Il est proposé ici que la France participe politiquement, financièrement et matériellement à la constitution d’une flottille fluviale, au sein de la Військово-Морські сили Збройних сил України (ВМС ЗСУ), et pour participer aux opérations militaires de libération du territoire national ukrainien, aux bénéfices de l’augmentation de la puissance de feux dans la profondeur, installant une force de dissuasion conventionnelle, mais également au renforcement de la défense aérienne. Une opportunité pour Paris de témoigner de sa solidarité et pour la ВМС ЗСУ de revenir au premier, voire de prétendre à contourner le dispositif russe par le Sud.
Le fleuve Dniepr est long de 2 290 km et navigable sur 1 990 km : plus particulièrement entre la frontière ukraino-biélorusse et son embouchure – soit 1 095 km – par laquelle ses eaux se jettent dans la mer Noire. La linéarité de la partie navigable est parfois interrompue par les réservoirs de plusieurs centrales hydroélectriques qui peuvent être franchis par l’entremise d’un jeu d’écluses dont les dimensions générales (270 par 18 mètres) offrirent un gabarit conséquent. Par ailleurs, les très grandes largeurs des différents tronçons du passage du Dniepr en Ukraine – jusqu’à constituer des « réservoirs » semblables à des lacs – permettent d’envisager des évolutions, avec une certaine liberté de manœuvre. Son débit lent et régulier facilite sa navigation. Mais celle-ci se retrouve interrompue chaque hiver par les glaces et les de violentes tempêtes.
Il aurait été théoriquement possible de naviguer sur le Dniepr dans les territoires biélorusse (595 km) et russe (485 km) mais, outre l’impossibilité politique de traverser ces territoires : l’étroitesse du fleuve limite tellement les manœuvres de retournement qu’il interdit son usage militaire à partir d’un certain gabarit, celui qui va nous intéresser.
L’emploi de moyens militaires sur un fleuve peut permettre de conférer une mobilité à des matériels, des systèmes d’arme sans commune mesure avec ce qu’il en serait avec des plateformes terrestres. Mobilité au pro rata de la vitesse d’évolution du chaland ou de l’embarcation. Et il s’agit là de sa principale protection puisque capable de « saut de puce » défiant les procédés tactiques en vigueur et la portée de l’artillerie. Raison pour laquelle des unités s’accrochant à des « coupures humides » ont parfois placé des pièces d’artillerie sur des chalands et péniches afin de décupler leur protection et leur puissance destructrice, grâce à cette mobilité.
À l’échelle du théâtre ukrainien, il est à remarquer qu’il y a, en moyenne, une distance d’environ 400 km entre la rive orientale du fleuve Dniepr et les frontières biélorusse et russe. Par ailleurs, l’influence d’une flottille fluviale se ferait sentir sur certaines parties du front. Par exemple, en regardant depuis le Sud jusqu’au Nord :
Il y a 235 km entre les eaux au Sud de Kherson et Sébastopol, par exemple.
Les eaux de Nikopol sont à environ 100 de la ville de Mélitopol.
Les eaux au Sud de Zaporija sont à environ 130 de Berdiansk et 175 km de Mariupol.
Autrement dit, un moyen fluvial apte à mettre en œuvre des feux et ayant l’allonge suffisante pourrait bouleverser la physionomie du théâtre compris entre l’ « île de Kherson » et le Nord de la Crimée, voire tout l’oblast de Crimée et permettre de préparer une prise des rives ukrainiennes de la mer d’Azov en supprimant la profondeur du dispositif adverse. Et plus largement, des feux déployés depuis le Dniepr prétendraient à interdire tout le territoire ukrainien à l’Est de ses rives orientales… ou bien l’Ouest du pays.
Selon cette appréciation de la géographie ukrainienne au prisme de son principal fleuve, il y a bel et bien matière à considérer la création d’une flottille fluviale au sein de la ВМС ЗСУ afin de renforcer la capacité à contrôler l’espace aérien national ukrainien. Un radar tournant ou à faces planes disposé sur une corvette « fluviale » aurait la faculté de contrôler, selon la puissance du ou des faisceaux, entre 200 et 400 km de profondeur de l’espace aérien ukrainien.
L’installation d’un central opérations au cœur de cette corvette, abreuvée par un ensemble de liaisons de données tactiques et des systèmes C4i offriraient la possibilité d’échelonner la défense aérienne entre les batteries du segment sol-air basse couche et celles dédiées à la défense aérienne de zone. Ceci devant ouvrir de nouvelles possibilités tactiques afin de distribuer les fonctions de commandement, surveillance et de lancement des munitions dans la profondeur du territoire ukrainien, avec de nouvelles redondances et une sorte de radar multistatique.
L’intégration et la mise en œuvre de roquettes de gros calibre et de missiles balistiques à courte portée permettrait à d’autres corvettes fluviales de constituer un moyen de dissuasion conventionnelle pour la profondeur des dispositifs adverses, voire pour toute incursion sur le territoire ukrainien. Ces feux pourraient se déployer sur des profondeurs allant de 70 à 90 km pour les roquettes, voire 150 km avec les GMLRS-ER (Lockheed Martin), et entre 150 et 300 km selon les versions du missile balistique à courte portée MGM-140 ATACMS (Army Tactical Missile System) de Lockheed Martin et voire jusqu’à 800 km pour le Precision Strike Missile (PrSM) de Lockheed Martin dont la capacité opérationnelle initiale serait à prononcer en 2023, comme pour la GMLRS-ER au demeurant.
Une perspective à une échelle plus tactique et moins opérative, voire stratégique, pourrait se matérialiser, toujours sous la forme d’une « corvette fluviale », avec l’intégration de tourelles d’automoteurs d’artillerie ou bien à usiner ou bien à récupérer de matériels déclassés et à reconditionner, moderniser ; voire à améliorer : par exemple en portant un système du 39 au 52, 58 ou 64 calibres. Mais cela obligerait à « créer » de nouveaux systèmes et les tables de tir associées. Le calibre de 155 mm semble être l’idéal de ce point de vue et permet l’emploi de toute une gamme d’obus, avec différents effets possibles sur les hommes, matériels et structures à atteindre. Les portées correspondantes à ces matériels et munitions sont de l’ordre des 40 à 70 km, voire 120 km par l’emploi d’un obus comme le Vulcano (Leonardo).
Les corvettes fluviales pourraient être rassemblées autour d’une coque commune (60 à 80 mètres de longueur, 10 à 12 mètres au maître-bau et entre 800 et 1 000 tonnes ?) devant avoir les qualités nautiques nécessaires pour manœuvrer sur le Dniepr, se pourvoir rapidement d’un point à l’autre pour permettre la bascule des feux et bénéficier d’une forte autonomie, assurant à la manière d’un système d’artillerie la permanence des feux dans la grande durée.
Intégrer dès la conception un blindage des parties vitales et une redondance des pièces pour ne pas interrompre les salves. La protection contre les torpilles et les missiles anti-navires est relatives dans la mesure où le fleuve n’est pas le lieu d’évolution naturelle des premières munitions tandis que les autres ne sont pas conçues pour évoluer au-dessus de la terre : sauf à s’exposer par un trajet à haute altitude. Des contre-mesures électroniques et des leurres pourraient suffire.
Il y aurait dès lors trois types de corvettes fluviales à penser, à savoir :
Une corvette étudiée pour la défense aérienne, portant un radar de veille aérienne tridimensionnel, l’ensemble des moyens de commandement, de télécommunication et de commandement pour être réticulée avec les centres de commandement, les aéronefs et les autres batteries de lutte anti-aérienne. Le bloc passerelle recevra, de préférence à l’avant et à l’arrière, au moins deux lanceurs de munitions anti-aériennes, comme des SYLVER A50.
Une corvette étudiée pour les feux de contre-batterie et de frappes stratégiques qui recevraient des lanceurs M270 et des modules rechargement M269 des M270 déclassés en Europe ou de l’autre côté de l’Atlantique, ce qui suppose certaines contraintes d’installation pour éventuellement disposer des magasins blindés, une chaîne d’alimentation et les dispositions architecturales pour ravitailler.
Une corvette étudiée pour intégrer l’équivalent d’une batterie d’artillerie, avec des tourelles d’automoteurs blindés disposés sur le pont principal, avec par exemple deux à l’avant en chasse pour deux autres en retraites.
L’architecture des trois types de corvettes devra permettre de centraliser la conduite de tir, la tranquilliser selon les évolutions ou bien permettre aux calculateurs de corriger les mouvements de la plateforme ; permettre de recharger les tourelles par le biais d’ascenseurs fonctionnant à la manière des blindés ou camions de ravitaillement à terre depuis des magasins blindés.
La fourniture de pareilles corvettes à l’Ukraine requérait des mois et bénéficierait en cela d’une attente facilitée par l’arrivée de l’hiver qui rendra leur emploi difficile, voire impossible sur le Dniepr. Le lieu de construction est le plus problématique puisque le territoire ukrainien est régulièrement bombardé et que plusieurs semaines d’assemblage seront nécessaires, même à un chantier naval fonctionnant à bonne cadence. En revanche, il serait peut-être plus simple d’envisager une construction décentralisée, les blocs presque totalement « armés » étant convoyés par la route vers un lieu d’assemblage ou bien de s’appuyer sur le fleuve Danube et les multiples possibilités d’installation potentielle pour construire sur territoire de l’Alliance atlantique ces corvettes : il resterait à forcer l’embouchure du Dniepr, après un cabotage le long des côtes roumaines et ukrainiennes. Nouvelle opération Cerberus ?
Mr le Marquis
RépondreSupprimerUS a fourni 18 "riverine" à l'Ukraine afin de pouvoir contrôler le Dniepr, l'on parle de vedettes rapides et non pas comme dans votre suggestion de corvette.
Permettez moi de douter sur l'Espérance de vie de telle corvette, vue la précision des armes actuelles, elles formeraient des cibles parfaites sur le Dniepr; par contre la suède à fait des essais avec un de ses CB90 équipé d'un mortier automatique de 120mm sous tourelle, un tel bateau évoluant à grande vitesse pourrais faire de raides côtiers: shoot and scoot en Anglois
Pour de l'appui feu à longue portée, je trouve votre proposition peu convaincante. Pour la défense antiaérienne de zone, oui. Un véhicule à roues aura de facto plus de facilité de mouvements. A noté que pour le Precision Strike Missile, les 800 km ne sont prévus que vers la fin de la décennie. Et les ATACMS réclamés par Kiev depuis des mois n'ont pas encore reçu l'aval des autorités US pour être livrés.
RépondreSupprimerCher Marquis,
RépondreSupprimerCette idée de batellerie fluviale sur le Dniepr est assez séduisante. Toutefois, il faut souligner que chaque pont (même détruit) sur le fleuve constitue un obstacle potentiellement infranchissable pour la batellerie, sauf à être certain que les forces terrestres amies contrôlent le pont et ses deux rives... de même, chaque rétrécissement du fleuve constitue une zone propice à des embuscades meurtrières, notamment à coup de missiles antichars lancés à l'épaule, ou même à des tirs directs depuis des chars ou canons antichars dont les russes ne manquent pas. Sans parler d'éventuelles mines qui pourraient être mouillées dans le chenal de navigation. Bref, cette batellerie fluviale poserait sans nul doute à court terme de nouvelles difficultés aux russes en les obligeant à redéployer des forces le long des berges (et donc à s'exposer à y prendre des coups) , mais ils pourraient bien rapidement trouver une parade et interdire toute navigation sur le fleuve. Le jeu en vaut-il la chandelle pour les ukrainiens ?
En revanche, l'idée d'une flotte côtière constituée d'une "poussière navale" de petites unités très mobiles de quelques dizaines de tonnes, à la conception standardisée mais dotées d'un armement varié constitué au choix d'artillerie, de missiles antichars, de missiles antinavires (utilisables aussi pour des tirs sur coordonnées sur des cibles terrestres...), de LRM, ou encore de lanceurs de munitions rôdeuses, pourrait constituer un défi autrement plus redoutable pour les russes, qui se verraient alors harcelés sur leurs arrières et contraints de mobiliser de précieuses ressources pour renforcer leurs défenses sur des milliers de kilomètres de côte, de Kherson à la Crimée, en passant par Marioupol et jusqu'à l'embouchure du détroit de Kertch et son précieux pont... L'existence de telles flottilles côtières agissant de concert sur des cibles préalablement désignées par le renseignement d'origine US obligerait également les russes à exposer davantage la flotte de la Mer Noire ainsi que ce qui reste de leur aviation navale, les exposant inévitablement en retour à de nouvelles pertes difficilement supportables pour eux, y compris en termes d'image, surtout face à des navires "ridicules" de quelques dizaines de tonnes...
Comme vous l'indiquez, la construction pourrait être réalisée par assemblages de blocs pré-équipés, construits par des chantiers navals dans toute l'Europe (et la France trouverait là une nouvelle façon efficace d'aider l'Ukraine), acheminés ensuite par voie terrestre et/ou fluviale via le Danube. Une fois assemblées, les coques motorisées seraient prises en charge par un équipage ukrainien, qui remonterait par cabotage et sous couvert de l'artillerie la côte jusqu'à Odessa, où l'armement pourrait rapidement être installé. Avec une bonne coordination politique et industrielle, il devrait être possible de fournir à l'Ukraine plusieurs dizaines de ces vedettes côtières en quelques mois, et de promettre aux russes un printemps 2023 encore plus compliqué...
Je souscris aux observations précédente de mon confrère anonyme. Des unités de 20/25 m du style des modèles COUACH type 2200 FPB, produits en nombre pour l'Arabie Saoudite (l'outil industriel existe donc....mais voir également du coté de CMN) armés par exemple de missiles BRIMSTONE 3 permettraient aux force ukrainiennes de créer une zone d'interdiction de près de 20kms de profondeur tout au long du Dniepr....et faciliterait en conséquence la reconquête des terres de l'autre coté du fleuve.
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