Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





29 mars 2013

Et si la France choisissait la Mer ?



Les travaux préparatoires du livre blanc 2012 -devenu livre blanc 2013- et les joutes budgétaires entre ministères et Armées, ont été l'occasion d'assister à des affrontements féroces et fratricides. De l'ensemble de ces escarmouches, il ressort des constats profonds et des questions essentielles. Rien n'est dit explicitement, paradoxalement : alors même que ces luttes se font sur la place publique, les vrais enjeux ne sont pas lâchés en pâture à la lumière.



Cela n'empêche pas que la France a suivi un long cheminement depuis la fin de la Guerre froide. Elle en est aujourd'hui au devant d'un tournant historique où le choix de la Mer est possible.
Mais l'on constate alors de farouches résistances à un tel choix : surtout du côté de l'Armée (de Terre) qui est historiquement la priorité budgétaire de la France (sauf pendant l'effort naval d'avant la guerre d'Indépendance américaine ?). Qui plus est, ce réflexe de survie semble se produire à un moment où, si l'outil est efficace, il se doit de se renouveler et de renverser des logiques d'organisation et de fonctionnement d'un autre temps.

Le monde a évolué depuis que le mur de Berlin s'est effondré en 1989. Les années qui suivirent ont vu une lente reconfiguration de la situation sécuritaire en Europe : les menaces aux frontières continentales françaises en Europe se sont effondrées. Même les guerres qui ont suivi la désagrégation de l'ex-Yougoslavie procédait d'une logique expéditionnaire, et non plus de défense aux frontières.

C'est presque 24 ans plus tard que le bascule entre la phase précédente et la nouvelle pourrait se faire.

Le livre blanc de 1994 entérine timidement une partie des changements qui sont intervenus (l'exercice de la deuxième guerre du Golfe, l'adaptation de la dissuasion et la professionalisation. Entre parenthèses, il faut dire que cette "transformation" en a été une surtout pour l'Armée de Terre car les deux autres Armées sont historiquement des armées de professionnels : c'était la remarque d'un certain Paul Reynaud en 1937 dans "Le problème militaire français". Le livre blanc de 2008 confirme un modèle militaire expéditionnaire.

De manière formidable, et c'est assez rare pour être souligné, une potentielle accélération de l'Histoire s'est produite avec l'élection présidentielle de 2012. Loin de la question des couleurs et des programmes, c'est la composition de ce gouvernement qui est intéressante. Et plus que ses membres, c'est son équilibre géopolitique qui est remarquable. "Les mêmes soulignent que le «tropisme breton» - partagé non seulement par le ministre de la Défense, mais aussi par le Premier ministre, le ministre des Transports et la présidente de la Commission de la défense de l'Assemblée nationale". C'est ce pôle politique qui peut potentiellement peser sur les grandes orientations de la Défense nationale qui est intéressant car géopolitiquement, il est aussi cohérent qu'il est tourné vers la mer. Et cet ensemble "contribue aussi à réveiller une classe politique française majoritairement ignorante des enjeux de la mer et de la maritimisation des économies modernes" (citations de cet article du Télégramme).

Si l'on se plait à calculer que le budget militaire français ne cesse de s'éroder depuis 1945, peu de personnes ose ajouter que, depuis cette année fatidique, la hiérarchie des Armées n'avait jamais été remise en cause ! L'Armée (de Terre) possède depuis 1945 le premier budget et les deux autres Armées suivent. Il est bon de rappeler que l'amiral Castex concluait dans les années 30 à la nécessité de développer en priorité l'Armée. C'était en cela très normal comme choix stratégique puisque la France était menacée en ses frontières continentales d'Europe, jusqu'à la fin de la Guerre froide.

Il en ressort qu'accepter la géographie de son pays n'est pas une chose si aisée. Bien des personnes se complaisent à croire que la France est un hexagone. D'autres répondent que les “territoires français d'Europe” forment, effectivement, une telle figure géométrique à six côtés. Mais, poussant plus loin le regard sur la carte, ils ne peuvent s'empêcher de montrer que la France est un Archipel présent sur tous les océans ou presque (manque l'Arctique), sur tous les continents ou presque (manque l'Asie)


Un Etat qui se trouve donc confronté à une telle configuration géographique peut laisser sa puissance s'exprimer sur l'Océan. Cela lui permet de soutenir un expansionnisme économique (qu'une très grande partie de la classe politique française appelle de ses voeux) mondial. Mais il en découle des problèmatiques typiques de la guerre navale, comme la guerre des communications, ou la préservation d'intérêts nationaux de par le monde.

Olivier Kempf le relève dans son dernier ouvrage ("Géopolitique de la France : entre déclin et renaissance", éditions Technip) : la France n'a pas eu le destin maritime qu'elle devait avoir car la défense de ses frontières continentales passait avant toute aventure en mer. Mais maintenant que la France est l'Archipel et que c'est en mer que l'on trouve les limes de la Défense nationale ?

Le pôle maritime dans le gouvernement veut profiter de cette configuration stratégique. Par exemple, le nouveau ministre de la Défense est venu avec une conviction : lors du dernier salon Euronaval "Jean-Yves Le Drian, a clairement réaffirmé que «le renforcement des capacités de la Marine nationale serait poursuivi (...) comme un choix politique et stratégique prioritaire » (citations de cet article du Télégramme). Cette petite phrase illustre à elle seule la mesure du changement d'orientation stratégique qui pourrait potentiellement se produire. L'outil de Défense pourrait évoluer en conséquence.

Ce mouvement ne peut se faire que de deux manières :
  • soit une augmentation du budget des Armées (c'est exclu actuellement), 
  • soit un rééquilibrage du budget de la Défense via de nouvelles priorités.

Aujourd'hui donc, il se posait deux questions au gouvernement :
  • maintenir un effort militaire moyen comparable à ce qu'il se fait aujourd'hui (trajectoire Y),
  • ou bien d'accepter un déclassement stratégique (trajectoire Z).
Le gouvernement a tranché, ce sera la trajectoire Y.

Entre parenthèse, politiques et militaires ont été confrontés à la troisième voie : c'est-à-dire que le ministère des finances leur a expliqué que le budget de la Défense pouvait être aussi significativement réduit. Une chose est intéressante à relever dans cette courte phase. La classe politique, en réaction aux signaux lancés par les officiers généraux quand au risque certain d'un déclassement stratégique de la France après pareil décision, s'est lancée dans une Union sacrée ponctuelle. Les deux partis de gouvernement, et peut être plus encore, ont réaffirmé ensemble leur ambition d'une France qui pèse stratégiquement. On pourrait même expliciter la chose en disant qu'ils ambitionnent une France qui mérite son siège au conseil de sécurité des Nations Unies. 

Il n'en demeure pas moins que le ministre de la Défense veut que la Marine nationale soit la priorité budgétaire afin de soutenir cette expansion navale française dans le contexte de la maritimisation des économies du monde.

Bien entendu, et comme François Géré nous invite, lui parmi d'autres, à le faire, il ne faut pas sacrifier l'excellent outil (mais largement perfectible) qu'est l'Armée de Terre.

Le stratège naval le plus présent dans les esprits actuellement, Sir Julian S. Corbett, conçoit une stratégie navale qui pourrait se résumer à : maîtriser les communications (maritimes) afin de pouvoir projeter une force terrestre sur les points faibles du dispositif adverse.

La question du format de l'Armée de Terre est donc posée. Elle s'est transformée en force expéditionnaire de 1994 à aujourd'hui, et l'a plutôt bien fait. Les récentes opérations extérieures en Afrique ont posé plusieurs questions.
Au Niger, il était question de montrer que le prépositionnement des troupes était essentiel pour la projection des forces. De là il a été avancé que le tryptique diplomatie de défense/Sea basing/préspotionnement des forces était une formule assez juste pour concentrer nos forces et générer des forces coalisées de circonstance : les crises maliennes et centrafricaines en sont les parfaits exemples.
Plus largement, il est question d'adapter les structures de l'Armée de Terre qui sont héritées d'une armée de défense continentale. Bien des auteurs, en particulier Benoist Bihan (ses nombreux articles dans DSI), les colonels Goya et Dupont (" L'armée de terre : un outil coûteux, marginalisé, en perte d'efficacité") proposent de revoir de fond en comble ses structures pour achever la transformation expéditionnaire de l'Armée de Terre.

Mais dans un tel schéma, il s'agit de poser aussi la question du format de la Marine. La vraie question, c'est est-ce que la nouvelle configuration stratégique française, que l'on nomme de plus en plus "Archipel France", exige une Marine plus forte ? Et surtout, si la réponse était oui, est-ce que nous sommes prêts et capables d'agir en conséquence ? Concrètement, est-ce que la France est prête à inverser la priorité budgétaire entre les budgets de l'Armée de Terre et de la Marine ?

Les défenseurs de la puissance terrestre répètent à l'envie que les guerres se gagnent à terre. Mais l'oeuvre de Corbett est là pour démontrer que c'est une équation tronquée : si l'on n'est pas puissant sur mer alors on ne tire pas parti du résultat des guerres, on ne sait les prévenir ni même les gagner.

C'est pourquoi l'équation budgétaire est particulièrement difficile entre une Marine qui sera certainement développé à la hauteur des défis de la maritmisation des économies mondiales et de l'Archipel France. Mais pour exploiter ses avantages, il sera impératif de disposer d'une Armée de Terre efficace, même si son format sera encore réduit.

Pouvons-nous encore échapper à ce destin maritime ?

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