Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





16 mars 2018

Syrie : première utilisation du MdCN ?

© Marine nationale - L. Bernardin. Premier tir de MdCN depuis la FREMM Aquitaine en mai 2015.
L'enchaînement des actions militaires en Syrie de la part des protagonistes voit les anti-chambres des chancelleries envisager ouvertement un nouvel emploi coercitif de la force depuis les frappes ordonnées par le président Donald J. Trump (59 missiles Tomahawk, 6 avril 2017). Dans cette perspective, et à nouveau depuis le mois d'août 2013, une action militaire française en coalition, voire autonome - dixit le CEMA -, est de nouveau évoquée. Quelle participation navale est-elle envisageable ?

Il n'est pas question ici de reprendre l'ensemble des éléments pouvant conduire à l'emploi de la force afin d'interdire au régime syrien l'emploi de gaz de combat ou de réduire ses capacités militaires. En tous les cas, il y a fort peu de doutes dans ces lignes sur un emploi de ces gaz alors qu'un nouveau rapport onusien fait état, une fois encore, d'éléments laissant entendre la reconstitution d'un arsenal chimique malgré l'existence d'un contrôle russe sur la suppression du précédent. Pas plus qu'il ne sera question de l'emploi de tels armes par d'autres protagonistes de ce conflit car ils n'appartiennent pas à l'une des catégories des groupes armées non-étatiques légitimes pour fonder un État et donc participer à l'édiction d'un ordre international.

De manière très modeste, il s'agit de proposer un bref aperçu des capacités navales de frappe françaises en fonction de ce qui est pressenti comma la demande du politique. Le gouvernement semble décidé à donner du crédit aux lignes rouges édictées au sujet de l'emploi d'armes chimiques tout en cherchant une nouvelle porte d'entrée dans le processus diplomatique autour de la guerre civile syrienne, Paris en étant grandement exclu depuis la volte-face de 2013 et l'intervention russe de 2015. Cela revient autant à demander ce qu'il est possible de faire sur le plan militaire et ce qui peut en être attendu sur le plan stratégique.

Le débat porte actuellement sur la puissante mais simple liaison entre la volonté d'édicter des lignes rouges sur le plan diplomatique et de leur crédibilité. Rendre crédible une telle assertion à imposer des lignes rouges à autrui suppose de pouvoir les faire respecter, par la force si besoin était. En 2013, cette crédibilité s'est effondrée. Mais depuis les élections générales dans les pays concernés, les États-Unis affichaient un changement de braquet en procédant à telles frappes le 6 avril 2017. Et la France étudierait la possibilité d'en faire autant en mars 2018, en toute autonomie si besoin était.

Après plus de sept années de guerre civile en Syrie (2011 - ...), les capacités de défense aérienne du régime syrien demeurent largement opérationnelles. Et elles ne sont plus seules puisque l'intervention russe depuis 2015 s'est, notamment, matérialisée par le déploiement côtier d'une bulle de défense aérienne navale ponctuelle à l'installation de systèmes S-400 russes en Syrie dès 2015 suivis de S-300 (S-300V et plus ?) en 2016.  Ces batteries couvrent largement le territoire syrien, tout particulièrement le régime d'Assad.

Le récent raid israélien du début du mois de février démontrait que ces défenses pouvaient être contournées, voire détruites pour certaines. Cette action matérialise plusieurs problématiques : la présence des systèmes anti-aériens russes imposent, de facto, à les prendre en compte et à négocier une déconfliction aérienne totale ou partielle du ciel syrien. En outre, la suppression de défenses aériennes syriennes en lien avec la réduction des capacités militaires du régime revient à employer une force de frappe mêlant plusieurs capacités opérationnelles. Aussi, c'est prendre et assumer le risque de pertes humaines et matérielles, d'où le nécessaire emploi de capacités de récupération d'équipages (CSAR), ce qui n'enlève pas le risque de capture des équipages. Enfin, chaque système d'arme a un taux d'échec qu'il n'est pas élégant d'avancer sur le plan commercial. Chaque missile de croisière n'atteignant pas sa cible représente autant du pain béni pour la propagande qu'une perte relative de crédibilité militaire qu'une dispersion involontaire de matériaux technologiques. 

Ces contraintes à l'esprit, les armes guidées de précision tirées à distance de sécurité furent, justement, conçues dans l'optique de percer les systèmes de défense aériens les plus complexes tout en protégeant le porteur. Dans cette perspective, l'emploi de missiles de croisière dans pareilles frappes d'interdiction, de réduction et d'avertissement est pertinent. En France, l'Armée de l'Air et la Marine nationale depuis peu disposent toutes les deux de missiles de croisière SCALP-EG (Aéronavale comprise) et MdCN (Missile de Croisière Naval). Le deuxième est directement dérivé du premier mais d'une portée plus importante (environ 1000 km contre environ 4 à 500 pour le SCALP-EG), il emporte moins d'explosifs (250 contre 400).

L'emploi de ces munitions suppose un ensemble de capacités humaines et technologiques afin que le processus de ciblage puisse accoucher de dossiers d'objectifs : c'est-à-dire qu'un ensemble de renseignements d'origine satellitaire (image et électromagnétique), navale et aérienne porté par des analyses géographiques doivent permettre aux missiles de trouver leurs cibles.

Sur le versant naval de l'affaire, un premier lot de MdCN (50 à 60 unités selon les sources) est en cours de livraison depuis le mois de janvier 2017. Supposons que la majeure partie de ce premier lot sur les 200 unités commandées au total est déjà livrée. Les SNA de classe Rubis n'ont pas été adaptés au MdCN prévu pour la classe Suffren dont la première unité devait être admise au service actif en 2012 (2020, au final). C'est pourquoi il est légitime de penser que les 50 missiles prévus pour les SNA ne seront pas livrés avant l'année 2020 pour les premières unités.

Combien de frégates peuvent porter le MdCN et donc combien l'emportent effectivement dans les silos. Selon les informations obtenues en sources ouvertes, les frégates suivantes sont localisées à :
  • Aquitaine : Méditerranée orientale, mission Chammal ;
  • Provence : retour de l'exercice TG 18.1 mené au large des côtes norvégiennes ;
  • Languedoc : intégré à l'exercice Dynamic Manta 2018 à proximité du canal de Sicile ;
  • Auvergne : présumée à Toulon depuis décembre 2017 suite à son retour de mission en Asie ;
  • Bretagne : présumée à Brest, elle débutait ses essais à la mer fin 2017 ;
  • Normandie : mise à l'eau le 1er février 2018 à Lorient.
Une FREMM est d'ores et déjà sur zone tandis que deux autres frégates pourraient l'être sous 48 à 96 heures, voire une troisième si l'ordre était donnée à la Provence de rejoindre la Méditerranée. Combien de MdCN peuvent-ils dormir dans les silos de ces frégates ? En supposant qu'une cinquantaine de ces missiles aurait été livrée, dix à seize d'entre eux pourraient être ensilotés selon le panachage retenu avec les Aster 15 fonction des scénarios opérationnels définis. 

En outre, il convient de relever que la frégate de défense aérienne Jean Bart est aussi intégrée à l'opération Chammal et est en Méditerranée orientale. Ses capacités en matière de guerre électronique sont précieuses pour cartographier des systèmes anti-aériens adverses autant que pour écouter le trafic local. Cela revient aussi à dire que la jonction de quatre frégates françaises - le Jean Bart plus trois Aquitaine - constituerait un réservoir de 144 missiles (SM-1, Aster 15 et MdCN) : un peu plus que le GAn dans sa plus simple expression (112 missiles). L'ensemble des radars des bâtiments peuvent prétendre à assurer conjointement une importante couverture du ciel syrien. Aussi, la participation d'un SNA s'avérera nécessaire tant les eaux du bassin oriental de la Mer Méditerranée sont un véritable nid où prolifère ce type de bateaux. Le contrôle du volume sous-marin, en plus de celui aérien, s'accompagnera également d'une participation à la campagne de guerre électronique, en particulier la surveillance du trafic sur les ondes.

30 à 54 MdCN pourraient être rassemblés du côté de la Marine nationale, fonction du nombre de frégates concentrées. Entre parenthèses : s'ils étaient tous tirés (48 missiles) alors 27% de la dotation théorique de la programmation militaire - mais 33% des MdCN prévus pour frégates - aurait été consommée en une seule action. Cette action pourrait dessiner la doctrine d'emploi des MdCN en France : décapitation d'un ensemble de capacités dispersées sur le théâtre ? Frappes ponctuelles et répétées dans le cadre d'une dialectique des volontés ? En tous les cas, pareille action ferait de la Marine nationale la troisième marine en Europe à employer en opérations des missiles de croisière tirés depuis des plateforme navale après la Royal Navy et la VMF, la deuxième à le faire depuis des bâtiments de surface après la VMF.

L'Armée de l'Air - avec le concourt éventuel des Rafale M de l'Aéronavale - peut rassembler un certain nombre de Rafale B, C (et M ?). Les Rafale de l'Armée de l'Air portent deux SCALP-EG tandis que les Rafale M sont réputés n'en porter qu'un seul à bord des porte-avions : en va-t-il de même à terre ? Il est imaginable qu'ils puissent être projetés à partir de la métropole plutôt que depuis la base aérienne de l'IMFEAU ou la base aérienne projetée en Jordanie afin de préserver autant que faire ce peu l'effet de surprise.

C'est-à-dire que la Marine nationale peut fournir une capacité de contrôle et de surveillance du ciel syrien en liaison, éventuellement, avec un E-3F AWACS de l'Armée de l'Air. Le nombre de missiles SM-1 et Aster 15 développent une capacité d'auto-défense et non pas d'interdiction faute de missiles à longue portée (à la manière des Aster 30 et SM-6). La Marine nationale et l'Armée de l'Air peuvent concourir à lancer simultanément près d'une cinquantaine de missiles de croisière, ce sera fonction de la puissance du message politique à transmettre et des contingences militaires.

Une campagne ciblée semble alors pouvoir être menée sur des objectifs limités si la diplomatie française agit en bonne intelligence avec la Russie. Dans le cas contraire, la combinaison, voire la coordination des défenses aériennes russes et syriennes peut prétendre à faire chuter drastiquement le taux de réussite d'une borée de missiles de croisières. D'où la remarque sur les images de missiles détruits ou détournés de leurs objectifs par des moyens de guerre électronique. Autant de question qui reviendrait à poser celles d'actions de suppression des défenses aériennes adverses - sauf celles des Russes, bien entendu - et donc des capacités françaises en la matière. Le couple Rafale/2ASM avait fait merveille en Libye, au point d'attirer l'attention des militaires américains. C'est pourquoi il s'agirait de mesurer les capacités d'action militaire autonome, et non pas indépendante, sur un ensemble des segments opérationnels qui ont trait à l'entrée en premier sur un théâtre qui demeurent l'une des clefs de voûte de la stratégie militaire française - autonomie d'appréciation, de décision et d'action. Ce serait l'occasion de vérifier une autre crédibilité : celle de la LPM (2019 - 2025) vis-à-vis du livre blanc de 2013 et de son actualisation par la Revue stratégique de 2017.

En cas de lancement des missiles de croisière, une part conséquente des MdCN pourrait être consommée en une seule fois : comparativement aux États-Unis et à la Russie, la répétition ne pourra qu'être aérienne, limitant d'autant la coercition de cette phase du dialogue stratégique. C'est là qu'il est possible de mesurer l'influence des missiles de croisière s'ils ne sont pas disponibles en nombre comparativement à une base aéroterrestre ou aérienne projetée, à un groupe amphibie ou aéronaval croisant constamment au large des côtes visées. Et faute d'une présence au sol - propre ou couplée - d'ampleur suffisante, il n'est pas envisageable de faire autre chose qu'une réduction des capacités militaires adverses, non pas d'effets stratégiques majeures faute d'un nombre de munitions et de capacités militaires suffisantes, faute d'appuyer une progression au sol directement rattachée à la stratégie diplomatique française.

L'effet coercitif recherché ne sera pertinent que s'il est rattaché à d'autres éléments d'une offensive diplomatique car la dynamique militaire sera d'une durée brève. Par contre, s'il était possible de réduire le potentiel militaire syrien malgré l'opposition russe, la France pourrait faire une nouvelle entrée dans la résolution du conflit syrien tout en écornant l'image dispensée par Moscou d'un bouclier utile à la région derrière lequel s'abriter.

4 commentaires:

  1. A lire votre article la validation de la doctrine semble bien plus justifier cet usage qu'une éventuelle raison politique.

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  2. L'exemple syrien est symptomatique d'une évolution peu prise en compte dans la nouvelle LPM: l’avènement inéluctable des missiles et des drones dans les guerres du 21 ème siècle.
    Il souligne à contrario les limites de l'emploi du porte avions quand celui-çi n'est pas soutenu par un ensemble de forces puissant, ce qui est le cas de l'unique porte avion français.
    Il relance enfin par effet de symétrie l'intérêt des "Arsenal ship" c'est à dire , pour faire court , des bâtiments (de surface ou submersibles) porteur de missiles de croisière, dont le rapport effets/coût/risques est beaucoup plus favorable.
    Nos législateurs qui sont prêts à dépenser un centaine de millions d'Eros pour les études amont du futur PA national devraient y réfléchir.

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  3. Houla, sur qui voulez-vous tirer ces missiles, DAECH et les groupes terroristes islamiques je suppose, sinon je n'en vois pas l'utilité. Bien entendu je ne doute nullement de votre courage ni de votre patriotisme car je ne doute pas un instant que vous feriez le même choix que le colonel Beltram à Trèbes.

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  4. Reste que pour donner une crédibilité à la définition de "lignes rouges" il conviendrait de s'assurer tout d'abord qu'elles ont bien été franchies, et les "casques blancs" ne sont pas vraiment une source fiable. Sans cela, nous courons le risque de nous ridiculiser au plan diplomatique comme au plan intérieur.

    Mais en ces temps, la communication compte plus que la réalité, alors allez savoir...

    Un autre abord de cette situation : vous considérez de façon raisonnable que la France n'attaquera pas le système de défense aérienne Russe. Mais pensez-vous que les Etats-Unis s'abstiendront également ?

    Merci et bonne journée

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