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Nous
débutons une série de deux articles sur les cas de la France et de
l'Espagne dans la vente d'armement. Ce genre de contrat commercial n'est
rien d'autre, bien souvent, qu'une prolongation de leurs actions
politiques et diplomatiques. Il sera tenté ici de montrer la différence
entre un choix atlantiste et un choix, non pas strictement indépendant
(qui l'est ?), mais tendant plus vers un monde « multipolaire ».
Il
est proposé de s'intéresser à ces deux pays exportateurs de matériel
militaire et au « client pivot » de leur stratégie. La rivalité entre
l'Espagne et la France est d'autant plus saisissante qu'elles ont
coopéré durant le programme Scorpène avant de se séparer dans de
douloureuses conditions. Nous en évoquions déjà les causes dans
<span>un article sur la consolidation des industriels de défense
terrestre en Europe :
- Le sous-marin est conçu par la DCNS et ce qui deviendra Navantia. Les Espagnols sont passés de la réalisation de sous-marin français en transfert de technologie à la conception. Après les succès à l'export du sous-marin, il était question que l'Armada commande au moins 4 Scorpène. Il n'en fut rien, l'Etat espagnol prit la décision que le sous-marin serait de conception espagnole, avec un système de combat américain, une propulsion AIP américaine et des tubes de lancement de missiles de croisière américains (Tomahawk en lieu et place du Scalp naval). Ainsi est né le S80, et le divorce fut consommé.
Prenons
un peu de hauteur afin d'analyser de façon plus globale les stratégies
qui s'affrontent. Dans cette première partie nous nous attachons à l'axe
franco-brésilien.
Le partenariat franco-brésilien
Une lente construction
Le
prélude à la formalisation de la coopération stratégique a été la
participation française dans Embraer, ainsi que les contrats
d'exportations qui ont soutenu la montée en puissance d'Hélibras. La
France contribuait déjà au développement de l'industrie aéronautique et
de défense brésilienne par le biais de transferts de technologies. Nous
sommes aujourd'hui bien devant un partenariat tout azimut puisqu'il
touche à plusieurs domaines, aussi bien dans la défense que dans le
civil.
Le cas du Scorpène
Pour
le Scorpène l'apport espagnol a surtout été son « carnet d'adresses »
en Amérique Latine. Cette zone était jusqu'alors une chasse presque
exclusivement gardée par les Allemands dans le domaine des sous-marins.
La coopération franco-espagnole a permis d'arracher une vente au Chili.
Le contrat malaisien étant l'autre réussite du couple.
Cependant,
une fois le divorce consommé, c'est la France seule qui signe le
contrat au Brésil. Il est le fruit d'un partenariat stratégique âprement
discuté entre les deux pays. Ce n'est que la suite logique du conseil
franco-brésilien du 23 décembre 2008. Le contrat en question prévoyait
non seulement de construire 4 sous-marins Scorpène en transfert de
technologie au Brésil, mais surtout d'accompagner le Brésil dans la mise
au point d'un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA). La France fournit
la coque, le Brésil le réacteur embarqué et les parties nucléaires, les
deux parties travaillant à l'intégration de l'ensemble.
C'est
un choix stratégique profond puisque depuis c'est la deuxième fois
qu'une « puissance nucléaire historique » s'associe à un pays émergent
pour lui fournir un instrument de souveraineté lié à la maîtrise de la
technologique nucléaire. L'autre exemple étant la collaboration entre la
Russie et l'Inde (expertise technique russe, une location de SNA
soviétique et un Akula bientôt de nouveau en location pour la marine
indienne).
Enfin,
il convient d'ajouter que la marine brésilienne a présenté un plan
ambitieux de développement naval (format plus ou moins équivalent à
notre marine). C'est bien sûr une place de choix que notre pays s'est
créé ici.
Le Rafale comme aboutissement
Hélicoptère,
sous-marin... Il ne manquait plus qu'une réussite du côte des
chasseurs. La France avait déjà vendu des Mirage 2000 au Brésil. Comme à
l'habitude, tout pays ayant acquis des Mirage se voit proposer presque
systématiquement le Rafale. C'est ce qui est chose faite lors du premier
marché FX lancé par le Brésil pour renouveler son armée de l'air. Le
marché FX1 périclite de lui-même par manque d'avancées. C'est le FX2 qui
prend sa relève. Ce marché est un des plus disputés si l'on tient
compte des négociations des deux FX dans leur ensemble qui durent depuis
2000 environ.
Cependant,
la décision finale serait proche. Après de multiples rebondissements,
le Brésil pourrait enfin choisir. Les concurrents étant le Rafale, le
F-18 E/F Super Hornet et le JAS 39 Gripen/NG. Il a été affirmé en août
2009 par le président brésilien Lula que son choix, donc politique,
était le Rafale en raison du partenariat et de l'engagement français
maintes fois prouvés (contrairement à d'autres). Après la rebuffade de
l'armée de l'air brésilienne, Brasilia a réaffirmé ces dernières
semaines sa préférence via son ministre de la défense.
Revenons
un peu sur ce choix brésilien. Au vu des concurrents retenus par le
Brésil, il existe d'autres possibilités que la France. Il est plus
évident de comprendre pourquoi la France a été retenue pour la vente de
sous-marins : il n'existe que deux pays (aux dernières nouvelles) qui
vendent leur savoir-faire technologique dans la construction de SNA.
Mais dans l'aéronautique, pourquoi encore choisir politiquement la
France ? Il faut savoir que malgré les apparences, le nombre de
chasseurs proposés à l'export et en transfert de technologie ne sont pas
légion. Si on rajoute le critère d'une certaine qualité éprouvée, on
peut encore réduire cette liste. Il reste donc principalement les
Suédois, Américains, Russes, Français et autre consortium européen qui
détiennent la capacité de réaliser un chasseur dit moderne et qui puisse
remplir toutes ses promesses (ou presque) au combat. Le problème bien
connu étant que nos finalistes se partagent en deux camps distincts :
celui de ceux qui transfèrent la technologie par opposition à ceux qui
souverainement gardent le fruit de leurs recherches. D'un côté les
Russes et les Français. Les consortiums européens par leur spécificité
sont neutre. . . Là où la Suède ne l'est pas ! Cette dernière se dit
prête à entrer dans le camp de ceux qui transfèrent. Cependant, la part
importante de composants américains dans la constitution du Gripen
pourrait être un frein à la vente. On cite souvent le cas du réacteur
mais pour l'anecdote le Gripen peut aussi recevoir le réacteur du Rafale
(M88) ou de l'Eurofighter (EJ2000). Et les États-Unis ? Ils disent
transférer de la technologie (pour leurs alliés les plus méritant comme
l'Angleterre ou le Japon) et même pratiquer de généreuses compensations
industrielles mais la réalité est tout autre. Par exemple le Japon a
conduit un deuxième programme pour réaliser un chasseur : le F2. Le
problème étant que ce programme n'a fait que réinventer le F-16. . .
Pour plus cher ! En Pologne, l'achat récent de F-16 a plus que déçu en
compensation industrielle. Les exemples sont riches, trop riche pour le
Brésil.
Il
reste à attendre l'affirmation concrète de ce choix, et de voir si le
pouvoir civil dictera bien sa décision à l'armée de l'air. Mais en cas
de victoire du Rafale ce ne serait finalement pas une grande « surprise
». Après tout, il s'inscrit dans le cadre d'un partenariat de
développement commun. Et l'offre commerciale française n'est pas le
fruit d'une trouvaille « marketing », plus ou moins copiée sur l'offre
d'un concurrent.
Enfin,
ce marché, une fois signé (quel qu'en soit le vainqueur), n'apportera
certainement que des questions. Une des plus importantes étant l'après
Rafale. Il faut savoir que la Russie avait proposé un temps au Brésil de
développer avec elle un chasseur de cinquième génération (qui a volé ce
29 janvier 2010). La Russie collaborant avec l'Inde pour le
développement, il reste le besoin français, et peut être brésilien,
d'imaginer l'avenir. A deux ?
Élargissement du partenariat
La
candidature gagnante du Brésil aux J.O. qui a été soutenu aussi bien
par Paris que par les capitales africaines illustre bien les
conséquences lointaines du partenariat entre nos deux pays. Comme me le
fait remarquer JGP, c'est peut être aussi l'illustration de ce que la
France fait pour s'attirer les bonnes grâces de Brasilia pour l'achat de
Rafale. Il a peut être raison. Que dire aussi d'un esprit de revanche
vis-à-vis de la victoire londonienne ? La candidature brésilienne a
remporté la mise face à la candidature de Chicago défendue par Barack
Obama. . . L'occasion était si belle aussi.
Les
négociations sur le climat avec la position commune franco-brésilienne
en sont un autre exemple. Mais un exemple qui clot la frontière du
potentiel du partenariat franco-brésilien. En effet, le Brésil a fini
par rejoindre la position des Etats-Unis et de la Chine au dernier
sommet de Copenhague. Il ne faut pas oublier que le Brésil est un pays
émergent, et comme il a été vu lors du sommet, il a des besoins
impératifs de se développer sans entrave. Des intérêts qui ne peuvent
que différer de ceux de la France car les deux pays ne sont pas dans la
même position industrielle.
Le
partenariat franco-brésilien ne se limite pas à un partenariat
souverain entre industries de défense. C'est un choix réfléchi de la
France de soutenir un pays souhaitant structurer l'Amérique du Sud via
un processus « à l'européenne ». Est-ce un choix diplomatique fait dans
l'arrière-cour des États-Unis ? Si on était en pleine Guerre Froide, la
réponse serait oui. Mais au contraire, si on relit le penseur naval
américain, Mahan, la réponse est non. Pour ce dernier, la « défense » de
l'aire stratégique des États-Unis implique une sûreté relative
jusqu'aux côtes du Vénézuela. Une conception extensive au sud de
l'Amazone n'était d'actualité qu'à l'époque des deux blocs.
Du
côté français ce partenariat ne se limite déjà plus au seul Brésil. La
France a renouvelé ses accords de défense avec le Chili et l'Argentine.
Le choix de ces pays n'est pas anodin car, outre la tradition
diplomatique, il s'inscrit dans la même démarche entamée avec le Brésil :
donner une suite aux relations militaires passées et participer à la
structuration de l'espace politique sud-américain.
Cette
rénovation des relations avec l'Argentine et le Chili passe par de
nouveaux projets. Au Chili la coopération navale se veut plus profonde.
Les industriels se positionnent pour d'autres contrats et donner suite
aux Scorpène. En Argentine se pose la même question mais pour le
Super-Étendard.
Une
industrie de la défense est balbutiante en Amérique du Sud. Le marché
est assez restreint, ce qui pourrait pousser à des rapprochements
inhérents à toute industrie qui doit se concentrer pour survivre. Par
exemple la question des Scorpène pourrait poser des occasion de
coopération entre le Brésil et le Chili. Par ailleurs, si le Brésil
choisissait le Rafale il obtiendrait une ligne de montage (le contrat
brésilien a un potentiel affiché de 108 machines). Des Rafale produits à
la chaîne aux coûts brésiliens pourraient susciter des offres plus
agressives. Par exemple à l'adresse de l'Argentine et du Chili pour
renouveler pleinement leur flotte d'avion de chasse vers 2015-2020.
Un partenariat qui a plus d'avenir que de passé
Le
partenariat franco-brésilien dans la défense est très riche et il n'a
pas fini de se développer. La question de l'après Rafale ou de
porte-avions brésiliens montrent bien le potentiel de la relation. La
France ne vend pas seulement de la technologie. Elle vend de la
souveraineté à l'instar de la Russie. Un avion de chasse est aussi bien
un outil militaire que politique. C'est pourquoi l'intérêt du Brésil est
d'avoir trouvé un pays qui peut lui fournir des « instruments de
puissance » tel que le sous-marin nucléaire. C'est ce qui explique le
potentiel de la relation puisque la France trouve là un moyen de
financer ses ambitions dans certains domaines où un partenaire européen
est introuvable par exemple.
Mais
ce partenariat aura des limites stratégiques « naturelles». On imagine
mal le Brésil avoir un unique fournisseur. C'est imaginable si ce
dernier est le seul à fournir des instruments de souveraineté. Mais pour
d'autres équipements moins stratégiques le Brésil ne se tournera pas
toujours vers le même pays. En effet, autant que peuvent s'aimer la
France et le Brésil les « Etats n'ont pas d'amis mais des intérêts ».
Nos deux pays ne mettront pas tous leurs oeufs dans le même panier.
Enfin, n'oublions pas que le Brésil a une double appartenance : il est
autant une « puissance » (en devenir) qu'un pays émergent. L'affaire
climatique en est un exemple.
Deuxième Partie
Le partenariat hispano-australien
Paradoxalement,
ou pas comme nous le verrons, notre étude sur les relations entre
Espagne et Australie commence par un petit mot sur les États-Unis, avec
lesquels la marine espagnole entretient des liens depuis les années 70
au moins. Un des exemples les plus illustratifs en est le porte-aéronef
Principe de Asturias, issu de plans américains de porte-avions d'escorte
(imaginé par l'amiral Zumwalt) rachetés par l'Espagne. Mais ce n'est
pas un cas isolé. De ses F-18 Hornet en passant par ses Harrier ou ses
hélicoptères Sikorsky. Ou encore les frégates O.H. Perry, également
acquises auprès des USA pour sa marine. L'Espagne fait largement
confiance au complexe militaro-industriel américain.
S'adresse-t-elle
pour autant exclusivement au géant transatlantique ? Il faut mentionner
tout de même la participation historique de l'Espagne à la constitution
d'EADS via Casa. C'est en Espagne qu'est actuellement assemblé l'A400M.
Les relations avec la France, en particulier, sont assez anciennes. On
peut citer classiquement la vente de Mirage III et F1 et la construction
locale de sous-marins Agosta. Mais le cas du Scorpène qui devait
témoigner d'un approfondissement des liens sera plutôt le témoignage que
le choix stratégique premier est en faveur de l'Amérique (à l'image
d'autres nations européennes). L'Espagne a donc dorénavant un sous-marin
de « conception nationale », le S80. Et c'est par l'Australie qu'elle a
commencé a trouver des débouchés.
Un divorce lourd de sens
Il
était convenu que les S-80 espagnols soit dérivés (dans une certaine
mesure) du Scorpène, donc du partenariat politique entre la France et
l'Espagne. Il n'en fut finalement rien puisque pour certains éléments
stratégiques du navire le choix se porta sur des industriels américains.
Comment DCNS pouvait-il avaler l'affront ? Ce n'est pas une simple
question d'orgueil. L'Espagne a refusé le système français MESMA qui
avait besoin de références supplémentaires pour s'imposer face aux
Allemands principalement. C'était une réalité que Madrid a dû prendre en
compte. Encore plus quand elle a choisi le Tomahawk américain face au
Scalp naval qui en est le premier équivalent européen. C'est donc en
plus d'une simple querelle commerciale et industrielle, une absence de
participation espagnole à un partenariat de plus long terme.
Le tropisme australien
Il
fut vite trouvé. L'Espagne participait en même temps que la France au
programme de navire amphibie pour l'Australie. Ce genre de navire ne
faisait pas partie des relations entre nos deux pays étudiés.
Certes.
Mais le résultat fut surprenant. Alors que la France proposait la
construction locale des deux navires, l'Espagne remporta le contrat avec
construction en Espagne. L'explication couramment admise était que
l'Espagne avait proposé son modèle de destroyer anti-aérien dans le
cadre d'une offre globale regroupant les deux marchés.
Soit.
Mais dans les détails la chose est troublante. La France proposait un
navire qui faisait ses preuves et qui existait. L'Espagne n'avait rien
de plus que des plans en trois dimensions alors qu'il est souvent admis
qu'un armement virtuel n'a que peu de chance d'être choisi. Et pourtant,
cela ne l'a pas empêchée de remporter la vente. La France ne pouvait
proposer ses frégates Horizon à 800 ou 900 millions d'euros pièce. Bien
que le prix soit à relativiser face à une construction d'une série
portée de 2 à 5 navres. On ne sait même pas si l'offre fut faite.
Ce
qui est certain, c'est que l'Espagne a joué finement. Plusieurs de ses
ministres sont passés par l'Australie pour soutenir l'offre. Son
croisement des deux marchés était également une très bonne idée.
L'Australie, pierre angulaire de l'intérêt des États-Unis dans le Pacifique
Il
suffit de se pencher sur les contrats d'armement de l'Australie pour
comprendre. Son choix, par exemple, de s'associer au programme JSF (les
Australiens auraient aimer comme les Japonais disposer plutôt du F-22,
les États-Unis ont souhaité privilégier le JSF et garder le Raptor pour
leur avantage exclusif. Mais avec l'arrivée d'un chasseur russe tentant
de devenir l'équivalent du F-22, le JSF fera-t-il le poids ?) permet
d'avancer sans trop se tromper que le positionnement stratégique profond
de l'Australie est du côté américain. C'est son choix. Elle a dû être
aidée par son chef d'Etat britannique et son positionnement géographique
surtout.
Mais cela pourrait
également expliquer une partie du succès ibérique en Australie. Les
États-Unis ont sûrement souhaiter privilégier l'Espagne. C'est un choix
somme toute logique puisque les États-Unis dans leur position
d'hyperpuissance doivent assurer leur leadership. C'est naturel, qui ne
le ferait pas ? L'Amérique ne pouvait qu'utiliser la stratégie
britannique dite « de l'équilibrage » qui consiste comme son nom
l'indique à équilibrer les puissances sur le Vieux Continent. C'est avec
raison qu'elle ne pouvait qu'aider l'Espagne à limiter le poids naval
de la France. On peut donc estimer que les deux contrats australiens
sont la résultante de cette volonté.
Pour
les Etats-Unis c'est aussi un ensemble de partenariats qui s'inscrit
dans le projet « d'arc des démocraties ». C'est le sénateur McCain,
candidat républicain malheureux à la présidentielle américaine de 2008,
qui a popularisé ce concept. Si l'on regarde une carte centrée sur un
cœur asiatique autour du couple Russie/Chine, on peut observer que
l'Australie et le Japon sont les avant-postes stratégiques de la
puissance américaine dans le Pacifique. Mahan affirmait qu'il était
vital pour les États-Unis de disposer d'un dispositif militaire dans les
îles hawaïennes. Aujourd'hui ce rôle serait plutôt celui de l'Australie
et du Japon, en première ligne face à la Chine. Pour ne pas laisser à
cette dernière une hégémonie sur les routes commerciales du sud-est
asiatique, le partenariat stratégique dit de l'arc des démocraties
s'étend jusqu'à l'Inde. Singapour étant, comme toujours, une « base »
faisant la liaison entre le premier dispositif et cette dernière.
Nous reviendrons plus longuement dans un autre article sur ce nouvel endiguement.
Les 12 apôtres et le facteur chance
L'Australie
souhaite renouveler sa flotte de sous-marins. C'est un choix naturel
s'il existe un consensus politique pour maintenir une telle capacité et
donc la rajeunir quand le besoin est. La position politique affirme que
le sous-marin est important pour la défense du territoire maritime
australien. Et que le développement de cette arme en Asie du Sud-Est ne
peut pas laisser indifférente la marine royale australienne. Une étude
est actuellement menée pour déterminer si le format à six sous-marins
est suffisant. Les premiers résultats indiqueraient que pour continuer à
peser sur mer il faudrait doubler ce nombre. Le choix de la propulsion
nucléaire a été écarté.
C'est
donc un marché de douze unités qui se dessine dans ce coin du monde.
Les cartes sont posées. Les Français sont certes présents en Australie
et ont même des participations locales (Thalès Australia). Mais si le
postulat d'un équilibrage européen est bien vrai alors on peut douter
des chances françaises de remporter ce contrat. La France, voire
l'Allemagne, pourraient certainement s'en passer. L'Espagne n'a toujours
pas eu de débouché pour son S-80. Après la rebuffade turque il lui
faudrait une référence étrangère. Il ne lui reste donc que l'Inde (six
nouvelles unités) et l'Australie. Bien que les Etats-Unis soit engagés
en Inde ils ne peuvent peser sur la décision autant qu'ils le
voudraient. L'Inde est dans la même position stratégique que le Brésil.
Contrairement à l'Australie dont il est plus facile de guider les pas
puisque cette dernière demande presque le chemin à suivre.
L'Histoire ne s'écrit pas, Elle écrit
Il
faudrait pouvoir se pencher longuement sur l'état des forces
sous-marines australiennes mais ce n'est pas l'objet de cet article. La
flotte actuelle est composée de six sous-marins diesel-électrique de la
classe Collins. Ils ont été construits localement à Port Adélaïde sous
transfert de technologie suédoise de la firme Kockums. Ils ont été mis
en service entre 1996 à 2003. Pour résumer la qualité du dispositif, il
faut dire que c'est tout simplement une catastrophe. Tout ce qu'une
flotte peut redouter, hors le naufrage (et encore...), s'est produit
pour l'arme sous-marine australienne : recrutement déficient, matériel
en panne, disponibilité défaillante... Une des causes admises en
Australie en est l'état de l'industrie de défense locale.
Ce
qui permet de basculer sur un questionnement. L'Australie propose un
marché plus que durable de 12 unités. Ce qui permet bien des efforts
pour abattre les difficultés les unes après les autres. Même s'il sera
difficile de compenser toutes les faiblesses actuelles. Si l'industrie
sous-marine australienne a besoin d'être réorganisée il faut une
expertise. D'autant plus qu'elle n'a pas construit de sous-marin depuis
des années. Et ceux qu'elle a construits sont « ratés ». Il faut pouvoir
s'investir sur le long terme et avoir un produit lui-même exempt de «
gros défaut ». Ce qui n'est pas le cas du S-80 puisqu'il ne navigue pas.
Il naviguera sûrement lors de la formalisation du marché. Mais le
fera-t-il sans défaut majeur ?
C'est
là que le facteur chance intervient. La France a un produit de qualité.
De plus, elle a l'habitude des transferts de technologies. Si l'exemple
de l'Inde n'est pas brillant, en raison de problèmes typiquement
indiens (la corruption et les lenteurs des procédures sont régulièrement
dénoncés par tous), les références brésilienne et pakistanaise (pour
les plus actuelles, l'Espagne étant aussi une référence française pour
la génération précédente) font une très belle carte de visite que n'a et
n'aura pas l'Espagne. Le chantier australien s'annonce difficile.
Est-ce que le gouvernement australien, après une génération de matériel
désastreuse, est prêt à revivre (peut-être) la même chose ?
Le choix de la République impériale américaine
L'Espagne
sait avoir un positionnement pragmatique. Cela lui a permis de
récupérer des marchés qui ne pouvaient l'être par Washington. Et que les
USA ne voulaient pas voir échoir à d'autres, pour équilibrer leurs
rivaux et fidéliser leurs alliés. C'est donc un creuset d'opportunités
que l'Espagne a trouvé là et qu'elle n'aurait pas eu en faisant un autre
choix stratégique.
Seulement, ce
choix est à double tranchant. Là où on ne lui amène pas des
opportunités, elle se trouve démunie pour en débusquer ailleurs. Et il
faut presque que l'Espagne ait un feu vert pour trouver des marchés.
Elle est comme suspendue au desiderata de l'impérium américain. Et en
plus, l'Espagne a un catalogue somme toute limité. La France lui fournit
le S80. Mais que peut-elle exporter d'autre ? Elle peut faire mal sur
les navires de surface. Mais de l'aveu même de l'ancien PDG de DCNS ce
sont des navires à moindre valeur ajoutée (par rapport à ce que peut
rapporter comme bénéfice la vente d'un sous-marin). L'Espagne n'a donc
que la navale de surface militaire pour se développer à l'export. Pas de
char, pas d'avion, pas d'électronique. Elle n'ira pas bien loin toute
seule.
En guise de conclusion
Nous
avons donc vu deux choix stratégiques faits par la France et l'Espagne.
Les « tailles » de nos deux pays ne sont pas les mêmes. Il faut bien
l'avouer et le reconnaître.
Le
choix espagnol serait pertinent s'il ouvrait la porte de « marché
spéciaux » comme par exemple Taïwan. Un temps on présentait l'avènement
du S80 comme une façon pour les Etats-Unis de fournir l'île nationaliste
en sous-marins. Les Espagnols doivent l'espérer eux aussi. Aujourd'hui
encore les Etats-Unis ont l'intention de signer un nouveau contrat
d'armement incluant notamment des systèmes anti-missile Patriot mais
toujours pas de sous-marin. Aucune réaction espagnole ou autre pour
faire une proposition. La Chine « pèse ». En attendant, l'Espagne reste
limitée par la faible profondeur de son catalogue de matériel à
exporter. Et elle n'a pas encore prouvé qu'elle pouvait se créer des
opportunités. Encore moins dans le cadre d'une stratégie bien définie.
Et par son divorce avec la France elle s'est fermé des portes en Europe.
A
contrario, la France a trouvé un partenariat plein d'avenir en Amérique
latine qui pourra combler de façon aisée la déception espagnole. La
stratégie d'indépendance technique et technologique lui donne les moyens
de trouver des débouchés que d'autres ne peuvent se créer. Le Brésil en
est un grand exemple. Ses relations avec les grandes et petites
puissances émergentes ouvre le champ de ses possibilités.
Ce
sont donc deux « mondes » qui s'affrontent. D'un côté le système
d'alliance tissé par les Etats-Unis autour de ses fidèles alliés
stratégiques. De l'autre les puissances émergentes, dont certaines ne
s'interdisent pas d'entretenir des rapports fructueux avec Washington,
qui sont soutenues activement par la France notamment pour tenter
d'atténuer la puissance américaine. Ce n'est pas un choix uniquement
fait par notre pays. A bien des égards on peut considérer que les
politiques russe et allemande s'inscrivent dans la même démarche.
Toutefois,
est-ce une politique durable ? Il faut voir que les puissances
émergentes investissent aujourd'hui pour se mettre à niveau
technologiquement en systématisant les acquisitions en transfert de
technologie. Il est impératif de garder à l'esprit que ce n'est
peut-être que la partie la plus plaisante d'un monde multipolaire que
l'on cherche à atteindre. Certaines de ces puissances deviendront
autonomes pour subvenir à leur besoin d'outils militaires de
souveraineté. C'est toute la question du chasseur russe de cinquième
génération par exemple où l'Inde est encore un partenaire secondaire. En
ce sens où elle contribue surtout à adapter la machine à ses besoins
(en biplace). Mais dans quel rapport de force la France pourrait-elle «
demain » développer un tel chasseur avec le Brésil ?
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