Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





14 décembre 2025

Søværnet : potentielle rupture navale, aux conséquences européennes ?

©  Forsvaret. Participations des frégates Absalon et Iver Huitfeldt à l'exercice Formidable Shield dont l'édition 2025 s'est déroulé entre les 1ier et 31 mai. L'exercice IAMD se concentre sur l'interopérabilité opérationnelle et tactique maritime entre les Alliés participants ; les scénarios comprennent une série de missions complexes de défense antimissile balistique (BMD) et de défense aérienne (AD) dans un environnement opérationnel complexe.

     La publication des « perspectives »1 du Forsvarets Efterretningstjeneste (organe du renseignement militaire danois) décrivant, voire qualifiant, peut être pour la 1ière fois depuis 1945, les États-Unis d'Amérique comme étant une « menace » pour une nation d'Europe occidentale et prend en compte le désaccouplage transatlantique comme un risque systémique. L'éventuelle traduction politique de cette analyse pose la question du degré de sa prise en compte, par exemple dans la planification des dépenses militaires incarnées par le Forsvarsforliget 2024-2033 : en particulier sur le segment naval de l'Integrated Air-and-Missile Defense system (IAMD). Et dans le cas d'inflexions programmatiques : les conséquences seraient européennes : en Suède notamment mais pas seulement.

     La publication annuelle des « perspectives » (udsyn en Danois) est la « contribution annuelle au débat public sur la politique de sécurité du Royaume du Danemark » par le Forsvarets Efterretningstjeneste (p. ). Le plus intéressant réside dans la qualification des États-Unis d'Amérique de « menace » par une Nation d' « Europe occidentale », pour reprendre une expression politico-géographique de la partie européenne à l'Ouest de l'Iron Curtain de Winston Churchill2 ou « Rideau de fer ». Sans nous engager dans un exégèse, nous formulons l'hypothèse qu'il puisse s'agir d'une première historique depuis 1945 qu'un État d'Europe de l'Ouest puisse ainsi qualifier, dans un document stratégique, les États-Unis d'Amérique de « menace ».

     Dans un premier temps, « Udsyn 2025 » propose une analyse des rapports de force internationaux entre grandes puissances, à savoir les États-Unis d'Amérique face à la Fédération de Russie et la République populaire de Chine. C'est la force du lien transatlantique qui est questionné car « des doutes subsistent quant à la manière dont les États-Unis alloueront leurs ressources » (p. 10)

En soulignant le recentrage américain sous la férule du deuxième mandat obtenu par Donald J. TRUMP sur l' « hémisphère occidental » – sans le nommer explicitement –, le document souligne que pour réduire l'influence chinoise dans cet espace particulier, « les États-Unis utilisent leur puissance économique, notamment la menace de droits de douane élevés, pour imposer leur volonté et n'excluent plus le recours à la force militaire, même contre leurs alliés. » (p. 10) Il est à relever que la formulation s'attache aux « alliés » des États-Unis et non pas à un espace géographique particulier : le propos ne se limite pas à l' « hémisphère occidental » pour l'analyse du Forsvarets Efterretningstjeneste.

Et cette compréhension de la pensée des auteurs s'en trouve confirmée un peu plus loin quand ils écrivent que « la méfiance s'installe dans les relations interétatiques. Le recours à la force par les États-Unis, la Chine et la Russie a, chacun à sa manière, accru la méfiance entre les États, y compris entre partenaires et alliés traditionnels. Les États sont, par exemple, plus attentifs aux chaînes d'approvisionnement et aux pays dont ils dépendent dans des secteurs essentiels comme les matières premières, l'énergie, les technologies et l'alimentation. Plusieurs États imposent des restrictions à la coopération transfrontalière en matière de recherche et d'investissement, ainsi qu'au partage de technologies militaires. » (p. 10)

Sous une autre perspective géographique, le propos se poursuit quant à la rivalité stratégique entre Washington et Pékin. « L'équilibre des pouvoirs dans la région Pacifique évolue en faveur de la Chine, et les États-Unis vont donc y déployer des capacités militaires. Cette attention accrue portée par les États-Unis à l'océan Pacifique crée également des incertitudes quant à leur rôle de principal garant de la sécurité en Europe, notamment face à la menace russe. » (p. 10)

     Dans un deuxième temps, « Udsyn 2025 » établit un lien quasi-direct entre l'analyse proposée des tensions sévissant dans l'Arctique, une « région [qui] n'est plus caractérisée par un faible niveau de tension, comme c'était le cas avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 » (p. 32) où « l'accent mis par la politique de sécurité américaine sur l'Arctique ne fera qu'accélérer cette évolution. La compétition accrue entre grandes puissances dans l'Arctique a considérablement accru l'attention internationale portée à la région. Cela est particulièrement vrai de l'intérêt croissant des États-Unis pour le Groenland et son importance pour la sécurité nationale américaine. Parallèlement, cette attention accroît la menace d'espionnage, y compris le cyberespionnage, et les tentatives d'influence sur l'ensemble du Royaume du Danemark. » (p. 32)

Il va s'en dire que le lien entre tensions entre grandes puissances et menace d'espionnage, tentatives d'influence est lâche et désigne seulement les « grandes puissances dans l'Arctique » (p. 32) mais pas nommément les États-Unis d'Amérique : bien que concernés par la périphrase employée. Néanmoins, le lien est fait car aucun obstacle ne s'interpose entre les États-Unis d'Amérique et les menaces décrites, ni dans la lettre, ni dans l'esprit du texte. Et ce, alors même que les mêmes menaces sont attribuées à la seule Russie dans d'autres passages (par exemple, p. 07).

L'intérêt des « grandes puissances dans l'Arctique » (p. 32) est apprécié au prisme de l'importance de cet espace pour les forces nucléaires américaines, chinoises et russes car « la majorité des missiles balistiques russes, chinois et américains survoleraient cette zone en cas de conflit majeur entre au moins deux de ces pays » (p. 32). Le propos étant assorti d'une carte devant illustrer un échangé nucléaire visant les trois capitales concernées (p. 33).

Plus largement, l'ensemble des pages abordant le jeu nucléaire dans l'océan glacial Arctique (pp. 31-39) le fait au prisme du projet attribué à la République populaire de Chine de pouvoir y déployer des sous-marins, dont des Sous-marins Nucléaires Lanceurs d'Engins (SNLE) selon une échéance de cinq à dix ans, avec l'appui de la Fédération de Russie pour l'y aider à appréhender les savoir-faire et technologies nécessaires à la navigation sous les glaces car, toujours selon l'analyse du renseignement militaire danois, Moscou n'est pas en position d'avoir les moyens de ne pas céder aux demandes de Pékin. Et c'est à ce prisme qu'est analysé la faiblesse russe qui demeure paradoxalement la première puissance militaire de l'Arctique : son investissement militaire à la hauteur des ambitions chinoises et de la menace occidentale est contrarié par l'invasion de l'Ukraine. Le partenariat économique proposé par Washington est analysé comme un moyen proposé par les États-Unis pour permettre à Moscou de ne pas céder à Pékin et de conserver un duopole dans la région.

Tenant compte de cette réalité géographique, le document précise les attendus de la sécurité nationale américaine selon sa compréhension danoise, à savoir que « pour les États-Unis, l'Arctique constitue la première et la plus importante ligne d'alerte en cas de conflit entre grandes puissances contre la Russie ou la Chine. Les radars de la base spatiale de Pituffik contribueront à la détection des missiles ennemis se dirigeant vers le territoire américain. » (p. 32)

     Les « Udsyn 2025 » du Forsvarets Efterretningstjeneste contiennent une équation au sein de laquelle les États-Unis d'Amérique « n'excluent plus le recours à la force militaire, même contre leurs alliés » (p. 10) et sont donc appréciés comme une « menace » (p. 32). Le rôle de Washington comme clef de voûte de la sécurité européenne est mis en doute (p. 10). Et pour imposer sa volonté, il est sous-entendu que Washington puisse faire montre de coercition, à l'instar de « plusieurs États [qui] imposent des restrictions à la coopération transfrontalière en matière de recherche et d'investissement, ainsi qu'au partage de technologies militaires. » (p. 10)

     L'éventuelle traduction politique de cette analyse pose la question du degré de sa prise en compte, par exemple dans la planification des dépenses militaires incarnées par le Forsvarsforliget 2024-2033 (« accord de défense 2024-2033 ») : en particulier sur le segment naval de l'Integrated Air-and-Missile Defense system (IAMD). Il est, en effet, question de tenter d'apprécier la nouvelle appréhension danoise de ce concept otanien de la défense aérospatiale car il y est non seulement question de l'inter-opérabilité des États membres, notamment dans la protection des forces mais aussi des territoires nationaux selon certains États membres face à des vecteurs conventionnels mais aussi nucléaires.

L'IAMD n'est qu'un concept opérationnel qui repose dans son acception politique par certains États membres de l'Alliance atlantique sur une traduction matérielle, c'est-à-dire dans l'acquisition de systèmes d'armement américains comme l'une des conditions au couplage transatlantique. Les « Udsyn 2025 » questionnent donc l'état du lien transatlantique et si notre analyse était pertinente alors le rôle des États-Unis en tant que fournisseur de systèmes d'armement, notamment de défense aérienne pouvant permettre la constitution de capacités opérationnelles répondant au concept otanien d'IAMD est précisément mis en doute.

     Le Forsvarsforliget 2024-2033 est un accord partiel visant à renforcer la marine danoise à court et à long terme conclu entre le gouvernement, les Démocrates danois, le Parti populaire socialiste, l'Alliance libérale, le Parti populaire conservateur, le Parti populaire danois et la Gauche radicale danoise. « Les parties conviennent également qu'à long terme, des investissements doivent être réalisés dans des capacités supplémentaires, notamment des frégates de défense aérienne »3.

« La flotte actuelle de frégates de la Marine danoise a encore de belles années devant elle, mais de nouveaux investissements sont nécessaires. C'est pourquoi, dans le cadre de l'accord sur le nouveau plan de flotte, nous souhaitons prendre le temps d'examiner attentivement la question et nous assurer de disposer d'une base solide avant de décider de l'acquisition de frégates danoises. Cette décision sera prise en juin, lorsque les objectifs de l'OTAN concernant les forces navales seront définis. » « Nous pourrons ensuite décider des acquisitions à réaliser, notamment en ce qui concerne les nouvelles frégates et les navires arctiques »

Troels LUND POULSEN, Vicestatsminister (23 octobre 2023) et Forsvarsminister (22 août 2023)

Il s'agit de conserver à l'esprit que la flotte de surface de la Søværnet s'articule autour de trois « Eskadroner » dont la 2. Eskadr, composée notamment de la division 21 (trois frégates de Iver Huitfeldt-klassen) spécialisée dans la défense aérienne et la division 22 (deux frégates de Absalon-klassen) spécialisée dans la lutte anti-sous-marine.

Il nous semble qu'il soit possible d'établir un lien direct entre les « frégates de défense aérienne » (« luftforsvarsfregatter ») du Forsvarsforliget 2024-2033 et l'actuel appel d'offres portant sur trois à quatre frégates aux capacités de défense aérienne, selon un budget pouvant dépasser les 40 milliards de couronnes danoises (5 357 M€) selon la presse danoise. Il ne semble pas encore arrêté si la Iver Huitfeldt-klassen doit être remplacée ou bien prolongée en parallèle de l'acquisition d'une nouvelle classe.

     Tout comme il nous semble important de remarquer le décalage entre les ambitions politico-militaires danoises de lutte anti-aériennes devant se traduire, pour la Iver Huitfeldt-klassen à être apte à lancer des RIM-161 Standard Missile 3 (SM-3) et RIM-174 Standard ERAM (Extended Range Active Missile) ou SM-6 afin de participer à l’European Phased Adaptive Approach (EPAA) tel que formulé le 07 septembre 2009. Mais dont la définition matérielle de ces frégates n'a seulement permis de valider la capacité à tirer le SM-2 MR que très récemment : le 1ier SM-2 MR jamais tiré par un bâtiment danois l'a été le 04 mai 2022 par la frégate HDMS Niels Juel en liaison avec l'Andoya Space Defence Test Centre (Norvège), en prélude à l'exercice Mjølner 2022 (07 - 13 mai 2022). Ladite frégate a été admise au service actif le 07 novembre 2011... Et rien ne démontre l'habilité à tirer des ESSM Block 2 par les mêmes frégates qui n'en bénéficieraient, au demeurant, d'aucun stock. Sans compter l'inaptitude opérationnelle démontrée de ces frégates à servir en Mer Rouge en 2024 et dont les causes matérielles et logicielles identifiées n'ont pas pu être résolues et ne le seront peut-être jamais.

C'est à cette aune qu'il s'agit d'apprécier du général Michael Wiggers HYLDGAARD, Forsvarschefen (Chef de la Défense danoise) depuis le 03 avril 2024 recommandant à Troels LUND POULSEN d'abandonner le programme de Rénovation à Mi-Vie (RMV ou MLU (Mid-Life Update) en Anglais) de la Iver Huitfeldt-klassen afin de les verser aux missions de patrouille lointaine et d'accélérer l'acquisition de nouvelles frégates.

     Il nous semble donc que les « Udsyn 2025 » interpellent quant à de potentielles d'inflexions programmatiques du Forsvarsforliget 2024-2033. Questionner ainsi le rôle des États-Unis en tant que clef de voûte de la sécurité européenne et comme partenaire fiable du Danemark, en particulier dans l'approvisionnement en technologies et donc en armements devant répondre aux défis opérationnels identifiés revient à questionner le choix du partenaire. À l'instar de la Koninklijke Marine (Marine royale néerlandaise), la Søværnet pourrait actuellement être l'une des sources de débats nationaux danois quant à la pertinence de s'adosser à des matériels américains, en particulier les missiles anti-aériens.

Et c'est une interprétation politique possible pouvant être donnée à la recommandation du général Michael Wiggers HYLDGAARD car abandonner la RMV/MLU de la Iver Huitfeldt-klassen, c'est s'ouvrir de nouvelles possibilités pour en débarquer les SM-2 MR et ne pas s'obliger à poursuivre avec sur une nouvelle classe de frégates de défense aérienne. C'est s'offrir la libérer d'aborder un autre environnement matériel, allant du système de lancement vertical au système de combat en passant par la suite radar et donc les missiles.

     C'est pourquoi il nous semble particulièrement critique d'apprécier la manière par laquelle est abordée le programme luftforsvarsfregatter depuis la publication des « Udsyn 2025 » et si les demandes de la Søværnet se focalisent désormais quant à la capacité des propositions à recevoir des SYLVER A50 et A70 (Mk2/NG ?) afin de pouvoir tirer des ASTER 15/30 et avec quel système de combat. En ce sens, la Suède étant engagé dans un programme relevant de l'Ytstridsfartyg 2030 (YSF2030) ou classe Luleå a priori irrationnel dans la traduction de l'IAMD en cahier des charges, une éventuelle inflexion danoise pourrait inviter à remettre d'équerre son propre programme. Puis faire basculer les Pays-Bas.

     Le sujet est moins la traduction dans le réel et ces prochains moins de l'analyse proposée par l'auteur de ces lignes que de ne pas oublier que la décision danoise et sa potentielle liaison avec celle suédoise se fait dans un espace politico-militaire dédié. Les pays participants (Allemagne, Danemark, Finlande, Norvège, Pays-Bas, Suède) au Northern Naval Shipbuilding Cooperation (NNSC) ont signé une lettre d’intention (22 novembre 2022). Ouvrant la NNSC par son discours introductif, le viceadmiraal René Tas, chef d'état-major de la Koninklijke Marinen (9 septembre 2021), liait cette lettre d'intention signée avec les pays d'Europe du Nord, dotés d'une industrie navale, à la future capacité de défense aérienne. « Avec ces pays, nous explorerons les possibilités de collaborer à la conception de capacités futures, telles que comme la future capacité de défense aérienne, qui peut être une capacité complète, comme une frégate ».

 

 

 

1 Forsvarets Efterretningstjeneste, « Udsyn 2025 », Copenhague, 02 décembre 2025, 63 pages, URL : https://www.fe-ddis.dk/globalassets/fe/dokumenter/2025/-udsyn-25-.pdf, consulté le 14 décembre 2025.

2 Adress of "Sinews of Peace", Westminster College, Fulton, Missouri, 05 mars 1946.

3 Forsvarsministeriet, « Flådeplan styrker Forsvarets opgaveløsning til søs », 22 avril 2025, URL : https://www.fmn.dk/da/nyheder/2025/fladeplan-styrker-forsvarets-opgavelosning-til-sos/?_x_tr_sl=da&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc, consulté le 14 décembre 2025.

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