© DGA. Le SNLE Le Téméraire a été admis au service actif en 1999.
Le
général Pinatel me fait l’honneur de m’expliquer son point de vue sur
la question de la DAMB (Défense Anti-Missile Balistique) de territoire
otanienne (couplée à l’ABM -Anti-Ballistic Missile- américain)
et sur ses conséquences sur la dissuasion nationale. Ce qui suit est le
résultat de ce dialogue où j’ai pu lui demander si l’ABM américain
pouvait avoir quelques conséquences sur l’évolution de notre dissuasion
nucléaire.
Quand le général mène la fronde contre la défense antimissiles balistique de territoire de l’EPAA (European Phased Adaptive Approach)
de l’administration Obama, l’équivalent de l’ABM américain, en Europe,
il aime revenir sur les fondements des dissuasions nucléaires américaine
et française.
Les
explosions des deux premières bombes nucléaires américaines sur
Hiroshima et Nagasaki (1945) s’accompagnent après la guerre d’une
volonté de « dominance » des États-Unis qui souhaitent tirer
les bénéfices politiques du pouvoir nucléaire et ne le partager avec
personne. Dès lors, ils commencent à pratiquer une dissuasion « du fort au faible » c’est-à-dire à développer une capacité de première frappe
suffisante pour désarmer tout adversaire potentiel et se mettre ainsi à
l’abri de ses représailles. C’est l’explosion de la bombe atomique
soviétique (à fission, le 29 août 1949) qui va permettre l’apparition
d’un dialogue entre les deux puissances nucléaires. Mais c’est aussi
l’apparition d’autres bombes -anglaise, française et chinoise- qui
achève de complexifier le jeu nucléaire qui n’est plus un « je »
américain. Dès lors, les États-Unis ne peuvent retrouver la suprématie
nucléaire, c’est-à-dire une capacité de première frappe sans risque de
représailles, qu’en disposant d’un bouclier anti-missile efficace.
Ainsi, le RIM-8 Talos, engin anti-aérien de la série « T » des
années 60, était semble-t-il une première ébauche d’une défense contre
les missiles balistiques pour l’US Navy.
La
crise de Cuba de 1962 permet de calmer le jeu et de poser les bases
d’un dialogue fructueux (sur le plan nucléaire) entre les deux
supergrands, et le traité ABM de 1972 enterre, pendant un temps, toutes
prétentions à casser l’équilibre qui s’est construit entre les deux
grands.
La dernière bataille de la
Guerre froide a été la relance de la course aux armements dans les
années 80, dont le point d’orgue est le lancement de l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) du président Reagan, qui a conduit à l’épuisement de l’économie soviétique.
L’URSS
disparue, l’IDS et ses suites perdureront : le traité ABM n’est plus
là, et les États-Unis tentent de saisir l’occasion pour reconstruire une
« dominance » de l’espace mondial, tant par des moyens
conventionnels que nucléaires. L’ABM doit permettre de retrouver la
suprématie nucléaire perdue avec l’apparition de la bombe soviétique et
la prolifération nucléaire. La mise sur pied d’un système antimissile
efficace permettrait de mettre en échec la dissuasion « du faible au
fort » des nouvelles ou potentielles puissances nucléaires.
En
effet et c’est une constante, une partie importante des stratèges
américains ont toujours refusé la logique de la dissuasion nucléaire car
elle revient à accepter, si elle échoue, de subir une première frappe
adverse avant de riposter. Or la mentalité «cow-boy» est
fortement ancrée chez les militaires et les stratèges américains : c’est
celui qui dégaine et qui tire le plus vite qui sort vainqueur de
l’affrontement. C’est dans cette logique et, en dehors de tout mandat de
l’ONU, que, prenant prétexte de l’existence d’armes de destruction
massive en Irak, le texan George Bush junior a décidé la seconde Guerre
du Golfe ; c’est pour cela aussi qu’un débat existe actuellement aux
États-Unis sur la nécessité de lancer une attaque préemptive contre le
potentiel nucléaire iranien en cours de constitution.
Il va s’en dire que le pari est audacieux, au regard des résultats de l’avatar actuel de l’ABM : les missiles GBI (Ground Based Interceptor) ont, au mieux, une réussite de 50%. Ce sont plutôt les missiles SM-3 de l’US Navy
(couplés au système AEGIS) qui donnent les meilleurs résultats lors des
essais : autour de 70%. Bien entendu, il est difficile de parler d’un
bouclier avec une telle passoire. L’interception de missiles balistiques
d’une portée de 2000 km, comme celle du missile iranien Sejil 2,
est, en effet, très difficilement réalisable car, entre le moment où le
tir est décelé et la phase d’impact, on ne dispose que de 15 à 20
minutes pour prendre une décision, lancer un missile anti-missile et
espérer toucher une cible qui fonce vers la terre à une vitesse de 4 à 6
km par seconde.
Pour
qu’un bouclier anti-missile soit efficace, il devrait être capable
d’arrêter à coup sûr un missile équipé d’une tête nucléaire. Cela
implique un système en alerte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, un
processus de décision quasi-automatique et surtout une capacité
démontrée d’interception de 100%. En effet, on ne peut pas accepter le
risque qu’un missile équipé d’une tête nucléaire atteigne son objectif.
Or il n’existe aucune preuve qu’un taux d’interception voisin de 100%
soit réalisable.
C’est
pour cette raison que tous les théoriciens de l’arme nucléaire, et en
particulier Lucien Poirier et le Général Gallois, ont bâti une stratégie
basée sur la dissuasion nucléaire du faible au fort:
signifier à tout agresseur potentiel qu’une attaque qui mettrait en
cause nos intérêts vitaux entraînerait automatiquement des représailles
nucléaires massives sur ses villes. Dès lors, il n’est pas question de
concurrencer les deux grands et de tenter de pouvoir annihiler une force
considérablement supérieure. Mais les forces stratégiques françaises
doivent pouvoir mener des représailles, même après une première frappe
destinée à détruire son potentiel nucléaire. Le vocable utilisé sera
l’expression de « capacité de seconde frappe » et les SNLE seront
l’incarnation de cette expression. Il y aura également une composante
terrestre fixe (le plateau d’Albion).
Le
problème inhérent à cette capacité de dissuasion est qu’elle
s’apparente à une stratégie du tout ou rien. Que faire donc si les
divisions soviétiques menaçaient d’envahir notre territoire? La
stratégie de dissuasion est alors complétée par la notion « d’ultime
avertissement » que doivent donner à l’adversaire l’arme nucléaire
tactique, lui signifiant que nous considérons que nos intérêts vitaux
sont mis en cause par son agression. Les forces atomiques nationales
vont ainsi s’articuler entre celles dédiées à l’ultime avertissement
(Mirage IV, missiles Pluton) et celles devant causer des dommages
considérables à un éventuel assaillant, au point de le dissuader de
tenter l’aventure.
Les
vecteurs nucléaires français ont très bien traversé les épreuves à coup
de modernisations successives. D’une part, des « aides à la
pénétration » ont même été inclues pour tenir compte des développements
en URSS et aux États-Unis, puis face aux développements américains issus
de l’IDS. D’autre part, les missiles balistiques français embarqués à
bord des SNLE ont évolué du M-2 au M-51. Cette succession d’évolutions a
permis d’augmenter considérablement les zones de patrouilles des
navires de la FOST (grâce à l’augmentation de la portée des missiles
embarqués), et par conséquence, de renforcer leur crédibilité rendant
leur localisation encore plus difficile.
Enfin,
est-ce que la France doit participer à la défense antimissile
balistique de territoire, adoptée dans son principe à l’OTAN ? La
réponse découle des explications du général Pinatel : non, ce n’est pas
l’intérêt de la France de favoriser tout ce qui peut affaiblir sa
capacité de dissuasion nucléaire. Mais surtout, l’EPAA de
l’administration Obama (relance des sites de l’ABM américain en Europe
suite à l’échec du projet de l’administration Bush -installation de
missiles GBI-, qui ne permettait aucune protection des territoires
européens contre les menaces balistiques) n’est dirigée, dans les
discours, que contre la « menace » iranienne. Dans cette optique, il y
aura l’installation et le pré positionnement de missiles SM-3 (les
destroyers Arleigh Burke AEGIS/SM-3 de la Rota, Espagne, et d’autres destroyers et croiseurs AEGIS en mer Noire). Hors, et comme l’explique très bien le général dans un de ses billets, la menace iranienne n’existe pas contre l’Europe !
Les
développements de l’ABM servent, notamment, et peut être
essentiellement, à faire tourner les industries de défense américaines.
Une partie des Européens y répondent favorablement en s’équipant de
missiles SM-3 pour leurs navires, construits autour du système AEGIS
qu’ils ont acquis. C’est par exemple le cas des Pays-Bas
qui viennent de franchir le pas en annonçant la mise à jour du système
d’armes de leurs navires et l’acquisition de missiles SM-3. Les marines
de la Norvège, du Danemark et de l’Espagne pourraient franchir également
le pas. Dans ce cas ou bientôt ces cas, il ne s’agit pas tant de
répondre à une menace. Comme pour le programme JSF, et surtout, comme
pour le contrat du siècle où ces pays ont acquis des F-16, il est
question d’acheter la présence américaine en Europe : ces dépenses
militaires aux États-Unis compensent les frais de stationnement des
troupes américaines en Europe.
Pour
conclure, le général Pinatel insiste bien pour affirmer que la
dissuasion nucléaire française est crédible et que c’est notre seule
assurance pour nous garder de tout acte hostile recourant à des « armes
terribles » (discours de l’Île Longue de 2006 du Président Chirac) et
qu’elle nous permet de préserver notre rang.
Cette synthèse est claire, elle démontre aussi la nécessité pour la France de conserver une armée (au sens large) forte et une souveraineté totale.
RépondreSupprimerLes clients des USA ne prennent pas leur responsabilité... Mais c'est la rançon de 70 ans de sommeil.