Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





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26 mai 2014

#EP2014 : la France, centre de gravité de l'Europe ?

http://media.20minutes.fr/2014/le_nouveau_parlement_europeen_29822_hd_1.jpg
 
Aujourd'hui, il n'est pas question d'écrire de manière partisanne sur les résultats des élections européennes. Mais, plusieurs choses retiennent l'attention sur la place de la France en Europe. Dans la sphère des perceptions, les résultats des élections européennes de 2014 sont source d'enseignements.
 
Entre parenthèses, suis-je le seul à noter que le parti arrivé en tête au Parlement européen ne dispose que d'une majorité relative et que la moindre coalition à la gauche de l'échiquier politique européen suffirait pour gouverner ?
 
La leçon la plus importante dans ce domaine est que les résultats français sont, manifestement, le sujet de discussion en Europe. Que ce soit sur les réseaux sociaux, que ce soit dans la presse, que ce soit dans la rue, l'Europe entière s'intérese au scrutin français.
 
Le deuxième enseignement qui découle du premier, c'est qu'il y a un rôle reconnu à la France. Le renouveau du désir d'insularité anglais ? Les succès de l'Allemagne ? Le lien transatlantique ? Non, c'est la France qui a voté et dont on attend des choses. Incroyable ? Pas une seule fois on nous a présenté une France en déclin, sortie de la route. Non, l'Europe regarde une France en mouvement qui a donné une parole qui surprend les peuples européens.
 
Troisième chose, c'est la manière dont les européens perçoivent la France. Les réactions qui ont été glanées par la presse montrent une certaine idée de la France. La France arrogante, qui donne des leçons au monde ? Quelque soit la véracité de cette image, c'est justement celle-ci qui est réclamée par les européens : une France modèle ! Ils veulent cette France. C'est exactement dans cette image que cite Joann Sfar à propos de Romain Gary quand "Pendant la guerre, sa mère disait: «La France gagnera la guerre parce que c'est la France.»"
 
Quatrième chose, l'Europe est de facto en crise : il y a un découplage magistral entre Londres, Paris, Berlin et Moscou. La manière dont agit politiquement l'Union européenne n'est pas tenable. C'est le moment habituellement opportun dans la construction européenne pour des réformes décisives.
Les situations monétaire, financière et économique, leur intrication, sont intenables. La question de la gouvernance de la zone euro, des exigences de la monnaie unique, des dettes européennes et des eurobligations vont revenir avec force sur le devant de la scène.
 
http://www.lefigaro.fr/assets/infographie/print/1fixe/201417_europe_3_cercles.png
 
De même, peut-être avez-vous noté que le député Laurent Wauquiez s'est prononcé pour une Europe en cercles concentriques :
  • d'une, beaucoup d'hommes et femmes politiques français se déclarés favorables à cette structure de l'intégration de la France en Europe, droite comme gauche. Ce qui ne peut que surprendre quand on voit comme les propositions de l'homme ont été rejetées, parfois avec violence.
  • Ensuite, notons que dans ce modèle, peu de responsables politique se prononcent sur le "quatrième cercle" : un espace pan-européen qui rencontrerait les aspirations profondes de la diplomatie russe. Vers la fusion de l'OCDE et du Conseil de l'Europe ?
 
Enfin, nous serions toujours dans une grave crise des fondements. Le général Poirier utilisait cette expression à l'endroit de la stratégie nucléaire au sortir de la Guerre froide. Aujourd'hui, en France, nous pouvons observer que les notions les plus fondamentales perdent leur sens. Certaines, comme "puissance", sont malmenées. A ce sujet, il y a cet excellent article de Benoist Bihan.
 
Et dans le cadre de l'Europe, il ne faut pas s'étonner que le Parlement européen puisse être considéré comme la troisième chambre du parlement allemand tant l'Allemagne s'investit dans l'Europe. C'est-à-dire que les eurodéputés allemands siègent et travaillent (quand à l'Assemblée nationale délégation de vote et absentéisme sont légion), les médias allemands parlement de l'Europe, etc...
Vous souvenez-vous de ce projet géopolitique : la France se projettant dans la construction européenne pour constituer une "plus grande France" ? C'est un échec car aucun investissement n'a été réalisé.
 
Vous souvenez-vous du projet géopolitique de l'Archipel France qui n'est antagoniste du précédent ? Pareil, zéro investissement.
 
Vous souvenez-vous du projet géopolitique de la Francophonie, qui n'est pas, encore une fois, antagoniste des deux précédents ?
 
Trois échecs géostratégiques. C'est drôle de remarquer que à chacun de ces projets correspondent les ministères (des affaires européennes, de la mer et de la Francophonie) les plus malmenés depuis 30 ans...

06 décembre 2013

La Mitteleuropa et le contrôle de l'Ile Monde

http://www.courrierinternational.com/files/pierrick.van.the@courrierinternational.com/987-MackinderBriesemeister.gif 
© Inconnu. Le monde selon H. J. MACKINDER.

 

Les deux cartes qui sont issues de l’article de Michel KORINMAN « La longue marche des organisations de réfugiés allemands de 1945 » (aux pages 43 et 44) montrent, pour la première les frontières de l' "Allemagne historique" (Grande Allemagne sous Hitler, Saint Empire Romain Germanique, etc...) et la seconde le déplacement des populations germanophones après la seconde guerre mondiale.
L'article du géopolitologue KORINMAN a été publié dans le numéro 68 de la revue de géographie et de géopolitique Hérodote (1993) intitulé « La question allemande ».

 

La publication de cet article intervient dans un contexte historique très fort. Ainsi, la réunification allemande est effective le 3 octobre 1990. Le processus était engagé depuis octobre 1989 et succède à une période de détente (1986-1988) entre la coalition occidentale et l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques). Une année plus tard, à peine, c’est la dissolution de l’URSS qui est prononcée le 26 décembre 1991.

 

Cette réunification allemande dans le cadre de la recomposition de l’espace politique européen, sur les décombres du bloc de l’Est, inquiète. Le pacte de Varsovie se dissout le 1er juillet 1991. Il y a la crainte d’une résurgence du projet géopolitique allemand.

 

Les deux cartes présentées montrent deux choses.

 

Premièrement, c’est une synthèse du projet géopolitique allemand. Celui-ci débute par l’unification de la nation allemande et s’achève par la capitulation du 8 mai 1945.

 

« Ainsi, c’est la puissance française qui déclenchera l’unité allemande ». Goethe dira que le cri révolutionnaire (« Vive la Nation ! ») est « le début d’une nouvelle époque de l’histoire du monde »[1].

La bataille d’Iéna (1806) eu plusieurs conséquences pour le mouvement national allemand. Premièrement, Napoléon abolit le Saint-Empire romain germanique. Deuxièmement, après cette bataille Johann Gottlieb FITCHE prononce son discours à la nation allemande, « vrai » moment de la naissance de la nation allemande.

Au Saint-Empire romain germanique succède « au Congrès de Vienne la Confédération germanique (1815-1866) sous la présidence du nouvel Empire autrichien »[2]. Les traités de Westphalie (1648) avaient laissé un Saint-Empire romain germanique à 300 principautés et villes libres. La Confédération germanique permet que « le nombre de principautés et de villes libres fut réduit à trente environ »[3].

La construction de l’unité allemande au long du XIXe siècle est marquée par deux grandes bataille : la première est celle de Sadowa (1866). « L’union de la nation [allemande] ne put aussi se réaliser à cause du contraste des pouvoirs entre les deux Etats de la confédération : d’une part l’Empire autrichien, qui défendait ses droits (solution de la Grande Allemagne), et, d’autre part, le Royaume prussien, qui prenait de l’essor par sa puissance économique et militaire (solution de la petite Allemagne). Cette lutte pour l’hégémonie entre les Habsbourg catholiques et les Hohenzollern protestants, c’est la Prusse qui, sous la conduite de Bismarck, l’emporta, contre la majorité des Etats allemands, pendant la guerre de 1866. La Prusse, après avoir dissous la Confédération, écarta l’Autriche de la future Allemagne »[4].

La seconde bataille marquante de cette construction de l’unité allemande est la bataille de « Sedan et la guerre franco-allemande de 1870 (allemande car associant, autour de la Prusse, des contingents des différents Etats allemands) »[5].

« L’Empire allemand de 1871, la création de Bismarck, était une union de l’Etat prussien, militaire et autoritaire, avec les milieux dirigeants de la bourgeoisie libérale qui s’était développée grâce au commerce et à l’industrie »[6].

 

L’histoire de l’unité allemande montre bien que le pivot en est la Prusse. C’est l’Etat prussien qui a porté la construction de l’unité allemande et y a imposé ses vues. Le conservatisme de la couronne prussienne imprégnera tant les institutions que la direction politique du Reich et son assise territoriale dominera les différents régimes qui se succéderont.

 

L’expansionnisme allemand est porté par un projet hégémonique. C’est-à-dire que l’Allemagne aspire à développer son assise territoriale en Europe, à travers la Mittleuropa, au détriment de ses voisins, afin de mieux pouvoir se projeter dans le monde. La première guerre mondiale porte un coup d’arrêt temporaire à ses ambitions. Mais l’éclatement de la seconde guerre mondiale montre que Berlin réussit à atteindre son expansion territoriale maximale depuis la réalisation de l’unité allemande. Le Reich allait s’effondrer sous le poids de ses conquêtes.

 

Deuxièmement, le projet géopolitique soviétique vient combler le vide laissé par la disparition de l’Allemagne comme grande puissance et l’attentisme de Londres et Washington vis-à-vis de cette région du monde. La théorie du Heartland[7] de Halford John MACKINDER est une lecture intéressante pour replacer cette conquête soviétique dans une perspective géopolitique.

Dans son célèbre article, MACKINDER postule l’existence d’un Heartland[8]. Forteresse inaccessible à l’influence maritime, installée au cœur du continent eurasiatique, le Heartland serait le pivot de l’Histoire. Il est borné au Nord par l’océan glacial Arctique.

Autour de ce Heartland existe le « croissant interne ». Nicholas J. SPYKMAN reprendra en partie la thèse de MACKINDER : il affirmera que le pivot n’est pas le Heartland mais ce croissant interne qu’il baptisera Rimland[9].

A l’extérieur de ce croissant interne (ou Rimland pour SPYKMAN) se situe le croissant externe ou insulaire. Il comprend, par exemple, les Amériques, une partie de l’Afrique et l’Australie.

MACKINDER résumera sa théorie par une célèbre formule : qui tient l’Europe de l’Est tient le Heartland, qui tient le Heartland contrôle l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde ». SPYKMAN aura une formule différente pour exprimer sa lecture de la théorie du Heartland : « qui contrôle le Rimland contrôle l’Eurasie, qui gouverne l’Eurasie contrôle les destinées du monde ».

 

C’est à l’aune du projet géopolitique allemand pour l’hégémonie via le contrôle de l’Europe orientale et de la théorie du Heartland qu’il s’agit de replacer la conquête de la Mitteleuropa par l’Union soviétique.

 

En quoi cette conquête soviétique de la Mitteleuropa illustre la tentative de Moscou de découpler les croissants interne et externe de la théorie de Harold Mackinder pour le contrôle de l’Ile Monde ?

 

L’Union soviétique a vaincu l’Allemagne à l’Est. Le vide géopolitique laissé par la capitulation allemande n’est pas occupée par les vainqueurs à l’Ouest. Moscou s’y engouffre comme nouvelle puissance d’Europe centrale pour réaliser le projet allemand de Mitteleuropa (I). Cette prise de terres marque la volonté de l’empire soviétique, détenteur du Heartland, de découpler le croissant interne du croissant insulaire pour tenter de contrôler l’Ile Monde (II).

 

I – De la prise de terres en Europe centrale et la réalisation de la Mitteleuropa


 

La présence militaire soviétique en Europe de l’Est est décisive dans les processus de dégermanisation et de satellisation (A). C’était les pré-requis pour réaliser le projet de Mitteleuropa allemand à l’avantage de Moscou (B).

A – La satellisation de l’Europe centrale comme marqueur de l’affrontement entre Terre et Mer


 

L’Argentin Juan Bautista ALBERDI affirma au XIXe siècle que « Gouverner, c’est peupler »[10]. Cette expression énonce bien ce que firent les pays d’Europe centrale et orientale. Après leur libération de l’occupation allemande par l’Armée rouge, ils lancèrent le processus de dégermanisation. En réaction à la seconde guerre mondiale et comme mesure de protection vis-à-vis d’un possible relèvement de la puissance allemande, ces Etats allaient saper les bases de son assise territoriale en Europe pour définitivement la réduire. Ainsi, 13 millions d’allemands furent déplacés. Ils quittèrent aussi bien des territoires historiquement allemands que des territoires où existaient de longue date des populations germanophones.

 

A ce rejet du projet géopolitique allemand s’ajoute une opposition entre la Terre et la Mer. Face à la difficile relance des économies européennes qui peinent à s’extraire du marasme dans lequel la seconde guerre mondiale les a laissé, les Etats-Unis proposent une aide économique sous conditions : le plan Marshall.

L’Europe est gouvernée par des fronts nationaux, à une différence près : à l’Est l’Armée rouge est présente et apporte un soutien décisif aux partis communistes. Moscou rejette le plan Marshall. Ce rejet s’explique notamment par les conditions officieuses américaines que les bénéficiaires de l’aide économique excluent les communistes des fronts nationaux.

 

En Europe centrale, Moscou fait pression pour que les pays occupés par l’Armée rouge rejettent l’offre.

La satellisation de l’Europe de l’Est débutait. Economiquement, ces pays sont intégrés dans la sphère économique de l’URSS. Celle-ci fonctionne presque intégralement de manière autarcique. Contraste totale avec la coalition occidentale en cours de constitution, menée par les Etats-Unis et rassemblant, notamment, l’Europe de l’Ouest dont l’un des principes essentiels allaient devenir la liberté des échanges.

 

B – La concrétisation du projet allemand de Mitteleuropa par l’Union soviétique pour renforcer l’autarcie du Heartland


 

La classe dirigeante allemande aspirait aussi à convertir la puissance économique de l’Allemagne en puissance politique à l’échelle du monde. C’est ce qu’elle tenta de faire lors des deux conflits mondiaux du XXe siècle.

C’était la question de l’ « espace vitale », le lebensraum de Friedrich RATZEL qui devait assurer la survie et le développement de l’Etat. En Europe, ce projet se traduisait sur le plan économique en deux points.

Le premier était que la réunion des germanophones permettra de prendre ou de tenter d’arracher les grands bassin miniers (de la Lorraine à la Silésie) pour asseoir la puissance allemande.

 

Le second point était que pour devenir une puissance mondiale, l’Allemagne se doit se sécuriser son assise territorial. Rudolf KJELLEN, géopolitologue suédois, préconise ainsi une Europe fédérale dirigée par l’Allemagne comme base d’un empire colonial allemand. Plus modestement, le projet de Mitteleuropa devait se traduire par une union douanière de l’Allemagne avec ses voisins d’Europe centrale. Ce projet échoue dans les tourments des crises européennes et est définitivement écarté à la capitulation allemande le 8 mai 1945.

 

La satellisation de l’Europe de l’Est (1947-1955) par l’Union soviétique, notamment en réaction au plan Marshall, est l’occasion de concrétiser le projet allemand, de facto. La réunion des Etats d’Europe centrale et orientale dans un même ensemble économique est enfin réalisée. L’URSS accède ainsi à l’ensemble des ressources de cette zone. Elles seront mise au service de l’économie soviétique.

 

Cette prise de terres par Moscou se réalise sans confrontation ni véritables réactions de l’Ouest. Cette Mitteleuropa entre les mains allemandes était une assise économique de trop grandes importances pour une puissance qui tentait de s’imposer comme hégémonique.

 

A l’échelle de la théorie de MACKINDER sur le Heartland, l’enjeu était pourtant décisif puisqu’il avait énoncé en 1919[11] que celui qui contrôle l’Europe de l’Est contrôle le Heartland, et donc, contrôle l’Ile Monde. Toutefois, MACKINDER observait en 1943 que l’alliance entre Moscou et Washington pour réduire l’Allemagne l’amenait à réviser les limites du Heartland. Avec le déménagement de l’industrie soviétique à l’Est de l’Oural, le Heartland de MACKINDER se rétrécit par rapport à sa taille énoncée en 1919.

 

Cependant, une autre crainte de Mackinder s’est réalisée : l’URSS a constitué un empire industriel autonome, surtout des thalassocraties américaine et anglaise. L’apport de la Mitteleuropa demeure important et renforce la Terre contre la Mer.

 

Pendant tout le conflit Est-Ouest, l’Union soviétique saura jouer des rapports économiques entre l’Europe de l’Ouest et de l’Est pour tenter de réorganiser les flux d’échanges du lien transatlantique à un grand commerce eurasien où le croissant interne est découplé du croissant externe, insulaire.

 

http://www.cairn.info/loadimg.php?FILE=HER/HER_146/HER_146_0139/fullHER_146_art08_img001.jpg

 

II – De la tentative de découplage entre les croissants interne et externe pour contrôler l’Ile Monde


 

Moscou ne parvient pas à contrôler l’Ile Monde par la conquête de l’Europe de l’Est - contrairement à ce que disait la théorie du Heartland de MACKINDER- en raison du transfert du pivot en Iran (A). L’Union soviétique tentera de découpler les croissants interne et externe pour le contrôle de l’Ile Monde mais ce sera un échec (B).

 

A – Le transfert du pivot centre-européen au pivot iranien et le premier échec de prise de contrôle de l’Ile Monde


 

L’apport de l’Europe de l’Est n’a pas été décisif pour l’Union soviétique pour contrôler l’Ile Monde. Pourtant, Harold John MACKINDER assurait que celui qui contrôle l’Europe de l’Est contrôle le Heartland, contrôle donc l’Ile Monde et contrôle alors le Monde.

 

Ceci peut s’expliquer de diverses manières. Premièrement, les économies européennes, au sortir de la guerre, sont presque à l’arrêt. Les forces matérielles qui donnaient de caractère si important à l’Europe centrale ont été largement consommées dans la guerre. Il est donc logique que, entre les capitaux perdus et les économies à l’arrêt, l’Europe centrale, et plus généralement, l’Europe, pèse beaucoup moins sur la scène mondiale en 1945 par rapport à 1939.

 

Deuxième point, et non des moindre, cette puissance économique de l’Europe centrale s’appuyait sur des ressources minières dont l’une des plus importantes était le charbon. Mais depuis le début du XXe siècle le charbon cède la place progressivement au pétrole. L’importance capitale que prend cette ressource fossile recompose la géopolitique des ressources. L’Europe en est grandement dépourvu, dans l’absolu. Les Etats-Unis peuvent compter sur de grandes ressources domestiques. Conjointement avec Londres, Washington s’investit fortement au Moyen-Orient et plus particulièrement en Arabie Saoudite (pacte de l’USS Quincy, 14 février 1945).

 

Ce qui amène à penser que l’après seconde guerre mondiale constitue le moment du transfert du pivot de l’Europe centrale au Golfe Persique. Si les réserves en charbon faisaient, pour partie, la force du pivot centre européen, alors la concentration des réserves pétrolières entre l’Iran et l’Arabie Saoudite explique le transfert du pivot. De même, ces nouvelles richesses fossiles assureront une grande activité économique dans cette nouvelle zone, par contraste avec l’Europe centrale et orientale qui a perdu ses grands empires et dont les ressources déclines. De plus, le pivot iranien ouvre bien des voies pour accéder à l’Asie centrale : donc au Heartland.

 

B – L’échec soviétique de découplage entre croissants interne et externe pour le contrôle de l’Ile Monde


 

L’URSS s’est constituée un empire terrien industrialisé et autarcique. Moscou a conquis la Mitteleuropa, c’est-à-dire l’Europe centrale, mais aussi l’Europe orientale. Si cet apport n’a pas été décisif, il s’avère, néanmoins, précieux. 

 

Londres et Moscou occupe l’Iran depuis 1941 afin de protéger la route stratégique Bagdad-Khanaquin-Kermanchah-Hamadan-Téhéran qui est l’une des grandes routes par laquelle transite l’aide militaire des Alliés à l’URSS pendant la seconde guerre mondiale (avec la route maritime de Mourmansk). L’occupation de l’Iran par les Alliés donnent lieu à un jeu diplomatique intense. Les négociations butent, par exemple, sur la question des concessions pétrolières. Moscou et Londres cessent l’occupation, sans que l’URSS ait obtenu gain de cause pour ses revendications et alors que Londres conserve toutes ses positions. Ainsi, l’Union soviétique se retire de ce qui semble être le nouveau pivot sans pouvoir y assurer ses positions.

 

L’URSS n’est pas plus présente dans la Péninsule Arabique, autre terre de pétrole et du croissant interne. Depuis l’accord américano-saoudien, l’Arabie des Séouds est alliée à Washington. En échange de positions pétrolières très avantageuses, Washington assure la sécurité du régime.

 

Le « joyau de la couronne britannique », les Indes, obtiennent leur indépendance le 15 août 1947. De ce jour naissent les Etats du Pakistan et de l’Union indienne. Le nouvel Etat indien affirmera son indépendance et son refus de s’aligner sur l’un des deux blocs. Le tournant interviendra le 9 août 1971 quand l’Inde et l’URSS signèrent un traité (comportant un volet militaire).

 

Enfin, la victoire de Mao et l’avènement de la République Populaire de Chine (1949) est un moment décisif dans l’histoire du mouvement communiste international. C’est la première fois qu’un mouvement communiste parvient au pouvoir hors d’Europe. Et l’apport chinois au bloc de l’Est est gigantesque sur une carte : le bloc communiste domine l’Eurasie[12]. Néanmoins, la rivalité pour le leadership politique dans le camp socialiste et les propres projets géopolitiques de Pékin aboutiront à la rupture sino-soviétique, éloignant la menace du Heartland sur le Rimland.

 

Conclusion


 

Moscou ne parviendra pas à conquérir l’Ile Monde. Le premier échec d’une telle entreprise réside dans le fait que, manifestement, le pivot a été transféré d’Europe de l’Est pour le Golfe Persique et l’Iran. L’Europe est très affaiblie sur le plan économique et l’émergence du pétrole, presque absent d’Europe, pousse au déclin des bassins charbonneux.

Dans un deuxième temps, l’Union soviétique ne parvient pas à intéresser les économies du croissant interne à l’économie industrielle autarcique du Heartland. C’est un échec d’autant plus fort que Moscou se retire de l’occupation de la moitié Nord de l’Iran sans réaliser le moindre gain. Cela contraste fortement avec sa conquête méticuleuse de l’Europe de l’Est. Mais l’Iran avait été occupé sans combat, à la différence de l’Europe centrale et orientale où l’Armée rouge a versé le sang.

 

Cet échec soviétique à conquérir et le pivot et le croissant interne offrira un espace géopolitique aux Etats-Unis quand Truman énoncera la doctrine qui porte son nom et qui consistera dans l’endiguement des avancées soviétiques.

Si l’URSS avait réussi à découpler les croissants interne et externe alors Moscou serait parvenu à faire revenir le monde à l’âge pré-colombien : le Nouveau Monde (les Amériques) aurait été écarté et marginalisé politiquement. SCHMITT expliquait que « l’ordre mondial européo-centrique apparu au XVIe siècle s’est divisé en deux ordres globaux distincts, terrestre et maritime. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’opposition entre terre et mer devient le fondement universel d’un droit des gens global. Désormais il ne s’agit plus de mers intérieures comme la Méditerranée, l’Adriatique ou la Baltique, mais du globe terrestre entier, mesuré géographiquement, et de ses océans »[13].

 

Par ailleurs, cette réflexion ne permet pas d’infirmer ou de confirmer les thèses de MACKINDER et de SPYKMAN. Bien des éléments plaident pour un transfert du pivot de l’Europe centrale au Golfe Persique. Toutefois, aucune des deux grandes puissances ne dominent nettement le Rimland.

 
 

Bibliographie :


 

 
Ouvrages de Géopolitiques :

 

  • CHANTRIAUX Olivier et FLICHY DE LA NEUVILLE Thomas, Le basculement océanique mondial, Paris, Editions Lavauzelle, 2013, 149 p.
  • RATZEL Friedrich, La géographie politique – Les concepts fondamentaux, Paris, Editions Fayard, 1987, 220 p.
  • KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, 220 p.
  • SCHMITT Carl, Le Nomos de la Terre, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 2012, 368 p.

 

Ouvrage d’Histoire :

 

  • FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918, Paris, Editions Trévise, 1970, 653 p.

 

 

Articles de géopolitique :

 
MACKINDER Harold John, « The Geographical pivot of History », Royal society of geography, 1904, pp. 421–37.

 
 




[1] KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, p. 156.

[2] FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, pp. 19-20.

[3] FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, pp. 19-20.

[4] FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, p. 20.

[5] KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, p. 156.

[6] FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, p. 19.

[7] MACKINDER, Halford John, "The geographical pivot of history", The Geographical Journal, 1904, pp. 421–37.



[10] CHANTRIAUX Olivier et FLICHY DE LA NEUVILLE Thomas, Le basculement océanique mondial, Paris, Editions Lavauzelle, 2013, p. 123.


[13] SCHMITT Carl, Le Nomos de la Terre, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 2012, p. 172.

14 novembre 2013

De Sadowa à Berlin : l'échec du projet géopolitique allemand

© Archives Larousse. L'unité allemande (1815-1871).














































   

« Ainsi, c’est la puissance française qui déclenchera l’unité allemande ». Goethe dira que le cri révolutionnaire (« Vive la Nation ! ») est « le début d’une nouvelle époque de l’histoire du monde »[1].


08 octobre 2013

Global commons pour un Grand-Espace ?

http://t2.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcQBVqiGqyrYLCiG00VpGdPvuumUp_N9iy1VfUiNBMEiKm99CtJx 
© inconnu.
 
Ceci n'est que le premier d'une très longue série de billets sur les Global commons. Par un total manque de respect des conventions formelles et d'une certaine rationalité, il est proposé d'entrer dans le vif du sujet sans autre forme de procès -et encore moins une présentation.
 
Global commons
 
L'un des objets du conflit Est-Ouest a été le règlement du conflit de la seconde guerre mondiale entre les Etats-Unis et l'URSS. L'une des particularités de ce conflit était que les deux camps se réclamaient de la fin de l'Histoire. Cette dernière aurait une fin. Pour le camp communiste, la fin de l'Histoire, grossièrement présentée, était un passage au socialisme avec la suppression de la menace militaire représentée par la coalition occidentale. Une fois cette transition réalisée le communisme pourrait alors apparaître et unifier le monde. La coalition occidentale proposait elle-aussi sa fin de l'Histoire fondée sur le libéralisme.
 
L'URSS a disparu de la société internationale et la fin de l'Histoire dans le communisme avec elle. Néanmoins, les Etats-Unis n'ont pas non plus réussi à atteindre cette fin de l'Histoire. C'est en cela que le discours sur les Global commons peut être intéressant. Enoncé au sein du commandement à la transformation de l'OTAN, il propose à l'Alliance un nouveau paradigme fondé sur la protection des accès aux global commons : la haute-mer, l'espace aérien, l'espace exo-atmosphérique et le cyberespace.
 
Sur une suggestion d'EGEA, il est effectivement particulièrement intéressant de rapprocher ce discours de ce que le juriste allemand Carl Schmitt a pu dire à travers Le nomos de la Terre (aux éditions PUF, collection Quadrige). Mais pas seulement dans cet ouvrage. Un article en ligne de Theo Hartman -Carl Schmitt : Etat, Nomos et "grands espaces"- permet d'essayer de replacer le discours des Global commons dans une pensée géopolitique dont l'un des éléments est la notion schmittienne de "Grand-espace".
 
Le Grand-Espace
 
L'article propose une citation de "Joseph Chamberlain qui illustre bien l'intention des géopolitologues et de Schmitt lui-même: «L'ère des petites nations est révolue depuis longtemps. L'ère des empires est advenue» (1904)". Il peut être admis que la disparition de l'URSS signifie la fin des empires traditionnels.
 
Une nouvelle ère apparaîtrait alors autour de la notion de "Grand-Espace" avant même que la précédente ait été terminée. "A la place des empires, nous avons désormais les “Grands-Espaces”. Dans son essai Raum und Großraum im Völkerrecht, Schmitt définit clairement le concept qu'il entend imposer et vulgariser: «Le “Grand-Espace” est l'aire actuellement en gestation, fruit de l'accroissement à l'œuvre à notre époque, où s'exercera la planification, l'organisation et l'activité des hommes; son avènement conduira au dépassement des anciennes constructions juridiques dans les petit-espaces en voie d'isolement et aussi au dépassement des exigences postulées par les systèmes universalistes qui sont liés polairement à ces petits-espaces»".
Plus loin, il est dit que Schmitt cite Friedrich Ratzel pour dire, citations de Ratzel à l'appui, que "chaque génération, l'histoire devient de plus en plus déterminée par les facteurs géographiques et territoriaux". Faut-il rapprocher cette citation de l'article des changements obervés dans le monde ? Il y a la multiplication de ces espaces d'échanges internationaux qui ne se limitent plus à l'Océan.
 
Grundbuch des Planeten
Par la suite, il faudrait s'intéressait à la théorie de Haushofer. Celui-ci, nous dit l'article, envisageait de publier un Grundbuch des Planeten : un livre universel sur l'organisation territoriale de la planète. "La géopolitique, selon Haushofer, ne devait pas servir des desseins belliqueux —contrairement à ce qu'allèguent une quantité de propagandistes malhonnêtes—mais préparer à une paix durable et éviter les cataclysmes planétaires du genre de la première guerre mondiale. Ce Grundbuch haushoférien devait également définir les fondements pour maintenir la vie sur notre planète, c'est-à-dire la fertilité du sol, les ressources minérales, la possibilité de réaliser des récoltes et de pratiquer l'élevage au bénéfice de tous, de conserver l'“habitabilité” de la Terre, etc., afin d'établir une quantité démographique optimale dans cer‐tains espaces. Les diverses puissances agissant sur la scène internationale pratiqueraient dès lors des échanges pour éviter les guerres et les chantages économiques".
 
L'auteur de cet article rapporte cette remarque révélatrice que le géopolitologue Haushofer était peut être "un peu écolo avant la lettre". Ce qui incite à s'interroger sur le rapport entre le discours otanien sur les Global commons et la très forte présence de cette notion en droit de l'environnement.
 
Enfin, nous arrivons à la citation du concept de "région géopolitique" du géographe américain Saul Bernard Cohen. Ce concept cohenien répondrait à celui de "Grand-Espace" de Schmitt.
 
Si l'on tentait d'ordonner le tout alors le Grundbuch de Haushoer offre le cadre global dans lequel replacer nos éléments. Nous n'avons qu'une seule planète comme le disait un grand soviétique et il faut ajouter que ses ressources sont limitées. Le contre-amiral Jean Dufourq (2S) exposait ainsi dans son article "70 bleu versus 30 vert" le paradigme suivant. Nous avons ou allons bientôt épuiser la majeure partie des ressources minéarales terrestres et les réserves restantes sont dans les océans.  Il y a une nouvelle course pour y accéder qui correspond à toutes les batailles autour des zones économiques exclusives.
 
Le Grand hémisphère occidental ?
 
Les notions de région géopolitique et de Grand-Espace pourraient être présentées sous l'angle des constructions institutionnelles qui visent, dans un premier temps, à pacifier les échanges économiques d'une région mondiale au sein d'un espace commun, voire à pacifier la région elle-même. La construction européenne en est un grand avatar, mais pas seulement.
Ce que l'affaire Snowden nous cache, c'est l'interaction actuelle entre l'espace économique européen et les espaces économiques de l'hémisphère américain. L'un des arguments pour promouvoir ce traité commercial est le futur poids normatif de ce futur espace de libre échange vis-à-vis des autres économies. C'est à dire que l'on viserait donc à rapprocher des constructions juridiques de chaque côté de l'Atlantique pour permettre au libre échange économique de donner sa pleine mesure.
Notez au passage que l'économie est évoquée mais pas le centre politique : actuellement, le centre est toujours aux Etats-Unis.
Dans quelle mesure ce traité va-t-il tendre à rapprocher ou unifier les différentes zones d'échanges américano-européennes, c'est une question liée.
 
Ainsi, la référence au Nomos de la Terre semble prouver toute sa pertinence puisque nous trouverions un hémisphère occidental tendant à retrouver un espace juridique unifié. Dans cette optique, le discour sur les Global commons serait la traduction militaire de cette vision d'une région géopolitique, d'un Grand-Espace en construction. Il s'agirait donc d'en défendre tant les flux internes à cet espace que les flux externes en liaisons avec les autres espaces et les ressources comprises dans les Global commons. 
 
Néanmoins, la question du cadre territorial est inachevée. Les Etats-Unis ont étendu ce qui pourraît être nommé l'Occident jusque dans l'ancien glacis soviétique. C'était pour la façade Atlantique, et du côté de la façade Pacifique américaine, il y a eu la proposition du président Obama de construire un espace de libre échange entre l'Asie du Sud-Est et l'Amérique. C'est par ce biais que l'on peut reposer la question de la fin de l'Histoire : ce magma de projets et de traités va-t-il dans le sens d'une hégémonie américaine préservée au sein d'un espace modelé par ses soins ou bien l'Amérique poursuit-elle encore la fin de l'Histoire ?
 
Ceci n'est qu'un brouillon très grossier pour tenter de donner un peu de sens aux premières recherches sur le sujet.