Un
conflit qui couvait entre l'Espagne et l'Argentine explose tout
doucement. Buenos Aires est, comme tout les Etats qui peuplent cette
planète, ou presque, contrarié par le niveau actuel des cours de l'or
noir. Il n'y a donc pas quatre chemins pour une puissance étatique qui
souhaite répondre aux souhaits de ses administrés : disposer d'énergie à
un prix supportable. La présidente argentine, Cristina Kirchner, souhaiterait donc prendre le contrôle de la compagnie pétrolière locale, YPF.
Cette action n'a que pour objectif de contraindre ladite société à
augmenter sa production à destination du marché national argentin afin
de détendre les prix de l'or noir.
Mais,
cette société, est propriété de l'entreprise pétrolière espagnole,
Repsol. Il faudrait même dire qu'elle est encore la propriété de Repsol,
car, bien que l'entreprise espagnole soit toujours majoritaire au
capital, elle ne cesse de baisser sa participation dans la société
(57,4%). Madrid n'entend pas du tout voir l'Etat argentin monter au
capital de la société. Le gouvernement de Buenos Aires a précisé ses intentions
: l'Etat prendrait 51% du capital. Juste assez pour avoir la majorité
des voix nécessaires faire passer les décisions intéressant le
gouvernement.
Les parties en sont là, et le projet de loi argentin a été envoyé devant le Congrès.
L'Espagne
est dans une position difficile. Les porte-paroles du gouvernement
espagnol ne peuvent que dénoncer le fait que cette mesure serait prise
au moment où l'Espagne traverse de très lourdes difficultés économiques.
D'un autre côté, il faut dire que l'ancien chef de gouvernement
espagnol, José Maria Aznar,
avait lourdement travaillé au corps les relations diplomatiques de
l'Espagne avec les Etats latino-américains lors de la crise irakienne de
2003. Alors que Argentine et Espagne entretenaient des relations
cordiales, il va s'en dire que Madrid est quelque peu démunie dans cette
crise. La Commission européenne a beau dire que... la Commission
européenne ne peut rassembler ni coalition, ni moyens de coercitions
pour soutenir l'Espagne. Cerise sur le gâteau, le nouveau gouvernement
de Mario Rajoy prend à peine ses marques dans une Espagne exsangue, et
la contestation sociale gronde.
Cette
situation n'est pas sans rappeller une autre : la Guerre des Malouines
de 1982. Londres traversait une très mauvaise période économique et
financière. L'Empire britannique n'était plus, et il la puissance
anglaise était en très net recul après l'abandon des positions East of Aden et East of Suez.
Pis, les Malouines n'étaient pas sujet à l'attention de la capitale
britannique, un peu comme Repsol qui donne le sentiment de se désengager
de sa fiiale argentine. De l'autre côté de l'Atlantique, la situation
n'était pas moins difficile pour le régime militaire qui gouvernait
l'Argentine. Comme pour l'Espagne d'aujourd'hui, l'Angleterre ne
comptait pas ou peu d'alliés dans le continent sud-américain.
L'invasaion des Malouines se faisait dans un contexte de faiblesse
apparente de Londres.
La
sage maxime dit que comparaison n'est pas raison. Certes. Il serait,
peut être, disproportionné que Madrid envoie un groupe naval centré sur
le Principe de Asturias et le Juan Carlos I, avec pour escorte les destroyers F100 et les dernières frégates ASM que compte l'Armada.
L'objet stratégique à reconquérir n'est pas le même, et l'Espagne ne va
pas établir un blocus (dont elle n'a pas les moyens matériels) ou mener
une action militaire afin de retrouver la majorité du capital d'une
filiale.
Qui
plus est, toute action militaire espagnole au large de l'Argentine
nécessiterait, presque obligatoirement, des négociations avec Londres
pour utiliser ses points d'appui.
Mais,
si l'objet actuel se présente sous la forme d'une bataille financière
pour deux pour cent de capital (et les dédommagements dus à la montée au
capital de l'Etat argentin), l'objet futur est bien plus onéreux. Cette
société, encore filiale de Repsol, exploite les richesses pétrolières
argentines. A priori, c'est ce que l'on peut comprendre des quelques
bribes d'informations qui parviennent du litige. Donc, l'entreprise
exploite l'or noir à terre... et en mer. Non, ce n'est pas là l'occasion
pour l'Armada d'aller reconquérir les plateformes. Mais... et
c'est là que la crise peut prendre une très lourde et silencieuse
ampleur, c'est en mer que l'Argentine espère exploiter bien des
richesses pétrolières. L'or noir a toujours coûté cher, que le baril de
pétrole soit à 5, 30, 60 ou 120 dollars. C'est un fait. L'action
argentine pourrait se réaliser en de bien autres occasions. Ce qui doit
attirer l'attention, c'est l'autre guerre silencieuse, l'autre
affrontement de volontés, pour un trésor bien plus vaste : les
ressources pétrolières espérées sous les couches de sel de la côte Est
de l'Amérique du Sud...
Les Malouines !
La
Guerre de 1982 consistait en une guerre de territoires. Il n'avait
jamais été question de pétrole. Le précieux or noir a fait parler de lui
bien après. Des réserves de pétroles, de plusieurs milliards de
dollars, se situeraient au large du fameux archipel. Il y a une guerre
des permis de forage entre les deux protagonistes du conflit de 1982.
Londres prospecte ce qu'elle estime être sa zone économique exclusive,
et Buenos Aires répond par des mesures de rétorsion, tout en prospectant
également.
L'Argentine
mène un blocus continental contre l'archipel britannique. Les pays
sud-américains refusent d'accueillir depuis des mois dans leurs ports
des navires de la Royal Navy et tout navires battant pavillon
des Malouines. Ce que le gouvernement argentin n'a pas pu obtenir par la
force militaire dans les années 80, il essaie, cette fois-ci, de
l'obtenir par l'usure. Le règlement du conflit de 1982 prévoyait un
accord politique durable entre les deux parties. Les deux parties ont
campé sur leurs positions. Si la capitale argentine brasse beaucoup
d'air à chaque renforcement militaire anglais dans l'archipel, c'est
aussi pour mieux cacher ces pressions.
Il
y a donc, forcément, quelques probabilités que la crise
argentino-espagnole ne vienne heurter le conflit anglo-argentin. Ces
deux crises gravitent autour de la question des richesses pétrolières
qui gisent au large des côtes du Brésil et de l'Argentine -et en Guyane !
Sous
cet angle, il est moins certain que l'action argentine actuelle ne vise
qu'à détendre les cours actuels de l'or noir sur le marché argentin.
Cette action n'a-t-elle pas quelques visées à plus long terme ?
Il y a également des enjeux de puissance car les richesses pétrolières brésiliennes permettrait à Brasilia de produire plus d'or noir que BP ou Exxon. Il y a un équilibre mondial qui se modifie.
Ces
différents niveaux de crises concernent la répartition des territoires,
des richesses, la question de la souveraineté, de la protection des
acteurs économiques, mais aussi les équilibres économiques, et donc, les
équilibres entre puissances.
Si la Royal Navy
est beaucoup trop juste actuellement (heureusement qu'il y a les forces
prépositionnées dans les Malouines) pour contrer une nouvelle invasion
argentine -pour laquelle Buenos Aires n'a plus les moyens militaires-,
la situation serait tout autre avec l'appui de l'Espagne... et de son
aéronaval (qui existe encore, elle, grâce à ses Matador).
Bien
qu'il n'y a pas de telles intentions espagnoles de se joindre à Londres
(à l'heure actuelle), les circonstances font les alliés. En outre,
cette hypothèse ne peut être éluder par Buenos Aires. Il ne faudrait pas
que les deux affaires soient liées afin de montrer la "mauvaise
volonté" argentine de régler pacifiquement les différents. Il ne
faudrait pas que la montée au capital de l'Etat argentin soit remise en
question par une nouvelle évolution de la crise des Malouines
Quoi
qu'il en soit, il est possible de se demander si Buenos Aires peut
faire face à deux crises sérieuses avec deux pays ayant des intérêts
voisins dans les deux conflits.
Ces deux conflits
cachent un affrontement encore plus sourd : la répartition des richesses
de l'Amérique du Sud, certes, mais surtout une certaine idée de la
liberté de circulation des biens et des navires. C'est-à-dire que, que
ce soit le Brésil ou l'Argentine, il s'agit d'ériger en forteresse ces
exploitations pétrolières pour les protéger de l'Etranger. Il s'agit de
monter une sorte de blocus inversée. Le blocus naval vise à interdire
l'accès à la mer d'une flotte, ou d'interdire l'accès aux ports d'un
pays. Ici, il s'agit d'une sorte de blocus continental qui vise à
interdire aux acteurs maritimes de venir prendre les ressources
"continentales".
Peut être est-ce là une des
expressions de ce qu'est la zone économique exclusive. Ce sont les Etats
sud-américains qui ont obtenu que les ZEE portent jusqu'à 200 miles des
côtes (voir Café Stratégique numéro 4, avec Hervé Coutau-Bégarie) afin
d'avoir l'exclusivité sur la pêche. Aujourd'hui, il s'agirait de faire
de même avec le pétrole. Ils semblent entendre, au moins le Brésil et
l'Argentine, ces espaces comme une sorte de propriété économique. C'est
tout l'objet des ZEE de permettre à l'Etat propriétaire de régir
l'exploitation des richesses. Mais cela leur permettrait d'en interdire
l'accès à d'autres puissances. Ce serait une exploitation exclusive,
comme pour les empires coloniaux. Ainsi, la liberté de navigation sur
les mers serait atteinte à la marge.
La zone économique
exclusive se territorialiserait (indirectement), tout du moins, c'est
un mouvement qui semble perceptible à l'aune de ces affaires. En tout
cas, c'est le ou plus fortes puissances qui dictent les règles à la
société internationale. Les Etats sud-américains ont déjà imprimé leur
marque au droit de la mer, ils peuvent tout aussi bien recommencer. Ils
avaient remporté l'épreuve de force en mer, ils semblent vouloir de
nouveau utiliser la puissance navale pour protéger ce qu'ils estiment
être leurs richesses.
Dans cette optique, alors les
puissances maritimes ne peuvent que réagir. Ironie de l'Histoire, c'est
en réaction à l'exploitation exclusive par l'Espagne de ses possessions
américaines que l'Angleterre organisa une guerre de course contre les
gallions de la couronne. Le XVIe siècle semble se répéter, avec une
nouvelle répartition des rôles, et une nouvelle configuration des
richesses à atteindre.
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