre seule assurance pour nous garder de tout acte hostile recourant à des « armes terribles » (discours de l’Île Longue de 2006 du Président Chirac) et qu’elle nous permet de préserver notre rang.

01 septembre 2012

Amiens, Marseille : ascension aux extrêmes ?


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Ce genre de quartier ressemble un peu à tout les autres morceaux de ville qui, en France ou ailleurs, par divers cheminements, a fini par se ghettoïser. Dans un premier temps, les premières populations de ces "quartiers HLM" s'en allèrent s'installer ailleurs, pour d'autres formes de logement. Il ne restait donc que les populations qui ne pouvaient pas s'offrir une autre forme de logement.

La "crise" passant par là, et la population de ces quartiers s'uniformisant, ces territoires s'appauvrissent. Une partie des activités économiques et administratives s'en vont ailleurs, notamment pour suivre les populations qui ont besoins de ces services et qui ne sont plus là. La violence monte en puissance, limite après limite. Elle est dans un premier temps, manifestement, le signe d'un ennui, d'un désespoir, d'un appel à l'aide. Dans un second temps, la violence gagne une signification : c'est un langage, un dialogue, une conversation.

Il s'agit pour ses émetteurs d'envoyer un signal aux multiples facettes mais à la signification simple et unique : le territoire change de maître. C'est un temps quasi féodal où tout et n'importe quoi échappe aux règles de l'ancien empire politico-administratif qu'était la République. Des activités économiques qui sont normalement prohibées dans l'empire finissent par se développer sur le territoire. Elles occupent les acteurs. Elles catalysent aussi la violence puisque les seigneuries se recomposent et vont s'adapter à la modification des flux économiques et financiers. De nouveaux seigneurs émergent. La violence n'est plus le signe de l'ennui mais bien l'expression d'une lutte de réseaux pour le pouvoir. "Il est rare qu’un État veuille la guerre pour elle-même, mais il veut être puissant et cette volonté provoque finalement une situation qui rend la guerre inévitable" disait Julien Freund (L’essence du politique, op. cit., p. 596).

Cette lutte remodèle les structures sociales du territoire, tout s'adapte autour du nouvel ordre qui se met en place. La paix sociale, nouvelle version, s'achète elle aussi. Comment ? Par la même monnaie que celle de l'ancien maître : de l'argent pour pourvoir au bonheur matériel des habitants du territoire. Une partie d'entre eux est directement intéressé aux activités économiques illégales. Comme le dit Abou Djaffar ("Ne pas voir que l’argent de la drogue fait vivre des quartiers entiers avec l’assentiment de la République, c’est être aveugle")., les activités économiques du territoire ne sont pas encore régulées. Il faut un nouveau maître, et il veut presque automatiquement tenter de gagner les monopoles économique et celui de l'autorité. La lutte fait donc rage entre les divers seigneurs pour étendre leur fief. Il s'ensuit alors une spirale ascendante où les acteurs tentent de grossir et de supprimer leurs rivaux.

Le pouvoir se complexifie avec l'apparition des châtellenies : des seigneuries dont le seigneur est nommé par un autre au pouvoir plus grand. Il doit répondre de ses activités à son suzerain. Les derniers vestiges de l'ancien empire tendent alors à tomber dans cette lutte pour le pouvoir : les services publiques s'en vont ou fonctionnent tant bien que mal.

Il y a même un phénomène qui apparaît : des frontières. Les seigneurs et leurs porte-armes s'occupent de qui à le droit d'intervenir, de venir ou de passer sur le territoire. Ce sont les "officiers" qui sont les plus particulièrements visés par ce filtrage. Les nouveaux maîtres en sont déjà à la régulation des activités du territoire. L'ancien empire a beau envoyer ses troupes, elles ne peuvent même pas arbitrer les luttes entre seigneurs, et encore moins reprendre pied.

La bataille fait rage chaque jour entre les seigneurs et les vassaux. Il y a deux issues à cette situation : ou bien il y a un vainqueur et la violence s'apaise, ou bien le poids des seigneurs s'équilibrent et la violence s'auto-entretient.

C'est une histoire suffisamment abstraite pour s'appliquer à tous les quartiers de France qui sont en perdition. C'est bien un défi d'autorité qui est lancé à l'Etat.

Cette lutte pourrait très bien s'apparenter à un phénomène décrit par Clausewitz : la guerre. Elle "est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté" (Carl von Clausewitz, De la guerre, chap. 1, §2, p. 51). Et selon Clausewitz, la guerre est un le moyen d'une lutte politique puisque, "en effet, elle exprime directement la réalité fondamentale et caractéristique de la politique : la domination de l’homme sur l’homme" (Carl von Clausewitz, De la guerre, chap. 1, § 24, p. 67). Il y a eu la constitution de seigneuries dans ces quartiers. Elles ont évolué jusqu'à un état féodal où il y a  seigneurs et vassaux. Les premiers ont acquis le pouvoir de ban, les seconds exécutent. Les seigneuries les plus importantes disposent de troupes, de revenus fonciers, d'une justice, des moyens de réguler les activités économiques, etc... L'Etat n'a pas disparu. Mais il s'agit bien d'une lutte politique entre des seigneurs locaux et l'Etat. Il s'agit de l'affrontement de volontés et la place de l'Etat comme détenteur légitime de la violence et maître politique suprême est contesté. C'est pourquoi il s'agit de réponses du politique qui sont attendues.

Il y a eu des émeutes dans la ville d'Amiens. Le déchaînement de violences est loin d'être extraordinaire pour une ville qui est habitué à ce que les affaires de ses quartiers du Nord se règlent par bagarres de rues et de multiples incendies de voitures. L'éruption de violences sort de l'ordinnaire par sa concentration de destructions sur laps de temps très court et la destruction de biens qui ne sont habituellement pas visés (dont une maternelle, cible devenue habituelle des émeutiers en France). Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, s'est empressé de se rendre sur place et d'ordonner le renfonrcement des effectifs de la police. Des journliastes lui demandèrent combien de temps ces pomiers anti-émeutes allaient rester sur place ? Le ministre de répondre qu'ils resteraient jusqu'à ce que les lois de la Répulibuqe s'appliquent dans les quartiers Nords d'Amiens. La réponse du politique est forte, mais elle correspondait à quoi ? Il y a deux réponses possibles : ou bien le ministre voulait dire que les policiers supplémentaires étaient destinés à réguler une violence extraordinnaire par rapport à celle qui est quotidienne, ou bien qu'il fallait revenir au statu quo antes, c'est-à-dire revenir à avant le temps féodal. Le défi n'est pas le même, et pourtant, l'Etat est défié depuis de très nombreuses années.

A Marseille, le problème semble être rigoureusement le même : il y a une féodalisation des quartiers nords de la ville et la guerre fait rage pour savoir qui sera le maîre des territoires féodaux et des activités économiques illicites. Cette guerre des féodaux de Marseille est plus médiatisée car cette contrée est plus riche, et peut donc se fournir plus aisément en armes (là où à Amiens les armes de guerres se font peut être plus rare par manque de moyens, même si elles sont très présentes). Une sénatrice, Samia Ghali, a lancé une demande attendue : l'envoi de l'Armée à Marseille. Abou Djaffar condamne fermement, avec une "certaine ironie", l'appel de la sénatrice à la force militaire. Deux personnes expliquent très bien le pourquoi de cette demande :
  • Julien Freund disait que l'Armée "est le détenteur dans l’État de la violence suprême et extrême, à laquelle celui-ci a recours en période exceptionnelle, soit que la situation lui paraisse désespérée, soit que l’adversaire ait dépassé le seuil de ce qu’il juge tolérable" (Julien Freund, "La finalité de l’armée", Études polémologiques, n° 20-21, avril-juillet 1976, pp. 31-47).
  • Abou Djaffar disait donc : "Alors, donc, l’armée. Pourquoi l’armée ? Pardi, pour remplacer la police. Ah. Mais alors, dans ce cas, si on remplace la police par l’armée, c’est pour faire la guerre, non ? Pour faire ce que la police n’a pas le droit de faire, comme, je ne sais pas moi, tirer sans sommation, tirer pour tuer, tabasser les prisonniers (Les quoi ? Les suspects ? Ah non, désolé, il n’y aura plus de suspect en zone de combat, il y aura des ennemis et des civils). A nous, les perquisitions sans commission rogatoire, les arrestations arbitraires, les violences volontaires. Ben oui, parce que, Madame la Sénatrice, vous ne croyez pas que le déploiement du 126e RI, du 2e REP ou du 17e RGP va permettre de garantir les droits constitutionnels des citoyens ? Si ?"
Que ces situations soient répondent rigoureusement aux caractéristiques de la guerre, c'est un débat. Il n'est pas tellement question de le trancher, mais bien de constater que nous avons un beau laboratoire en France. Si nous avions pu l'avoir avant la guerre d'Afghanistan, cela eut été une grande chance. L'objet d'étude de ce laboratoire est précisément le moment où un conflit bascule. Comment est-ce que la situation en Afghanistan a basculé d'une guérilla larvée et embryonnaire à une guérilla permanente ? Comment est-ce que les choses ont dégénéré en Syrie ? Pourquoi pas comparer avec l'Algérie, l'Indochine ? Il serait osé de tout comparer, et ce n'est pas nécessaire. Mais dans tout ces théâtres, il a fallu redevenir maître de sa volonté pour l'emporter, ne plus être dépendant du comportement que nous impose l'adversaire, pour gagner la "guerre". 

En France, l'Etat entend bien être le maître ultime du pouvoir : celui d'édicter les normes, de réguler les activités économiques et d'assurer la sécurité, ce ne sont là que quelques exemples. Il s'agit presque d'une obligation car si l'Etat ne possède pas ses pouvoirs par un moyen ou un autre il se met en danger face à d'autes maîtres qui administrent quelques territoires. C'est la même chose en Syrie. En Afghanistan il s'agissait aussi de construire un Etat pouvant survivre face à d'autres rivaux politiques.

Et donc, il y a ce formidable laboratoire où l'on peut observer de quelle manière se construit ces acteurs politiques rivaux. Tout comme il est possible d'observer la très difficile entreprise pour faire imposer "son" autorité à des territoires qui ne la veulent pas. C'est une entreprise complexe et difficile et qui est multiformes. L'Union européenne serait la spécialiste des opérations "civilo-militaires" : des opérations guerrières où une mission civile sert à construire l'administration du territoire à pacifier.

Cette entreprise de pacification et de reconquête de l'autorité de l'Etat ou de la puissance désireuse de la gagner suppose une volonté farouche. Les acteurs d'en face cherchent bien souvent à atteindre un but qui peut aussi bien être leur prospérité économique et le développement de leur modèle. Ils connaissent les risques de la guerre, ils en respectent les règles. Face à de tels acteurs, il faut une volonté de fer et un savoir-fair politique qui fait honneur au Politique. En France il y a des ZEP, des ZUP et des ZSP : est-ce que face aux évènements d'Amiens ou de Marseille le Politique s'est-il mobilisé pour réunir ses moyens, les coordonner et engager une lutte pour reconquérir son autorité ? La volonté est la clef de la réussite d'une telle entreprise. C'est un combat de titans pour les politiques que de gagner le temps nécessaire pour concentrer suffisamment d'attention sur un tel problème afin de construire les outils pour le régler.

S'il ne s'agit pas d'un processus d'ascension aux extrêmes, tel que théorisé par Clausewitz, il s'agit bien d'une guerre, ou tout du moins, d'un phénomène qui s'en approche. Abou Djaffar le dit parfaitement bien : le nombre de personnes tuées à Marseille pour règlements de compte liés au trafic de drogue n'est que de 19 personnes. Ce n'est rien : chaque année 10 personnes meurt à cause de requins quand c'est 100 personnes qui décèdent par la faute de méduses. C'est là que le basculement peut être intéressant à étudier, là où il n'a peut être pas pu être très perceptible en Afghanistan ou ailleurs. La résonnance médiatique donnée à ces évènements montent crescendo, sans forcément qu'il y ait de rapport avec leur importance relative. Le pouvoir politique suprême est défié, qui plus est, sur son propre territoire. Il doit s'engager, et le faire de façon crédible : on ne rétablit pas les lois républicaines dans les quartiers nords d'Amiens en quelques jours avec quelques cars de policiers et de CRS. Il y a aussi l'intervention d'autres acteurs qui par intérêt ou par maladresse (terrible force que la maladresse) peuvent tout faire basculer. Imaginez que l'intervention de l'Armée à Marseille devienne une demande récurrente des français, de la société ? Les politiques doivent gérer une telle ascencion : le Président de la République et ses ministres de l'Intérieur et de la Défense ont répondu que non, l'Armée n'interviendrait pas. Elle a beau intervenir en Italie pour tenter de supprimer les mafias, et pourtant, elles sont toujours là.

Nous sommes à moment clef où l'Etat est ouvertement défié. Sa réponse est de temporiser. Cela fonctionne assez bien. Sauf que depuis que cette solution est utilisée faute de mieux, les seigneuries prospèrent et s'étendent. Il y a donc les deux autres réponses qui peuvent encore être apportées : la reconquête administrative par les services concernés ou bien le recours à l'Armée et tous les risques que cela implique. Il n'a pas encore été question des risques de collisions qui peuvent intervenir avec une flambée de violences face à des populations qui souffrent et des acteurs qui ne font pas que du commerce : quid des agents déstabilisants qui prêchent des discours religieux ou autre pour gagner les cœurs et les esprits ? Il ne faudrait pas leur offrir un terreau extra-ordinaire.

Il y a eu bien des débats sur la contre-insurrection, les opérations anti-guérilla, la pacification et encore bien d'autres choses. Ce qui se passe à Amiens et Marseille est une lutte de pouvoir. L'Etat a tous les outils pour rétablir la légalité républicaine. Mais il doit faire face à deux défis : réguler le processus de la violence et construire une volonté de réussir sur le long terme.

Le dernier livre blanc évoquait un "continuum entre la sécurité et la Défense". Il est difficilement perceptible à Amiens et Marseille : s'il faut les forces militaires pour combattre le trafic de drogues à l'extérieur de nos frontières, elles ne sont pas nécessaires pour intervenir dans nos quartiers perdus. Il faut des douaniers, des policiers pour réguler les trafics, et bien d'autres services encore. Il ne faut pas des patrouilles de blindés. Même, les personnes visées s'en accomoderaient très bien, comme cela a pu être vu ailleurs. L'Etat perdrait de sa superbe et de son autorité. C'est à questionner la pertinence de ce continuum.

Ces deux laboratoires sont vraiment très intéressants : quand est-ce qu'un cap est franchi dans la violence au point de faire basculer une situation d'un désordre civil à une situation de guerre ? Comment peut-on reconstruire une légalité tout en évitant une montée aux extrêmes ? Comment jugule-t-on la violence ? Comment construit-on une volonté pour parvenir au bout d'une telle bataille ? Comment rétablit-on la hiérarchie de l'autorité avec un Etat au sommet ? Peut-on placer un Etat au sommet de la hiérarchie de l'autorité partout ?

Il faut donc une volonté, diffuser cette volonté, des discours, une façon de penser, une idéologie ou une doctrine, et construire les outils pour parvenir au but fixé. Il faut définir ce dernier de manière suffisamment précise pour qu'il puisse être atteint. Il faut penser le rapport à la violence. Il faut savoir comment bouleverser la hiérarchie sociale pour la remodeler. Il faut donc l'intervention du politique. L'Armée n'est que l'outil ultime du politique, elle ouvre la voie à une autorité pilotée par le politique à qui l'on demande souvent d'assurer la sécurité et l'ordre dans une sorte de contrat social. Mais en définitive il faut surtout l'intervention de la qualité essentielle du politique : la compromission. Il n'y a que le politique pour faire des compromis, se compromettre et compromettre les autres pour déstabiliser un système social pour mieux le reconstruire. Le militaire ne sait pas faire, il n'a pas la souplesse nécessaire car il ne peut pas compromettre comme le politique.

"C'est grotesque, c'est ubuesque, nous ne sommes pas en guerre civile". Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille.

"Mobiliser l'armée face au grand banditisme n'est en aucun cas une solution. En revanche, la population de ces cités le vivrait comme un véritable appel à la guerre civile ! La seule réponse cohérente est de déployer, dans les plus brefs délais, de nouveaux moyens policiers, formés à gérer ce genre de conflits sur le terrain". Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille.