Hervé Coutau-Bégarie a porté la pensée maritime française. Il s'est écarté de la seule lecture du combat naval - et donc de la stratégie navale - pour embrasser tous les aspects de la dialectique des volontés en mer. D'où son opus Le désarmement naval (Economica, 1995) et celui-ci : Le meilleur des ambassadeurs -
Théorie et pratique de la diplomatie navale (Economica, 2010, 401 pages).
Le maître proposait de nous intéresser à l'utilisation politique de la Flotte dans le cadre de l'affrontement de deux volontés politiques, osons ajouter : devant des tiers - problème récurent dans les espaces maritimes comme dans le cyberespace. Il rend hommage au tout début du livre à Cable qui est, selon lui, l'un des premiers à s'intéresser au sujet. Tout du moins, le premier, vraisemblablement, à le théoriser.
A la mémoire de
sir James Cable, le
grand fondateur
Hervé Coutau-Bégarie, Le Meilleur des ambassadeurs
Et il rend aussi hommage au personnage historique dont il tire le titre :
Un navire de
guerre est
le meilleur des ambassadeurs
Cromwell
Il n'est point
question ici d'un retour sur la lecture complète de l'ouvrage car il est
d'une riche densité. Simplement, ce ne sont quelques prises de note sur
la classification de la diplomatie navale par l'auteur. Elles sont simplement un peu organisées, au cas où elles pourraient servir ou donner envie de lire tout l'opus.
"La typologie de Cable n'a jamais vraiment été remplacée. Les travaux ultérieurs ont apporté des éclairages nouveaux, mais ne l'ont pas rendue obsolète."
p. 50
"La diplomatie peut être
permanente ou de crise, humanitaire, protectrice ou politique,
préventive ou réactive, coopérative ou coercitive, nationale ou
multinationale, nucléaire ou conventionnelle."
p. 50
p. 50
DIPLOMATIE PERMANENTE
- Diplomatie symbolique : affirmation du rang et dissuasion existentielle
"Une dimension symbolique forte
s'attache à l'existence des forces navales : le seul fait de
posséder une marine modifie la perception tant de celui qui la
possède (ce que les sociologues appellent la self image) que
de ses alliés ou adversaires éventuels. Le possesseur est capable
d'intervenir au-delà de son territoire terrestre, sans être un
spectateur obligé de subir."
p. 50
- Diplomatie de routine : visites, manoeuvres et manifestations navales
"Cet effet existentiel se trouve
encore renforcé par des manifestations de routine dont l'objectif
premier n'est pas nécessairement d'obtenir un effet diplomatique,
mais qui ont tout de même un tel effet induit."
p. 52
- Diplomatie de défense
"Cette catégorie a récemment été
introduite dans la doctrine militaire française pour désigner
toutes les activités non violentes des forces armées qui peuvent
contribuer à la stabilité internationale et au rayonnement
international de l'Etat." L'expression est malheureuse pour l'auteur.
p. 54
p. 54
- Diplomatie économique
"La diplomatie économique,
c'est-à-dire l'utilisation de l'instrument naval à des fins de
promotion économique, ne date pas d'hier. Depuis le XIXe siècle,
les visites à l'étranger peuvent servir de vitre du savoir-faire
d'un pays, dans l'espoir d'obtenir des commandes d'armement." Il cite l'exemple des visites des grands salons et participation à des exercices
bilatéraux en vue de contrats
p.
56
DIPLOMATIE DE CRISE
"La diplomatie de crise fait
intervenir les forces navales dans un but humanitaire ou politique
préalablement défini dans une situation de risque ou d'urgence.
Elle se décline en plusieurs volets."
p. 57
- Diplomatie humanitaire
"La diplomatie humanitaire
recouvre les interventions d'urgence en cas de catastrophe naturelle,
sanitaire, alimentaire. Le genre est très ancien puisque l'une de
ses premières manifestations est le secours apporté par des navires
de guerre de différentes nations aux habitants de Lisbonne, lors du
tremblement de terre de 1755."
p. 58
- Diplomatie protectrice
"La fonction première de l'Etat
est d'assurer, non seulement la sécurité du territorie et de la
population qui y réside, mais également de ses ressortissants et de
leurs bien lorsqu'ils se trouvent à l'étranger." Il propose comme pratiques la protection des ressortissants en cas de catastrophe naturelle et ajoute la protection des intérêts en haute mer.
p. 58
"Cette diplomatie protectrice est
la première mission politique des marines. Elle mérite d'être
érigée en catégorie propre, car l'objectif ne vient qu'en second
plan : on assure d'abord la mise à l'abri et l'évacuation de ses
ressortissants, avant de songer à la restauration de la stabilité
dans le pays concerné ou à l'obtention d'un avantage quelconque."
p. 59
- Diplomatie politique ou de puissance
"La diplomatie politique (si l'on
peut employer ce quasi-pléonasme), que l'on peut aussi appeler
diplomatie de puissance, englobe toutes les autres catégories,
c'est-à-dire les interventions qui ont un but politique déclaré."
p.60
- Diplomatie économique ?
"Beaucoup de démonstrations ont
pu avoir un objectif économique. Au XIXe siècle, l'objectif était
d'obtenir la conclusion de traités de commerce avantageux." Exemple de l'affaire du Rio de la Plata, guerre de la Morue.
p.
64
- De nouveaux domaines ?
"La lutte contre les trafics de
tous ordres se fait de plus en plus dans le cadre de coopérations
internationales, avec mutualisation des moyens : les Etats-Unis, la
France, les Pays-bas et le Royaume-Uni collaborent ainsi, de manière
permanente, dans la lutte contre les narcotrafics dans les Caraïbes
(opération Carib Shield) ; on pourrait parler de diplomatie de
sauvegarde."
p. 66
"Peut être verra-t-on bientôt
une diplomatie environnementale dont on peut déjà recenser les
premières manifestations. La plus visible a été "la guerre du
Turbot" qui a opposé le Canada à l'Espagne en 1995."
p.
66
LES CATEGORIES
- Diplomatie préventive, diplomatie réactive
"La
diplomatie préventive a pour but d'empêcher l'émergence d'une
situation de crise par des démonstrations faites au moyen de forces
prépositionnées, soit dans des territoires outre-mer, soit dans des
pays étrangers en vertu d'accords de défense prééexistants, ou de
forces spécialement projetées sur le théâtre."
p. 66
- Diplomatie coopérative, diplomatie coercitive
"La
diplomative navale est coopérative dans le cas d'un soutien à un
pays allié ou ami. Elle est coercitive lorsqu'elle adresse un signal
à un perturbateur ou un adversaire potentiel ou déclaré. Le
concept de coercition rend particulièrement bien compte de cette
mise en oeuvre retenue de la force qui ne va pas jusqu'à un conflit
généralisé. Tous les degrés sont envisageables."
p. 67
- Diplomatie nationale, diplomatie multinationale
"Jusqu'aux
années 1980, la diplomatie navale était essentiellement nationale.
Il y avait déjà eu, dans des temps plus anciens, des opérations
multinationales, contre des pays d'Amérique latine ou la Chine au
XIXe siècle ou lors des crises méditerranéennes et balkaniques :
Français et Britanniques conduisent une démonstration commune
contre Alger dès 1819 ; c'est une démonstration navale
anglo-franco-russe qui aboutit à la destruction de la flotte turque
à Navarin en 1827 ; une escadre anglo-autrichienne bombarde
Saint-Jean d'Acre en 1840 ; des blocus pacifiques sont mis en place
par plusieurs pays lors de la crise crétoise en 1896-1897, durant
les guerres balkaniques de 1911 à 1914. Mais c'était l'exception,
la règle était plutôt aux interventions nationales dans une
logique de puissance. La création de la Société des nations, puis
de l'Organisation des Nations unies n'y change pas grand chose
pendant l'essentiel du XXe siècle."
p. 69
- Autres critères
"On
pourrait ainsir retenir le critère de la durée pour faire la
différence entre les opérations ponctuelles et les opérations de
longue durée. Traditionnellement, les interventions duraient peu de
temps, quelques jours, quelques semaines au plus. La tendance
récente, qui ne manque pas d'être inquiétante, est à
l'allongement des opérations, conséquence logique de la dégradation
des Etats faillis, mais aussi du refus des puissances extérieures de
prendre parti, interdisant ainsi un dénouement rapide de la
crise..."
p. 73
LES INSTRUMENTS
- Diplomatie nucléaire, diplomatie conventionnelle
"La
diplomatie navale habituelle est conventionnelle. Elle met en oeuvre
des navires équipées d'armes conventionnelles. Mais cela n'est pas
toujours le cas. Au temps de la guerre froide, certaines crises ont
pu revêtir une dimension nucléaire, avec non seulement la menace
d'escalade aux extrêmes, mais également le risque de mise en œuvre
de moyens nucléaires tactiques embarqués."
p. 74
- Diversité des moyens
"L'instrument
privilégié est le porte-avions, au point que l'on a pu parler de
diplomatie du porte-avions. C'est, par excellence, le symbole et
l'instrument de la puissance ; le roi de la surface, mais aussi le
moyen d'une frappe en profondeur à l'intérieur des terres. Les
Etats-Unis ont recouru de manière presque systématique, dans les
crises, à la carrier
diplomacy (l'expression
est, chez eux, d'usage courant), envoyant un, voire plusieurs,
porte-avions sur les théâtres de crise."
p. 75
Diplomatie du
sous-marin ?
"L'utilisation
politique du sous-marin est beaucoup plus rare puisque le sous-marin
est, par nature, associé à la discrétion, contradictoire avec
l'affichage politique."
Hervé Coutau-Bégarie écrit alors regretter ne pas avoir accès à ce travail universitaire américain : "Brent Alan Jitzler, Naval diplomacy
Beneath the Waves. A Study of the Coercive Use of Subarmines Short of
War, Naval Post Graduate School, 1989." Et l'auteur propose le cas de l'escale du Sam Houston en
avril 1963 à Izmir.
p. 76
L'importance des
moyens amphibies
"Mais
les navires amphibies modernes, qui constituent de véritables petits
porte-avions, peuvent également servir de remplaçant à ceux-ci,
lorsqu'ils ne sont pas disponibles en raison de leur nombre trop
restreint. Ils sont aussi, en raison de leur capacité d'emport en
personnel, de eurs engins de débarquement qui permettent de
s'affranchir de la contrainte portuaire et de leurs hélicoptères en
nombre (au moins 4 ou 6, quand une frégate n'en a que 2, au surplus
plus légers) qui autorisent des rotations très rapides lorsqu'il
n'est pas possible d'accoster, les instruments privilégiés des
opérations d'évacuation des ressortissants, comme on a pu le voir à
maintes reprises, encore en 2006 au Liban." p. 78
Les autres moyens
de surface
"Le
moindre bâtiment de surface, aussi modeste soit-il, est susceptible
d'être engagé dans des opérations relevant de la diplomatie
navale, l'appellation "diplomatie de la canonnière" est
suffisamment explicite. Face à des adversaires souvent faibles, des
moyens rustiques peuvent suffire. La France a ainsi construit dans
les années 1930 des avisos coloniaux, puis, dans les années 1950,
des avisos-escorteurs, dans les années 1970 des avisos, dans les
années 1990 des frégates de surveillance, qui ont tous rendu de
grands services. N'importe quel bâtiment peut assurer une mission de
présence et de surveillance. Mais, aujourd'hui, face à la
prolifération des missiles, à la menace aérienne, il n'est plus
possible, pour les grandes puissances, de se contenter de moyens
rustiques, donc plus accessibles, il faut disposer d'une panoplie
étendue capable de faire face aux différents scénarios de crise
qui vont de l'incident avec un adversaire côtier et peu armé à
l'affrontement avec un adversaire disposant de moyens modernes ; le
hi-low mix
que prônait déjà l'amiral Zumwalt au début des années 1970."
p. 78 ou 79
L'aéronautique
navale basée à terre
"Les
avions de patrouille maritime sont indispensables pour assurer la
surveillance des espaces maritimes avec leur grande autonomie et leur
électronique très développée. Mais ils exigent des
infrastructures à terre."
p. 79
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