© Inconnu. |
Le marquis de Seignelay nous livre ici quelques réflexions sur la dissuasion nucléaire
océanique de part et d'autre de l'Atlantique, autour des notions de
frappe préemptive et de frappe préventive. Bien entendu, ses propos
n'engagent que lui.
L'action
de l'Administration Obama pour la « dénucléarisation du monde » va
commencer à produire ses premiers effets. Le président américain devrait
annoncer une nouvelle doctrine nucléaire et, plus qu'une baisse
impressionnante de l'arsenal américain (toujours dans le cadre d'un
accord START on espère), un remodelage complet de la dissuasion
nucléaire étasunienne. Ainsi c'est une véritable transformation de la
dissuasion qui pourrait s'opérer avec le retrait des bombes nucléaires
tactiques en Europe par exemple et la fin des armes nucléaires
anti-bunker (mini-nuke). En lieu et place le choix serait fait de
continuer dans la voie de la « réponse immédiate ». Comprenez, des SNLE
de classe Ohio qui verraient leurs missiles dotés d'une charge
conventionnelle et pouvant frapper n'importe quel point du globe (ou
presque) en moins d'une heure avec une précision accrue. Une première
opération de ce genre a déjà eu lieu, avec la reconversion de quatre
Ohio en « SSGN » (Ships Submersible Guides missiles Nuclear power ou
sous-marin croiseur lance-missile). Ces derniers disposent en lieu et
place de leur missiles Trident de 154 Tomahawk et d'installations pour
commandos.
Et
la France me direz-vous ? La Royale ne dispose pas de l'occasion de
reconvertir des SNLE comme on pu le faire les Etats-Unis. Les quatre
SNLE-NG sont strictement nécessaires pour leur mission de dissuasion. Et
les navires de l'ancienne classe ont peu de potentiel à reprendre du
service. De plus, la Marine a encore moins de crédit budgétaire pour se
doter de croiseurs sous-marins lance-missile (semblables aux Oscar
russes).
Par
contre, un discours de l'ancien Président Jacques Chirac à l'Ile longue
en 2006 avait laissé entrevoir une possibilité de développer une
capacité adaptée face à la réponse immédiate américaine.
Une action anti-tir nucléaire par « réponse immédiate » ?
Quatre
SNLE américains de la classe Ohio ont fini d'être transformés en SSGN
en 2006 (Ohio et Florida) et 2007 (Michigan et Georgia). Ils sont
équipés d'installations pour 66 commandos et de... 154 Tomahawk. Ce qui
est un arsenal dissuasif. Il était question depuis la refonte des ces
navires d'en commander quatre supplémentaires, qui seraient ainsi
transformés dans le cadre de la « réponse immédiate ». Ils garderaient
leurs missiles balistiques (la classe Ohio possède 24 silos soit autant
que le Typhoon russe) mais ces derniers seraient dotés d'une charge
classique. Donc on ne serait plus dans le cadre de « croiseur
lance-missile sous-marin » mais bien de SNLE à charge conventionnelle. A
ne pas confondre. De plus, la précision des missiles passerait de
décamétrique à métrique pour effectuer des « frappes chirurgicales »
quasiment imparables.
Une
des cibles potentielles pour la réponse immédiate est la « lutte
terroriste » par des frappes contre des sites incriminés. Et aussi les
préparatifs d'un tir nucléaire nord-coréen. Il serait donc envisagé, car
possible, de frapper un site de tir nord-coréen pour, non pas empêcher
le tir, mais interdire toute possibilité de l'effectuer.
On
est bien face à un changement dans la dissuasion elle-même puisque
l'armement conventionnel atteint un degré tel (ou plutôt, on explore une
telle utilisation des moyens conventionnels) qu'il peut faire peser une
menace stratégique sur les moyens d'actions de l'état visé. Par la
soudaineté, l'imprévisibilité, l'invisibilité et la rapidité de la
frappe, c'est une menace nouvelle. Par son caractère conventionnel,
c'est un acte militaire. Mais qui garde un caractère exceptionnel par le
recours à une arme balistique.
Est-ce
que la France peut rejoindre les Etats-Unis dans cette « dissuasion
décomplexée » sans forcément avoir recours à de coûteux développements
de moyens nouveaux ?
Frappe préemptive et frappe préventive
Une
opération préemptive consiste en une action immédiate sur la base de
preuves indiquant qu'un ennemi est sur le point de frapper. L'action est
donc légitime : la préemption est très proche de la notion de légitime
défense autorisée aux États par l'article 51 de la Charte des Nations
Unies. En revanche, une opération préventive implique des actions
entreprises pour empêcher une menace future plausible mais hypothétique,
c'est-à-dire sans preuve et sans légitimité.
C'est
ainsi que le général d'armée de l'air, Hervé Le Riche, alors Major
général des armées, définissait la différence entre ces deux thèmes dans
une interview au mensuel DSI (rapporté par le blog Secret Défense de
Jean-Dominique Merchet : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2007/10/les-frappes-pre.html).
La frappe préemptive française
Ce
19 janvier 2006, le Président de la République Jacques Chirac
prononçait un discours à l'Île longue, la base des SNLE. Notons qu'il ne
semble pas avoir été contredit par le nouveau livre blanc sur la
défense et la sécurité nationale. Les caractéristiques de ce discours
sont principalement la réaffirmation que « la dissuasion nucléaire
demeure la garantie fondamentale de notre sécurité » et une plus grande
flexibilité d'usage de l'arme nucléaire dans des scénarios nouveaux.
Matériellement cette inflexion est permise par une répartition
différenciée du nombre de têtes nucléaires par missile (M45 et M51).
Lors
de ce discours la cible de fond n'était pas vraiment la Corée du Nord,
qui n'est pas une grande préoccupation française, la gestion de cette
crise étant laissée à la discrétion des États-Unis et du groupe des six
d'Asie de l'Est. Non, Jacques Chirac parlait plutôt de l'Iran, le
Président usant d'une rhétorique pas si éloignée de celle des « États
voyous ». Il fustige le terrorisme commis par des fanatiques tout en
reconnaissant que l'arme nucléaire n'est pas destinée à la lutte contre
ces derniers. Par contre il adresse de lourdes mises en garde contre les
états soutenant ce genre de mouvement. Car ces derniers s'exposent
à
une réponse ferme et adaptée de notre part. Et cette réponse peut être
conventionnelle. Elle peut aussi être d'une autre nature.
Nous
sommes en mesure d'infliger des dommages de toute nature à une
puissance majeure qui voudrait s'en prendre à des intérêts que nous
jugerions vitaux. Contre une puissance régionale, notre choix n'est pas
entre l'inaction et l'anéantissement. La flexibilité et la réactivité de
nos forces stratégiques nous permettraient d'exercer notre réponse
directement sur ses centres de pouvoir, sur sa capacité à agir. Toutes
nos forces nucléaires ont été configurées dans cet esprit. C'est dans ce
but, par exemple, que le nombre des têtes nucléaires a été réduit sur
certains des missiles de nos sous-marins.
La
chose a bien était perçue comme une possibilité de frappe préemptive
contre un état touchant aux intérêts vitaux français. Comment pourrait
s'illustrer cette frappe préemptive ? On peut imaginer deux options :
Tir de semonce nucléaire
Ce
qui est porté à l'attention du lecteur aujourd'hui est la possibilité
de toucher à la capacité à agir. Ce discours s'inscrit bien dans un «
certain » rapprochement doctrinal avec la pensée américaine (dans le
sens de l'action préventive, cela rappellera les débats sur le nucléaire
tactique). Le Président ne l'a pas dit mais on ne peut s'empêcher de
penser à, par exemple, un tir nucléaire atmosphérique au-dessus d'un
champ de tir de missile balistique iranien. De sorte que l'effet d'une
telle explosion produise un effet électromagnétique. Les conséquences en
sont que toute l'électronique non protégée contre cette impulsion
électromagnétique se retrouve hors-service. Ainsi, l'explosion pourrait
rendre inopérant l'arsenal balistique ennemi : sa capacité à agir.
La frappe préemptive
Mais,
notre concept d'emploi des armes nucléaires reste bien le même. Il ne
saurait, en aucun cas, être question d'utiliser des moyens nucléaires à
des fins militaires lors d'un conflit. C'est dans cet esprit que les
forces nucléaires sont parfois qualifiées "d'armes de non emploi". Cette
formule ne doit cependant pas laisser planer le doute sur notre volonté
et notre capacité à mettre en œuvre nos armes nucléaires. La menace
crédible de leur utilisation pèse en permanence sur des dirigeants
animés d'intentions hostiles à notre égard. Elle est essentielle pour
les ramener à la raison, pour leur faire prendre conscience du coût
démesuré qu'auraient leurs actes, pour eux-mêmes et pour leurs États.
Par ailleurs, nous nous réservons toujours, cela va de soi, le droit
d'utiliser un ultime avertissement pour marquer notre détermination à
protéger nos intérêts vitaux.
Toute
la puissance de la dissuasion reste, et restera sûrement, le doute
induit. On a évoqué un tir de semonce aux allures tactiques et presque
indolore. C'est paradoxal ainsi énoncé. Mais rien n'indique qu'une
frappe directe contre un site de tir est écartée. Tout comme dans notre
propre hypothèse, si la capacité à agir visée est protégée des
impulsions électromagnétiques, il ne reste plus que la frappe directe...
C'est bien « un ultime avertissement pour marquer notre détermination à
protéger nos intérêts vitaux », ou la dernière sommation.
Tir de semonce, frappe préemptive, réponse immédiate : une action défensive selon... Mahan
Si
l'on reprend l'image du blocus naval selon le stratège naval américain
alors l'utilisation proposée de l'arsenal stratégique français et
américain reste une action purement défensive, malgré l'importance de
l'engagement. Pour résumer rapidement Mahan, un blocus naval est
défensif s'il consiste à bloquer la flotte militaire ennemie dans son
port. En bloquer l'accès au commerce maritime est une action offensive
en ce sens où l'on porte atteinte à l'économie de l'adversaire donc à
ses forces.
Ainsi les armes
nucléaires stratégiques restent défensives puisqu'elles ne visent qu'à
priver l'adversaire de sa capacité à agir en touchant son arsenal même
tout en évitant ou en tentant d'éviter à toucher à autre chose.
Une contradiction avec la défense anti-missile pour conclure ?
Quel
que soit le moyen d'action que nous avons cherché à illustrer, il y a
un point commun. C'est la volonté contre un État proliférant de détruire
préemptivement sa capacité de tir avant qu'il ne la mette en œuvre. Ce
qui est un fléchissement par rapport à la défense anti-missile
balistique où l'on cherche à arrêter l'attaque ennemi une fois lancée.
C'est véritablement une posture différente, en partie d'ordre
psychologique. Là où la proposition américaine d'opérer un bouclier
pourrait dédramatiser le feu nucléaire en cherchant à en éviter les
conséquences néfastes, la France pourrait rappeler la capacité réelle de
ces armes et le fait que l'on ne joue pas avec ce genre de menace. La
ligne jaune ne serait pas pour la France un missile passant entre les
mailles d'un filet anti-missile. Mais bien la volonté d'utiliser l'arme
nucléaire qui serait réprimée par le feu.
Enfin,
les deux capacités américaines ne sont pas forcément exclusive l'une de
l'autre. La réponse immédiate pourrait être la première partie du
bouclier (il n'y a pas de meilleure défense que l'attaque) tandis que le
bouclier serait présent pour tenter d'arrêter les tirs réussis.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire