Son propos était d'autant plus pertinent qu'il intervient alors que
la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM ou UNCLOS
pour United Nations Convention on the Law Of the
Sea) n'est pas encore signée. Les premiers travaux remontent à
1973 et la convention est signée en 1982. Son entrée en vigueur date de
1994.
Le propos du CA Scordino intègre quelques faits pour montrer combien
c'est un besoin nouveau. La mer territoriale des Etats est,
historiquement, et à quelques exceptions près, limitée à 3 miles
nautiques.. La CNUDM porte cette frontière à 12 miles nautiques. Ce
qui change radicalement le paradigme est la création de la zone
économique exclusive qui s'étend jusqu'à 200 miles nautiques au
large des côtes de chaque Etat.
Poursuivant, l'amiral expose que la création des zones économiques
exclusives change la logique d'intervention des moyens navals d'un Etat :
- avant, "la surveillance qui pouvait être effectuée répondait principalement à un souci de défense et y revêtait des caractères spécifiques. En dehors des temps de crise, elle n'avait pas en outre le caractère systématique..." (page 54) ;
- après, "que doit normalement prendre la surveillance ZEE, laquelle s'apparente d'avantage à une action de police intérieure appliquée à des particuliers qu'à une action de défense extérieure contre les entreprises des puissances étrangères" (page 54).
- Le CA Scordino utilise même l'expression d' "opération anti-économique" l'utilisation de navires et d'aéronefs dans les ZEE.
Nous proposons, à ce dernier sujet, de comparer ces quelques propos,
dont la notion d' "opération anti-économiques", à la notion "inversée"
de blocus offensif développée par Julian S.
Corbett (Some Principles of Maritime Strategy, 1911) : il ne s'agit plus de bloquer l'accès à une côte mais bien d'interdire d'accès à une zone en mer aux indésirables.
Ce qui impose donc que "d'être en mesure d'assurer une
surveillance de la zone concernée afin d'y prévenir les infractions,
constater celles qui s'y produisent, identifier et éventuellement
dérouter les contrevenants en vue de leur traduction devant les
tribunaux compétents".
Toutes ces considérations préliminaires supposent la mise en place
d'une organisation adaptée à cette nouvelle logique, ce qui est un très
vaste chantier qui s'ouvre au tout début des années 80
du XXe siècle. La Marine nationale peine à renouveler sa marine "de
guerre" depuis la mise en place du volet océanique de la dissuasion."Pour
assurer cette surveillance, une organisation doit
être mise en place comportant des postes de commandement, des postes
d'observation sur le littoral et des moyens mobiles -bâtiments de
surface, hélicoptères, avions- agissant en étroite
coordination" (page 54).
Il en résulte que l'avion tient une place centrale dans ce système à mettre en place car "l'avion tient une place essentielle dans tous les cas où la superficie des ZEE est importante car il
est le seul à pouvoir en assurer la couverture avec une fréquence suffisante".
Partant de ces quelques considérations, l'ancien chef du service
central d'aéronautique de la Marine nationale dépeint les
caractéristiques de l'appareil nécessaire:
- multimoteur,
- adapté aux vols tous temps et à basse altitude au-dessus de l'Océan,,
- prévu pour résister aux contingences maritimes (comme la corrosion marine qui a été dévastatrice pour les WAH-64 embarqués à bord des navires de la Royal Navy - voir DSI hors-série n°34, page 11),
- l'autonomie
dépendra de la taille et de la forme de la ZEE (de manière générale
celle-ci sera inférieure à celle des avions de patrouille maritime) :
- généralement elle se situera entre 1000 et 2000 miles nautiques,
- fondamentalement, "une vitesse de croisière élevée, pour un même rapport consommation/distance parcourue est souhaitable, afin diminuer le temps nécessaire à la couverture d'une zone donnée et permettre d'augmenter la fréquence de couverture" (vitesse de croisière qui ne doit pas nuire à la manoeuvrabilité),
- le système de navigation doit permettre de localiser la où se situe l'avion et le contrevenant avec précision pour éviter toute contestation,
- les moyens de communication doivent travailler dans les bandes HF, VHF et UHF selon les utilisateurs à atteindre,
- veille visuelle pour les opérateurs par des hublots et des moyens optroniques,
- un radar de surveillance maritime (sans besoin qu'il soit discret ou résistant aux tentatives de brouillages) avec les traitements adéquat pour repérer des objets entre les flôts,
- une capacité de largage de chaîne SAR.
Ainsi que le souligne le CA Scordino, c'est une description d'un
appareil qui est assez éloigné de ceux nécessaires à la patrouille
maritime. Ces derniers privilégient l'autonomie et sont
"durcis" pour être employer dans le cadre des luttes aéronavale et
anti-sous-marine. Luttes où ils peuvent être contrés, voire pris pour
cible.
Débarrassé des contingences de la guerre, l' "avion ZEE" doit être
peu onéreux. Le faible besoin (tant en volume qu'en valeur) oriente le
choix vers des solutions existantes et ne justifie pas le
développement d'un appareil nouveau. Quand l'article est publié (mai
1980), 25 à 30 projets d' "avion ZEE" sont proposés par les différents
industriels : "l'éventail des propositions est très
large puisqu'il va des bi-moteurs à piston de 3 tonnes jusqu'à des
bi- ou quadri turbopropulseurs de 30 à 40 tonnes en passant par la quasi
totalité des bi-réacteurs d'affaires en service".
L'amiral avance que face à une analyse plus fine des besoins,
certaines propositions, trop lourdes ou trop légères, seront retirées.
L'offre se concentrerait alors sur deux segments :
- les turbo-propulseurs de 5 à 8 tonnes pour les ZEE de faible dimension,
- les turbo-réacteurs de 8 à 15 tonnes pour les ZEE les plus étendues.
Le dernier paragraphe de l'article est assez visionnaire puisque le
CA Scordino avance l'hypothèse que l' "avion ZEE" se militarisera. Cette
évolution serait catalysée par l'incapacité d'Etats à
s'offrir des avions de patrouille maritime, trop coûteux. Etats qui
utilisaient déjà d'anciens avions embarqués, basés désormais à terre,
comme avion de surveillance maritime. Au final, l'amiral
est sévère avec cette solution car il s'agirait pour lui d'un
compromis onéreux et à l'efficacité militaire limitée face à un
adversaire doté de moyens évolués.
Lire cet article plus de trente ans après sa publication inspire, au moins, deux remarques :
- premièrement, l'utilisation du milieu électromagnétique (radar transhorizon, l'AIS à venir, etc...), de l'Espace et des diverses solutions d'aéronefs dronisés pour la surveillance sont relativement mise peu en avant ;
- deuxièmement, si l'amiral perçoit bien l'évolution à conférer
des capacités de patrouille maritime à des avions de surveillance
maritime, il n'explore pas pour autant deux voies conséquentes
et qui découlent de la géographie française :
- la coopération entre avions de PATMAR et de SURMAR dans le cadre d'opérations militaires (ce qui renvoie directement à l'utilisation des navires de patrouille hauturière dans des missions de guerre),
- l'utilisation d'avions de SURMAR dans des missions de PATMAR dans des zones où, par exemple, la Marine nationale ne dispose pas de PATMAR.
- Par cette dernière remarque, il faudrait aussi remarquer que l'avion de SURMAR pourrait tout aussi bien emporter capteurs et effecteurs nécessaires aux autres missions des forces armées, ce qui imposerait de penser le besoin d'utilisation de la troisième dimension à l'échelle non plus d'une armée mais d'un espace où intervienne différents acteurs, où la ressource matérielle est rare (le cas du C-295 et de ses différentes versions est significatif à ce sujet).
Dans un prochain billet, la vision du CA Scordino de 1980 sera
comparée avec celle portée par le programme AVSIMAR (Avion de
Souveraineté et d'Intervention MARitime) qui devait être inscrit dans
la LPM 2009-2014, puis dans la LPM 2014-2019 et attend, encore une
fois, la LPM suivante.
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