© U.S. Navy. Lancement d’un Chance Vought SSM-N-8A Regulus depuis le pont d’envol du CVS-37 USS Princeton. |
L'introduction de l'atome, tant dans la propulsion des plateformes que comme explosif, avivait la rivalité interarmées, aussi bien aux États-Unis (« Revolt of the Admirals » (1949) qu'en France. Dans notre pays, l'Armée de l'Air constituait, la première, la composante aéroportée, appelée un temps « force de représailles massives » dont le vecteur était le Générale aéronautique Marcel Dassault Mirage IVA, mettant en œuvre comme arme atomique la première bombe à gravitation française, l’AN-11 (60 kt) dès le 8 octobre 1964.
La Marine nationale aurait pu être la première à constituer une composante nucléaire :
Les dossiers du Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA) conservent, sous les noms cas I à V, les cinq demandes de brevets déposées les ler mai 1939 (I – « Dispositif de production d'énergie »), 2 mai 1939 (II - « Procédé de stabilisation d'un dispositif producteur d'énergie »), 4 mai 1939 (III - « Perfectionnements aux charges explosives »), 30 avril 1940 (IV – « Perfectionnement aux dispositifs producteurs d'énergie ») et 1er mai 1940 (V – « Perfectionnements apportés aux dispositifs de production d'énergie ») par MM. Hans Heinrich von Halban, Jean-Frédéric Joliot, Lew Kowarski et Francis Perrin. Demandes qui ont été cédées à au Centre National de la Recherche Scientifique (Caisse Nationale de la Recherche Scientifique jusqu'à la fin 1939) puis, après la guerre, au CEA.
La coopération nucléaire entre Londres et Washington, après l'entrée en guerre des États-Unis, se fit rapidement au détriment de la coopération nucléaire militaire française avec le Royaume-Uni. Les atomiciens de la France libre - MM. Hans Heinrich von Halban, Lew Kowarski, Pierre Auger, Bertrand Golshmidt et Jules Guéron - furent exclus du projet américain de bombe atomique. Les atomiciens français s'orientèrent dans leurs travaux vers la construction d'une pile atomique à eau lourde alimenté par de l'uranium naturel. Avec le retour de la France dans les combats de la Deuxième Guerre mondiale, ils apportèrent leur contribution aux travaux américano-britanniques fin 1942. Mais l’'accord de Québec, signé par Winston Churchill et Franklin Roosevelt à Québec, le 19 août 1943, dans le cadre de la conférence militaire de Québec (17 – 24 août 1943), constitué une entente secrète entre les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni pour développer les armes atomiques et qui excluait, de facto, la France.
Les atomiciens français permirent la reprise rapide des recherches en France. La Marine nationale procédait à sa reconstruction et au déblaiement des dommages de la guerre (1945 – 1949) avant que n’intervienne la Renaissance navale (1949 – 1955) sous la IVe République, avec l’appui décisif des commandes offshore des États-Unis d’Amérique, permettant de lancer les séries d’escorteurs d’escadre, rapides et côtiers.
Le SSN-571 USS Nautilus (1954 - 1980) était mis sur cale le 14 juin 1952. La coque est lancée le 21 janvier 1954. Il était par la suite achevé. Se déroulait alors les essais constructeur, à quai et en mer, puis ceux de l’US Navy. C'est le 17 janvier 1955 que le Commander Eugene P. Wilkinson transmis à 11h00 (heure de la côte Est) le télégramme historique de la construction sous-marine, et même navale : « Underway on Nuclear Power ».
Le programme, et surtout ce télégramme, achève une recherche vieille comme l’arme sous-marine : le « moteur unique », permettant de se dispenser de la combinaison de deux sources d’énergie, l’une pour la navigation en surface, l’autre pour la navigation en plongée, et donc de permettre l’avènement du « sous-marin pur » sous la forme du sous-marin atomique.
L'Amiral Henri Nomy (26 octobre 1951 - 30 juin 1960), chef d’état-major de la Marine nationale, rédigeait un rapport (1956) portant révision du Statut naval de 1955. Il s’agissait d'inclure des bâtiments à propulsion atomique par la modification de la deuxième phase du Statut naval de 1955, devant s’achever en 1970 : sur les 180 000 tonnes prévues, 120 000 serviraient à la constitution de la Force opérationnelle atomique, les 60 000 autres étaient destinées à lancer des bâtiments de soutien.
Le format de chacune des deux périodes triennales devait aboutir à la mise sur cale des bâtiments suivants :
- un porte-avions ou croiseur lance-engins,
- trois croiseurs escorteurs,
- deux sous-marins atomiques,
- un bâtiment base atomique.
Le programme d'ensemble du CEA, lancé par Félix Gaillard et voté par le Parlement en 1952, prévoyait, notamment, la construction de deux sous-marins (1956 – 1961). Les premières études d’un sous-marin atomique français débutaient dès 1953, soit quelques mois à peine après la mise sur cale du SSN-571 USS Nautilus (1954 - 1980). Selon Jean Sabbagh, qui fut membre de la délégation française à l'OTAN, Mendès France est venu au soir du 19 octobre 1954 après la conclusion des Accords de Paris (23 octobre 1954). « Il y a dit qu'on allait faire ce sous-marin pour ne pas se faire devancer par les Allemands, et il a fait référence historique à l'industrie allemande dans les années 1920. » (François Béda- rida, Jean-Pierre Rioux (clir.), Pierre Mendès France et le mendésisme, l'expérience gouvernementale et sa postérité (1954-1955), Paris, Fayard, 1985, p. 532)
Des demandes avaient été soumises en 1954 aux États-Unis d’Amérique quant à la fourniture d’uranium enrichi, en vertu de la révision de l’Atomic Energy Act of 1946 (en vigueur le 30 décembre 1945). Cette loi a déterminé comment les États-Unis contrôleraient et géreraient les technologies nucléaires issues de la coopération avec les Alliés, sous-entendus avec le Royaume-Uni et le Canada. Mais, et malgré sa révision par l'Atomic Energy Act of 1954 (30 août 1954) dans le cadre du programme « Atoms for Peace » du gouvernement du Président Dwight David Eisenhower (20 janvier 1953 – 20 janvier 1961), les demandes françaises de fourniture d’uranium enrichi recevaient invariablement une réponse négative.
Le programme de sous-marin atomique français est engagé en 1955. La France metait sur cale le Q244 le 2 juillet 1955 aux chantiers de la DCAN de Cherbourg. Faute d’approvisionnement en uranium enrichi, la filière dite à eau lourde et uranium naturel est retenue. Mais la coque – malgré ses 110 mètres pour un diamètre de 8,5 mètres et un déplacement en plongée supérieur à 5 000 tonnes – finit par devenir intrinsèquement incohérente avec le moteur atomique alors en développement. L’échec, avéré, est reconnu en 1958 et le Q244 abandonné à Cherbourg.
La France se rapprochait des États-Unis en 1958. Les Américains ne s’étaient pas montrés insensibles aux difficultés françaises dans l’aventure du Q244 (1952 – 1958). Et la deuxième révision de l’Atomic Energy Act of 1946, en 1958, permettait aux États-Unis de partager des informations avec leurs proches alliés. Des propositions d’assistance furent faites à la France qui demandait, à nouveau, la fourniture d’uranium enrichi. Le Congrès débattait de l’intérêt d’en approuver l’accord. Dans le cadre des débats, il fut demandé au père du programme de la propulsion navale américaine, l’ Amiral Hyman George Rickover (27 janvier 1900 - 8 juillet 1986), « Y a-t-il une chance que la France réussisse à mettre au point un réacteur de propulsion ? ». L’Amiral Rickover de répondre : « pas la moindre chance. » Le Congrès, plus prudent, assortit son assentiment à l’accord de fourniture à la France d’uranium enrichi la condition qu’il soit exclusivement employé dans une installation à terre. Le futur Prototype à Terre (PAT) allait pouvoir être chargé et la France s’engageait déjà, à partir de 1960 après deux années d’études et d’échanges interarmées, dans la voie du Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engins (SNLE) qui ne se matérialisait qu’en 1972.
En attendant, il fallait des vecteurs nucléaires à la France car, M. Pierre Mendès France (18 juin 1954 – 5 février 1955), Président du Conseil des ministres français, n’avait-il pas déclaré dès le 26 octobre 1954 : « Sans la bombe, on n’a pas voix au chapitre » ? Le « sous-marin stratégique » du Statut naval de 1955, révisé en 1956, est hors-jeu depuis 1958 et la réalisation du SNLE prendra plusieurs années. Une solution opérationnelle va être observée aux États-Unis d’Amérique et il va être question de l’adopter en France.
À la suite des mises sur cale des Clemenceau (22 novembre 1961 - 1er octobre 1997) et Foch (15 juillet 1963 - 15 novembre 2000), l’état-major de la Marine souhaitait la mise sur cale d'une troisième unité, dérivée des Clemenceau (2), dans le cadre de la tranche navale de 1958. Baptisé officieusement Verdun dans les coursives, son déplacement aurait atteint 35 000 tW : contre seulement 22 000 tW pour les Clemenceau (2). S’inspirant, manifestement, assez largement du concept de « porte-avions stratégique » identifié dans le Statut naval de 1955, révisé en 1956, et même du CVA-58 USS United States (1948 - 1949) , ce PA 58 Verdun devait être capable de mettre en œuvre un bombardier stratégique, et pour ce rôle était en concurrence les Générale aéronautique Marcel Dassault Mirage IVM ou bien le SNCASO SO-4060 Super Vautour, devant être capable d'emporter une bombe atomique grâce, notamment, à l’intégration au pont d’envol d’une catapulte axiale de 100 mètres, aux côtés d’une autre de 50 mètres.
Mais le Conseil Supérieur de la Marine, en sa séance du 6 mai 1958, abandonnait l’avant-projet PA 58 Verdun. Il était alors étudié de poursuivre la question mais sous la forme d’un troisième Clemenceau – le PA 59 –, cette fois-ci pourvu d’engins, à la demande de M. Alain Poher, secrétaire d'Etat aux Forces armées Marine (7 novembre 1957 - 9 juin 1958). Mais le PA 59 ne rejoignait pas plus le projet de tranche navale 1959.
En parallèle, une nouvelle proposition était avancée, dans le cadre du PA 59, pour substituer aux bombardiers stratégiques, un engin. Le missile de croisière Chance Vought SSM-N-8A Regulus (1955 -1964) de 500 nautiques de portée était employé aux États-Unis d’Amérique comme l’une des armes stratégiques. Cet armement fut déployé sur 4 croiseurs, 10 porte-avions (occasionnellement, en réalité) et 5 sous-marins. Afin de crédibiliser la force nucléaire américaine, le Chance Vought SSM-N-9 Regulus II était mis à l’étude dans l’optique d’en doubler la portée :1000 nautiques. La production débutait dès l'année 1958. Le missile entrait en service en septembre 1958 mais il était abandonné la même année, le 18 décembre 1958, au profit de l’UGM-27 Polaris A1 (Lockheed Corporation) : le premier Submarine Launched Ballistic Missile (SLBM), dénommé en France Mers-Sol Balistique Stratégique (MSBS).
L’état-major de la Marine étudiait pourtant, en décembre 1958, le projet d'embarquement du Chance Vought SSM-N-9 Regulus II (Hervé Coutau-Bégarie, Le problème du porte-avions, Paris, Economica, 1990, p. 80 ; et plus précisément dans : Jean Moulin, Les porte-avions Clemenceau et Foch, Paris, Marines éditions, 2006, p. 188). Entre temps, il devenait impossible de solliciter la livraison d’un armement abandonné en raison de ses coûts et de son caractère d’ores et déjà jugé obsolète vis-à-vis des MSBS/SLBM.
L’utilisation des porte-avions français pour la mise en œuvre de l’arme nucléaire finit par devenir une réalité opérationnelle grâce à un groupe de travail pour la mise en place de l’armement nucléaire au sein de l’aéronavale, installations spécifiques, mise en œuvre et sécurité (1974) qui préparait l’embarquement des premières armes nucléaires AN.52 devant être larguées par les Avions Marcel Dassault-Breguet Aviation Super Étendard, ce qui fut fait dès le 10 décembre 1978.
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