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© Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA). Essais en soufflerie d'une maquette figurant l'une des deux variantes du programme Tango Bravo, celle possédant une ligne d'arbre. |
Dans le cadre d'un budget des Armées pouvant bénéficier d'une nouvelle trajectoire financière à court (« sur-marche ») et moyen (dépenses militaires à 3,5% du PIB en 2032) termes : une nouvelle maquette de la Marine nationale avait été présentée courant février 2025 à Sébastien LECORNU, Ministre des Armées (21 septembre 2024 - 9 septembre 2025 ; 6 octobre 2025 - 12 octobre 2025), sans finalement être formellement demandée. Elle respecte un « coefficient multiplicateur » d'une maquette l'autre, à l'échelon « politico-institutionnel » : quel est donc ce modèle de Marine ainsi modulé mais aux fondamentaux jamais rebattus. Serait-ce le nouvel avatar français de la « théorie de la Flotte équilibrée » ? Et ce modèle est-il adapté à la fragilisation, voire à la disparition du couplage transatlantique ? Pourquoi toute l'affaire se résumerait à la bataille pour atteindre 18 frégates de premier rang ? Et pourquoi privilégier la flotte de surface ? Au final, où sont les choix « militaires » ?
Emmanuel MACRON, Président de la République annonçait à l'Hôtel de Brienne que la promesse initiale, faite à l'occasion des débats parlementaires liées au projet de LPM 2024-2030 de « doubler le budget de la Défense » (en volume) en 2030 serait tenue dès 2027 grâce à une troisième « accélération1 » des dépenses militaires sur les années 2026-2027. Il a été « décidé » mais surtout désiré des « sur-marches » totalisant 6 500 M€ de dépenses militaires supplémentaires, ainsi ventilées en 2026 (3 200 M€ (« marche » LPM 2024-30) + 3 500 M€ (« sur-marche ») et 2027 (3 200 M€ (« marche » LPM 2024-30) + 3 000 M€ (« sur-marche »). Pour le budget 2026, au terme d'un débat (article 50-1 de la Constitution) s'étant tenu en séance plénière et dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, les Députés votaient (411 pour, 88 contre (LFI, PCF) le principe d’une « sur-marche » budgétaire en 2026.
Dans le cadre d'un budget des Armées pouvant bénéficier d'une nouvelle trajectoire financière à court (« sur-marche » précédemment décrites) et moyen (dépenses militaires à 3,5% du PIB en 2032) termes : une nouvelle maquette de la Marine nationale avait été présentée début 2025 à Sébastien LECORNU, Ministre des Armées (21 septembre 2024 - 9 septembre 2025 ; 6 octobre 2025 - 12 octobre 2025). Les principaux « marqueurs » d'un changement de maquette dans la présentation faites devant le Ministre s'expriment par une augmentation du nombre de plateformes, à savoir 18 frégates de premier rang mais également de basculer la cible de la tranche optionnelle du programme Patrouilleurs Hauturiers (PH), devant initialement être commandée en fin de période (LPM 2024-2030) ou à l'occasion d'une nouvelle LPM, afin de les intégrer à l'actuelle LPM. En ce qui concerne la sous-marinade, il est question d'un cinquième SNLE mais également d'une escadrille de SNA portée à 8 unités.
Cette nouvelle maquette respecte un « coefficient multiplicateur » permettant un changement de format, dans un mouvement de bascule d'une maquette l'autre. Il ne s'agit pas d'une « simple » augmentation des quantités d'une « trame », par exemple la « trame frégates ». Mais bien le déplacement d'un curseur sur l'une des trames provoque le déplacement des autres curseurs, de sorte qu'un équilibre est respecté mais jamais explicité ni questionné.
C'est en cela qu'il nous semble nécessaire de mobiliser la « théorie de la Flotte équilibrée » (ou « balanced fleet theory » en Anglais). Son origine pourrait être datée du XIXième siècle. La mobilisation de ce concept a été son plein emploi depuis la place accordée à la « torpille automobile » (1864 – 1866) dans les théories de l'Amiral Théophile AUBE et de la Jeune école. « Théorie » à nouveau mobilisée dans le premier tiers du XXième siècle au prisme de l'aviation navale embarquée. Dans l'un et l'autre des deux périodes, l'enjeu central était la place à accorder au « capital ship » : le cuirassé pour l'une, le porte-avions pour l'autre.
Une mise en pratique de « théorie de la Flotte équilibrée » est d'une grande simplicité car il s'agit, selon une première approche, de réfléchir à la place accordée au « capital ship » dans le tonnage total de la Flotte. Est-ce 90, 80 ou 70% dans le cas du cuirassé ? Et de poursuivre la réflexion en distribuant le reliquat aux autres types de bâtiments – ou bateaux – devant appuyer justement l'action des « capital ships ».
N'est-ce pas la situation rencontrée avec les changements de maquette de la Marine nationale depuis 1945 quand d'un Statut naval (1949) à l'actuelle maquette projetée (2025), il est toujours question de deux porte-avions, deux porte-avions/aéronefs légers/amphibies, etc. C'est un ensemble de réflexions d'état-major demeurant contraintes par l'échelon « politico-institutionnelle ». Un espace au sein duquel s'affronte les Armées entre elles, à coups de maquette justement, avec comme camarades de « jeu » Bercy, Matignon et l'Élysée.
Mais quel est donc ce « modèle de Marine » ainsi modulé mais aux fondamentaux jamais rebattus ? En reprenant la « théorie de la Flotte équilibrée » et sans prétendre à faire l'exégèse des différentes maquettes versées au débat public depuis 1945, un rapide regard permet de saisir quelques interrogations face à des fondamentaux jamais véritablement remis en cause depuis le Statut naval de 1949. La Marine nationale conserve l'ambition de s'articuler autour de deux porte-avions, formant un ou deux groupes navals dédiés. La flotte de surface doit permettre d'abonder les groupes navals constitués, à savoir aéronaval et amphibie mais également participer aux missions d'escorte (couplage transatlantique) et à la diplomatie navale, en défense des intérêts français. La flotte sous-marine (hors SNLE) représente, en données à peu près constantes depuis l'avènement de la propulsion navale nucléaire, un tiers de la « trame escorteurs » (aujourd'hui « frégates »).
Dans la construction de ce « modèle de Marine », il n'y a finalement eu qu'une seule « rupture » : l'avènement de la « Marine nucléaire » qui a obligé à une adaptation de la répartition du tonnage et l'adaptation des structures opérationnelles (création de la FOSt). Sinon, les maquettes respectent les choix initiaux et voguent au fil de l'emploi du « coefficient multiplicateur ».
L'un des exemples les plus illustrant de ce qui précède est la « bataille » pour atteindre 18 frégates de premier rang. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2008 abaissait le format de la « trame frégates » à 18 frégates de premier rang. Nombre revu à la baisse par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 qui réduisait l'ambition à 15 frégates de premier rang. En jetant un regard rapide en arrière, il peut être intéressant d'essayer de contextualiser ces deux objectifs au regard du nombre moyen de frégates de premier rang effectivement au service actif, par exemple entre 1975 et 2023. Et nous reprenons la définition brossée à grands traits de ce qu'est une « frégate de premier rang » telle que donnée par Plans-programmes en 1997 : les frégates dites « F1 ». Sur la période qui nous intéresse, nous pouvons proposer ces moyennes :
1975 – 1990 : 19,69 frégates dites « F1 » ;
1990 – 2023 : 11,35 frégates dites « F1 ».
C'est à cette aune qu'il est intéressant d'apprécier la « bataille » telle que menée depuis l'orée de l'année 2015 afin d'essayer d'augmenter le nombre de frégates de premier rang effectivement en service et en quoi cela nécessite d'essayer d'accrocher un format allant de 18 à 21 frégates, selon les opportunités politico-institutionnelles se présentant, afin d'engager une relance de l'effort de construction navale permis par les dépenses militaires.
Le nombre de frégates de premier rang serait-il le nouvel avatar français de la « théorie de la Flotte équilibrée » ? Notre propos invite fortement à l'écrire car c'est bien le nombre de ces frégates qui « marque » l'ambition navale dans le débat public, et donc politique. Et cette ambition, telle que promue par la Marine nationale, est bien plus prégnante et constante que les apparitions ponctuelles du sujet « porte-avions » dans le même débat public, certes fracassantes mais bien plus rare.
Et ce n'est finalement pas le fruit d'une grande « logique » militaire car où sont les « capital ships » au XXIème siècle ? Les « effecteurs de premier rang2 » sont, d'abord, les grandes plateformes navales à l'instar des porte-avions et SNLE puis seulement des SNA et frégates. Ce sont pourtant ces dernières qui étalonnent l'ambition navale dans le débat public français. Et c'est militairement un problème car les choix de l'état-major de la Marine quant à la proportion des moyens attribués, par exemple, à la logistique, aux capacités de soutien de l'avant sont contestables car ne permettant pas de soutenir les prétentions diplomatiques françaises. La Flotte ne serait-elle pas déséquilibrée ?
C'est bien le problème rencontré et qu'il serait temps de soulever avec l'application du « coefficient multiplicateur » d'une maquette l'autre, à l'échelon « politico-institutionnelle », permettant d'ajuster ce modèle de Marine aux contingences des séquences politico-stratégiques obligeant à décider. Mais en quoi ce fameux modèle, appliquant une « théorie de la Flotte équilibrée » évanescente répondrait à la fragilisation, voire à la disparition du couplage transatlantique ?
Dans ce cadre politico-stratégique et au prisme du basculement stratégique des États-Unis d'Amérique, nous ne pouvons alors que nous demander pourquoi la réponse navale au nouveau problème militaire français résiderait dans plus de frégates et de SNA ? Pourquoi pas l’un ou l’autre ? Ou ni l’un, ni l’autre ?
Il y a un affrontement impensé entre le modèle de Marine, sans cesse actualiser à coup de maquettes affrontant celles des autres Armées à l'échelon « politico-institutionnel » et ce qu'il pourrait être qualifié de « Flotte théorique », celle devant constituer la partie navale de la réponse à apporter au problème militaire français. Par exemple, la Flotte de l'échelon « politico-institutionnel », comme les maquettes des autres Armées finalement, veut résoudre le problème de la « masse » par l'ajout de plateformes (navales) dronisées. Cela suppose, dans l'exemple de la Marine nationale, que l'incapacité politico-institutionnelle de traduire une ambition à 15 ou 18 frégates de premier rang sera compensée par de grands drones de surface (ou sous-marins). Mais s'il n'existe pas le budget pour relever la « trame frégates » alors quelles finances permettront d'acquérir ces drones ? Une hausse budgétaire toujours absorbée ailleurs ?
C'est là que l'emploi de la « théorie de la Flotte équilibrée » est savoureux : l'introduction des torpilleurs, contre-torpilleurs, etc dans la Marine nationale s'est fait au « prix » de la régression du nombre de cuirassés. Pour construire un nouvel équilibre devant rehausser la valeur militaire de la Flotte, sans quoi elle serait frappée d'obsolescence, il me faut « sacrifier » le budget dédié à l'entretien d'une « ligne » de cuirassés ou aujourd'hui à une « trame », par exemples de frégates de premier rang. Sans augmentation brutale et spectaculaire de budget, en raison d'un ensemble de contingences donnant corps au « modèle de Marine » : il ne reste plus qu'à réorienter les efforts financiers vers d'autres objets, peut être nouveaux.
Le débat naval est aujourd'hui mené avec une loupe sur l'invasion de l'Ukraine, les actions Houthies en Mer rouge ou la pression sous-marine russe dans l'océan Atlantique Nord. Mais qui pense désormais à la Marine à construire à l'horizon 2040 ? L'état actuel de la Flotte ne répond pas aux menaces actuelles.
Sébastien LECORNU, aujourd'hui Premier ministre (09 septembre 2025) disait dans une interview que « pour pouvoir faire face à des menaces dans la durée, il faut monter en puissance. La Marine nationale dispose de quinze frégates. Si nous devions tenir plusieurs espaces maritimes en même temps, il faut une cible autour de dix-huit frégates »3. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 définissait un contrat opérationnel pouvant soutenir deux missions navales permanentes, outre la posture adossée à la composante océanique. Qui pense sérieusement contrôler plusieurs espaces maritimes avec 18 frégates ?
L'absence de choix « militaires » condamne à louvoyer à jamais entre ce jeu politico-institutionnel et ce modèle de Marine dont l'effectivité stratégique procède de l'atteinte d'un équilibre entre ses composantes et que chacune d'elles possède une certaine densité. L'absence de choix militaires s'exprime également par l'absence de remise en cause de grands paradigmes structurants, notamment dans l'architecture des plateformes navales. La frégate polyvalente, apte à lutter dans tous les milieux, pouvant se projeter loin et longtemps est-elle encore la plateforme navale adaptée ? Il est permis d'en douter et c'est peut être un carcan dans la manière de penser le rapport entre forces et espace. Autrement dit le tonnage attribué. Et le calcul initial est obsolète. En vérité, le problème : c'est le modèle de Marine.
1 Trois accélérations des dépenses militaires constatées depuis 2017 :
11 juillet – 19 juillet : « affaire » de la crise de confiance entre le Chef d'état-major des Armées et le Président de la République, avec démission du général d'armée Pierre de VILLIER... et décision en faveur d'une trajectoire financière de la LPM 2017-2025 cohérente avec les propos du CEMA.
24 février 2022 : invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie. Mise en branle des travaux préparatoires d'une nouvelle LPM, avec l'objectif de la faire voter à l'été 2022. Repoussée plusieurs fois, le PLPM 2024-2030 est finalement présentée le 04 avril 2023 et définitivement adopté par le Parlement le 13 juillet 2023. La LPM 2024-2030 sanctionne une nouvelle trajectoire budgétaire, officiellement plus ambitieuse mais moins disante que sa devancière du fait de « marches » moins ambitieuses en début de période. Les « sur-marches » corrigent cela.
2 Joseph HENROTIN, Les fondements de la stratégie navale au XXIe siècle, Paris, Économica, 2011, 496 pages.
3 Henri VERNET, « Sébastien Lecornu, ministre des Armées : "L’économie de guerre est déjà une réalité... Il faut monter en puissance" », Le Parisien, 22 février 2025, URL : https://www.leparisien.fr/politique/sebastien-lecornu-ministre-des-armees-leconomie-de-guerre-est-deja-une-realite-il-faut-monter-en-puissance-22-02-2025-DSPRP5QYXVFPLMU5MHZ7IMOB3U.php, consulté le 17 décembre 2025.


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