Paul Mullié est titulaire d'une licence
de géographie (Institut de Géographie Alpine/Institut d'Urbanisme de
Grenoble). Au sein de l'université Jean Moulin (Lyon III), il obtenait
son master I (Relations Internationales, Sécurité et Défense) en
soutenant un mémoire sur la marine chinoise ("La marine chinoise du XXIème siècle : posture défensive ou stratégie hégémonique potentielle?"). En deuxième année de master (Relations
Internationales et Diplomatie), son deuxième mémoire portait sur "Le
concept d'universel en sciences sociales et sa transposition en
relations internationales par l'universalisme."
Une
des difficultés dans l’observation de la Chine se situe dans la
capacité ou non de l’analyste à faire preuve de modération en ne
tirant pas de conclusions caricaturales. Les visions partisanes sont
en effet nombreuses, affirmant tantôt que la Chine serait une menace
à l’équilibre mondiale complotant pour la domination globale, ou
au contraire qu’il n’en serait rien, que la Chine n’a aucune
grande stratégie, qu’elle serait une puissance pacifiste, ou
encore qu’elle serait au bord de l’effondrement social et
économique.
Aucune
conclusion générale sur les ambitions chinoises à échelle globale
ne me semble avoir de sens. Les mots clefs du discours officiel
chinois sont « émergence pacifique », « coexistence
pacifique », « multilatéralisme »,
« multipolarité », et « nouvel ordre mondial ».
La Chine affirme être dans le rejet de l’hégémonie et de
l’expansionnisme, mais reconnaît l’existence d’un destin
commun et souhaite donc être présente sur la scène internationale.
Elle affirme également son intransigeance sur certains éléments de
souveraineté, notamment Taïwan et le Tibet.
La
Chine rejette toutes accusations évoquant une volonté de domination
et affirme ne souhaiter que la coopération, la confiance mutuelle et
le respect de sa souveraineté, mais évidemment il ne peut pas en
être autrement et une ambition globale ne serait probablement pas
revendiquée publiquement. Pour présager d’une supposée volonté
hégémonique, une analyse ne peut donc que se baser sur
l’interprétation des faits. C’est en ce sens qu’il a fallu
faire le choix d’un axe par lequel analyser la politique étrangère
chinoise, celui de la marine.
Les
faits, ce sont donc la modernisation et la montée en puissance
massive de la MAPL. La version officielle, laquelle est tout à fait
défendable, affirme que la seule ambition est celle d’assurer la
sécurité des routes commerciales clefs, vitales pour la Chine. Une
telle affirmation reviendrait à inverser le postulat de Mearsheimer
selon lequel l’économique est au service du développement
militaire. S’interroger sur ce sujet revient finalement à poser en
théorie des Relations Internationales le débat entre le réalisme
offensif et le réalisme défensif, l’un affirmant que toute quête
de puissance ne se fait que dans la recherche de l’hégémonie
régionale, l’autre acceptant la possibilité d’une quête de
puissance se faisant à des fins seulement sécuritaires et accordant
donc plus de place à la coopération régionale. La réponse
apportée à la question de la marine chinoise, posture défensive ou
hégémonique, serait donc simplement variable en fonction de la
position de chacun dans ce débat.
Cependant
ici, plutôt que de se placer dans un contexte théorique, ce qui
serait intéressant serait de voir à l’inverse si les actions
chinoises semblent plutôt infirmer ou confirmer une des théories.
A
l’échelle planétaire, les sorties de la MAPL sont rares et peu
significatives, n’indiquant aucune volonté de remise en cause du
contrôle américain des mers. La République Populaire de Chine (RPC) ne s’est pas imposée
définitivement dans les conflits qu’elle entretient avec ses
voisins, elle ne peut donc pas être considérée comme un hégémon
régional. Les actions de la marine chinoise n’indiquent aucune
volonté de domination mondiale. Une affirmation proclamant une
nette volonté de domination régionale serait tout à fait défendable,
mais aussi et surtout tout à fait discutable. En revanche la Chine
considère certains éléments indiscutables et est déterminée à
les obtenir, c’est notamment le cas de Taïwan. Elle n’est en
revanche intransigeante que face à des États bien plus faibles,
comme le Viêt-Nam aux Paracels, et semble même se satisfaire, pour
un temps au moins, d’un partage des Spratleys. La Chine ne s’est
pas saisie manu militari de Taïwan et n’a pas l’intention
de le faire, et enfin, elle évite consciencieusement tout escalade
militaire avec le Japon.
Finalement,
les actions de la MAPL ne permettent pas d’affirmer quoi que ce
soit de définitif et indiscutable, il est certainement trop tôt
pour cela, en revanche sa modernisation ouvre une voie royale à la
spéculation, l’imagination ou encore la prospective. C’est en ce
sens que la MAPL est la plus intéressante, en effet il est possible
de voir là l’entrée de la Chine dans une course à l’hégémonie
régionale mais cela ne pourra être affirmé que dans l’avenir à
travers certains éléments qui seront je pense très révélateurs.
La
manière dont les conflits insulaires avec les pays de l’ASEAN
seront gérés indiquera si, localement, elle s’est imposée
définitivement et sera révélatrice de son attitude sur la scène
internationale face aux « petites » nations.
La
résolution du conflit sino-japonais autour des îles Senkakus
explicitera sa place d’hégémon régional.
Illustrée
par la réalisation ou non d’un collier de perles militaire, la
relation de la Chine avec l’Inde, entre concurrence régionale et
coopération pour un nouvel ordre mondial éclairera sa position en
faveur d’un monde réellement multipolaire ou à l’inverse en
faveur d’une transition hégémonique en son honneur.
Et
enfin, l’évolution de la situation Taïwanaise sera significative
sur la manière d’agir chinoise et sur la position et la réaction
des États-Unis à propos de cet éventuel nouvel ordre mondial.
De
manière beaucoup plus concrète et dans un futur bien plus proche,
un point très révélateur de la posture chinoise à travers celle
de sa marine sera la révélation de ses nouveaux porte-avions. En
tant que symbole du dépassement de la posture défensive, symbole de
la volonté de projection et donc d’une éventuelle posture
hégémonique, les caractéristiques de ceux-ci et surtout leurs
déploiements seront significatifs. Leur système de propulsion,
conventionnel ou nucléaire, peut éventuellement révéler la
volonté d’une portée globale et donc d’une posture plus
hégémonique. Leur déploiement, soit en Mer de Chine dans une
logique d’action locale, d’affirmation de souveraineté et de
défense de ses eaux territoriales ; soit dans l’océan Indien
dans une logique de contrôle de ses routes commerciales et
d’imposition continentale ; ou encore au-delà du premier
rideau d’îles, dans une logique de projection dans le Pacifique,
contestant la présence américaine, sera surement le premier facteur
réellement révélateur. Cependant, vue la supériorité américaine
en ce domaine et l’improbabilité de voir la Chine remporter une
telle course à l’armement, cette dernière hypothèse est
probablement à éliminer et leur vocation sera très probablement
continentale. Et enfin Taïwan étant d’ores et déjà à portée
depuis les bases continentales, l’apport d’un tel équipement
dans cette perspective n’apparait pas évident, l’arrivée des
porte-avions ne suggèrent pas une éventuelle escalade et résolution
militaire entre les deux Chines.
Pour
mettre un terme à la prospective et conclure, la posture de la
marine chinoise semble varier selon l’échelle de réflexion. D’un
point de vue très local, elle semble plutôt hégémonique bien que
le terme perde de sa valeur et de son sens dans un cadre si réduit,
à l’échelle continentale la question est ouverte au débat, ses
actions ne révèlent pour l’instant aucune volonté hégémonique
mais la modernisation de la MAPL légitime les interrogations, à
l’échelle globale, en revanche, la MAPL incapable de rivaliser
avec la superpuissance américaine se tient dans une posture
défensive alimentée par sa peur de voir ses routes commerciales
coupées.
La MAPL est-elle l'un des instruments d'une stratégie A2/AD
chinoise ?
On a
déjà en partie répondu à cette question. La MAPL est maintenant
au-delà d’une « simple » stratégie de déni d’accès.
La volonté de ne plus être enfermée dans ses mers et de développer
des capacités hauturières et de projections sont évidentes.
Cependant cette stratégie A2/AD reste un élément fondamental de la
stratégie chinoise et est toujours aux fondements même du
développement de la MAPL. En effet, un des événements symboliques
clefs aux origines de la prise de conscience chinoise de sa faiblesse
maritime et donc un élément fondateur de la refonte et du
développement de la MAPL a eu lieu entre 1995 et 1996, lorsque
pendant des manœuvres chinoises dans le détroit de Formose, au
large de Taïwan, les États-Unis ont immédiatement répondu en
déployant deux groupes aéronavals dans le détroit.
La
peur des capacités américaines, la peur de l’enfermement et de la
perte de contrôle de ses propres eaux restent donc primordiales dans
les stratégies chinoises qui, même si elles s’en affranchissent
partiellement et progressivement, restent basées sur le déni
d’accès. Cette posture héritée des stratégies et des
équipements soviétiques est même aujourd’hui complétée par des
programmes de développement de missiles balistiques anti navires.
Comment la Chine use-t-elle de son outil maritime pour
servir ses prétentions territoriales sur les archipels des mers de
Chine ?
Je
ne serais pas capable de dire l’usage que la MAPL fait de ses
navires d’un point de vue vraiment tactique, concrètement au
niveau opérationnel. En revanche, si la Chine sort de sa peur d’un
enfermement et d’une posture maritime exclusivement défensive,
alors elle développe une stratégie plus active dont la finalité
est, je pense, d’établir un contrôle de facto des
archipels contestés ou la situation n’évolue plus.
Pour
résumer très rapidement, la Chine revendique la souveraineté sur à
peu près toutes les îles situées entre son territoire et le
premier rideau d’îles. Les conflits concernent en Mer de Chine
Orientale les îles Senkakus, et Pescadores ; et en Mer de Chine
Méridionale les îles Spratleys, Paracels, Pratas et le récif de
Scarborough notamment. La République Populaire est ainsi en
désaccord avec ses voisins Japonais, Taïwanais, Vietnamiens,
Brunéiens, Malaisiens et Philippins.
Malgré
quelques occasionnels affrontements, la situation est plutôt stable
et semble se maintenir autour d’un statu quo sans accords
possibles. Je suis incapable d’affirmer quel État a le plus de
légitimité à affirmer sa souveraineté, et je doute même que qui
que ce soit le puisse, et si le conflit stagne c’est parce qu’aucun
tribunal ou aucune cours internationale ne le peuvent non plus. En
effet un tel arbitrage international, pour exister, devrait être
demandé d’un commun accord par toutes les parties. C’est ainsi
que se justifie ma réponse du « prise de contrôle de
facto ».
Sans
pour autant refaire un historique et un bilan exhaustif de la
situation, un point de bilan me semble nécessaire pour les trois
principaux archipels.
La
RPC exerce déjà un contrôle de facto sur les îles Paracels
depuis 1974. Dans ce conflit qui l’oppose au Viêt-Nam, la Chine
refuse tout arbitrage par la justice internationale ou par les
Nations Unies. Puisqu’elle occupe de fait ces îles, elle ne
reconnaît pas l’existence du litige. Elle affirme sa souveraineté
et prétend sa légitimité incontestable.
La
situation est plus compliquée pour les Spralteys. Sept États sont
concernés et la Chine ne peut pas froisser tous ses voisins. Il y a
donc une occupation partielle de l’archipel par chacun des acteurs
concernés. Dans ce conflit, la MAPL n’utilise pas la force et,
plutôt que d’obtenir le contrôle total, la Chine a préférée
maintenir des bonnes relations avec ses voisins de l’ASEAN pour
obtenir des accords économiques. Un statu quo condamnant toute
action unilatérale semble maintenu.
Et
enfin, pour les Senkakus, le rival Japonais est très bien doté en
armement comme en alliés, il est ainsi à même de défendre ses
intérêts. Aucune des deux puissances ne se risque donc à prendre
d’initiatives et de décisions trop radicales, il n’y a ainsi pas
d’escalade, ce qui permet de maintenir un climat d’échanges
commerciaux sur fond de tensions politiques intermittentes.
En
conclusion, la Chine exerce déjà le contrôle de facto des
Paracels, et a probablement pour objectif d’en faire de même sur
les autres archipels, cependant cela est difficilement envisageable
sans affrontement, lesquels ne semblent pas à l’ordre du jour.
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