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Nous abordions la question d'une prise de mer avortée de la part de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques entre le début des années 1960 et la fin des années 1980. D'où l'intérêt de questionner une telle tentative par la Chine dans la mesure où l' "OBOR" (One Belt, One Road - ou nouvelles routes de la soie) tend à une double prise de mer et de terres tandis que Pékin pourrait bouleverser le jeu énergétique mondial.
Le juriste allemand Carl Schmitt (11 juillet 1888 - 7 avril 1985)
réutilisait à son compte le concept juridique de "nomos" qui signifie
selon lui prendre, partager et pâturer (SCHMITT Carl, « A partir du «
nomos » : prendre, pâturer, partager - La question de l'ordre économique
et social », Commentaire, N°87, automne 1999, pp. 549 - 556). Le
passage d'une société agraire à industrielle invite à changer le dernier
terme au profit de "produire". Il identifiait la fondation d'un ordre
spatial européen, depuis les prises de terres du Nouveau monde et les
prises de mer par l'Angleterre élisabéthaine (1558-1603).
Selon Schmitt, "le principe de la liberté des mers signifie quelque chose de très simple. Il n'énonce en effet rien d'autre que ceci : la mer est un libre champ de pillage libre. Le brigand des mers, le pirate, pouvait y exercer son sinistre métier en bonne conscience. S'il avait de la chance, un riche butin venait le récompenser d'avoir eu l'audace périlleuse de s'aventurer sur la mer libre. Le mot pirate vient du grec peiran, c'est-à-dire tenter, essayer, risquer. Aucun des héros de Homère n'aurait eu honte d'être le fils d'un de ces audacieux pirates qui tentait sa chance. Car en haute mer il n'y avait ni barrières, ni frontières, ni de lieux consacrés, ni de localisation sacrale, ni droit, ni propriété."(SCHMITT Carl, Le nomos de la Terre, Paris, Presses Universitaires de France, 2012 (2e édition), p. 49).
Selon Schmitt, "le principe de la liberté des mers signifie quelque chose de très simple. Il n'énonce en effet rien d'autre que ceci : la mer est un libre champ de pillage libre. Le brigand des mers, le pirate, pouvait y exercer son sinistre métier en bonne conscience. S'il avait de la chance, un riche butin venait le récompenser d'avoir eu l'audace périlleuse de s'aventurer sur la mer libre. Le mot pirate vient du grec peiran, c'est-à-dire tenter, essayer, risquer. Aucun des héros de Homère n'aurait eu honte d'être le fils d'un de ces audacieux pirates qui tentait sa chance. Car en haute mer il n'y avait ni barrières, ni frontières, ni de lieux consacrés, ni de localisation sacrale, ni droit, ni propriété."(SCHMITT Carl, Le nomos de la Terre, Paris, Presses Universitaires de France, 2012 (2e édition), p. 49).
Contrairement à l'ordre spatial terrestre où règne l'équilibre des
puissances (s'entend dans l'Europe), l'ordre spatial maritime était la
"proie d'une seule nation" (p. 173) car "un équilibre entre les
puissances maritimes aurait
produit un partage des mers et détruit le grand équilibre entre terre et
mer que constituait le nomos de la terre dans le Jus publicum
Europaeum" (p. 172)
Revenons au concept de mer libre à l'ère d'une puissance maritime globale, l'Empire britannique. "La mer est libre. Cela signifie d'après le droit des gens moderne que la mer n'est pas un territoire étatique et qu'elle doit rester également ouverte à trois domaines d'activités humaines très différents : la pêche, la navigation pacifique et la guerre." (p. 48)
C'est pourtant une toute autre perspective juridique qu'il nous faut aborder avec la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (signée en 1982, entrée en vigueur en 1994) qui entérine un mouvement de fonds entamé depuis les années 1940 avec la tentation puis la régulation de la territorialisation d'une partie de la mer "libre". Par ailleurs, Lars Wedin (Stratégies maritimes au XXIè siècle - L'apport de l'amiral Castex, Paris, Nuvis, 2015, 200 pages) démontre avec maestria que l'infrastructuration de la Mer réduit la liberté de navigation eu égard aux contraintes physiques imposées par l'ensemble des infrastructures nécessaires à l'exploitation des richesses à la surface et sous la surface en citant, par exemple, les contraintes imposées par les champs éoliens.
C'est donc dans cette étroite perspective qu'il s'agit de replacer deux évènements qui peuvent prendre une importance fondamentale.
Dans un premier temps, il s'agit d'un chantier chinois qui lançait le premier navire d'exploitation de nodules polymétalliques destiné à une société émirienne installée à Singapour le louant à une société canadienne. Ces richesses des fonds marins laissent rêver déjà quelques générations depuis plus de 80 ans à en croire Hervé Coutau-Bégarie. Un nouveau jeu pourrait s'ouvrir, notamment, autour des terres rares entre le quasi-monopole chinois et les quelques possibilités pour desserrer l'étau - cette capacité à réguler le marché des cyber-industries de la couche primaire du cyberespace - de Pékin par la Mer.
Dans un deuxième temps, Pékin s'attaquerait frontalement avec quelques succès à l'extraction dans une optique d'exploitation industrielle d'hydrate de méthane en mer de Chine méridionale. "Après 23 ans de recherche et de développement, la Chine a réussi
d’extraire de manière stable du gaz de l’hydrate de méthane, ou la
« glace qui brûle », dans un gisement situé au Nord de la mer de Chine
méridionale." Loin d'être la première extraction réussie puisque le Japon atteignait le même résultat en 2013, une éventuelle exploitation de ces réserves ne serait pas sans conséquence sur l'architecture énergétique mondiale entre le pari américain sur les gaz et pétrole de schiste pour réduire drastiquement la dépendance à la péninsule arabique tandis que la Chine se doit de résoudre le dilemme de Malacca, d'où l'OBOR mais aussi l'accès à de nouvelles sources d'énergie... en mer.
Entre parenthèses, l'ensemble des évolutions présentées ici ne viennent pas remettre en cause le gigantisme naval puisque le Pioneering Spirit (100 000 tonnes pour 1,7 milliards de dollars) et le Prélude (260 000 tonnes pour 14 milliards de dollars) sont peut-être les avatars de cette infrastructuration de l'Océan.
Le jeu est complexe sans être compliqué puisqu'il s'agit ni plus ni moins pour l'Empire du Milieu de contrôler et sécuriser ses voies d'approvisionnement tout en évitant le goulot d'étranglement symbolisé par le dilemme de Malacca tout en affirmant son rang international, si ce n'est sa primauté mondial. L'OBOR permet autant de conforter l'intérêt pour la Chine de tenir son rang en Mer que d'en équilibrer la place dans son développement par un axe eurasiatique. De facto, la Chine ne devient pas (encore ?) une thalassocratie pleine et entière. Quoi qu'il faille relativiser puisque Athènes l'était devenu ne faisait reposer son agriculture sur les exploitations du Pont Euxin tandis que Pékin s'abreuve chaque année un peu plus aux terres arables mis en exploitation par ses soins dans le monde;
Pékin, une prise de mer tendant au monopole ? La Chine s'était repliée sur elle-même au XVe siècle, mettant fin aux grandes expéditions maritimes à destination du Golfe Persique et de la Mer Rouge tandis que les Européens réalisaient la révolution géographique mondiale par la découverte du Nouveau monde et l'ensemble des expéditions maritimes afférentes.
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