L'ouvrage de l'allié Stéphane Mantoux (auteur de Historicoblog et l'un des trois auteurs de L'autre côté de la colline)
invite à découvrir la deuxième guerre d'Indochine qui n'intéresse pas
tellement les foules en France (tout comme
la première, a priori). Plusieurs points sont particulièrement
intéressant à relever, même si cela ne sera pas fait de manière très
ordonnée, car ils sont d'une furieuse actualité.
Sur le plan militaire
Premièrement, nous pouvons constater que la guerre en coalition est
encore et toujours un facteur d'affaiblissement stratégique car il est
bien difficile d'unifier la conduite des opérations.
Ainsi, chaque force armée américaine défend sa manière de faire la
guerre, tout comme chaque contingent étranger (dont les principaux sont
Australiens et Sud-coréens). La tâche du général
Westmoreland était donc bien compliquée.
Cette situation n'est pas sans rappeler la seconde guerre
d'Afghanistan où chaque allié viendra sur le théâtre avec ses propres
normes d'engagement. Guerre où l'on se demande encore pourquoi les
européens ne s'étaient pas regroupés sous une banière européenne
pour coordonner ce qu'ils savent faire de mieux : l'aide
civilo-militaire avec les outils forgés dans d'autres conflits.
Ce qui amène à demander si deux conflits ont déjà été comparés :
- les deux guerres d'Indochine,
- les deux guerres d'Afghanistan.
L'expérience des Marines est particulièrement intéressante
au Vietnam grâce à la création d'unités jaunisées. C'est un moyen de
décupler la force initiale tout en s'offrant de multiples
possibilités pour se fondre dans la population et y trouver du
renseignement.
Cette expérience de l'USMC semble se construire au même niveau que
celui des milices populaires qui sont mises en place au Sud-Vietnam pour
aider, grâce à ces forces paramilitaires, à tenir le
terrain face à la subversion ennemie. Et nous retrouvons au Vietnam
des milices qui serviront plus les intérêts des chefs politiques locaux
que des chefs qui conduisent la guerre. Aurait-il fallu
coupler des forces américaines à ces milices pour les encadrer et
découpler les "mauvais objectifs politiques" des "bons" des américains ?
C'est une question pernicieuse qui renvoie à la question de la politique : les travaux de Michel Goya sur le combat couplé et la reconstruction de l'Etat ne peuvent qu'être invoqués ici. Il est donc plus que nécessaire de contrôler l'Etat allié à divers échelon quand la conduite de la guerre est très mal assurée.
C'est une question pernicieuse qui renvoie à la question de la politique : les travaux de Michel Goya sur le combat couplé et la reconstruction de l'Etat ne peuvent qu'être invoqués ici. Il est donc plus que nécessaire de contrôler l'Etat allié à divers échelon quand la conduite de la guerre est très mal assurée.
Ce qui choque donc c'est la grande difficulté à partager
l'expérience dans le camp américain. La très faible durée d'engagement
des soldats étasuniens n'aident pas, l'auteur explique très bien
ses effets pervers. Avec un peu de provocation, il faudrait même
avancer qu'il aurait mieux valu de plus faibles effectifs, et mieux aux
faits des affaires locales, que de grands effectifs qui
n'apprennent rien.
Ce qui, au passage, pose la question de l'autonomie des unités militaires pour atteindre les objectifs : faut-il confier un territoire à une ou des unités militaires pour atteindre les buts de la guerre avec une certaine liberté, c'est-à-dire une grande décentralisation dans la prise de décision (pour le renseignement, pour organiser les forces de sécurité, l'économie, etc...) ? Cela ne veut pas dire aucun contrôle mais moins de contrôle.
Ce qui, au passage, pose la question de l'autonomie des unités militaires pour atteindre les objectifs : faut-il confier un territoire à une ou des unités militaires pour atteindre les buts de la guerre avec une certaine liberté, c'est-à-dire une grande décentralisation dans la prise de décision (pour le renseignement, pour organiser les forces de sécurité, l'économie, etc...) ? Cela ne veut pas dire aucun contrôle mais moins de contrôle.
Chronostratégie ?
La question de la logistique ennemie le long de la piste Hô Chi Minh
est particulièrement intéressante en ce sens où il semblerait que
c'était affaire d'une chronostratégie. Il aurait été
nécessaire que :
- les américains puissent d'un côté perturber suffisamment le fonctionnement de cette "voie sacrée" vietnamienne pour qu'il y ait une coupure temporaire dans les renforts en hommes et matériels,
- tout en réussissant de l'autre côté une offensive généralisée contre le vietcong pour tenter de le briser pendant ce court laps de temps.
La caractérisation des espaces
Ce n'est pas fait dans l'ouvrage car sa force est, justement, de
restituer tout le contexte à chaque niveau militaire et politique.
Néanmoins, le lecteur semble invité à se plonger plus en avant
dans les questions de l'époque et, pourquoi pas, essayer de
qualifier les espaces d'affrontement en Indochine. Quels sont les
apports des espaces lisse, strié, visqueux, solide et lacunaire ?
Guerre de contre-guérilla : politique, politique et politique
C'est un truisme presque pénible à écrire, tellement il est répété
-mais est-il seulement entendu ?-, que la guerre est une affaire
politique.
La stratégie mise au point par le général Westmoreland semblait parfaitement logique : par le truchement du "search and destroy" les forces armées américaines pourraient porter des coups significatifs au "corps de bataille" ennemi au point qu'il s'effondre. Là où les américains sont par le biais de cette stratégie dans la recherche du chiffre, l'adversaire est dans l'affichage politique. La bataille de Drang (14 au 26 novembre 1965) montre ainsi une réussite des forces américaines contre le vietcong : 305 soldats perdus contre 3000 tués. Néanmoins, du côté communiste, cela sera interprêté comme une victoire car les viets pouvaient montrer qu'ils avaient réussi à tenir l'engagement.
La bataille de Drang peut illustrer assez bien ce qui va se dérouler
pendant toute l'offensive du Têt. Initialement, le Vietcong ambitionne
une offensive généralisée contre les villes du Sud afin
de provoquer le soulèvement de la population. Tout comme ils pensent
qu'au-delà d'un certain nombre de pertes américaines, l'opinion
publique aux Etats-Unis va flancher et retirer son soutien à
la guerre. Il s'agit donc bien de mener des actions militaires non
pas pour vaincre un adversaire sur un champ de batailles, mais bien de
le vaincre sa volonté à faire la guerre.
Le plan politique est particulièrement intéressant car nous
pourrions nous avancer à dire que l'avantage du Vietcong et du
Nord-Vietnam est la communauté politique qui les unit. Pas besoin
d'énoncer à nouveau les objectifs du communisme révolutionnaire à
cette époque, ni l'objectif d'un mouvement de libération (bien que
l'auteur nous entretienne des hésitations du Nord à réunifier
le pays entre ceux qui la veulent cette réunification et les autres
qui préfèrent consolider l'acquis initial, le Nord).
Du côté des Etats-Unis il y a un découplage handicapant entre le
président Johnson qui veut mener ses projets de "Grande société" et que
la guerre empêche. De l'autre, il y a le Sud-Vietnam qui
est bien loin des idéaux américains, occidentaux et où la population
souffre de divers maux dont le népotisme et la violence politique sont
les principaux.
Une fois encore, ce n'est peut être pas dans cette seule guerre où l'on va rencontrer cette opposition. Dans une guerre de contre-guérilla où l'on se bat pour gagner politiquement et non pas militairement, il est bien difficile de manoeuvrer l'allié récalcitrant sans s'aliéner la polulation.
Une fois encore, ce n'est peut être pas dans cette seule guerre où l'on va rencontrer cette opposition. Dans une guerre de contre-guérilla où l'on se bat pour gagner politiquement et non pas militairement, il est bien difficile de manoeuvrer l'allié récalcitrant sans s'aliéner la polulation.
Au final, le livre de Stéphane Mantoux est un format très
intéressant pour saisir la substance d'une guerre, sans se perdre dans
les détails, ce qui donne envie de s'intéresser au reste de la
collection. Il est étonnant de découvrir la criante actualité des
questions de ce conflit.