Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





20 août 2012

La question du second porte-avions n'est-elle pas celle du maigre budget alloué à la Marine nationale ?


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Michel Cabirol (La Tribune) titrait son article par " Le second porte-avions touché, coulé par la crise". "Une décision devait être prise en 2012 sur le deuxième porte-avions mais je me vois mal aujourd'hui réclamer entre 3 et 5 milliards d'euros", a explique le chef d'état-major de la marine, l'amiral Bernard Rogel. Il ne croyait pas si bien dire. Le problème, c'est de quelle crise parle-t-on ? Et qu'est-ce qu'implique le renoncement au second porte-avions ?

Quelle(s) crise(s) ?

Premièrement, il faut donc aborder cette notion abstraite et de haute volée : la crise. Tous les passionnés d'Histoire ne peuvent qu'être indisposés par cette expression. S'il est aisé de comprendre ce que peut recouvrir cette notion, il est plus difficile d'appréhender... de quelle crise parle-t-on ! Ce blog s'est fait l'écho du long parcours du PA2 par petites touches sucessives (et il est très loin d'être le seul, bien entendu).

Le porte-avions Charles de Gaulle a été mis sur cale en 1989 et le second navire devait être commandé dans l'année. Entre temps, il est peut être intéressant de se souvenir que le parti politique UDF publiait en 1986 un livre-programme, " Redresser la Défense de la France" avec comme proposition phare la nécessité pour la France de posséder trois porte-avions pour en avoir un à la mer en permanence : l'ambition était haute. Suffisamment haute pour que l'on puisse espérer au moins la commande de deux navires en 1989. Puis il fallu attendre l'année suivante, soit 1990. Le mur de Berlin s'effondrait l'année précédente et bien des pays engrangent les "dividendes de la paix" du président américain Clinton, ou tout simplement les bénéfices budgétaires de la démobilisation dans... un certain ordre.

Le livre blanc de 1994 consacre une expression qui va devenir célèbre dans le milieu naval français : le second porte-avions se réalisera si les conditions économiques et financières le permettent. Mais après 1994 ? A cette époque, il faut permettre à la France de rentrer dans la zone Euro avec les meilleures conditions, ou les moins pires, c'est selon.

Après l'entrée en vigueur de la monnaie unique en 2001, c'est le président Chirac qui reprend plus ou moins en main le dossier du second porte-avions : en 2004 la propulsion classique est choisie pour pouvoir rejoindre le projet anglais de construction de deux navires. Le projet devient binational, et fonctionne bien dans les paramètres qui lui ont été impartis. En 2006 les premières commandes de gros équipements sont en passent d'être conclues, et notamment celle des catapultes. Des crédits d'engagement sont budgétarisés en faveur du PA2, en sus des 2 ou 300 millions d'euros dépensés dans études avec les anglais : il s'agit de "sanctuariser" la construction du second porte-avions.

L'élection présidentielle suivante qui amène au pouvoir Nicolas Sarkozy consacre un nouveau livre blanc (2008). Il est possible d'entendre les bruits de coursives de la Marine depuis la rue : il fallait choisir entre une marine pyramidale avec suffisamment de frégates et de sous-marins, ou bien une marine macrocéphale avec le second porte-avions et très peu d'escorteurs pour encadrer les grandes unités.

En 2008, le PA2 est repoussé au moment où les "conditions économiques et financières permettront sa réalisation". Mais, il ne faut pas oublier que le programme FREMM est réduit de 17 ou 19 unités à 11 et que rien ne change pour le programme Barracuda -quelle surprise puisqu'il est impératif de disposer de "Six SNA, [car] c'est aussi la taille critique en dessous de laquelle la marine ne sera plus en mesure d'assurer toutes les missions qui lui sont aujourd'hui confiées et de former le vivier de sous-mariniers qui permet de disposer des compétences nécessaires à la mise en oeuvre des SNLE" (Mer et Marine). Le Président promettait alors une décision en 2011 ou 2012. La décision n'est pas venue. Certains ont fait le choix des escorteurs, et ne semblent rien avoir obtenu : il reste 11 FREMM, certes, mais est-ce que le programme entier aurait été annulé en cas de choix du PA2 ?...

Il faut donc parler de quelle crise ? Le R92 Richelieu, qui depuis est nommé "PA2", a traversé la chute du mur de Berlin, les dividendes de la paix, l'entrée de la France dans l'Euro et la crise économique démarée en 2007. C'est sans compter les "petits évènements accessoires" qui se sont déroulés de 1989 à 2012.

Forger un outil aéronaval moderne

Il faut remonter à la seconde moitié du XXe siècle pour tenter de comprendre le pourquoi du comment les gouvernements de la France ont fait le choix de doter la Marine nationale d'un outil aéronaval moderne et de l'entretenir. Pour les passionés d'Histoire, il n'y a pas seulement eu le PA2 car la France a eu deux grandes autres occasions dans la seconde moitié du XXe siècle pour se doter d'un outil aéronaval :
  • à la sortie du second conflit mondial, il est largement admis qu'il n'est plus possible de demeurer sur mer sans porte-avions modernes. Il y a alors trois grandes options :
    • louer des navires aux Alliés (chose qu'ils refusent depuis 1943, et ils ne prêteront pas de "porte-avions modernes"),
    • construire des navires neufs,
    • ou bien refondre au moins le cuirassés inachevé Jean Bart.
      Il y a eu une sombre affaire autour de la refonte du cuirassé car le projet a été abandonné suite à un devis de refonte vicié. L'autre option restante (puisque les Alliés ne livreront pas à la France de porte-avions modernes) est la construction d'au moins un navire : le PA28 Clemenceau n'est pas mis sur cale (et tant mieux, il n'aurait peut être pas pu suivre les évolutions aéronavales).
  • Au cours des années 50 le projet de construction de porte-avions modernes en France resurgit et se concrétisera par les constructions des Clemenceau et Foch. Un troisième navire était envisagé (le PA58 Verdun qui deviendra le PA 59 avant d'être abandonné), mais il a été victime de l'arrivée du fait nucléaire français.
Premièrement, est-ce que les "conditions économiques et financières" de la Reconstruction étaient suffisamment confortables pour que la France se lance dans un effort de redressement militaire ?

Deuxièmement, qu'est-ce qui a pu amener le gouvernement à faire un effort aéronaval dans les années 50 et pas avant ? Au sortir de la seconde guerre mondiale, les infrastructures sont à terre à à la mer, mais elles ne sont que très rarement debout. Ils n'empêchent que les gouvernants français d'alors ne négligent pas l'intérêt vital pour la France de recouvrer sa puissance militaire. Le monde ne lui laisse pas le temps d'hésiter puisque les guerres de décolonisation débutent dès 1945 avec le conflit indochinois. C'est tellement flagrant que le cuirassé Richelieu qui a quitté la métopole depuis l'été 1940, et qui était à la signature de la capitulation japonaise le 12 septembre 1945 à Singapour, ne rentre pas de suite en France car il sert dans les opérations menées en Indochine contre le Viet Minh d'octobre à décembre 1945. Le cuirassé remplace alors un porte-avions.

La France obtiendra assez rapidement le Dixmude en location : c'est tout sauf un navire moderne, et il est encore plus lent que le porte-avions Béarn (un comble). Mais c'est largement suffisant pour mener des opérations en Indochine (ce qui pose la question de la non-utilisation du Béarn). Les La Fayette et Bois Belleau viendront compléter la division de porte-avions français, bien qu'ils correspondent plus à nos BPC actuels plutôt qu'à des porte-avions. Le premier porte-avions moderne que la France reçoit est l'Arromanches. Il est rapidement obsolète puisqu'il ne recevra ni une (franche) piste oblique, ni les catapultes, ni les avions embarqués modernes nécessaires à la guerre navale moderne.

Hors, il est un fait indéniable que si la France envoie des porte-avions avec des formations embarquées mettant en œuvre des appareils à hélices déclassés contre des rivages défendus par les premiers appareils à réaction, la balance va pencher en faveur du second. C'est la Crise de Suez (1956) qui démontrera cette grave incapacité française :
  • les Britanniques mènent l'intervention aéronavale franco-anglaise puisque leurs porte-avions peuvent mettre en œuvre des appareils à réaction (les Sea Venom) et donc, dominer le ciel égyptien et s'en assurer la maîtrise.
  • La France est donc dépendante du bon vouloir anglais pour obtenir une couverture aérienne suffisante pendant l'opération -ce n'est pas faute d'avoir eu l'occasion de la refonte du Jean Bart en porte-avions.
La France n'avait pas de porte-avions modernes à Suez, mais elle avait un cuirassé qui aurait du être refondu en porte-avions et un porte-avions qui n'était qu'à moitié moderne par rapport au Béarn. C'est dire combien la situation était incapacitante. Si les gouvernants français, dont Mendès France, se convaiquent de la nécessité du fait nucléaire français pour continuer à faire entendre la voix de la France sur la scène internationale, ce n'est pas sans oublier l'impérieuse nécessité de disposer d'un outil aéronaval moderne. Les Arromanches, Bois Belleau, La Fayette et Dixmude correspondaient très bien à un conflit Indochinois ou à ce qui a pu se passer en Corée ou en Algérie. Mais ils ne correspondaient pas ou plus à la capacité d'entrer en premier sur un théatre, à la capacité de projeter la puissance aéronavale tricolore partout où cela devait être nécessaire.

D'un autre côté, la France est engagée dans l'OTAN puisqu'elle en est l'un des membres fondateurs. Le volet naval de l'OTAN implique ou impliquera la capacité à protéger les convois qui silloneront l'Atlantique entre les Etats-Unis et l'Europe pour que l'arsenal des démocraties puissent alimenter l'effort de guerre. Depuis le second conflit mondial, la protection des convois passe obligatoirement par un volet aéronaval qu'il soit tant déployé depuis la terre que depuis la mer.

Les R98 Clemenceau et R99 Foch sont à la mer du début des années 60 jusqu'aux années 2000. Ces deux navires permirent de forger l'outil aéronaval moderne dont la France avait eu besoin à Suez et qui ne fera pas défaut, tant qu'il restera cohérent (c'est tout le problème du chasseur embarqué moderne), par la suite.

Un outil aéronaval moderne français distinct des autres puissances

C'est bien la fin d'une certaine exception aéronavale française en Europe qui incite les gouvernants à ne pas investir dans l'outil aéronaval. Les porte-avions Foch et Clemenceau et les hommes qui servaient à bord mettront une décennie, environ, pour former un groupe aéronaval qui répondait aux critères de la guerre moderne d'alors. C'est-à-dire que l'expérience acquise lors de la guerre d'Indochine est perdue entre temps. L'outil aéronaval français montait en puissance et atteignait sa maturité au moment en Europe où la Royal Navy, sous l'aimable pression de son gouvernement, désarmait ses porte-avions. Les années 70 sont le passage de témois entre une France qui développait enfin un outil aéronaval dont elle a besoin depuis les années 30 et une marine royale anglaise qui devait abandonner un précieux outil qui lui fera mortellement défaut lors de la Guerre des Malouines de 1982.

Donc, depuis la fin des années 70 et jusqu'à aujourd'hui, le groupe aéronaval français régnait en maître sur l'Europe, et sur le monde à côté des porte-avions américains puisqu'il ne souffrait d'aucune contestation. L'outil permettait de distinguer la voix de la France puisque, quand il fallait intervenir, la France pouvait le faire à son gré, et non pas selon le bon vouloir de l'allié d'une coalition, comme à Suez. La France était autant indépendante par son fait nucléaire que par son groupe aéronaval qui lui permettait de s'engager partout. C'était d'autant plus pratique que l'équilibre de la terreur consacrait l'affrontement dans les conflits dit périphériques de la Guerre froide.

Il y eu également la montée en puissance des opérations militaires menées en coalition. C'était un fait nouveau par rapport aux guerres de décolonisation qui n'impliquaient que le pays colonisateur. C'était aussi une nécessité fasse à une guerre moderne toujours aussi exigeante à chaque évolution et fasse à un effort militaire français qui ne suivait pas toujours là où il fallait pour bien des raisons. Le politique attend des dividendes de l'action de ses forces armées. Quand l'action militaire française est menée dans une opération purement nationale, les dividendes peuvent être facilement transcrit dans le bilan du politique. Mais comment faire pour extirper les bénéfices d'une opération militaire menée dans une coalition ? Il est assez difficile de dire que la France a retiré quelques bénéfices de l'opération Mousquetaire à Suez. Cette opération est véritablement fondatrice car elle permit d'apprendre que pour compter dans une opération multinationales, il faut des outils militaires dimensionnants.

L'exemple plus récent de l'opération Harmattan montre une chose relativement simple : tous les participants ou presque avaient des chasseur-bombardiers et des frégates. Mais combien de ces pays avaient les capacités d'entrer en premier sur le théâtre libyen pour faire respecter la zone d'exclusion aérienne ? Les Etats-Unis, assurémment, car ils pouvaient fournir tout ce qui était nécessaire, et ils l'ont fait. Mais pour des raisons bien explicitées ailleurs, ils ont choisi de se mettre en retrait tout en apportant un "soutien logistique". La France pouvait entrer en premier sur le théâtre grâce, notamment, à la force de frappe de l'Armée de l'Air et à l'outil aéronaval. L'intérêt du second, c'est qu'il est bien plus capable de durer face à la mer face aux côtes libyennes. La France comptait dans l'opération Harmattan car elle a des moyens navals dimensionnants comme le groupe aéronaval, le groupe amphibie, les ravitailleurs et sa force sous-marine. Tout comme l'Armée de l'Air, en général, permettait à la puissance aérienne française d'avoir une capacité indépendante de ciblage. Les autres pays de la coalition devaient passer par les outils des autres, dont ceux de la France, des Etats-Unis et de l'OTAN. Quels pays sollicitaient l'attention des médias et s'offraient donc les retombées politiques ? La France, l'Angleterre et les Etats-Unis. Sauf que c'est le seul groupe aéronaval français, composé du porte-avions et des BPC, qui s'est illustré du début à la fin de l'opération Unifed Protector. C'est ce qui permettait à la France de peser sur le conflit.

Les anglais ont fait un effort militaire comparable à la France au cours de cette opération. Cependant, ils n'avaient pas de porte-avions, ni vraiment de capacités à entrer en premier sur le théâtre. Ce sont les américains et les français qui ont nettoyé la théâtre libyen par salves de missiles de croisière et frappes par chasseur-bombardiers. Est-ce qu'il y a eu de réelles retombées politiques quand la Royal Navy a lancé ses missiles de croisière Tomahawk ? Il y en a peut être au autant que quand Armée de l'Air et Aéronavale française lançaient des missiles de croisière Scalp. Que dire du fait que l'Eurofighter était bien incapable d'effectuer des bombardements alors que le Rafale paradait dans tous les médias, bilans des frappes à l'appui. Que dire quand lors de la dernière phase de l'opération Harmattan, quand la puissance aérienne est descendue à l'échelon des voilures tournantes pour continuer à produire ses effets, la Marine nationale a eu à attendre que la Royal Navy soit prête. Prête à quoi ? Est-ce que les raids d'Apache ont mattraqué les esprits via les médias ? Non, ce sont bien les Gazelle et les Tigre qui ont gagné "les cœurs et les esprits". Et tout cela était déployé depuis la mer, depuis des navires français.

La fin de l'exception aéronavale française

L'Angleterre a commandé ses porte-aéronefs au terme d'une saga assez épique. Londres va recouvrait un outil aéronaval (avec porte-aéronefs, ce ne sont pas des porte-avions) à partir de 2018. Celui-ci va monter en puissance jusqu'en 2030. Le Charles de Gaulle sera donc concurrencé en Europe. Non pas que nos deux pays ne coopéreront plus, mais il sera bien plus difficile de retirer les dividendes d'une opération type Harmattan quand les anglais recouvreront un semblant de puissance aéronavale. Et qui obtiendrait le leadership d'une opération type Suez ou Harmattan si la France ne disposait pas du porte-avions à la mer ? La France aura toujours un porte-avions, et lors d'une opération semblable à Harmattan, il continuera à se distinguer grandement des deux porte-aéronefs anglais car le Charles de Gaulle emporte des avions, dont des avions de guêt aérien, et que ses avions ont une allonge plus grande que les aéronefs qui prendront place à bord des Queen Elizabeth.

Dans l'Océan Indien, c'est l'Inde qui imposera sa puissance aéronavale. La marine indienne cultive l'outil aéronaval depuis les années 50. Elle va passer à la vitesse supérieure avec la réception d'au moins deux navires : l'ex-Gorshkov russe, porte-aéronefs hérité de l'URSS qui a été vendu et est en cours de refonte pour l'Inde, et le premier Air Defense Ship, un porte-aéronefs de construction locale dérivé des études italiennes du Cavour. C'est-à-dire que l'Inde aura au moins une permanence aéronavale dans l'océan Indien, et cela relativisera complètement les croisières du Charles de Gaulle dans cet océan.

Dans l'océan Pacifique et dans les mers asiatiques, il faut attendre le porte-avions chinois, l'ex-Varyag qui serait baptisé Shi Lang. La Chine affirme que ce ne sera qu'un navire école et d'essais. Il n'en demeure pas moins que quand les chinois auront appris à gérer un groupe aérien embarqué et à l'opérer depuis ce navire d'essais, tout en protégeant le navire avec une escorte, l'ensemble produira des effets diplomatiques notoires lors de ses croisières. Et ce ne serait pas le seul navire qui est en chantier ou voulu par les autorités de Pékin.

Plus au Nord, c'est la Russie qui conserve précieusement le porte-aéronefs Kuznetsov : lors des premiers mois de la crise syrienne, il a été intéressant d'observer combien la croisière méditerranéene de ce navire a pu attiser les craintes et la focalisation des médias alors que les capacités intrinsèques du groupe aéronavale russe (GRAn) restent à démontrer. Moscou souhaiterait construire de nouveaux porte-avions. En attendant, il y a un outil qui monte en puissance patiemment via un budget tout simplement plus régulier.

Plus au Sud, c'est le Brésil qui conserve lui aussi précieusement le Sao Paulo (l'ex-Foch). Alors que l'on parle de coopération aéronavale franco-anglaise pour l'entretien de nos outils aéronavals respectifs, il conviendrait d'observer plus finement la coopération aéronavale entre le Brésil et l'Argentine autour de ce navire.

Enfin, il y a les Etats-Unis. Le monde s'est habitué à leur puissance aéronavale. Mais il va devoir s'habituer à un fait nouveau : la diminution du nombre de porte-avions américains de presque de moitié (de 15 à peut être 10 ou 8) entraînera inévitablement une présence aéronavale moindre en certains lieux. C'est un peu comme les britanniques qui avaient eu à composer avec la relativisation de la première place navale mondiale de la Royal Navy par la montée en puissance d'autres marines. Londres avait alors signé un traité avec le Japon et un autre avec la France pour s'assurer par alliance du libre accès aux zones tenus par ses alliés.Washington, à moins d'un effort renouvelé sous quelque forme que ce soit, ne pourra pas faire autrement. Le retrait américain sera un boulevard pour d'autres.

La France est toujours le seul Etat au monde, en plus des Etats-Unis, à disposer de porte-avions, et des outils nécessaires à la mise en œuvre de la puissance aérienne depuis la mer. Angleterre, Inde, Russie, Chine et Brésil vont tenter d'atteindre ce niveau. S'ils y parviennent, alors l'outil aéronaval français sera automatiquement relativisé puisqu'il ne sera plus "unique" après celui des américains.

Et ceci c'est sans évoquer la potentielle explosion du nombre de puissances aéronavals secondaires via les possibilités offertes par les nouveaux aéronefs : drones de combat (UCAV), aéronefs ADAV comme le F-35 (et un hypothétique rival chinois) et l'arrivée de voilures tournantes ou convertibles à l'allonge très importante. Ce sont autant d'aéronefs qui ne nécessitent pas de catapultes, et donc pas de porte-avions, mais de simples porte-hélicoptères. Ils ne gagneront pas un avantage suffisant pour détrôner le porte-avions puisque celui-ci pourra toujours frapper le premier, mais ils tutoieront les grands. Notamment, ils gagneront un affichage médiatique et politique bien plus important avec la participation de leurs porte-hélicoptères/aéronefs à des opérations militaires. Bien qu'il faille modérer une telle perspective car l'opération Harmattan a montré que l'Espagne et l'Italie ne se sont pas pressées pour engager le BPE Juan Carlos I et les Garibaldi et Cavour en première ligne, tout comme le HMS Ocean de la Royal Navy n'a pas brillé non plus par sa présence.

Et demain ?

La situation navale mondiale est encore confortable pour la France pour deux raisons essentielles :
  • le Charles de Gaulle sera le seul avatar d'une puissance aéronavale autre que celle des Etats-Unis jusqu'en 2020, si ce n'est 2030, soit le temps que les outils rivaux en construction atteignent la maturité nécessaire.
  • L'Histoire a la politesse de faire éclater les crises majeures quand la France a son unique porte-avions à la mer. Est-ce que cette politesse de l'Histoire durera encore longtemps ?
Il faut garder à l'esprit que l'entrée en Flotte du PA2 prendrait de 5 à 7 ans selon le degré de ressemblance avec le Charles de Gaulle et le nombre d'hommes et de femmes disponibles pour le prendre en main. Il faut compter au moins 18 mois pour construire la coque, et peut être autant pour l'armer de ses différents systèmes. C'est-à-dire qu'il faut compter au moins 5 ans, si ce n'est 7, entre le moment où le porte-avions serait commandé et le moment où il arrivera en Flotte.

Le problème, c'est que le calendrier du sistership du Charles de Gaulle s'est effacé au profit du remplaçant du Charles de Gaulle. Ce n'est plus tant le problème du PA2 que celui de la préservation de l'outil aéronaval français. Si le Charles de Gaullee est entré en service en 2001, il faut dire que les premiers éléments de la coque remontent à 1989. Le navire donnera combien d'années de service ? 30 ? 40 ou 50 ? Le navire est ancien, déjà, et plus il avancera dans le temps, plus des pièces seront difficiles à trouver. Ce problème est habituel pour des équipements militaires qui durent de 30 à 40 ans. Mais il sera encore plus aigüe pour un navire conçu dans les années 80 et qui naviguera au moins jusqu'en 2030 (date butoire où le navire affichera seulement 29 années de service).

A partir de 2030, la puissance aéronavale française sera sur le déclin par l'arrivée d'autres outils aéronavals. Il sera temps, à partir de 2020, de lancer le débat sur le remplacement du Charles de Gaulle. C'est bien ce que disait la future présidente de la commission de la Défense et des forces armées de l'Assemblée nationale le 27 mars 2012 à Mer et Marine : "Le second porte-avions ne sera pas un enjeu pour les cinq années qui viennent. Maintenant, il est trop tard pour faire construire un bâtiment destiné à épauler le Charles de Gaulle. Le prochain porte-avions qui sera commandé le sera pour remplacer l'existant. Ainsi, dans cinq ans, il faudra commencer à travailler au remplacement du Charles de Gaulle à partir de 2025". Dès aujourd'hui il est possible de dire qu'il n'apparaît toujours pas d'alternative sérieuse au porte-avions pour :
  • projeter la puissance aérienne par-delà les mers,
  • avec aussi bien la durée sur zone,
  • que la souplesse d'emploi des différents feux.
Imaginons qu'il soit proposé de remplacer le Charles de Gaulle par un nouveau navire : le problème demeure exactement le même car la France ne se distinguera pas par cet investissement. Peut être même que nos rivaux seront passés à une permanence aéronavale par l'acquisition d'au moins deux navires. La France aura construit un porte-avions, mais ce ne sera que la préservation de la situation actuelle où il manque un porte-avions pour seconder le premier.

La question est de savoir comment la France pourra préserver un outil aéronaval après 2030 pour continuer à exprimer son indépendance d'action sur la scène internationale ? L'une des choses que l'on peut dire c'est que, à défaut du nombre, c'est la maturité et qualité de l'outil aéronaval français qui fait d'ores et déjà la différence. C'est un gain stratégique qui ne perdurera pas éternellement après la date butoire de 2030.

Est-ce que la solution coûtera 3 ou 5 milliards d'euros ? Plus ou moins ? C'est difficile à dire. Il n'y aurait pas une telle ardoise si le Charles de Gaulle avait été accompagné d'un second navire dès 1989 -mais c'est une autre histoire. En tous les cas, la situation aéronavale confortable qui perdure depuis 1990 prendra fin vers 2030. La question n'est absolument pas de savoir si c'est la "crise" car le XXe siècle a montré une France constamment confrontée à la crise, et plutôt, aux crises. Est-ce que cela a empêché les gouvernements successifs de forger des outils militaires ? Non. La vraie question qui est posée aux gouvernants est celle de l'avenir de l'outil aéronaval français, et donc de la place de la France sur la scène mondiale à partir de 2030. Est-ce que nous avons encore l'ambition de compter parmi les acteurs du monde ?

« Les larmes des souverains ont le goût salé de la mer qu'ils ont ignorée » disait Richelieu. Il s'agira donc de donner les moyens à la France d'être présente sur les mers. Ce n'est pas un dessein qui doit se réaliser au détriment des autres Armées que sont l'Armée de Terre et l'Armée de l'Air (sans oublier la Gendarmerie nationale). Mais il ne faudrait pas non plus que ces deux autres Armées se construisent au détriment de la Marine nationale. C'est pourtant le cas depuis... toujours ou presque en France. Le monde entier crie que les prochaines décennies seront ultra-marines.

C'est-à-dire que le pouvoir politique en France devra faire le choix historique de privilégier la construction de la Flotte, le financement de la Marine, pour répondre aux défis du temps présent. La Flotte ne sert à rien sans Armée de l'Air et Armée de Terre. Mais une belle Armée de Terre et une belle Armée de l'Air sans Flotte seraient l'une des plus belles erreures de ce XXIe siècle.

Prenez au final l'exemple de l'US Navy : son budget représente environ 35% du budget de la Défense américain, contre 30% pour l'US Army et 30 autres pour l'US Air Forces. Il est clair que la marine américaine est la première force armée des Etats-Unis d'Amérique : le budget ne ment pas.

Prenez l'exemple de la France :
Est-ce que le budget de la Marine nationale de la République française transpire d'une ambition navale adaptée aux enjeux maritimes maintes fois décrits par tant de rapport parlementaires, de discours et d'ouvrages, donc, et notamment, par des responsables politiques français ?

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Le problème du financement des ambitions navales de la France est-il une conséquence de la "crise", ou bien tient-il au fait que la Marine nationale n'est pas la priorité budgétaire des forces armées ? La France n'est-elle pas un archipel qui s'étend sur tout le globe terrestre ?

C'est là le choix historique à faire (et le nombre de fois où ce choix a été fait en faveur de la Marine de France dans l'Histoire se compte, peut être bien, sur les doigts d'une main...) : peu importe la bonne fortune du budget, il faut faire un choix. Si la Marine avait le budget de l'Armée de Terre (ce qui reviendrait à doubler le budget annuel de la Marine nationale...) alors peut être que la France ne s'encombrerait pas de quelques formules sybillines sur le contexte budgétaire actuel pour se donner les moyens de son action navale, et donc mondiale. Le problème, ce n'est pas la crise, c'est la répartition des efforts budgétaires.

Actuellement le budget annuel de la Marine nationale est le quart des budgets des Armées de Terre et de l'Air.

La solution ne tient pas dans une quelconque mutualisation, ni dans des choix technologiques ou une modification du contrat opérationnel des Armées : la solution tient dans un choix politique.

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