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© Marine Nationale / Romain Veyrié. |
La
propulsion nucléaire a eu quelques conséquences heureuses sur la Flotte
logistique. Le navire nucléaire ne nécessite pas de carburant pour
poursuivre sa route, sa seule limite est l'usure de ses pièces, de son
équipage ou de ses moyens aéronautiques (les machines volantes ne sont
pas encore nucléaires... sauf le X-6). La marine atomique a apporté
cette révolution navale qu'est une de pouvoir soutenir une grande
vitesse de façon continue dans une grande liberté de mouvement. Le
navire nucléaire, s'il est un "grand bâtiment de combat", peut aussi se
faire ravitailleur.
La
navigation libre de contrainte n'est pas une tradition historique. De
l'Antiquité (et même avant) jusqu'au lancement des premiers navires à
vapeur, les vaisseaux ne pouvaient agir que selon le bon vouloir des
vents. Le combat littoral se résumait à la victoire des équipages
connaissant les courants et les chenaux... ou à l'offensive audacieuse
des navires ne s'encombrant pas de ces considérations, mais à leurs
risques et périls. Imaginez, fût un temps où les escadres ne sortaient
pas parce que les vents de l'Océan étaient trop violents pendant
l'hiver... Un combat naval pouvait être perdu à son commencement tout
simplement parce qu'une escadre avait le vent avec elle alors que sa
rivale ne pouvait pas manoeuvrait sans l'aide d'Eole. Le Vent était
cette servitude, cet aléas de la Guerre sur Mer.
L'introduction
de la vapeur a donc été une Révolution d'ampleur historique : les
navires sont devenus libres de leurs mouvements... Plus rien ne pouvait
retenir les navires au port, le vent n'était plus avec les faiseurs de
blocus. Un torpilleur pouvait sugir à toute heure, de nuit comme de
jours, à n'importe quelle saison pour attaquer les forces navales
ennemies en plein blocus... ou à leur port ! Le torpilleur est vraiment
le symbole de cette liberté découverte. La France aura même fait
transité des torpilleurs (de 50 tonnes) sur voies ferrées de la
Méditerranée à l'Atlantique afin d'exagérer la mobilité nouvelle des
forces navales. L'affaire provoqua tout de même une navy scare en Angleterre.
La
nature a horreur du vide, cette loi très connue se vérifie aisément. Le
vent était l'une des servitudes de la puissance navale. Une fois
celle-ci disparue, grâce à l'invention merveilleuse du navire à vapeur,
une autre apparut : la nécessité de "charbonner". Le vaisseau au panache
noir doit pouvoir, souvent, réapprovisionner ses soutes. Le besoin de
posséder des facilités et bases navales, près des détroits stratégiques
devient, plus encore, une nécessité pour toutes marines aspirant à jouer
un rôle stratégique majeur. Si le pétrole a remplacé le charbon, ce
n'est que pour améliorer cette servitude, le nouveau combustible1 restait un combustible. La liberté a un coût, même dans la Guerre sur mer.
Le 2 novembre 1942 une révolution historique se produisit dans la navigation navale : la première réaction nucléaire en chaîne, contrôlée, est obtenue grâce aux travaux de l'Italien Enrico Fermi. L'Angleterre, la France, l'Allemagne et les Etats-Unis cherchaient à obtenir "quelque chose" dans le domaine atomique dans les années 30 et 40. Les explosions d'Hiroshima et de Nagazaki montreront ce qu'étaient ce "quelque chose". Une fois que le deuxième grand conflit mondial prit fin, la bombe céda (en partie) la place à la production énergétique. Des marins savaient alors qu'ils allaient toucher au but : achever la révolution de la valeur. La servitude du ravitaillement pouvait être supprimée grâce à un combustible qui s'épuiserait bien après l'usure du navire et de son équipage. La liberté de mouvement allait devenir "totale". Le SSN-571 Nautilus est lancé en 1954. Le 17 janvier 1955 le navire émet un message historique : "underway on nuclear power". Suivront l'USS Georges Washington (1959), premier SNLE et le Carrier Vessel Nuclear 65 Enterprise (1960), premier porte-avions nucléaire.
Le
vaisseau de guerre était libre du vent, du ravitaillement, seul
l'équipage (et l'épuisement des munitions) était un frein aux mouvements
du navire.
Bien
des pays tentèrent d'acquérir cette avancée stratégique. Il convient
d'en citer quelques uns : l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Italie, le Canada
et l'Argentine. L'Inde aurait réussi à maîtriser la construction d'un
navire nucléaire, le Brésil serait sur cette voie. Dans une moindre
mesure, les membres du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. restent les
grands détenteurs et de l'arme nucléaire, et de la propulsion nucléaire
(Angleterre, Chine, Etats-Unis, France et Russie).
La France lança son premier SNLE en 1967, son premier SNA en 1979 et son premier porte-avions nucléaire en 1994.
La
propulsion nucléaire permet certes une liberté de mouvement, mais comme
le fait remarquer Gilles dans un billet précédent, elle permet surtout
de pouvoir se déplacer vite et longtemps.
De
façon pratique cela revient à dire que le Charles de Gaulle peut tenir
ses 27 noeuds pendant "longtemps". La vélocité du porte-avions français
dépend donc d'un savant mélange : la vitesse nécessaire aux opérations
aéronautiques et la vitesse de déplacement que l'on souhaite pour la
plate-forme. Par exemple, les Etats-Unis s'estimant loin de points
chauds du monde ressentent le besoin d'avoir des bases avancées pour
leurs forces armées et des navires capablent de rallier rapidement ces
poinds chauds. Donc la France peut projeter une base aérienne à travers
le monde, grâce aux eaux internationales (notion juridique défendue
farouchement par les Thalassocraties) à environ 50 km/h. Que ce soit en
Libye ou en Afghanistan, cette capacité n'est partagée que par... deux
marines : l'US Navy et la Marine nationale.
Une autre caractéristique d'un porte-avions à propulsion nucléaire, mis en exergue dans un
précédent billet,
c'est qu'il ne nécessite donc pas de combustible (hors uranium) pour sa
propulsion. Cette banalité force à constater qu'entre le R91 Charles de
Gaulle et les
Queen Elyzabeth class il y a une différence de
30 000 tonnes qui ne s'explique pas tellement par une 20m de longueur en
plus pour les navires anglais, mais bien par leur motorisation
classique ! Que ce soit l'
Enterprise ou le Charles de Gaulle,
les deux navires n'ont pas de cuves pour leur propulsion. Elles sont
soient dédiées à leur groupe aérien embarqué, soit à leur escorte. A
l'entrée en service de l'
USS Enterprise la marine américaine aurait eu recours à cette capacité de ravitaillement du premier porte-avions nucléaire à l'encontre des
cruisers, destroyers et frigates l'accompagnant. Si le porte-avions peut soutenir une vitesse de 30 ou 40
2 noeuds, ce n'est certainement pas le cas des autres navires de la
Task Force.
Cette capacité de ravitaillement permet temporairement de se dispenser
d'un ravitailleur -ou de possèder des ravitailleurs d'escadre rapide
3.
Cette capacité de ravitaillement aurait été mise en place sur le
Charles de Gaulle, bien qu'elle ne semble pas être mise en oeuvre. La
majorité, si ce n'est la totalité, du volume des cuves serait réservée
au carburéacteur du groupe aérien embarqué.
La
propulsion nucléaire offre de grands avantages en terme de mobilité.
Elle permet de réduire le tonnage d'un porte-avions, à capacités égales,
par rapport à un navire à motorisation classique. Cette possibilité de
ravitaillement de l'escadre, qui passe bien souvent inaperçue,
mériterait de faire l'objet d'études... ou que les études qui ont été
faites fassent l'objet d'une publication ou d'une publicité.
Il
n'est peut être pas nécessaire de voir les Charles de Gaulle et
Richelieu ravitailler le Groupe Aéronaval quand celui-ci opère en
Méditerranée ou à proximité des bases de l'Océan Indien pour transiter
rapidement d'une zone à l'autre. Cependant, si l'engagement des
porte-avions français restent le bassin méditerranéen depuis les années
70, rien ne dit que les destinations n'évolueront pas. Si le centre de
gravité du monde continue de basculer du côté de l'Asie du Sud-Est, il
faudra peut être envisager d'y envoyer une escadre (ce ne sera pas une
première historique). La capacité du porte-avions à soutenir ses
escorteurs auraient alors toute sa pertinence. L'alternative serait un
pétrolier-ravitailleur pouvant soutenir de 27 à 30 noeuds sur une longue
distance, ce qui serait revenir aux problèmes de la propulsion
classique. La propulsion nucléaire a donc quelques gains économiques
(tonnage moindre, capacité de ravitaillement, moins de pollutions,
etc..) un peu cachés, et à mettre en avant
1 Voir (page Facebook du magazine Guerres et Histoire de Science et Vie) les deux vidéos sur le cuirassé Dreadnought où Pierre Grumberg explique l'impact géopolitique de ce navire. Guerres et Histoire
2 J'ai vu le chiffre circulé dans un numéro de la revue "Marine" de l'ACORAM des années 60.
3
Je fais la nuance avec le "mobile logistique" pour subvenir aux besoins
"urgents" de l'escadre, comme le C-2 Greyhound. Dans le texte, je
pointe la non-nécessité d'avoir un pétrolier ravitailleur de 27 000
tonnes (MARS) fonçant à 27 noeuds dans la configuration présentée.
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