Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





24 février 2014

1980 : Quel avion pour la ZEE ?

Un Gardian de la flottille 25F en survol d'un atoll dans l'archipel de la Société (2002).
 Par un article dans La (nouvelle) Revue maritime (n°353, mai 1980) le contre-amiral Yvan Scordino (qui fut chef du service central d'aéronautique de la Marine nationale) présente ce qui devait être pour lui les caractéristiques de l' "avion ZEE". 


20 février 2014

"Embarquez !" de Michel Perchoc et André Lambert

 
Embarquez ! (Marines éditions, 2014) est l'invitation lancée par Michel Perchoc et André Lambert dans leur dernière publication. L'ouvrage est préfacé par l'Amiral Rogel, chef d'état-major de la Marine, et la postface est de Patrick Boissier, actuel PDG de DCNS.
Invitation qui est loin d'avoir été la seule puisque les deux compagnons d'écriture ont, notamment, publié ensemble Ecole navale (1998), En avant toute (2001) ainsi qu' Esthétique navale (2009) chez Marines éditions. Ils comptent aussi de nombreuses publications individuelles dont la liste est disponible ici.

L'un des deux auteurs, Michel Perchoc, m'avait fait l'honneur de m'entretenir de ce futur livre avec André Lambert qu'était Embarquez ! Je retenais de ces échanges le souvenir d'une future page au sujet d'une des deux tourelles de 380 du Jean Bart.
Au passage, le poids d'une tourelle de 380 des cuirassés Richelieu et Jean Bart était de 2275 tonnes. Tourelle qui était armée par une compagnie de 90 hommes. A titre de comparaison, à la même époque, un contre-torpilleur comme le Tigre déplaçait 2126 tonnes et était armé d'un équipage de 195 hommes...

Embarquez ! est une formidable rétrospective sur la vie à bord des différents navires qui ont fait claquer le pavillon royal puis national sur l'Océan depuis 1780. La première richesse de cette ouvrage est de permettre de retrouver des navires qui n'ont plus l'habitude d'être mis en avant, tel le cuirassé Charlemagne ou le sous-marin Pluviôse. Il y a de très belles surprises et les écorchés d'André Lambert sont d'une grande beauté.
 
Néanmoins, nous sommes à bien des marées de la rétrospective nostalgique : le livre est résolument tourné vers l'avenir à partir d'une histoire sans cesse renouvelée. Par là, il y a un message subliminal des auteurs : la France, pour garder son rang sur mer, a toujours eu le souci de se doter des fleurons dont elle avait besoin pour ses grands desseins. Ainsi, Embarquez ! débute par une frégate de 1780 et s'achève par l'Advansea qui est l'illustration de ce que peut être le vaisseau de combat à l'âge de l'énergie dirigée.
 
Enfin, ce sont toutes les composantes de la Marine que Michel Perchoc et André Lambert présentent : dissuasion océanique (et la FANU, in fine), aviation navale (tant à terre qu'en mer), flotte de surface, navires de l'Action de l'Etat en Mer, marins du ciel et de terre. Au total, ce sont près de 40 navires et équipages à découvrir au fil du livre !
 
C'est avec la très aimable autorisation de Michel Perchoc que j'ai la chance de pouvoir vous offrir quelques unes des pages du livre. J'espère que vous trouverez à leur lecture le même plaisir que j'ai pu avoir (n'hésitez pas à cliquer pour agrandir).
 
Bref, Embarquez !
 
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18 février 2014

"Porte-avions" de Henri-Pierre Grolleau

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Porte-avions (le pavillon dans le titre indique de quels porte-avions nous parlons) de Henri-Pierre Grolleau est une agréable surprise. De premier abord, ces ouvrages (reportage photographique ? je ne sais) ne m'intéressent pas par rapport à ceux alternant artistiquement entre noir et blanc.
 
L'auteur a bénéficié d'une sacrée chance (très certainement consécutive à son long investissement dans les questions de défense : quatorze ouvrages sur le sujet) en obtenant l'autorisation d'embarquer sur plusieurs vaisseaux de l'US Navy :
  • le porte-avions USS Dwight D. Eisenhower (CVN-69),
  • le navire d'assaut amphibie USS Bataan (LHD-5),
  • et sur les navires d'escorte.
Embarquements qui laissent rêveur...
 
De facto, toute l'unité de l'ouvrage tient en la capacité de l'auteur à raconter ce qu'est la puissance aéronavale américaine, de la terre à la mer. De la mise en oeuvre d'un groupe aéronaval américain jusqu'au dispositif logistique pour le faire durer à la mer (170 jours de mer sans escale : record de l'USS Theodore Roosevelt en 2001-2002).
 
Ensuite, les deux embarquements structurent le livre puisque Henri-Pierre Grolleau nous présente les deux composantes de la puissance aéronavale américaine :
  • les Carrier Strike Group (CSG) centrés sur un porte-avions à propulsion nucléaire,
  • les Amphibious Reponse Group (ARG) centré sur un navire d'assaut amphibie des classes Tarawa, Wasp et America.
Le CSG est indéniablement l'incarnation de la projection de puissance quand l'ARG est celle de la projection de forces. Propos qu'il faut nuancer car pendant l'intervention humanitaire américaine à Haïti un porte-avions de la marine américaine était gréé en porte-hélicoptères quand un LHD peut être intégralement armé par des aéronefs à voilures fixes pour projeter de la puissance.
 
Le grand point fort de l'ouvrage est de décrire l'environnement opérationnel nécessaire à la mise de ces "effecteurs de premier rang" (Joseph Henrotin in Les fondements de la stratégie navale au XXIe siècle aux éditions Economica).
 
Nous avons une présentation des structures, des aéronefs, des postes et opérations critiques de la mise en oeuvre de la puissance aéronavale américaine.
 
En ce qui concerne les aéronefs, l'auteur laisse le témoignage d'une aéronavale qui quitte le modèle des appareils spécialisés pour parvenir aux appareils polyvalent. Le F-18 E/F Super Hornet (dont la version spécialisée de guerre électronique, EA-18G Growler, remplace l'EA-6B Prowler) rationalise significativement logistique et les formations. Tout comme le remplacement de bon nombre de voilures tournantes par le Sikorsky Seahawk (avec toutes ses versions) produit les mêmes effets.
 
Du côté des structures, les Carrier AIr Wing (CVW) -qui sont les équivalents du groupe aérien embarqué français-, sont intéressantes à plus d'un titre. Elles associent les appareils à leur personnel de manière permanente (la notion de groupe aérien embarqué ne se dégage en France qu'à partir de l'entrée en service des Clemenceau et Foch comme l'enseignait Coutau-Bégarie).
Outre les chasseurs F/A-18 et F-18 E/F, les CVW reçoivent aussi un détachement de C-2 Greyhound (une trentaine d'exemplaires seulement), l'avion logistique de l'aéronavale américaine (parfois prêtée à l'aéronavale française qui essaie d'en acquérir).

Et depuis début 2009, le CVW du CVN-74 John C. Stennis embarque deux escadrons d'hélicoptères (les HSC-8 "Eightballers" (MH-60R) et le HSM-71 "Raptors" (MH-60S) : c'est-à-dire que le CVW dispose de tous les aéronefs à voilures fixes et tournantes là où avant chaque navire possédait ses hélicoptères tournantes.
 
Cette nouvelle organisation organique répondrait aux principes :
  • de concentration (une autorité sur l'ensemble des aéronefs pour concentrer l'effort sur l'action demandée),
  • de sélectivité des efforts (entre des actions offensives ou logistiques par exemple) de la puissance aérienne.
Principes qui ont pu être présentés, notamment, par le général Forget (Puissance aérienne et stratégies aux éditions Economica).
 
A contrario, il ne semblerait pas qu'il existe une organisation aussi robuste, mais rigide, à bord des LHD et LHA de la marine américaine. Par exemple, Henri-Pierre Grolleau nous dit que le groupe aérien embarqué de l'USS Bataan, lorsque l'auteur était à bord, se composait de dix MV-22 Osprey, quatre UH-IN Huey, quatre AH-1W Cobra, sept AV-8B/B+ Harrier et deux MH-60S Seahawk (quatre CH-53 Super Sea Stallion étaient détachés sur les autres navires pour donner plus de place à bord du Bataan). Cette composition n'est pas fixe et c'est cette souplesse qui fait la force de ces navires et de leur groupe.
 
A contrario de cette grande palette de capacités aériennes, les USS Bataan et Bonhomme Richard étaient gréés en porte-aéronefs pendant l'opération Iraqi Freedom (2003) : 24 Harrier et deux hélicoptères (RESCO).

Par ailleurs, l'arrivée du V-22 Osprey apporte un gain considérable l'USMC : l'appareil élargit considérablement l'influence des LHD et LHA grâce son rayon d'action, tout comme il joue désormais le rôle du C-2 Greyhound à bord de ces navires (les deux appareils ont des performances plus que comparables).
Pour illustrer le gain stratégique qu'offre ces deux appareils, l'auteur relate ainsi que le C-2 peut assurer les liaisons entre la base navale américaine à Barhein et un porte-avions navigant au Sud du Pakistan.
 
Ce qui frappe dans les deux cas c'est l'organisation des navires de la force (CSG ou ARG) comme d'un réseau de bases aériennes avancées qui permettent la projection de puissance aérienne. A ce schéma il faut ajouter les flux logistiques qui décollent de ces porte-avions et porte-aéronefs (C-2 et V-22) pour s'appuyer sur le réseau des bases avancées du Military Sealift Command et de ses navires de par le monde).
 
Le focus qui est fait par l'auteur sur le Military Sealift Command est un régal particulièrement pertinent au moment où le remplacement des Bâtiments de Commandement et de Ravitaillement de classe Durance de la Marine nationale est hautement critique.
Ce commandement de logistique navale aligne près d'une centaine de bâtiments armés par des équipages mêlant marins de l'US Navy, fonctionnaires et civils. Les missions du MSC englobent :
  • le ravitaillement à la mer (par exemple, les quatre ravitailleurs de combat rapides classe Supply déplacent 49 700 tonnes et filent 26 noeuds contre 41 000 tonnes et 27 noeuds pour le Charles de Gaulle),
  • le prépositionnement de forces terrestres (des cargos affrétés transportent matériels et véhicules pour une brigade de 16 000 Marines),
  • le transport rapide d'unités terrestres (les JHSV),
  • les recherches hydrographique et océanographique. 
 
Par ailleurs, toute les considérations logistiques dans l'ouvrage montrent que tout est fait pour rationaliser, de près ou de loin, les flux afin de les optimiser (de l'organisation des ravitaillements à la mer en passant par le choix d'avions de combat polyvalent). Serait-ce là un témoignage de la culture stratégique américaine, très axée sur Jomini et l'importance que ce dernier donne à la logistique ?
 
Indéniablement, c'est un très bel ouvrage qui explique avec beaucoup de pédagogie ce qu'est la puissance aéronavale et aéroamphibie américaine. Il est à offrir et peut être source d'inspirations !

15 janvier 2014

"Centrafrique, pourquoi la guerre ?" sous la direction de T. Flichy

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/media/00/00/1384951951.jpg
 
Quelle excellente surprise de débuter l'année 2014 par un ouvrage qui a pour ambition d'expliquer les causes structurelles de la crise en République centrafricaine ! Centrafrique, pourquoi la guerre ? (sous la direction de Thomas Flichy de La Neuville, Grégoire Mathias, Quentin Cornet, Franklin Déchelette-Viellard, Pierre Thurau et Véronique Mézin-Bourgninaud, éditions Lavauzelle, 60 pages) offre aux lecteurs quantité de clefs pour comprendre dans quel décor a été lancée l'opération Sangaris, et mieux encore, pour ouvrir des perspectives pour la région...

La préface d'Henri Hude donne au lecteur quelques questionnements de philosophie politique : comment se construit l'Etat (moderne) ? Par quel cheminement est-il le dépassement de l'ethnie ? Dans quelles conditions la démocratie s'impose-t-elle ? Doit-elle se décréter ou passer une phase de stabilisation ? Autant de questions qui renvoient au devenir de tant de pays après leur indépendance, en Afrique comme ailleurs. Le parallèle avec l'Empire romain ouvre des perspectives originales.
 
Armé de ces débuts de réflexions, les auteurs nous plongent directement dans la structure physique du pays. Loin des clichés, c'est au contraire une terre et un climat très favorable à l'expansion des activités humaines qui est décrite.
 
Par ailleurs, il s'agit aussi d'une terre peuplée par l'homme depuis le néolithique. Sa géographie entretient une population relativement nombreuse pour une terre qui était blanche sur les cartes européennes il n'y a pas si longtemps. Et déjà dans son histoire, il est dit que cette terre accueille régulièrement des populations qui fuient les régions voisines.
 
Continuant plus loin leur examen, les auteurs expliquent la structure etthnique du pays, sa construction religieuse et le rôle des migrations. Quelle surprise de découvrir que la population chrétienne de cette terre est le fruit d'une christianisation de populations nubiennes au VIe siècle qui ont émigrées au XVIe siècle sur ce territoire en raison de l'expansion de l'Islam.
 
L'ensemble de ces caractéristiques permettent d'offrir quelques instruments pour relater la vie politique de la République centrafricaine depuis son indépendance jusqu'à nos jours. Certaines "grandes" régions de RCA accaparent à tour de rôle la direction du pays.
 
Néanmoins, ces clefs ne permettent pas à elles seules de comprendre pourquoi la RCA serait condamnée à une instabilité. Bien des Etats africains sont stables et pourtant ils n'échappent pas à pareilles structures, à pareilles histoires.
 
Nous basculons dans la deuxième partie de l'ouvrage où, fort de toutes ces données historiques et géopolitiques, les auteurs éclairent sur la place de la RCA dans le jeu régional. A vrai dire, il semblerait que le pays ait eu les plus grandes difficultés à demeurer un acteur sur la scène internationale -s'il en est encore un- et qu'il a surtout était un enjeu.
 
La République centrafricaine a été le jeu des rivalités entre le Tchad et la Libye jusqu'à que cette dernière se retrouve paralysée depuis l'opération Unifed Protector/Harmattan (2011). Par la suite, c'est un autre jeu qui se révèle au grand jour grâce aux auteurs : la place de la RCA comme enjeu d'un jeu tchado-soudanais. Une clef qui montre le rôle de la pression régionale sur l'instabilité politique en RCA.
 
Mais plus largement, le lecteur peut se surprendre à distinguer une sorte de "Grand jeu" où la déstabilisation de la République centrafricaine comme celle du Mali permettrait surtout à des acteurs de rendre inexploitable les ressources de territoires par l'insécurité provoquée. La région saharao-sahélienne serait bel et bien un Heartland.
Et à ce jeu là, soit dit en passant, les enjeux pétroliers, à tout hasard, intéressent au premier chef les Etats de la région (Tchad et Soudan du Nord en tête) avant qu'ils n'intéressent des acteurs extérieurs (remarquable jeu Sud Africain qui ne s'embarrasse pas des reproches que ce pays fait à d'autres).
 
Enfin, l'intrusion de l'islam politique dans des terres où il est si étranger aux pratiques locales de cette religion est un autre facteur de l'instabilité régionale. Par là, nous retrouvons les mêmes acteurs qui semblent bien en difficulté face à un possible basculement des alliances américaines au Moyen-Orient de l'Arabie Saoudite à l'Iran.
 
Pour retourner à l'océan il est nécessaire de relever que M. Thomas Flichy de la Neuville nous offre un livre bien loin de son précédent (Le basculement océanique mondial) et en plein dans ce qui ressemble à un Heartland, par définition bien loin de la mer. Ce qui n'empêche pas que nous y retournons en observant que les raids de cavalerie légère caractéristiques de la région invite à penser les espaces sous l'angle des notions fluide/visqueux/solide... Perspectives intéressantes qui reliées à la préface donneront peut être les clefs pour donner les moyens à ce pays de se gouverner et de faire circuler en toute sécurité personnes et biens.

16 décembre 2013

War has changed

 
   © Konami. KOJIMA Hideo, Metal Gear Solid 4 : Guns of Patriot. 
 
L'auteur de la saga vidéoludique Metal Gear Solid offre un paradigme radical et tranché dans l'introduction du quatrième volet de la série (Metal Gear Solid 4 : Guns of Patriot, 2008) : la Guerre a changé.

En arrière-plan, vous avez l'occasion d'observer une matérialisation de la mise en oeuvre des SMP (Sociétés Militaires Privées) dans des opérations de maintien de la paix (alors que les armées nationales se réduisent à des gardes républicaines dans la fiction). Tout comme vous avez une modélisation de technologies de pointe dans les combats (le contrôle des armes par puces, les textiles intelligents les nanomachines, la robotisation, etc...).
 
Hideo Kojima nous propose comme lecture du monde actuelle que l'ère de la dissuasion est désormais celle du contrôle (du champ de bataille, de l'information, des combattants, etc...) afin de prévenir la prolifération.
 
La Guerre ne se mène plus au nom des nations, des idéologies ou des ethnies. Il s'agit d'une série de batailles sans fin par procuration impliquant mercenaires et machines.
 
Serions-nous sur la route qui mène à la fin du monde clausewitzien, ou justement, irions-nous à sa réalisation la plus totale ?
 
Dans une certaine mesure, nous retrouvons la critique de Clausewitz et de Fitche contre l'exhaltation de la mort et le nécessaire sacrifice du soldat, individu parmi tant d'autres dans l'ère de la levée en masse des armées. Ils allaient à l'encontre de la pensée d'Hegel, par exemple.

Les SMP, par exemple, et pas seulement, réintroduisent la "valeur marchande" de la vie humaine, facteur de modération dans la guerre. A contrario des armées construites sur la levée en masse des citoyens où le sublime du sacrifice donne peut de valeur à la vie.
Paradoxe, dans l'oeuvre d'Hideo Kojima, il y a bien une modération dans les pertes de combattants des SMP, ce qui n'est pas le cas de ceux qui font l'objet des opérations de maintien de la paix.
 
Néanmoins, il y aurait cette banalisation de la guerre. Les batailles se produiraient autant de fois que nécessaire pour assurer les intérêts des commanditaires des ces contrats. Nous retrouvons la trinité de Clausewitz : le Politique commande ces opérations, le militaire (bien que privé) les conçoit et l'opinion publique s'en détache car ce ne sont plus les Armées qui interviennent. Ces opérations ne font que poursuivre la politique édictée par ceux qui les commandent.
 
L'objectif de De la Guerre est d'éviter, par ses leçons, l'exaltation de la mort, très présente dans l'oeuvre hégélienne. Comme Fitche, l'auteur prussien pressent les dérives qui amèneront au combat pour le combat un siècle plus tard. Après le temps de guerre doit venir le temps de paix pour s'occuper de ses affaires privées nous dit Clausewitz dans Von Kriege. Avec un monde de SMP où les "guerres" s'enchaînent pour vaincre les résistances à la mise en oeuvre de la politique de l'Etat, sortons-nous du modèle du prussien ?
 
Hideo Kojima matérialise peut être un monde où l'aboutissement de la pensée clausewitzienne est la plus totale : la dissuasion préserve de la guerre inter-étatique par la sanctuarisation de la défensive.
La guerre contre des entités et des groupes infra-étatiques sont menées au nom des intérêts matériels des Etats. L'ascencion aux extrêmes ne se produit plus puisque la guerre n'est ni totale ni absolue.
L'opinion publique ne déchaîne plus sa passion car ce ne sont plus des nationaux mais des privés qui interviennent. Les morts peuvent être nombreux lors des opérations de maintien de la paix mais ils ne sont que les victimes d'accident, avant toute chose. Et l'opinion publique ne se mobilise pas pour des accidents.
Le politique commande les opérations au besoin de l'économie et des finances. La trinité est apaisée.
 
La guerre a changé.

12 décembre 2013

Le problème Polaris : le besoin d'une base navale soviétique en Méditerranée

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f3/USS_George_Washington_%28SSBN_589%29.jpg 
© Wikipédia. Lancement du SNLE George Washington le 9 juin 1959.
 
L'interview de l'historien Jesse Ferris dans Guerres et Histoire (numéro 15 - août 2013, pp. 102-103) est intéressante à plus d'un titre. Son objet initial est la thèse que l'historien a développé dans son ouvrage (FERRIS Jesse, Nasser's gamble, How Intervention in Yemen Caused the Sixt-Day War and the Decline of Egyptian Power, Princeton University Presse, 356 p.). Au détour de l'interview, nous pouvons apprendre un détail intéressant sur le jeu naval en Méditerranée pendant la Guerre froide.

 

La volonté soviétique de rechercher un débouché en Méditerranée s'expliquait en grande partie par l'héritage géopolitique de la Russie. Cette dernière ayant, depuis Pierre le Grand, au moins, toujours recherchait l'accès aux mers chaudes (libre de glaces toute l'année) pour contourner les ports russes bloqués par les glaces une grande partie de l'année (la frontière Nord du Heartland est l'océan Arctique).

 

Autre chose, il est impératif pour la puissance navale soviétique de contourner les détroits turcs. La convention de Montreux garantit le passage des navires soviétiques (hors porte-avions). Ce qui n'empêche pas qu'ils sont dans une position de faiblesse stratégique.

 

Le 9 juin 1959 le SNLE George Washington est lancé. C'est le premier navire occidental du genre. Il s'agit de cinq navires dérivés de la fameuse classe Skipjack. Armés de 16 missiles Polaris A1, ces vaisseaux noirs sont capables d'atteindre Moscou depuis la Méditerranée.

 

Nouveauté pour l'époque : ils peuvent lancer leurs engins en plongée. Problème pour l'Union soviétique qui peinait déjà à suivre les porte-avions américains qui embarquaient aussi l'arme nucléaire (d'où le projet de sous-marins nucléaires d'attaque soviétique de classe Alpha, un projet largement en avance sur son temps et la construction d'une grande flotte sous-marine dès Staline et l'après seconde guerre mondiale).
 
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b8/Alfa_class_submarine_2.jpg© Wikipédia. Un Alpha en 1984.
 
Et donc, les Etats-Unis sont en mesure d'effectuer une première frappe sur le coeur soviétique depuis une mer qui est un véritable lac otanien, au point que l'Italie envisage de développer des croiseurs Polaris pour l'OTAN...

 

Jesse Ferris relate que l'Egypte s'enfonce dans une crise diplomatique en raison de ses difficultés militaires dans son aventure au Yemen. Peu à peu, Le Caire se coupe diplomatiquement des monarchies du Golfe et de ceux qui les soutiennent : l'Angleterre et les Etats-Unis. Alors que l'Egypte de Nasser était le seul pays à réussir à obtenir des aides des deux Grands, elle se retrouve enfermée dans un tête à tête avec l'URSS qui maintient son aide.

 

En 1964, Brejnev remplace Kroutchev. Ce dernier était le grand ami de Nasser, son successeur est moins disposé à la soutenir sans contrepartie. Il y a ce problème avec la VIe flotte américaine qui patrouille en Méditerranée et protège les premiers SNLE Polaris. Moscou presse donc Nasser de lui fournir une base navale en Méditerranée orientale, en Egypte ou en Syrie (bien que la République Arabe Unie soit dissoute depuis le retrait syrien en 1961), prolongement naturel de la flotte de la Mer Noire, pour contrebalancer la menace américaine.

 

Nasser est bloqué : il a évincé les Britanniques au nom de la souveraineté égyptienne, dénigré les monarchies du Golfe pour être des marionnettes de Londres et il ne voudrait pas apparaître comme celle de Moscou...

 

C'est un nouvel échec (temporaire) pour l'Union soviétique. Staline réclamait aux alliés une base navale dans les détroits Turcs et le contrôle de ces détroits par les Etats de la Mer Noire. Ce refus n'aide en rien le problème soviétique.
Finalement, en 1971, Moscou et Damas signe un accord qui accorde une base navale à l'URSS dans le port syrien de Tartous

 

10 décembre 2013

La guerre navale américaine et la fin de l'isolationnisme

© Inconnu. La bataille navale du Jutland.
La guerre navale occupe une place centrale dans l'histoire des Etats-Unis d'Amérique. Dès l'année 1775, les treize colonies décident de constituer une marine. Six année plus tard, cette marine en voie de constitution ne dispose en tout et pour tout que de trois "croiseurs". 


08 décembre 2013

Tactical Assault Light Operator Suit

 
L'écriture du billet sur la  Nouvelle phalange macédonienne avait été un vrai défouloir pour rassembler un ensemble d'inovations. L'idée centrale était de montrer que nous revenions à infanterie lourde, très protégée.
La réflexion n'est pas encore terminée car l'article de monsieur Berthier, Projections algorithmiques, invite à repenser le paradigme de la projection de forces...

http://fc00.deviantart.net/fs70/i/2013/226/f/a/pointman_armor_by_alexjjessup-d6i328z.pngAvec de tels projets, nous arriverions à un certain graal où les soldats pourraient, à nouveau, tenir le choc, sans d'effroyables pertes, et ouvrir la voie à la percée. Armes chimiques, lance-flamme, armes sales, dispositifs anti-infanterie, mines ? La nouvelle phalange macédonienne dessinait un soldat de rupture, apte à se battre avec des protections inédites et une mobilité non-entravée.
 
Offrons-nous une petite parenthèse de prospective : que deviendra le combat amphibie quand les soldats, engoncés dans leur armure, pourront être parachutés dans la mer et qu'ils se rassembleront sous l'eau avant d'émerger pour ouvrir le feu ?
 
Par des conversation, il a été porté à ma connaissance que l'US Army menait un projet reprenant une partie des technologies citées dans la Nouvelle phalange macédonienne (billet publié une année avant que l'US Army dévoile son programme). La prospective rejoint la réalité : le projet TALOS (Tactical Assault Light Operator Suit) viendrait considérablement renforcer l'infanterie légère.
 
 
 
TALOS ouvre la voie à des ruptures pour les infanteries légères et lourdes :
  • l'USSOCOM a encore les moyens de ses ambitions : il pourrait recourir massivement aux nanotechologies pour créer l'humatronique (vétronique appliquée aux êtres humains ?) et les textiles nécessaires (à l'image de la prospective d'Hideo Kojima dans les Metal Gear Solid 1, 2 et 4) ;
  • l'US Army et, peut être, les Marines, pourraient profiter de tenues lourdes offrant des capacités de tenir le choc en rupture avec les autres armées.
 
A dire vrai, ce prosi nous devions rattacher ce programme à l'imaginaire alors il conrétise la prospective des jeux Metal Gear Solid (1, 2 et 4) d'Hideo Kojima (un francophile en manque de reconnaissance française, passons).
 
En tous les cas, l'ensemble des projets ouvrent la voie à de grands débats sur le degré de "cyborgisation" de l'être humain. Plus près de nous, l'entrée de la robotique sur le champs de bataille ou dans l'économie amènera à des ruptures considérables. Malheureusement, l'un des 34 projets industriels de la France, bien que consacré à la robotique, ne semble pas soutenir le seul prototype français : Hercule.

De tels projets, propre à amener la rupture tant dans les sphères militaires qu'économique, devraient mobiliser notre Etat. Les divers plans gouvernementaux pour préparer l'avenir devraient leur laisser une large place à des démonstrateurs rassemblant diverses briques technologiques.
 
http://th03.deviantart.net/fs70/PRE/i/2013/216/2/8/search_team_by_alexjjessup-d6gkryb.jpg 
© Inconnu.

06 décembre 2013

La Mitteleuropa et le contrôle de l'Ile Monde

http://www.courrierinternational.com/files/pierrick.van.the@courrierinternational.com/987-MackinderBriesemeister.gif 
© Inconnu. Le monde selon H. J. MACKINDER.

 

Les deux cartes qui sont issues de l’article de Michel KORINMAN « La longue marche des organisations de réfugiés allemands de 1945 » (aux pages 43 et 44) montrent, pour la première les frontières de l' "Allemagne historique" (Grande Allemagne sous Hitler, Saint Empire Romain Germanique, etc...) et la seconde le déplacement des populations germanophones après la seconde guerre mondiale.
L'article du géopolitologue KORINMAN a été publié dans le numéro 68 de la revue de géographie et de géopolitique Hérodote (1993) intitulé « La question allemande ».

 

La publication de cet article intervient dans un contexte historique très fort. Ainsi, la réunification allemande est effective le 3 octobre 1990. Le processus était engagé depuis octobre 1989 et succède à une période de détente (1986-1988) entre la coalition occidentale et l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques). Une année plus tard, à peine, c’est la dissolution de l’URSS qui est prononcée le 26 décembre 1991.

 

Cette réunification allemande dans le cadre de la recomposition de l’espace politique européen, sur les décombres du bloc de l’Est, inquiète. Le pacte de Varsovie se dissout le 1er juillet 1991. Il y a la crainte d’une résurgence du projet géopolitique allemand.

 

Les deux cartes présentées montrent deux choses.

 

Premièrement, c’est une synthèse du projet géopolitique allemand. Celui-ci débute par l’unification de la nation allemande et s’achève par la capitulation du 8 mai 1945.

 

« Ainsi, c’est la puissance française qui déclenchera l’unité allemande ». Goethe dira que le cri révolutionnaire (« Vive la Nation ! ») est « le début d’une nouvelle époque de l’histoire du monde »[1].

La bataille d’Iéna (1806) eu plusieurs conséquences pour le mouvement national allemand. Premièrement, Napoléon abolit le Saint-Empire romain germanique. Deuxièmement, après cette bataille Johann Gottlieb FITCHE prononce son discours à la nation allemande, « vrai » moment de la naissance de la nation allemande.

Au Saint-Empire romain germanique succède « au Congrès de Vienne la Confédération germanique (1815-1866) sous la présidence du nouvel Empire autrichien »[2]. Les traités de Westphalie (1648) avaient laissé un Saint-Empire romain germanique à 300 principautés et villes libres. La Confédération germanique permet que « le nombre de principautés et de villes libres fut réduit à trente environ »[3].

La construction de l’unité allemande au long du XIXe siècle est marquée par deux grandes bataille : la première est celle de Sadowa (1866). « L’union de la nation [allemande] ne put aussi se réaliser à cause du contraste des pouvoirs entre les deux Etats de la confédération : d’une part l’Empire autrichien, qui défendait ses droits (solution de la Grande Allemagne), et, d’autre part, le Royaume prussien, qui prenait de l’essor par sa puissance économique et militaire (solution de la petite Allemagne). Cette lutte pour l’hégémonie entre les Habsbourg catholiques et les Hohenzollern protestants, c’est la Prusse qui, sous la conduite de Bismarck, l’emporta, contre la majorité des Etats allemands, pendant la guerre de 1866. La Prusse, après avoir dissous la Confédération, écarta l’Autriche de la future Allemagne »[4].

La seconde bataille marquante de cette construction de l’unité allemande est la bataille de « Sedan et la guerre franco-allemande de 1870 (allemande car associant, autour de la Prusse, des contingents des différents Etats allemands) »[5].

« L’Empire allemand de 1871, la création de Bismarck, était une union de l’Etat prussien, militaire et autoritaire, avec les milieux dirigeants de la bourgeoisie libérale qui s’était développée grâce au commerce et à l’industrie »[6].

 

L’histoire de l’unité allemande montre bien que le pivot en est la Prusse. C’est l’Etat prussien qui a porté la construction de l’unité allemande et y a imposé ses vues. Le conservatisme de la couronne prussienne imprégnera tant les institutions que la direction politique du Reich et son assise territoriale dominera les différents régimes qui se succéderont.

 

L’expansionnisme allemand est porté par un projet hégémonique. C’est-à-dire que l’Allemagne aspire à développer son assise territoriale en Europe, à travers la Mittleuropa, au détriment de ses voisins, afin de mieux pouvoir se projeter dans le monde. La première guerre mondiale porte un coup d’arrêt temporaire à ses ambitions. Mais l’éclatement de la seconde guerre mondiale montre que Berlin réussit à atteindre son expansion territoriale maximale depuis la réalisation de l’unité allemande. Le Reich allait s’effondrer sous le poids de ses conquêtes.

 

Deuxièmement, le projet géopolitique soviétique vient combler le vide laissé par la disparition de l’Allemagne comme grande puissance et l’attentisme de Londres et Washington vis-à-vis de cette région du monde. La théorie du Heartland[7] de Halford John MACKINDER est une lecture intéressante pour replacer cette conquête soviétique dans une perspective géopolitique.

Dans son célèbre article, MACKINDER postule l’existence d’un Heartland[8]. Forteresse inaccessible à l’influence maritime, installée au cœur du continent eurasiatique, le Heartland serait le pivot de l’Histoire. Il est borné au Nord par l’océan glacial Arctique.

Autour de ce Heartland existe le « croissant interne ». Nicholas J. SPYKMAN reprendra en partie la thèse de MACKINDER : il affirmera que le pivot n’est pas le Heartland mais ce croissant interne qu’il baptisera Rimland[9].

A l’extérieur de ce croissant interne (ou Rimland pour SPYKMAN) se situe le croissant externe ou insulaire. Il comprend, par exemple, les Amériques, une partie de l’Afrique et l’Australie.

MACKINDER résumera sa théorie par une célèbre formule : qui tient l’Europe de l’Est tient le Heartland, qui tient le Heartland contrôle l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde ». SPYKMAN aura une formule différente pour exprimer sa lecture de la théorie du Heartland : « qui contrôle le Rimland contrôle l’Eurasie, qui gouverne l’Eurasie contrôle les destinées du monde ».

 

C’est à l’aune du projet géopolitique allemand pour l’hégémonie via le contrôle de l’Europe orientale et de la théorie du Heartland qu’il s’agit de replacer la conquête de la Mitteleuropa par l’Union soviétique.

 

En quoi cette conquête soviétique de la Mitteleuropa illustre la tentative de Moscou de découpler les croissants interne et externe de la théorie de Harold Mackinder pour le contrôle de l’Ile Monde ?

 

L’Union soviétique a vaincu l’Allemagne à l’Est. Le vide géopolitique laissé par la capitulation allemande n’est pas occupée par les vainqueurs à l’Ouest. Moscou s’y engouffre comme nouvelle puissance d’Europe centrale pour réaliser le projet allemand de Mitteleuropa (I). Cette prise de terres marque la volonté de l’empire soviétique, détenteur du Heartland, de découpler le croissant interne du croissant insulaire pour tenter de contrôler l’Ile Monde (II).

 

I – De la prise de terres en Europe centrale et la réalisation de la Mitteleuropa


 

La présence militaire soviétique en Europe de l’Est est décisive dans les processus de dégermanisation et de satellisation (A). C’était les pré-requis pour réaliser le projet de Mitteleuropa allemand à l’avantage de Moscou (B).

A – La satellisation de l’Europe centrale comme marqueur de l’affrontement entre Terre et Mer


 

L’Argentin Juan Bautista ALBERDI affirma au XIXe siècle que « Gouverner, c’est peupler »[10]. Cette expression énonce bien ce que firent les pays d’Europe centrale et orientale. Après leur libération de l’occupation allemande par l’Armée rouge, ils lancèrent le processus de dégermanisation. En réaction à la seconde guerre mondiale et comme mesure de protection vis-à-vis d’un possible relèvement de la puissance allemande, ces Etats allaient saper les bases de son assise territoriale en Europe pour définitivement la réduire. Ainsi, 13 millions d’allemands furent déplacés. Ils quittèrent aussi bien des territoires historiquement allemands que des territoires où existaient de longue date des populations germanophones.

 

A ce rejet du projet géopolitique allemand s’ajoute une opposition entre la Terre et la Mer. Face à la difficile relance des économies européennes qui peinent à s’extraire du marasme dans lequel la seconde guerre mondiale les a laissé, les Etats-Unis proposent une aide économique sous conditions : le plan Marshall.

L’Europe est gouvernée par des fronts nationaux, à une différence près : à l’Est l’Armée rouge est présente et apporte un soutien décisif aux partis communistes. Moscou rejette le plan Marshall. Ce rejet s’explique notamment par les conditions officieuses américaines que les bénéficiaires de l’aide économique excluent les communistes des fronts nationaux.

 

En Europe centrale, Moscou fait pression pour que les pays occupés par l’Armée rouge rejettent l’offre.

La satellisation de l’Europe de l’Est débutait. Economiquement, ces pays sont intégrés dans la sphère économique de l’URSS. Celle-ci fonctionne presque intégralement de manière autarcique. Contraste totale avec la coalition occidentale en cours de constitution, menée par les Etats-Unis et rassemblant, notamment, l’Europe de l’Ouest dont l’un des principes essentiels allaient devenir la liberté des échanges.

 

B – La concrétisation du projet allemand de Mitteleuropa par l’Union soviétique pour renforcer l’autarcie du Heartland


 

La classe dirigeante allemande aspirait aussi à convertir la puissance économique de l’Allemagne en puissance politique à l’échelle du monde. C’est ce qu’elle tenta de faire lors des deux conflits mondiaux du XXe siècle.

C’était la question de l’ « espace vitale », le lebensraum de Friedrich RATZEL qui devait assurer la survie et le développement de l’Etat. En Europe, ce projet se traduisait sur le plan économique en deux points.

Le premier était que la réunion des germanophones permettra de prendre ou de tenter d’arracher les grands bassin miniers (de la Lorraine à la Silésie) pour asseoir la puissance allemande.

 

Le second point était que pour devenir une puissance mondiale, l’Allemagne se doit se sécuriser son assise territorial. Rudolf KJELLEN, géopolitologue suédois, préconise ainsi une Europe fédérale dirigée par l’Allemagne comme base d’un empire colonial allemand. Plus modestement, le projet de Mitteleuropa devait se traduire par une union douanière de l’Allemagne avec ses voisins d’Europe centrale. Ce projet échoue dans les tourments des crises européennes et est définitivement écarté à la capitulation allemande le 8 mai 1945.

 

La satellisation de l’Europe de l’Est (1947-1955) par l’Union soviétique, notamment en réaction au plan Marshall, est l’occasion de concrétiser le projet allemand, de facto. La réunion des Etats d’Europe centrale et orientale dans un même ensemble économique est enfin réalisée. L’URSS accède ainsi à l’ensemble des ressources de cette zone. Elles seront mise au service de l’économie soviétique.

 

Cette prise de terres par Moscou se réalise sans confrontation ni véritables réactions de l’Ouest. Cette Mitteleuropa entre les mains allemandes était une assise économique de trop grandes importances pour une puissance qui tentait de s’imposer comme hégémonique.

 

A l’échelle de la théorie de MACKINDER sur le Heartland, l’enjeu était pourtant décisif puisqu’il avait énoncé en 1919[11] que celui qui contrôle l’Europe de l’Est contrôle le Heartland, et donc, contrôle l’Ile Monde. Toutefois, MACKINDER observait en 1943 que l’alliance entre Moscou et Washington pour réduire l’Allemagne l’amenait à réviser les limites du Heartland. Avec le déménagement de l’industrie soviétique à l’Est de l’Oural, le Heartland de MACKINDER se rétrécit par rapport à sa taille énoncée en 1919.

 

Cependant, une autre crainte de Mackinder s’est réalisée : l’URSS a constitué un empire industriel autonome, surtout des thalassocraties américaine et anglaise. L’apport de la Mitteleuropa demeure important et renforce la Terre contre la Mer.

 

Pendant tout le conflit Est-Ouest, l’Union soviétique saura jouer des rapports économiques entre l’Europe de l’Ouest et de l’Est pour tenter de réorganiser les flux d’échanges du lien transatlantique à un grand commerce eurasien où le croissant interne est découplé du croissant externe, insulaire.

 

http://www.cairn.info/loadimg.php?FILE=HER/HER_146/HER_146_0139/fullHER_146_art08_img001.jpg

 

II – De la tentative de découplage entre les croissants interne et externe pour contrôler l’Ile Monde


 

Moscou ne parvient pas à contrôler l’Ile Monde par la conquête de l’Europe de l’Est - contrairement à ce que disait la théorie du Heartland de MACKINDER- en raison du transfert du pivot en Iran (A). L’Union soviétique tentera de découpler les croissants interne et externe pour le contrôle de l’Ile Monde mais ce sera un échec (B).

 

A – Le transfert du pivot centre-européen au pivot iranien et le premier échec de prise de contrôle de l’Ile Monde


 

L’apport de l’Europe de l’Est n’a pas été décisif pour l’Union soviétique pour contrôler l’Ile Monde. Pourtant, Harold John MACKINDER assurait que celui qui contrôle l’Europe de l’Est contrôle le Heartland, contrôle donc l’Ile Monde et contrôle alors le Monde.

 

Ceci peut s’expliquer de diverses manières. Premièrement, les économies européennes, au sortir de la guerre, sont presque à l’arrêt. Les forces matérielles qui donnaient de caractère si important à l’Europe centrale ont été largement consommées dans la guerre. Il est donc logique que, entre les capitaux perdus et les économies à l’arrêt, l’Europe centrale, et plus généralement, l’Europe, pèse beaucoup moins sur la scène mondiale en 1945 par rapport à 1939.

 

Deuxième point, et non des moindre, cette puissance économique de l’Europe centrale s’appuyait sur des ressources minières dont l’une des plus importantes était le charbon. Mais depuis le début du XXe siècle le charbon cède la place progressivement au pétrole. L’importance capitale que prend cette ressource fossile recompose la géopolitique des ressources. L’Europe en est grandement dépourvu, dans l’absolu. Les Etats-Unis peuvent compter sur de grandes ressources domestiques. Conjointement avec Londres, Washington s’investit fortement au Moyen-Orient et plus particulièrement en Arabie Saoudite (pacte de l’USS Quincy, 14 février 1945).

 

Ce qui amène à penser que l’après seconde guerre mondiale constitue le moment du transfert du pivot de l’Europe centrale au Golfe Persique. Si les réserves en charbon faisaient, pour partie, la force du pivot centre européen, alors la concentration des réserves pétrolières entre l’Iran et l’Arabie Saoudite explique le transfert du pivot. De même, ces nouvelles richesses fossiles assureront une grande activité économique dans cette nouvelle zone, par contraste avec l’Europe centrale et orientale qui a perdu ses grands empires et dont les ressources déclines. De plus, le pivot iranien ouvre bien des voies pour accéder à l’Asie centrale : donc au Heartland.

 

B – L’échec soviétique de découplage entre croissants interne et externe pour le contrôle de l’Ile Monde


 

L’URSS s’est constituée un empire terrien industrialisé et autarcique. Moscou a conquis la Mitteleuropa, c’est-à-dire l’Europe centrale, mais aussi l’Europe orientale. Si cet apport n’a pas été décisif, il s’avère, néanmoins, précieux. 

 

Londres et Moscou occupe l’Iran depuis 1941 afin de protéger la route stratégique Bagdad-Khanaquin-Kermanchah-Hamadan-Téhéran qui est l’une des grandes routes par laquelle transite l’aide militaire des Alliés à l’URSS pendant la seconde guerre mondiale (avec la route maritime de Mourmansk). L’occupation de l’Iran par les Alliés donnent lieu à un jeu diplomatique intense. Les négociations butent, par exemple, sur la question des concessions pétrolières. Moscou et Londres cessent l’occupation, sans que l’URSS ait obtenu gain de cause pour ses revendications et alors que Londres conserve toutes ses positions. Ainsi, l’Union soviétique se retire de ce qui semble être le nouveau pivot sans pouvoir y assurer ses positions.

 

L’URSS n’est pas plus présente dans la Péninsule Arabique, autre terre de pétrole et du croissant interne. Depuis l’accord américano-saoudien, l’Arabie des Séouds est alliée à Washington. En échange de positions pétrolières très avantageuses, Washington assure la sécurité du régime.

 

Le « joyau de la couronne britannique », les Indes, obtiennent leur indépendance le 15 août 1947. De ce jour naissent les Etats du Pakistan et de l’Union indienne. Le nouvel Etat indien affirmera son indépendance et son refus de s’aligner sur l’un des deux blocs. Le tournant interviendra le 9 août 1971 quand l’Inde et l’URSS signèrent un traité (comportant un volet militaire).

 

Enfin, la victoire de Mao et l’avènement de la République Populaire de Chine (1949) est un moment décisif dans l’histoire du mouvement communiste international. C’est la première fois qu’un mouvement communiste parvient au pouvoir hors d’Europe. Et l’apport chinois au bloc de l’Est est gigantesque sur une carte : le bloc communiste domine l’Eurasie[12]. Néanmoins, la rivalité pour le leadership politique dans le camp socialiste et les propres projets géopolitiques de Pékin aboutiront à la rupture sino-soviétique, éloignant la menace du Heartland sur le Rimland.

 

Conclusion


 

Moscou ne parviendra pas à conquérir l’Ile Monde. Le premier échec d’une telle entreprise réside dans le fait que, manifestement, le pivot a été transféré d’Europe de l’Est pour le Golfe Persique et l’Iran. L’Europe est très affaiblie sur le plan économique et l’émergence du pétrole, presque absent d’Europe, pousse au déclin des bassins charbonneux.

Dans un deuxième temps, l’Union soviétique ne parvient pas à intéresser les économies du croissant interne à l’économie industrielle autarcique du Heartland. C’est un échec d’autant plus fort que Moscou se retire de l’occupation de la moitié Nord de l’Iran sans réaliser le moindre gain. Cela contraste fortement avec sa conquête méticuleuse de l’Europe de l’Est. Mais l’Iran avait été occupé sans combat, à la différence de l’Europe centrale et orientale où l’Armée rouge a versé le sang.

 

Cet échec soviétique à conquérir et le pivot et le croissant interne offrira un espace géopolitique aux Etats-Unis quand Truman énoncera la doctrine qui porte son nom et qui consistera dans l’endiguement des avancées soviétiques.

Si l’URSS avait réussi à découpler les croissants interne et externe alors Moscou serait parvenu à faire revenir le monde à l’âge pré-colombien : le Nouveau Monde (les Amériques) aurait été écarté et marginalisé politiquement. SCHMITT expliquait que « l’ordre mondial européo-centrique apparu au XVIe siècle s’est divisé en deux ordres globaux distincts, terrestre et maritime. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’opposition entre terre et mer devient le fondement universel d’un droit des gens global. Désormais il ne s’agit plus de mers intérieures comme la Méditerranée, l’Adriatique ou la Baltique, mais du globe terrestre entier, mesuré géographiquement, et de ses océans »[13].

 

Par ailleurs, cette réflexion ne permet pas d’infirmer ou de confirmer les thèses de MACKINDER et de SPYKMAN. Bien des éléments plaident pour un transfert du pivot de l’Europe centrale au Golfe Persique. Toutefois, aucune des deux grandes puissances ne dominent nettement le Rimland.

 
 

Bibliographie :


 

 
Ouvrages de Géopolitiques :

 

  • CHANTRIAUX Olivier et FLICHY DE LA NEUVILLE Thomas, Le basculement océanique mondial, Paris, Editions Lavauzelle, 2013, 149 p.
  • RATZEL Friedrich, La géographie politique – Les concepts fondamentaux, Paris, Editions Fayard, 1987, 220 p.
  • KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, 220 p.
  • SCHMITT Carl, Le Nomos de la Terre, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 2012, 368 p.

 

Ouvrage d’Histoire :

 

  • FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918, Paris, Editions Trévise, 1970, 653 p.

 

 

Articles de géopolitique :

 
MACKINDER Harold John, « The Geographical pivot of History », Royal society of geography, 1904, pp. 421–37.

 
 




[1] KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, p. 156.

[2] FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, pp. 19-20.

[3] FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, pp. 19-20.

[4] FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, p. 20.

[5] KEMPF Olivier, Géopolitique de la France – Entre déclin et renaissance, Paris, Editions TECHNIP, 2013, p. 156.

[6] FISCHER Fritz, Les buts de guerre de l’Allemagne impériale – 1914-1918,  Paris, Editions Trévise, 1970, p. 19.

[7] MACKINDER, Halford John, "The geographical pivot of history", The Geographical Journal, 1904, pp. 421–37.



[10] CHANTRIAUX Olivier et FLICHY DE LA NEUVILLE Thomas, Le basculement océanique mondial, Paris, Editions Lavauzelle, 2013, p. 123.


[13] SCHMITT Carl, Le Nomos de la Terre, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 2012, p. 172.