Le programme nEURON s'inscrit dans le mouvement initié par les drones X-45 et X-47 Pegasus (de Northrop Grumman). Ces trois programmes ont pour ambition de développer des démonstrateurs valides de drone UCAV (Unmanned Combat Air Vehicle ). A la différence près que les deux drones américains ont été lancés pour valider tant leurs versions terrienne que navale. Et c'est bien là la différence. L'Europe par le biais du programme nEUROn s'essaye à rattraper le retard sur les USA, mais pas sur les capacités aéronavales. Et cela malgré une certaine expertise européenne comme l'a démontré l'appontage automatique du Camcopter sur la frégate Montcalm.
Un enjeu : préparer l'avenir
Les
programmes d'avion de chasse Rafale, Gripen et Eurofighter sont lancés.
Le Gripen est pleinement entré en service et le Rafale sera peut-être
bientôt présent dans des armées non françaises. Mais l'Eurofighter
semble souffrir d'un profond désintérêt qui va croissant, surtout depuis
l'avènement du programme JSF (ce qui n'est pas l'objet de l'article).
Toutefois, se pose la question de l'entretien du savoir-faire des
bureaux d'études aéronautiques européens et du maintien des compétences,
permettant de garantir l'autonomie et la compétitivité de la base
industrielle de défense de l'UE. On n'est plus à la période faste des
années 70 où les bureaux d'études français, par exemple, fonctionnaient à
plein : Mirage G, G4, G8, Mirage 2000, 4000, F1, F2... etc.
Il
faut donc pouvoir continuer à développer les capacités des bureaux
d'études en vue d'assurer la transition et la suite des programmes
d'avion de chasse. Leur remplacement se pose d'ores et déjà aujourd'hui.
Alors quoi de mieux qu'un démonstrateur européen, qui plus est un
drone, pour faire ce travail ? Le démonstrateur est moins coûteux, moins
dangereux à développer pour les pilotes d'essais. C'est un bon choix,
mais également une pirouette pour éluder la question de l'avenir de
l'aviation de chasse : avion de chasse piloté, non-piloté ou les deux,
i.e. des avions pilotés travaillant avec des drones. C'est donc en
partant de cette réflexion et de ce besoin qu'a été lancé le programme
nEURON. Il est de la catégorie des UCAV : Unmanned Combat Air Vehicle et
vise à répondre à trois grands défis (selon le site de Dassault
Aviation) :
- le développement des technologies stratégiques que les États-Unis possèdent - ou possèderont - et qui ne seront jamais transférées à l'Europe ;
- le maintien de ses pôles d'excellence. L'industrie européenne a en effet développé des niches technologiques dans plusieurs domaines et, par faute de plan de charge, ce savoir-faire risque de disparaître ;
- le maintien du plan de charge de ses bureaux d'études.
Est
ici reproduit le discours officiel qui guide le programme nEURON :
entretenir les capacités européennes et développer les technologies que
les États-Unis ne transféreront pas à l'Europe. C'est un programme
d'armement à visée politique. C'est aussi un choix contraire à certaines
pratiques. Le but affiché est bien l'Europe de la défense et la
plénitude des capacités européennes, leur autonomie au moins. Cette
volonté explique l'absence du Royaume-Uni dans ce programme qui n'a pas
fait seulement cavalier seul, mais qui se refuse surtout à le rejoindre
par respect. De quoi ? Celui des traités signés avec les Etats-Unis
concernant notamment le développement des capacités furtives. Cette
absence expliquerait la participation du royaume dans le programme JSF.
Ce sont bien deux choix stratégiques qui s'affrontent.
Revenons-en
au nEURON. Le démonstrateur vise aussi à développer des capacités
opérationnelles pour démontrer l'utilité qu'il pourrait avoir sur un
champ de bataille :
- l'exécution d'une mission air-sol, insérée dans un réseau C4I ;
- la réalisation d'une plate-forme furtive, tant dans le domaine de la signature radar que dans celui de la signature infrarouge ;
- le tir d'armements à partir d'une soute interne avec des délais très courts.
Un modèle industriel novateur
Ce
programme regroupe la Suède, l'Italie, l'Espagne, la Grèce, la Suisse
et donc la France (la Belgique est attendue). Russes et Allemands ne se
sont engagés dans aucun programme similaire. nEURON prend forme lors du
du Salon international de l'aéronautique et de l'espace du Bourget en
2003. Il est formalisé alors par Michèle Alliot-Marie, ministre de la
Défense. « Ces pays ont choisi de mettre en commun leurs compétences
industrielles et technologiques dans le but de garantir l'autonomie
européenne dans le domaine de l'aéronautique militaire, en renforçant
les synergies entre les entreprises du secteur » nous dit la DGA. Cette
dernière est en effet agence exécutive du programme et elle a notifié à
Dassault Aviation la maîtrise d'œuvre (et non d'ouvrage) du programme
(à comparer avec le rôle de l'OCCAR).
Il
est mené en coopération avec Thalès et les industriels des différents
pays partenaires : Saab, Alenia, EADS Casa, HAI et RUAG Aerospace pour
le développement et la réalisation. La coopération entre les différents
intervenants n'a pas pour but de développer de nouvelles capacités. Mais
bien de tirer parti des capacités existantes des différents industriels
pour que la somme de leur valeur ajoutée technologique permette la
réussite du programme. Les différents intervenants amènent leur
savoir-faire :
- Alenia (Italie) qui contribue, entre autres, au projet par un concepteur novateur de soute interne d'armements (Smart Weapon Bay), les portes de soute et leur mécanisme d'ouverture, ainsi que par la conception et la réalisation du système électrique de la plate-forme, l'anémomètrie et une partie des essais au sol et en vol ;
- SAAB (Suède) qui se voit confier la forme générale, le fuselage équipé, l'avionique, le système de carburant et une part des essais en vol ;
- EADS (Espagne) qui apportera son expérience pour les ailes, le segment sol et l'intégration de la liaison de données ;
- Hellenic Aerospace Industry (HAI) (Grèce) qui sera responsable de la section arrière du fuselage, de la tuyère, ainsi que des bancs d'essais ;
- RUAG (Suisse) qui prend en charge les essais de soufflerie et les interfaces entre la plate-forme et les armements ;
Outre
la maîtrise d'œuvre du projet, Dassault Aviation, est responsable de la
conception générale et de l'architecture du système, des commandes de
vol, de l'assemblage final, ainsi que des essais au sol et en vol.
Il
faut bien comprendre que c'est un programme européen de « nouvelle
génération ». On quitte la cacophonie des programme NH90 et autre A400M,
dont le modèle industriel a montré ses limites. Ici on met en oeuvre un
nouveau modèle. Il s'affranchit un peu des instances européennes
puisque c'est la DGA qui en est l'agence exécutive et non l'OCCAR.
C'est
aussi dans ce cadre que la pertinence industrielle de Dassault
s'exprime grâce à ses suites logiciels CATIA et son « plateau virtuel ».
Ce dernier permet à tout les intervenants de construire virtuellement
la machine en pouvant y inclure les composants dont il est responsable,
et voir si cela « rentre ». Cette façon de faire a été récompensée par
le début de succès du Falcon 7X.
C'est
donc peut-être la petite revanche de Dassault qui n'a pas été maître
d'œuvre de l'Eurofighter (nous reviendrons dans un autre article sur
les luttes et coopérations en matière de développement d'avion de chasse
européen). Mais c'est surtout un schéma qui valorise les différents
industriels européens parties prenantes et qui permet une coordination
de la Base Industrielle et Technologique de Défense Européenne.
nEURON
est désormais engagé, pour un montant total de 405 millions d'euros. Ce
marché permet de lancer la phase de conception et de définition du
système pendant trois ans, notamment sur les technologies de furtivité.
Celle-ci sera suivie du développement et de l'assemblage du drone pour
un premier vol en 2011. Les essais en vol auront lieu en France, en
Suède et en Italie.
Et après ?
Pour
demain, aucune suite concrète n'est encore dessinée à ce programme. On
évoque des capacités air-air mais pas de mise en service opérationnelle
du nEURON. Et encore moins de programme dérivé. D'ailleurs, les
américains eux-même n'ont pas donné suite aux programmes X-45 et X-47.
Pourtant l'Europe aura refait une partie de son retard sur les
Etats-Unis, acquérant ainsi dans ce domaine crucial pour le futur une
certaine autonomie. Et ce travail en coopération laissera de lourdes
traces dans la tête des industriels et des gouvernement européens
concernés.Ce programme ne fait pas grand bruit. Et pourtant, c'est
l'avenir de l'aviation de chasse européenne. Les différentes
technologies développées ainsi que le modèle industriel dessinent
peut-être le "Rafale de demain". L'avenir sera-t-il un drone UCAV ou un
Rafale de cinquième génération ? Le nEURON devrait permettre de
commencer à y répondre. De plus, l'architecture industrielle et les
différents partenaires préfigurent-ils le casting de demain ? Bien
heureux celui qui pourrait répondre aujourd'hui.
Nous
nous attacherons à essayer de montrer dans un prochain article la
pertinence de ce genre de drone. Notamment dans l'aéronavale où il
pourrait changer lourdement la donne. Nous espérons aussi montrer que le
programme nEURON, outre l'intérêt capacitaire qu'il représente, est
également une bataille supplémentaire dans la lutte pour le leadership
des programmes européens d'avion de chasse.
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