« Ainsi, c’est la puissance française qui déclenchera l’unité allemande ». Goethe dira que le cri révolutionnaire (« Vive la
    Nation ! ») est « le début d’une nouvelle époque de l’histoire du monde »[1].
La bataille d’Iéna (1806) eu plusieurs conséquences pour le mouvement national allemand :
- premièrement, Napoléon abolit le Saint-Empire romain germanique ;
 - deuxièmement, après cette bataille, Johann Gottlieb Fichte prononce son discours à la nation allemande, « vrai » moment de la naissance de la nation allemande.
 
Au Saint-Empire romain germanique succède « au Congrès de Vienne la Confédération germanique (1815-1866) sous la présidence du nouvel Empire
    autrichien »[2].
 Les traités de Westphalie avaient laissé un Saint-Empire romain 
germanique à 300 principautés et villes libres. La Confédération 
germanique permet
    que « le nombre de principautés et de villes libres fut réduit à trente environ »[3].
  
  
La construction de l’unité allemande au long du XIXe siècle est marquée par deux grandes batailles :
  
  - 
      la première est celle de Sadowa (1866). « L’union de la nation [allemande] ne
 put aussi se réaliser à cause du contraste des pouvoirs entre les
      deux Etats de la confédération : d’une part l’Empire autrichien, 
qui défendait ses droits (solution de la Grande Allemagne), et, d’autre 
part, le Royaume prussien, qui prenait de l’essor
      par sa puissance économique et militaire (solution de la petite 
Allemagne). Cette lutte pour l’hégémonie entre les Habsbourg catholiques
 et les Hohenzollern protestants, c’est la Prusse qui,
      sous la conduite de Bismarck, l’emporta, contre la majorité des 
Etats allemands, pendant la guerre de 1866. La Prusse, après avoir 
dissous la Confédération, écarta l’Autriche de la future
      Allemagne »[4].
 - La seconde bataille marquante de cette construction de l’unité allemande est la bataille de « Sedan et la guerre franco-allemande de 1870 (allemande car associant, autour de la Prusse, des contingents des différents Etats allemands) »[5].
 
« L’Empire
 allemand de 1871, la création de Bismarck, était une union de l’Etat 
prussien, militaire et autoritaire, avec les milieux dirigeants de la
    bourgeoisie libérale qui s’était développée grâce au commerce et à 
l’industrie »[6].
  
  
L’histoire
 de l’unité allemande montre bien que le pivot en est la Prusse. C’est 
l’Etat prussien qui a porté la construction de l’unité allemande et y a 
imposé ses
    vues. Le conservatisme de la couronne prussienne imprégnera tant les
 institutions que la direction politique du Reich et son assise 
territoriale dominera les différents régimes qui se
    succéderont.
  
  
L’expansionnisme
 allemand est porté par un projet hégémonique. C’est-à-dire que 
l’Allemagne aspire à développer son assise territoriale en Europe, à 
travers la
    Mitteleuropa, au détriment de ses voisins, afin de mieux 
pouvoir se projeter dans le monde. La première guerre mondiale porte un 
coup d’arrêt temporaire à ces ambitions. Mais
    l’éclatement de la seconde guerre mondiale montre que Berlin réussit
 à atteindre son expansion territoriale maximale depuis la réalisation 
de l’unité allemande. Le Reich allait s’effondrer sous
    le poids de ses conquêtes.
  
  
C’est 
la fin du projet hégémonique allemand qu’il est possible de distinguer à
 travers le déplacement des populations allemandes depuis la Prusse et 
toute l'Europe
    de l'Est vers l’Allemagne de la rive gauche de l’Oder.
  
  
En quoi
 le déplacement des populations allemandes de Prusse et d'Europe de 
l'Est signifie-t-il l’échec du projet hégémonique allemand ?
  
  
Ce 
projet hégémonique échoue à réaliser ce que Carl SCHMITT nomme les 
« prises de terres et de mer » (I). Cette tentative infructueuse signe 
la fin de
    l’école de geopolitik allemande, de l’expansionnisme prussien mais aussi de la Prusse : donc du projet géopolitique allemand (II).
    
  
  
I – L’échec des tentatives de prise de Terres et de Mer
  
  
Le 
projet géopolitique allemand peut être représenté par la notion 
schmittienne de « prise de terres et de mer » : c’est-à-dire que le 
pangermanisme
    devait être le centre du projet d’union douanière de la Mitteleuropa
 (A). Cette base devait être suffisamment solide pour permettre à 
l’Allemagne de réaliser la prise de mer (B).
  
  A – L’échec du pangermanisme pour la prise de terres
Dario BATTISTELLA postule dans son essai, Un monde unidimensionnel, que : « Les
 réalistes sont en effet majoritairement d’accord pour
    postuler que l’existence d’une puissance, bénéficiant d’un avantage 
en ressources à l’origine d’un déséquilibre des puissances en sa faveur,
 incite les autres Etats à pratiquer une politique
    d’équilibre, et par internal et/ou external balancing ».[7]
    
  
  
La 
production allemande d’acier dépasse celle de l’Angleterre au tout début
 du XXe siècle. Ce miracle économique allemande n’a que d’égal l’appétit
 industriel
    américain. Deuxième constat décisif pour l’opinion allemande, Berlin
 fait jeu égal sur le plan économique avec Washington. L’Allemagne va 
essayer d’équilibrer la puissance américaine par un
    processus d’internal balancing, c’est-à-dire d’augmentation de puissance interne.
  
  
Il 
s’ouvre alors dans l’esprit de la classe dirigeante allemande d’alors 
une place à prendre en Europe pour devenir une puissance mondiale. Etat 
continental,
    l’Allemagne se doit de sécuriser son assise territorial. Rudolf 
KJELLEN, géopolitologue suédois préconise ainsi une Europe fédérale 
dirigée par l’Allemagne comme base d’un empire colonial
    allemand. Friedrich RATZEL, second géopolitique phare dans la pensée
 allemande, définit l’espace vital ou l’espace de vie. RATZEL est un 
personnage très important car il est un des animateurs du
    pangermanisme qui vise au rassemblement de tous les germanophones 
dans un même espace politique. Mais ce pangermanisme visait également 
des buts économiques par l’annexion de tous les grands
    bassins charbonneux d’Europe, dans l’aire germanique, de la Silésie à
 la Lorraine.
  
  
Le 
désir expansionniste prussien trouve donc des fondements scientifiques, 
économiques et géopolitiques. Les buts de guerre de l’Allemagne pendant 
les deux guerres
    mondiales reflèteront ces conceptions. La réalisation de ces buts 
pendant la seconde guerre mondiale marqueront l’apogée mais aussi 
l’échec du pangermanisme.
  
  
© Crédit inconnu. La Flotte
    allemande internée à Scapa Flow en 1919.
  
  B – L’ascension ratée de l’Allemagne sur les mers
Carl SCHMITT relate ainsi, dans Le nomos de la Terre, que : « l’ordre
 mondial européo-centrique apparu au XVIe siècle s’est divisé en deux
    ordres globaux distincts, terrestre et maritime. Pour la première 
fois dans l’histoire de l’humanité, l’opposition entre terre et mer 
devient le fondement universel d’un droit des gens global.
    Désormais il ne s’agit plus de mers intérieures comme la 
Méditerranée, l’Adriatique ou la Baltique, mais du globe terrestre 
entier, mesuré géographiquement, et de ses océans »[8].
  
  
Il ajoute un peu plus loin que : « Seule l’Angleterre réussit à passer d’une existence médiévale, féodale et terrienne, à une existence maritime, qui,
    purement marine, contrebalançait l’ensemble du monde terrien ».[9]
  
  
Par là, SCHMITT, citant HAUTEFEUILLE (historien du droit international de la mer) signifie que « L’océan, cette possession commune à toutes les Nations,
    est la proie d’une seule nation » [10].
  
  
Enfin, SCHMITT affirme qu’ « un équilibre entre les puissances maritimes aurait produit un partage des mers et détruit le grand équilibre entre terre et
    mer qui constituait le nomos de la terre dans le Jus Publicum Europaeum »[11].
  
  
C’est 
dans ce cadre conceptuel que se replace la construction d’une grande 
flotte par l’empire wilhelmien. Ce projet précédait le constat que 
l’Allemagne dépassait
    économiquement l’Angleterre. L’Allemagne se lance dans la 
construction d’une grande marine hauturière. Le projet envenime les 
relations avec l’Angleterre car il ne s’agit pas seulement de
    protéger les liaisons avec l’empire colonial allemand en gestation. 
Mais il s’agit bien de contester la maîtrise des mers à la Royal Navy.
  
  
Le 
règlement de la première guerre mondiale marque la livraison du gros de 
la flotte allemande à Londres (et elle se sabordera en 1919 au nez et à 
la barbe des
    anglais). Le plan Z, plan de réarmement naval du IIIe Reich, 
n’abouti jamais réellement car son achèvement était en 1946, non pas en 
1939. La fin de la seconde guerre mondiale marque le
    déclassement naval de l’Allemagne.
  
  
Ainsi, un ouvrage comme Le basculement océanique mondial, ne cite que « deux grandes marines européennes […] semblent réussir à maintenir le
    niveau de leurs ambitions… »[12]. L’Allemagne ne compte plus comme puissance navale alors que les marines anglaise et française ont survécu comme acteur
    mondial.
  
  II – La fin de l’espace de vie à travers la disparition de l’Etat prussien
A – De la fin des frontières ouvertes aux frontières naturelles
    Dans Deutschland, Introduction à une science du pays natal,
 Friedriech RATZEL livre une analyse spécifiquement géographique de 
l’Allemagne. Le géopolitologue remarque en premier lieu une
    absence de centralité dans la structure physique du pays, qui se 
caractériserait au demeurant par une formidable hétérogénéité : « son originalité, c’est d’être
    polymorphe » dira-t-il. Alpes, Montage moyenne, plaine du Nord 
sont tour à tour convoquées dans la description. Ce qui est plus 
marquant, ce sont les frontières de l’espace géographique
    allemand. Si le Nord et le Sud sont marqués par des frontières 
naturelles, ce n’est pas le cas des frontières à l’ouest comme à l’est. 
Au contraire, celles-ci sont marquées, selon RATZEL, par une
    ouverture : c’est-à-dire une absence de frontières naturelles 
nettes.
  
  
    Les nouvelles frontières allemandes dessinées à l’issue de la 
seconde guerre mondiale bousculent la projection de l’Etat allemand dans
 l’espace. Désormais les frontières ne sont plus
    « ouvertes » mais fermées. Nous pourrions même avancer qu’il y a une
 résurgence défensive de la théorie des frontières naturelles. « Symboliquement, dès janvier 1793, Danton
    invente sans vraiment en avoir conscience la notion de frontière naturelles »[13].
 qui était alors très en vogue pendant la Révolution française. A la 
remarque
    près que pendant la Révolution, cette théorie présentait un aspect 
offensif puisqu’il s’agissait de conquérir des marches, par exemple la 
rive gauche du Rhin, pour assurer la protection de la
    République. Hors, dans le cas allemand de l’après deuxième guerre 
mondiale, c’est une application défensive des frontières naturelles. 
L’Allemagne est coincée entre le Rhin et l’Oder continué par
    le Neisse.
  
  
© Crédit inconnu. L'Allemagne en 1945.
  
  B – La neutralisation de l’Allemagne et la sortie de l’Histoire ?
    Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne est occupée. Le
 IIIe Reich par le gouvernement de l’amiral DÖNITZ capitule sans 
conditions. Les forces armées sont dissoutes. Ce sont les
    puissances alliés occupantes qui dirigent l’Allemagne le temps de la
 transition. Ce que CLEMENCEAU avait demandé sans l'obtenir lors du 
traité de Versailles est réalisé : la France occupe presque
    toute la rive gauche du Rhin.
  
  
    Pour achever le mouvement, un cordon sanitaire est mis en place 
autour de la nouvelle Allemagne. La Prusse disparaît dans la fixation de
 la nouvelle frontière occidentale de la Pologne. Les
    déplacements des populations allemandes en dehors des nouvelles 
frontières cherchent à éviter un révisionnisme allemand,  potentielle 
source de troubles futurs.
  
  
    L’Allemagne perd ainsi son centre dynamique qui avait animé la 
construction de l’unité allemande et qui a porté son projet 
géopolitique : la Prusse. Toutefois, l’Allemagne est encore unie.
    Mais jusqu’à la constitution des deux blocs antagonistes du conflit 
Est-Ouest, elle est réduite à la gestion des affaires courantes à 
travers les gouvernements des zones d’occupation. Pour
    reprendre un mot de Dario BATTISTELLA dans son essai, Un monde unidimensionnel, l’Allemagne sans ses ambitions politiques, idéologiques et militaires est sortie de l’Histoire.
  
  Conclusion
La modification des frontières de l’Allemagne est un changement géopolitique majeur. Le fait de fixer la frontière sur l’Oder-Neisse et ainsi de faire disparaître la Prusse prive l’Allemagne de sa dynamique géopolitique. C’est bien son projet géopolitique qui disparaît.
« Constatons
 de plus que la longue division allemande, qui a été une garantie pour 
la France. Ainsi, Richelieu prônait de toujours maintenir « la
    division des Allemagnes »[14].
 Le général Charles de Gaulle rassemble les deux guerres mondiales sous 
l’expression de « seconde guerre de trente ans ».
    Pour la France, le problème allemand se règle mieux qu’au sortir de 
la Grande guerre. La rive gauche du Rhin est neutralisée de facto et la 
Prusse a disparu. Quelques années plus tard, ce que la
    France avait à peine pu énoncer lors du traité de Versailles –la fin
 de l’unité allemande- sera obtenu lors de la constitution des blocs de 
l’Ouest et de l’Est.
  
  
« La
 Seconde Guerre mondiale est la troisième guerre franco-allemande en 70 
ans : elle dépasse la seule Alsace-Lorraine et cette guerre civile
    européenne marque le déclin relatif de l’Europe comme puissance 
stratégique, face au duopole américano-soviétique » [15] .
  
  - BATTISTELLA Dario, Un monde unidimensionnel, Paris, Presses de Sciences Po, 2011.
 - CHANTRIAUX Olivier et FLICHY DE LA NEUVILLE Thomas, Le basculement océanique mondial, Paris, Editions Lavauzelle, 2013.
 - FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918, Paris, Editions Trévise, 1970.
 - KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013.
 - RATZEL Friedrich, La géographie politique - Les concepts fondamentaux, Paris, Editions Fayard, 1987.
 - SCHMITT Carl, Le Nomos de la Terre, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 2012.
 
[1]   KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, p.
        156.
      
    
    
[2]   FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, pp.
        19-20.
      
    
[3]   FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, pp.
        19-20.
      
    
[4]   FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, p.
        20.
      
    
[5]   KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, p.
        156.
      
    
[6]   FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, p.
        19.
      
    
[7]   BATTISTELLA Dario, Un monde unidimensionnel, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 64.
      
    
[8]   SCHMITT Carl, Le Nomos de la Terre, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 2012, p. 172.
      
    
[9]   SCHMITT Carl, Le Nomos de la Terre, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 2012, p. 172.
      
    
[10] SCHMITT Carl, Le Nomos de la Terre, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 2012, p. 173.
      
    
[11] SCHMITT Carl, Le Nomos de la Terre, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 2012, p. 173.
      
    
[12] CHANTRIAUX Olivier et FLICHY DE LA NEUVILLE Thomas, Le basculement océanique mondial, Paris, Editions Lavauzelle, 2013, p.
        54.
      
    
[13] KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, p. 39.
      
    
      
[14] KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, p. 156.
      
      
        [15] KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013,
        p. 156.
      


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