© Michel FLOCH. Le Sterenn Du. |
Le Système de Lutte Anti-Mines du Futur (SLAMF) est l'un des plus discrets de tous les programmes navals. Le renouvellement des moyens du groupe de guerre des mines est impératif à plusieurs titres, depuis la sûreté des atterrages brestois au profit de la composante océanique de la dissuasion jusqu'à sécuriser les routes maritimes. Exemple type de l'opération Herakles (2001-2002) où la route du groupe aéronaval fut précédée par les plongeurs démineurs et les chasseurs de mines. Une capacité opérationnelle que place pourtant au premier plan la Revue stratégique pour la Défense et la Sécurité nationale, alertant sur la menace persistante et évolutive des mines et demandant le renouvellement des moyens de guerres des mines en mer. Où en est le programme SLAMF ?
Le principe d'un programme de Chasseurs de Mines Tripartites (CMT) était décidé en 1973. Un accord était noué entre la Belgique, la France et la Hollande en février 1974, le programme militaire est élaboré en décembre. Les 35 unités furent construites au cours des années 1980 entre la Belgique (10), la France (10) et les Pays-Bas (15). La production d'une grande partie des composants est mise en commun : la Belgique fournissait les équipements électroniques, les Pays-Bas la propulsion et la France l'équipement de chasse des mines. Les partenaires s'entendant sur une modernisation commune en 2005.
Les CMT peuvent agir jusqu'à 80 mètres de profondeur. La lutte contre les mines basculait de la drague mécanique opérée via des plateformes côtières et océaniques à des chasseurs de mines dotés de moyens téléopérés tels que les Poissons Auto-Propulsés (PAP). La drague ne suffisait plus en raison de la sophistication progressive des mines qui impose d'en éloigner les dragueurs.
C'est pourquoi les CMT remplaçaient, en France, les chasseurs de mines des classes Dompaire (5) et Cybele (5) qui succédaient eux-mêmes, aux dragueurs-côtiers du type Sirius (62) admis au service actif entre 1952 et 1958.
Par ailleurs, les restrictions budgétaires de la fin des années 1980 et du tout début des années 1990 conduisent à l'abandon de la construction des Bâtiment Anti-Mines Océanique (BAMO) de classe Narvik (Narvik, Autun, Bir-Hakeim, Colmar, Garigliano et Berlaimont) en 1991 dont le principal apport opérationnel consistait dans la capacité à dépolluer les fonds jusqu'à 300 mètres. Ils devaient prendre la suite des 15 Dragueurs Océaniques (DO) acquis auprès des États-Unis d'Amérique et admis au service actif en 1953.
Les trois Bâtiments Remorqueurs de Sonar (BRS) de classe Antarès (Antarès, Altaïr et Aldébaran) admis au service actif entre 1992 et 1995 et les trois CMT (Verseau, Céphée et Capricorne) achetés en 1993 à la Belgique assurait partiellement la capacité visait par les DO.
Les prémices du programme SLAMF reposent sur de premiers travaux aux alentours de 1995. L'actuel programme, formalisé en 2008, ambitionnait de remplacer toutes les capacités et plateformes de guerre des mines entre 2010 et 2021. Le calendrier était ajusté selon les inflexions financières apportées aux lois de programmation militaire successives et vise désormais une phase de réalisation entre 2020 et 2030.
Le SLAMF est constitué de trois grands éléments :
- remplacement des CMT et BRS par des « bateaux-mères » déployant des systèmes de drones de lutte contre les mines,
- remplacement des BBPD et du Bâtiment d'Expérimentation de Guerre des Mines (BEGM) Thétis par des BBPD-NG,
- conception du nouveau SEDGM.
Le bateau-mère déploiera des drones de surface (Unmanned Surface Vehicle (USV) porteurs de sonar-remorqués et de drones sous-marins autonomes (Autonomous Underwater Vehicle (AUV). Un AUV recevra comme fonction la Détection, la Classification et la Localisation (AUV DCL) des échos suspects. Un deuxième AUV recevra pour mission l'identification, voire la destruction.
L'USV devrait pouvoir agir sous contrôle, via une liaison de données radio (ondes hertziennes) à, environ, 20 nautiques du bâtiment tandis que la liaison acoustique et sous-marine entretenue avec ses AUV porterait jusqu'à 10 nautiques. Le tout permettant d'éloigner le bâtiment porteur de près de 30 nautiques.
Un Programme d'Études Amont (PEA) dénommé Espadon était lancé en 2009. L'objectif était de démontrer la faisabilité de l'architecture. DCNS (aujourd'hui Naval group), Thales et ECA sont associés sous la direction de la DGA. L'USV est le drone de surface Sterenn du(« étoile noire » en breton). Catamaran de 25 mètres de longueur pour 7,5 au maître-bau pour un tonnage d'environ 25 tonnes.
Il porte deux AUV et un sonar remorqué T-SAS de Thales. Le A27 d'ECA - soit l'AUV DCL – a pour charge utile le sonar latéral SAMDIS (Thales) et peut plonger jusqu’à 300 mètres pour une autonomie de 30 heures. L’AUV I est dérivé de l'A18 Twin dotés de moyens vidéo et d'un sonar d'identification.
L'expérimentation menée depuis 2010 avec la mise à l'eau du Sterenn du s'achevait officiellement en juin 2016. La mise en œuvre des trois composants jusqu'à un état de mer 4 a été un succès et permettait de démontrer la faisabilité de l'architecture retenue en 2008. Les composants du PEA Espadon continuent à servir pour les travaux de la DGA. L'USV Sterenn du bénéficie même d'un entretien d'un mois à partir de novembre 2017.
Le traité de Londres ou accords de Lancaster house (2 novembre 2010) sanctionnait la volonté franco-britannique de joindre les efforts des deux pays quant au remplacement des chasseurs de mines des Marine nationale et Royal Navy. Pour ce faire, le sommet franco-britannique du 31 janvier 2014 accouchait d'un arrangement-cadre permettant le développement d'un prototype de drones de surface et sous-marins. Le programme MCMM (Maritime Mine Counter Measures), dont les efforts sont partagés à parts égales par les deux pays, doit abonder les programmes SLAMF (Marine nationale, remplacement des CMT) et MCH (Mine Countermeasures and Hydrographic Capability - Royal Navy, remplacement des Hunt (8/9), Sandown (7/9) et des navires hydrographiques).
Ce programme est conçu autour de trois phases :
Phase 1
Elle débute par l'étude notifiée le 27 mars 2015 par l'OCCAR (au nom de la DGA et du DE&S) aux industriels. D'une durée de deux années et d'un coût d'un peu plus de 20 millions d'euros, elle est l'étape préalable à la construction des prototypes. Ce premier contrat est attribué au consortium formé de Thales et BAE Systems et associant ECA, ASV et Saab.
Au sommet d'Amiens ou 34e sommet franco-britannique (3 mars 2016) la bonne tenue de l'étude permet à Londres et Paris de poursuivre les efforts communs par la construction d'un prototype pour chaque pays qui sera mis en œuvre depuis la terre via un système conteneurisé.
Lors de la 25e édition du salon Euronaval 2016 (17-21 octobre 2016), la livraison d'un prototype pour chacune des deux marines est alors espérée pour l'année 2019. Ils doivent être qualifiés avant une mise en service espérée en 2021.
Phase 2
Celle-ci correspond à la fin des études préparatoires et au lancement de la construction du prototype. Le futur USV est le fruit d'une expérimentation britannique menée à partir d'un dérivé du C-Sweep d'ASV : l'Halcyon. Monocoque long de 10,8 mètres pour un maître-bau de 3.5 mètres, il déplace, environ, 9 tonnes (contre 25 pour l'USV français) et atteint 25 nœuds pour 230 milles nautiques d'autonomie. Lancé en 2013, il fait l'objet d'une campagne de démonstration du ministère britannique de la Défense en 2014.
Le Sterenn du sera alors remplacé dans les mois à venir par une version revue, corrigée et agrandie de l'Halcyon : plus efficient, plus stable avec une capacité d'emport accrue. Ce futur drone dont la construction est réputée en cours doit être essayé à l'issue de cette phase.
Phase 3
Demeurant à notifier, elle comprendra la mise en œuvre simultanée de tous les composants du MCMM. Il s’agira, peu ou prou, atteindre les mêmes objectifs opérationnels du PEA Espadon avec de nouveaux composants dont l'USV, mais pas seulement.
Thales fournira toujours le sonar remorqué (T-SAS). ECA contribue avec un AUV du type A27 (AUV DCL) ayant pour charge utile le sonar latéral SAMDIS (ouverture synthétique avec système d'imagerie multi-aspect). Saab livrera le ROV (AUV I) et Wood & Douglas s'occupe des moyens de communications.
En outre, Thales fournit le C2 soit le Portable Operation Center (POC) développées par le groupe français et BAE Systems.
La partie la plus obscure du SLAMF ne réside pas dans l'USV et sa myriade de drones, ni même dans le BBPD-NG ou dans le SEGDM mais bien dans les bateaux-mères. Le principe de déployer les drones depuis une unité navale était acté en 2010. Une demi-douzaine d'unités était initialement espérée afin de remplacer les 13 CMT et 3 BSR. Finalement, seuls quatre bateaux-mères sont intégrés à la programmation depuis 2013.
Dans le détail, il s'agit de construire, quant au besoin français :
- quatre bateaux-mères,
- huit systèmes de drones, soit :
- 8 USV,
- 24 AUV,
- 8 sonar-remorqués T-SAM,
- 8 ROV.
Le tonnage espéré pour les bateaux-mères devrait être compris entre 2000 tonnes lège et 3000 tonnes à pleine charge, soit entre l'équivalent d'une Gowind combat (Second Generation Patrol Vessel) et une Frégate de Taille Intermédiaire (FTI), contre 560 tonnes pour un CMT, 780 tonnes pour un dragueur océanique ou encore 890 tonnes pour un BAMO. La rupture est franche avec les solutions de guerre des mines précédentes.
Deux grandes solutions s'offrent dans cette perspective :
La première profite des 20 à 30 nautiques d'éloignement des mines pour restreindre le bateau-mère à une unité construite aux normes marine marchande. Cette option contrevient au discours dominant sur les menaces A2/AD largement repris dans la Revue stratégique sur la Défense et la Sécurité nationale. Cependant, ce choix ouvre la perspective au remplacement des Bâtiments Hydrographiques (BH - La Pérouse (1988), Borda (1988), Laplace (1989)... et Arago (1991) ?) par une classe homogène et, par voie de conséquence, à une mobilité stratégique inédite de nos moyens de guerre des mines car tous les composants mobiles sont transportables par A400M.
La deuxième considère les défis de l'A2/AD et les constations bien moins polémiques de la démocratisation des vecteurs sous-marins et anti-sous-marins par le monde, en particulier dans les zones comprenant des intérêts vitaux français. Ici, il s'agirait de considérer les bateaux-mères comme de véritables frégates déployant ses drones et pouvant participer à la chasse d'autres menaces sous-marines dans les espaces côtiers comme, par exemple, les sous-marins de poche et à propulsion classique. Les frégates de deuxième rang bénéficieraient de quatre nouvelles unités en attentant de futures décisions quant au sort des frégates existantes.
Les budgets et synergies ne sont pas les mêmes entre ces deux options. La première demanderait un coût unitaire de production de l'ordre d'un BSAH (soit peu ou prou 40 millions d'euros) tandis que la deuxième demanderait plutôt dans les 150 à 200 millions d'euros par bateau. Et tout ceci sans compter le coût des drones. Toutefois, l'opération Harmattan (2011) confirmait bien la nécessité de pouvoir approcher les chasseurs de mines des côtes adverses tandis que la Revue stratégique sur la Défense et la Sécurité nationale (p. 93) a cette sentence qui invite à ne pas négliger un aspect essentiel de la maîtrise aéro-maritime pour protéger les forces déployées contre les menaces sous-marines : "aptitude qui regroupe des dispositions de protection et de neutralisation face aux menaces (conventionnelles ou non) de type mines et torpilles." Les menaces non-conventionnelles, eu égard à l'emploi de ce vocable dans le document entier, ne désigne pas spécifiquement les WBIED/EEI naval mais bien les armes nucléaires.
À l'instar du programme BATSIMAR (BÂTiment de Surveillance et d'Intervention MARitime), le calendrier du programme SLAMF glissait de la décennie 2010 à la décennie 2020 pour la mise en service des nouveaux moyens. Une fois n'est pas coutume, une des causes du retard serait industrielle en raison d'une mésentente entre certaines entreprises françaises. C'est peut-être pourquoi des bruits de coursive disent qu'une demi-douzaine de CMT pourraient être prolongés d'environ cinq années afin d'assurer la soudure avec le SLAMF. Si ce dernier programme était cité dans l'actualisation de la LPM (2014-2019) en 2015 et - sans son acronyme - dans la Revue stratégique sur la Défense et la Sécurité nationale, rien n'oblige à une mise en service des nouvelles capacités dès la prochaine LPM (2020-2025) - hormis le prototype devant être reçu dès 2019. Les décisions à prendre ne sont pas simples entre les deux options dessinées ci-dessus. La première peut très rapidement devenir opérationnelle en moins de trois à quatre années entre la décision et la réception du bateau tandis que la deuxième touche plutôt à la LPM (2026-2031) qui portera probablement une nouvelle classe de frégates. Et l'affaire se corse encore quand il est envisageable que les BBPD-NG puissent bénéficient d'une variante du BATSIMAR destiné à la métropole.
Juste une typo, on parle de SEDGM et pas de SEGDM
RépondreSupprimerMadame, Monsieur,
SupprimerMerci pour la rectification, j'ai mal recopié ce que j'ai pu lire ailleurs.
Bien cordialement,
Bonsoir, a propos du groupe eca cité dans votre article.
RépondreSupprimer"Robots démineurs : la Russie renoncerait à la coopération avec Eca"
http://www.lemarin.fr/secteurs-activites/defense/30738-robots-demineurs-la-russie-renoncerait-la-cooperation-avec-eca
A vouloir tout faire, on ne fait rien de bien...la GSM a et sera toujours un domaine de lutte specifique. Seuls des systèmes légers de LCM conviennent aux frégates. Envisager4 frégates avec capacités GDM, pour un coût de 600 a 800 M€ reviendrait a tuer le concept SLAMF/MMCM !
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