Nous souhaitons arrêter notre tour des possibles quand au maintien des compétences du groupe aéronaval en l'absence de son centre, le porte-avions, par quelques remarques quant à l'allié américain. Notre dépendance à l'égard de l'aide américaine pour maintenir des qualifications semble, selon nous, être l'une des approches révélant les failles de notre outil aéronaval et donc de notre crédibilité stratégique.
Notre tour d'horizon partait du Brésil pour s'achever en Russie en passant par l'Inde : trois États considérés par Paris comme des partenaires stratégiques. L'aide américaine est relative car elle se négocie, forcément, à l'aune de l'intérêt national américain alors que nous avons trop tendance à oublier le notre en France. Il n'est pas question pour les États-Unis d'apporter une aide à la diffusion des instruments de puissance quand cela contribuerait à abaisser leur centralité dans leurs alliances.
Quel pourrait être l'intérêt américain actuellement en matière aéronavale ? La plus plausible nous semble être que dans le cadre de la stratégie du pivot, les États-Unis recherchent des alliés fiables et solides pour les remplacer ponctuellement dans une partie de leurs zones d'intérêts. En cela, il ne ferait pas autrement que l'Empire britannique à l'orée du XXe siècle, nouant traité avec le Japon (mers d'Asie) et la France (Méditerranée) tout en se réservant le choc frontal avec l'aspirant au sceptre de Neptune qui était alors l'Allemagne.
La Royal Navy, par ses liens extrêmement étroits avec l'US Navy, pourrait prétendre, dans quelques années, à un rôle dans l'Atlantique Nord ou bien en Méditerranée, voire dans le Pacifique car Londres aligne ses moyens sur les normes émergentes du système naval américain dans le Pacifique. La France tente de capitaliser sur son étroite relation aéronavale avec la marine américaine et prétendrait déjà à prendre le relais également en Méditerranée jusqu'au Golfe Persique. C'est dans cette perspective que le partenariat aux multiples matières noué avec l'Inde nous paraît important car l'Indian Navy pourrait occuper une telle place dans l'Océan Indien alors que l'essentiel des forces américaines se concentrent dans le Pacifique. La Chine et la Russie demeurent les deux perturbateurs qu'il s'agirait, alors, de bloquer.
S'il s'agissait bien là de notre manière de nous placer par rapport aux enjeux de la politique étrangère américaine, reste la question du curseur naval entre l'intérêt national américain et l'intérêt national français.
Nous nous sommes placés en situation de dépendance à l'égard de l'aide américaine. Le groupe aérien embarqué ne possède pas d'avions ravitailleurs ou d'une dotation suffisante d'avions de guet aérien, sans même évoquer une composante en guerre électronique plus élaborée. Faute d'un deuxième porte-avions, notre puissance aéronavale est intermittente, ce qui remet en cause son caractère de puissance au sens donné par Raymond Aron à ce mot. Être capable de s'insérer dans le Golfe Persique entre deux groupes aéronavals américains démontre, certes, un haut niveau de coopération que même la Royal Navy ne partage pas. Néanmoins, comme prétendre à un partage de l'effort américain dans la maîtrise des mers avec une puissance intermittente ? Si cela convient au pouvoir politique français, il est douteux que cette incertitude serve les intérêts américains.
Cette aide américaine est très relative. Elle peut apparaître comme plutôt forte quand l'US Navy prête un flux logistique délivré par des C-2 Greyhound (Harmattan, Chammal) alors que la ressource est déjà bien limitée pour sa propriétaire. Elle peut apparaître comme très faible en matière d'embarquement d'aéronefs français. Six Rafale M et 2 E-2 Hawkeye étaient embarqués pendant une petite semaine en juillet 2008 tandis que l'IPER du Charles de Gaulle s'étalait de juillet 2007 à décembre 2008. Ce qui ne répondait que très partiellement au besoin français (quatre Super Étendard Modernisés devaient rejoindre le São Paulo avant que cela soit annulé) et correspondait à une opportunité américaine : le Theodore Roosevelt réintégrait le cycle opérationnel par un grand exercice. L'embarquement du GAé se résumerait-il à cette seule et unique opportunité ?
Poussons plus loin : pourquoi ne pas profiter du passage d'un groupe aéronaval de l'US Navy à proximité des côtes françaises ou d'une base tricolore pour valider les capacités de projection stratégique d'une flottille et l'embarquer quelques jours à bord ? Rien que d'organiser des manœuvres sans embarquement à bord ? Dans la limite de nos connaissances, cela ne s'est pas produit pendant la première IPER alors que, paradoxalement, ces manœuvres de Rafale M à bord des porte-avions américains se produisent plus régulièrement quand le Charles de Gaulle est en mer. Dans cette perspective, il aurait même été imaginable qu'une flottille prenne ses quartiers sur l'IMFEAU ou à Solenzara dans la perspective d'un déploiement d'une fleet américaine afin de procéder à des échanges dans l'attente du porte-avions national. Est-ce un manque d'opportunités proposées par l'allié américain ? Une incompatibilité technique, telle l'inadaptation des Super Étendard Modernisés ou un défaut de jeunesse des premiers Rafale ? Dans cette perspective, nous ne pourrions qu'espérer plus des coopérations pour cette deuxième IPER.
Pour l'IPER ou quasi refonte à mi-vie s'étalant du début 2017 à la fin 2018, il est difficile de savoir si une marine américaine réduite à dix porte-avions soit 3 à 4 à la mer (pour une disponibilité de l'ordre de 50% contre près de 70% pour le porte-avions français) offrirait à nouveau un embarquement, et encore moins plusieurs pour satisfaire le besoin français. En l'occurrence, une remise en conditions opérationnelles du Charles de Gaulle plus rapide à la sortie de l'IPER n'est pas une préoccupation américaine et cela peut aisément se comprendre.
Notons que la bonne entente franco-américaine ne se traduira pas par l'embarquement d'un squadron de Rafale M à bord d'un porte-avions américain pour mener une campagne aérienne commune. Pourquoi pas si les objectifs sont les mêmes et que les marins français s'insèrent si bien dans le Carrier Strike Group ? Il n'est pas dit que la marine américaine souhaite partager l'ensemble de ses opérations aériennes, de la conception jusqu'à l'exécution, ou que Paris accepte d'être relégué à un simple rôle d'exécutant.
L'aide américaine est indispensable à la politique étrangère française en raison des carences de son outil militaire. Si nous pouvons apparaître comme de précieux alliés en Afrique, notons que nous sommes dispensables en matière aéronavale dans la mesure où la Royal Navy et l'Indian Navy pourront remplir notre rôle dans un avenir proche (2030) avec l'argument de la permanence aéronavale, élément puissant dans l'usage de la diplomatie navale. Faute de consentir aux investissements nécessaires, nous nous reposons sur une aide modeste en temps de paix mais plus forte quand les intérêts nationaux de nos deux pays convergent en opérations. Conséquence, nous sommes partiellement désarmés pour agir en toute indépendance.
Après l'abandon du projet de conserver le Foch en réserve pour la première IPER (2007-2008) du Charles de Gaulle, l'abandon du PA2 pour la deuxième (2016-2017), il est difficilement compréhensible de n'envisager que la seule coopération aéronavale américaine quand nous pourrions construire avec le Brésil, l'Inde et la Russie et nous offrir de nouvelles possibilités, rien que dans l'appréhension d'autres cultures de mise en œuvre de la puissance aérienne depuis la mer, avec d'autres contraintes, d'autres schémas que ceux hérités de l'US Navy.
Quel pourrait être l'intérêt américain actuellement en matière aéronavale ? La plus plausible nous semble être que dans le cadre de la stratégie du pivot, les États-Unis recherchent des alliés fiables et solides pour les remplacer ponctuellement dans une partie de leurs zones d'intérêts. En cela, il ne ferait pas autrement que l'Empire britannique à l'orée du XXe siècle, nouant traité avec le Japon (mers d'Asie) et la France (Méditerranée) tout en se réservant le choc frontal avec l'aspirant au sceptre de Neptune qui était alors l'Allemagne.
La Royal Navy, par ses liens extrêmement étroits avec l'US Navy, pourrait prétendre, dans quelques années, à un rôle dans l'Atlantique Nord ou bien en Méditerranée, voire dans le Pacifique car Londres aligne ses moyens sur les normes émergentes du système naval américain dans le Pacifique. La France tente de capitaliser sur son étroite relation aéronavale avec la marine américaine et prétendrait déjà à prendre le relais également en Méditerranée jusqu'au Golfe Persique. C'est dans cette perspective que le partenariat aux multiples matières noué avec l'Inde nous paraît important car l'Indian Navy pourrait occuper une telle place dans l'Océan Indien alors que l'essentiel des forces américaines se concentrent dans le Pacifique. La Chine et la Russie demeurent les deux perturbateurs qu'il s'agirait, alors, de bloquer.
S'il s'agissait bien là de notre manière de nous placer par rapport aux enjeux de la politique étrangère américaine, reste la question du curseur naval entre l'intérêt national américain et l'intérêt national français.
Nous nous sommes placés en situation de dépendance à l'égard de l'aide américaine. Le groupe aérien embarqué ne possède pas d'avions ravitailleurs ou d'une dotation suffisante d'avions de guet aérien, sans même évoquer une composante en guerre électronique plus élaborée. Faute d'un deuxième porte-avions, notre puissance aéronavale est intermittente, ce qui remet en cause son caractère de puissance au sens donné par Raymond Aron à ce mot. Être capable de s'insérer dans le Golfe Persique entre deux groupes aéronavals américains démontre, certes, un haut niveau de coopération que même la Royal Navy ne partage pas. Néanmoins, comme prétendre à un partage de l'effort américain dans la maîtrise des mers avec une puissance intermittente ? Si cela convient au pouvoir politique français, il est douteux que cette incertitude serve les intérêts américains.
Cette aide américaine est très relative. Elle peut apparaître comme plutôt forte quand l'US Navy prête un flux logistique délivré par des C-2 Greyhound (Harmattan, Chammal) alors que la ressource est déjà bien limitée pour sa propriétaire. Elle peut apparaître comme très faible en matière d'embarquement d'aéronefs français. Six Rafale M et 2 E-2 Hawkeye étaient embarqués pendant une petite semaine en juillet 2008 tandis que l'IPER du Charles de Gaulle s'étalait de juillet 2007 à décembre 2008. Ce qui ne répondait que très partiellement au besoin français (quatre Super Étendard Modernisés devaient rejoindre le São Paulo avant que cela soit annulé) et correspondait à une opportunité américaine : le Theodore Roosevelt réintégrait le cycle opérationnel par un grand exercice. L'embarquement du GAé se résumerait-il à cette seule et unique opportunité ?
Poussons plus loin : pourquoi ne pas profiter du passage d'un groupe aéronaval de l'US Navy à proximité des côtes françaises ou d'une base tricolore pour valider les capacités de projection stratégique d'une flottille et l'embarquer quelques jours à bord ? Rien que d'organiser des manœuvres sans embarquement à bord ? Dans la limite de nos connaissances, cela ne s'est pas produit pendant la première IPER alors que, paradoxalement, ces manœuvres de Rafale M à bord des porte-avions américains se produisent plus régulièrement quand le Charles de Gaulle est en mer. Dans cette perspective, il aurait même été imaginable qu'une flottille prenne ses quartiers sur l'IMFEAU ou à Solenzara dans la perspective d'un déploiement d'une fleet américaine afin de procéder à des échanges dans l'attente du porte-avions national. Est-ce un manque d'opportunités proposées par l'allié américain ? Une incompatibilité technique, telle l'inadaptation des Super Étendard Modernisés ou un défaut de jeunesse des premiers Rafale ? Dans cette perspective, nous ne pourrions qu'espérer plus des coopérations pour cette deuxième IPER.
Pour l'IPER ou quasi refonte à mi-vie s'étalant du début 2017 à la fin 2018, il est difficile de savoir si une marine américaine réduite à dix porte-avions soit 3 à 4 à la mer (pour une disponibilité de l'ordre de 50% contre près de 70% pour le porte-avions français) offrirait à nouveau un embarquement, et encore moins plusieurs pour satisfaire le besoin français. En l'occurrence, une remise en conditions opérationnelles du Charles de Gaulle plus rapide à la sortie de l'IPER n'est pas une préoccupation américaine et cela peut aisément se comprendre.
Notons que la bonne entente franco-américaine ne se traduira pas par l'embarquement d'un squadron de Rafale M à bord d'un porte-avions américain pour mener une campagne aérienne commune. Pourquoi pas si les objectifs sont les mêmes et que les marins français s'insèrent si bien dans le Carrier Strike Group ? Il n'est pas dit que la marine américaine souhaite partager l'ensemble de ses opérations aériennes, de la conception jusqu'à l'exécution, ou que Paris accepte d'être relégué à un simple rôle d'exécutant.
L'aide américaine est indispensable à la politique étrangère française en raison des carences de son outil militaire. Si nous pouvons apparaître comme de précieux alliés en Afrique, notons que nous sommes dispensables en matière aéronavale dans la mesure où la Royal Navy et l'Indian Navy pourront remplir notre rôle dans un avenir proche (2030) avec l'argument de la permanence aéronavale, élément puissant dans l'usage de la diplomatie navale. Faute de consentir aux investissements nécessaires, nous nous reposons sur une aide modeste en temps de paix mais plus forte quand les intérêts nationaux de nos deux pays convergent en opérations. Conséquence, nous sommes partiellement désarmés pour agir en toute indépendance.
Après l'abandon du projet de conserver le Foch en réserve pour la première IPER (2007-2008) du Charles de Gaulle, l'abandon du PA2 pour la deuxième (2016-2017), il est difficilement compréhensible de n'envisager que la seule coopération aéronavale américaine quand nous pourrions construire avec le Brésil, l'Inde et la Russie et nous offrir de nouvelles possibilités, rien que dans l'appréhension d'autres cultures de mise en œuvre de la puissance aérienne depuis la mer, avec d'autres contraintes, d'autres schémas que ceux hérités de l'US Navy.
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